31 octobre 2019

Un pays divisé? Mais voyons donc!

Depuis quand? Les Français on d’abord colonisé le territoire, puis les Britanniques emboitèrent le pas. Depuis, la coexistence franco/anglo a généré des conflits identitaires, linguistiques, économiques et territoriaux. Que se passe-t-il quand deux plaques tectoniques entrent en collision? La terre tremble...

Nous sommes actuellement dans une période de transition où deux mondes s’enchevêtrent : l’ancien persiste, encore tout-puissant, continuant à dominer la masse, et le nouveau se faufile, encore modeste, ne dérangeant pas grand-chose pour le moment. Mais...

La discorde de l’heure entre l’Ouest et l’Est? Le «corridor énergétique» des sables bitumineux albertains. C’est comme une grande tache d’huile qui se répand sur un vêtement et qu’on n’arrive pas à nettoyer.

Caricature : André-Philippe Côté | Le Soleil, 7 octobre 2019

Le premier ministre conservateur de l’Alberta, Jason Kenney, ne dérougit pas, même s’il est bleu... Il ne cesse de répandre des faussetés sur la péréquation (1) pour mobiliser ses troupes pro-pétrole, croyant que cela aidera à soumettre le Québec à sa volonté – son seul but  est d’exploiter ses sables bitumineux, de faire construire un immense réseau de pipelines, de vendre et d’exporter toujours plus de pétrole et de gaz vers les marchés asiatiques et européens. Le mot «diminution» n’existe pas dans son dictionnaire.
   Il se comporte comme un redoutable conquérant qui semble croire que le Canada entier appartient à l’Alberta; il compte parmi les plus agressifs représentants conservateurs pro-pétrole. Dans son discours de la victoire, il avait réitéré sa promesse de lutter contre les groupes écologistes canadiens qui, selon lui, acceptent de l'argent de fondations américaines avec le secret dessein de saboter l'économie d'ici en empêchant l'Alberta d'exporter du pétrole ailleurs que vers le sud. Il a créé une «cellule de guerre» disposant d’un budget de 30 millions de dollars canadiens pour répondre aux mensonges et à la désinformation qui circulent sur l’énergie albertaine; il se propose de contester chaque affirmation à l’aide de faits et de preuves. (Avril 2019)

«Jason Kenney est un politicien rusé qui nourrit sans doute l’ambition de retourner un jour en politique fédérale. Il faut donc relativiser les menaces qu’il lance au gouvernement central. Certes, M. Kenney court le risque d’alimenter la grogne des Albertains envers le reste du pays en mettant constamment l’accent sur les désavantages du fédéralisme sans souligner les avantages dont a bénéficié sa province au fil des ans grâce à son appartenance à la famille canadienne. Mais sa démarche vise exclusivement à faire pression sur Ottawa, et non à souffler sur les braises du nationalisme albertain, le terme même étant un oxymoron.
   L’aliénation de sa province est circonstancielle et ne découle pas de facteurs plus fondamentaux et permanents. Contrairement aux Québécois, les Albertains ne prétendent pas former une nation. Le mouvement séparatiste albertain, aussi marginal soit-il, ne trouve pas son inspiration dans des différences identitaires ou culturelles des Albertains par rapport aux autres Canadiens. Pour ceux qui y adhèrent, c’est purement une question d’argent  

~ Konrad Yakabuski (chronique Le malaise canadien, Le Devoir, 26 octobre 2019)  

