26 novembre 2010

La machine enchaîne, la main délivre

Le pèlerinage aux sources (1943)
Lanza del Vasto*

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La machine a gagné l’homme. L’homme s’est fait machine, fonctionne et ne vit plus.

Ses gestes, ses désirs, ses peurs se mécanisent, ses amours et ses haines. Ses goûts et ses opinions. L’éducation des enfants, l’activité productrice, le sport et les divertissements, l’application des lois, la police et l’administration, l’armée et le gouvernement tout commence à tendre à l’inhumaine perfection de la machine.

Quand vous aurez fait de l’État une machine, comment empêcherez-vous un fou quelconque de s’emparer du guidon et de pousser la machine au précipice?

Quand vous aurez fait de l’État une machine, il faudra que lui serviez vous-même de charbon.

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(…) Pour que subsiste une civilisation divisée comme la nôtre, il faut que l’État affirme toujours plus fortement sa prépondérance, soit qu’il admette la lutte des classes et maintienne l’alternative des partis, soit qu’il abolisse un des extrêmes, mate l’autre et réalise l’unité à son propre profit.

Le but principal du Gouvernement tel que le conçoit Gandhi, c’est de se rendre de moins en moins nécessaire : c’est créer des conditions telles qu’on se puisse passer de lui. «Le meilleur gouvernement, a dit Goethe est celui qui nous enseigne le mieux à nous gouverner nous-mêmes.» Il est clair que la puissance de l’État augmente en proportion de l’incapacité des hommes à s’appliquer la loi sans qu’on les y force, tandis que l’habitude de la soumission à la force éteint le jugement et le contrôle de soi et aggrave le mal. Dans le régime gandhien au contraire, la plus large autonomie administrative viendrait partout corroborer l’autarchie économique, de sorte que les autorités de chaque village acquerraient des droits souverains. (…)

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Voici les points communs du régime de Gandhi avec les trois qui se disputent l’hégémonie en Occident.

Avec le régime libéral : la liberté politique telle que les libéraux la conçoivent. Le respect de l’opinion de l’opposant. Le sentiment que même le bien des gens ne peut leur être imposé par la force.

Avec le régime communiste, ceci : la primauté du travail. Le devoir pour tous du travail manuel. L’égalité des devoirs et des droits dans la diversité des fonctions et quelle que soit l’inégalité des aptitudes.

Avec le régime nazi-fasciste, ceci : l’autarchie. Le principe de solidarité corporative substitué à celui de concurrence commerciale. L’affirmation du vouloir de l’homme comme indépendant des conditions économiques. Le recours à la personne et à son autorité. La formation des cadres et des chefs.

Mais il est un côté du régime de Gandhi qui n’a rien de commun avec ceux d’Occident, ou présents ou passés. C’est son côté proprement hindou et chrétien.

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Ce côté se résume en un mot : Ahimsâ – la doctrine et la pratique de la non-violence. Ahimsâ signifie au sens étymologique : abstention de nuire.

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Commentaire : On a tenté de toutes les manières possibles de dénigrer Gandhi, notamment en disant qu'il se comportait de manière tyrannique envers sa famille. Je n'en sais rien, je n'étais pas là. Néanmoins son message conserve toute sa valeur humaniste.  

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* Issu d’une famille illustre, Lanza del Vasto est né en Sicile en 1901 et décédé en 1981. En 1936, il entreprend un long voyage en Inde qu’il raconte dans ce livre. À son retour, ce disciple chrétien de Gandhi se fait apôtre de la non-violence en fondant des communautés, en France et dans plusieurs autres pays, pour répandre cette philosophie. Immense a été la répercussion de son œuvre poétique, initiation à la sagesse millénaire de l’Inde, où l’humour a sa place.

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