«Il est toujours désagréable de rabrouer un membre de sa famille. Mais le premier budget du gouvernement Kenney m’inspire cette critique de l’irresponsabilité d’une part appréciable des Albertains, incapables de se libérer du souvenir de l’époque où ils pouvaient flamber des sommes astronomiques d’argent sans penser au lendemain.
   Je suis totalement insensible aux plaintes de notre turbulent cousin, que ce soit en matière de péréquation ou en matière de construction de pipelines. Jason Kenney, que j’observe depuis 15 ans et que j’ai côtoyé quatre ans à la Chambre des communes, est un charlatan qui s’est fait élire sur la promesse de livrer le beurre et l’argent du beurre dans son mandat. Le problème est que les citoyens de cette province seront privés des deux, étant donné la crise économique à venir et le maintien très bas du prix du baril de pétrole sur les marchés, assortis aux prévisions irréalistes de ce premier budget. [...]  
   L’Alberta est actuellement incapable d’accepter le fait que la cause du bas prix de son pétrole sur le marché n’est pas l’opposition de ses méchants cousins canadiens qui refusent le passage de pipelines ou le «pétrole non éthique» de l’Arabie saoudite, mais la production massive et égoïste de son voisin états-unien. L’exploitation désordonnée et dévastatrice, digne des pires épisodes des ruées vers l’or du XIXe siècle, du pétrole de schiste aux États-Unis est un phénomène qui dépasse l’entendement. Et malgré la menace qui pèse sur la santé et la sécurité de millions d’États-Uniens, nous ne voyons pas encore de ralentissement notable du rythme effréné de cette production.
   Peter Lougheed avait mis en place l’Alberta Heritage Savings Trust Fund en 1976 pour assurer l’avenir des Albertains. [...]  
   L’héritage de Peter Lougheed a été dilapidé par l’avidité ordinaire de ses successeurs avec la complicité d’une partie des contribuables. Cette gênante avidité a culminé avec les «Ralph Bucks» de 400 $, comparables au «Buck a beer» de Doug Ford ou au «remboursement» des trop-perçus d’Hydro-Québec de François Legault. Le sinistre souvenir de Ralph Klein, un irresponsable qui a poussé sa province à l’imprévoyance, n’a pas empêché 55 % des Albertains de choisir Jason Kenney, qui poursuivra dignement le travail de démolition de Klein.
   Connaissant le catholique fondamentaliste qui s’est installé sur le siège de premier ministre, je vais m’inspirer de la parabole du fils prodigue des Évangiles. L’Alberta ne montre ni le repentir du fils cadet ni le sens du devoir du fils aîné. Cette province va payer le prix fort de son acharnement à s’illusionner. Espérons que les Albertains ne pousseront pas trop loin l’aveuglement.»

~ Raymond Côté, député de la Chambre des communes de 2011 2015 (L’immaturité des Albertains les mènera à leur perte; Le Devoir, 26 octobre 2019)  

[Ndlr : Le militantisme catholique de Jason Kenney. À 19 ans, alors qu’il était étudiant en philosophie à l’Université de San Francisco (Californie), il publia un article où il accusait les catholiques américains d’ignorer les enseignements de l’Église. L’année suivante il s’en prenait aux étudiantes en droit qui militaient pour le droit à l’avortement. En 1989, il organisa une pétition pour que l’université de San Francisco soit déclarée «institution catholique» – l’archevêque refusa. Plus tard, Kenney fut une voie importante pour les fondamentalistes religieux au sein du cabinet de Stephen Harper, entre 2008 et 2015.]  

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(1) Pour le chef du Parti conservateur uni de l’Alberta, Jason Kenney, [la péréquation] est un affront aux provinces de l'Ouest car, selon lui, elles sont les principales contributrices au programme de péréquation. Ce qui est faux.
   En réalité, la cagnotte globale de la péréquation est constituée des impôts fédéraux des particuliers, des sociétés, etc. Le décalage se situe au niveau du partage de la cagnotte. «Les paiements de péréquation visent à permettre aux provinces moins prospères de fournir à leurs citoyens des services publics comparables à ceux d'autres provinces, à des taux d'imposition comparables.» ~ Bill Morneau, ministre fédéral des finances, décembre 2018  

Caricature : André-Philippe Côté Le Soleil, 29 août 2019

«Ayant été ministre à Ottawa sous Stephen Harper, y compris lors de l’adoption de la formule de péréquation qu’il dénonce aujourd’hui, Jason Kenney sait qu’il mêle les choux et les navets et entretient la confusion. La péréquation a été créée en 1957 et transformée en obligation constitutionnelle en 1982. C’est un programme fédéral. Ottawa écrit les règles et il est le seul à financer ce transfert à même ses revenus généraux, ceux auxquels tous les Canadiens contribuent. L’Alberta n’envoie de chèque à personne.» ~ Manon Cornellier (La péréquation pour faire diversion, Le Devoir, 30 octobre 2019)

Sous la loupe de Gérald Filion (chronique RDI Économie, décembre 2018)  

ANALYSE - Débattre de la péréquation est un véritable sport national, un enjeu qui revient périodiquement, au moins une fois par année, comme la première neige ou le retour des bernaches. ... Je vous propose une petite explication en 10 points sur la péréquation.

1- D’abord, les paiements de péréquation sont des sommes qui viennent de vos impôts fédéraux, donc du gouvernement fédéral, et qui sont distribuées dans les provinces en fonction d’un calcul défini à l’avance par Ottawa et les provinces;
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4- Le montant de péréquation représente l’écart de revenus fiscaux par habitant d’une province avec la moyenne canadienne; les provinces qui sont sous la moyenne reçoivent de la péréquation (il y en a cinq) et celles qui sont au-dessus de la moyenne n’en reçoivent pas (il y en a cinq également);
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5- La capacité fiscale est établie à partir des revenus d'impôts des particuliers et des sociétés, des revenus de taxes à la consommation, des revenus des impôts fonciers et des recettes tirées des ressources naturelles;
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6- Les paiements de péréquation sont calculés par habitant; ainsi, en 2019-2020, l’Île-du-Prince-Édouard est la province qui recevra le plus grand montant de péréquation par habitant, soit 2694 $, suivie du Nouveau-Brunswick (2613 $), de la Nouvelle-Écosse (2086 $), du Manitoba (1646 $) et du Québec (1549 $);
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8- [...] Même si l’Alberta est touchée par la baisse des prix du pétrole, sa capacité fiscale dépasse encore la moyenne et la province ne reçoit pas de péréquation;
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10- La péréquation n’est pas un programme d’aide; les problèmes cycliques de l’Alberta n’ont rien à voir avec les montants de péréquation actuels, il y a d’autres programmes fédéraux pour soutenir les provinces en difficulté à court terme.

Article intégral :
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La «loi 21» sur la laïcité de l’État (québécois), comme autre sujet de discorde. L’interdiction de porter des signes religieux au sein de la fonction publique a soulevé la grogne. Les contestataires prétendent que c’est le gouvernement fédéral qui a la compétence pour légiférer en cette matière. Encore là on invoque le non respect des droits et libertés. Pourtant, cette loi n’empêche personne de pratiquer sa religion.
   Paradoxalement, les adeptes de certaines religions, contraints de porter des signes distinctifs et de pratiquer des rituels quotidiens (souvent discutables...), sont d’une manière les personnes les plus privées de droits et libertés. Si certains chrétiens ont adopté un rapport individualiste à la religion en faisant une affaire strictement privée, d’autres croyants, comme les sikhs, les juifs et les musulmans préservent toujours le rapport communautaire de leur religion – pour eux, les signes ostensibles sont essentiels pour marquer publiquement leur appartenance à cette communauté; en outre, pour ces croyants pratiquants, suivre les préceptes de leur religion n'est pas une décision (un choix) mais une obligation.

«Les gens peuvent parler autant qu'ils le veulent de leur religion, mais si elle ne leur apprend pas à être bons et bienveillants envers les hommes et les bêtes, c'est une imposture.»

Le 99 % est en marche

«Quand on ne peut plus respirer, on finit par casser les vitres.» (Film L’horloger de Saint-Paul, 1974)

Actuellement, la détresse des populations se traduit par des manifestations dont le nombre de participants est sans précédent dans plusieurs pays du monde. On constate un écœurement généralisé relativement au libre marché et ses crimes économiques, aux régimes corrompus, à la pauvreté, aux pénuries de nourriture et de médicaments, à la privatisation des services de santé et d’éducation, aux pouvoirs politico-religieux, au spectre de la crise climatique, de la récession, de la dette et de l’inflation. La coupe est pleine.

Justice comes when enough is enough.

Citations du jour

«Pour l’avenir, qu’allons-nous choisir collectivement de favoriser? Une société-loterie où une poignée d’individus empoche le gros lot et dont l’horizon est la ploutocratie? Ou une société véritablement démocratique, dans laquelle nous nous reconnaissons égaux et décidons collectivement des objectifs que nous désirons poursuivre?»  
~ David Robichaud / Patrick Turmel (La juste part | Repenser les inégalités, la richesse et la fabrication des grille-pains; Atelier 10; 2012)

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«Pour le capitalisme les implications écologistes sont trop importantes pour que le capitaliste puisse les envisager. [Les ploutocrates] sont plus attachés à leur richesse qu'à la Terre sur laquelle ils vivent, plus préoccupés par le sort de leur fortune que par celui de l'humanité. La crise écologique actuelle a été créée par une minorité d’individus au détriment du plus grand nombre. En d'autres termes, la lutte pour l'environnementalisme fait partie de la lutte des classes elle-même, un fait qui semble avoir échappé à de nombreux écologistes mais qui est bien compris par les ploutocrates – c'est pourquoi ils ne se privent pas de ridiculiser et de dénoncer les ‘éco-terroristes’ et les ‘protecteurs des arbres‘.»

«Si l'on examine les généalogies de nombreuses ‘vieilles familles’, on découvre des épisodes de trafic d'esclaves, de trafic d'alcool, de trafic d'armes, de trafic d'opium, de falsification des revendications territoriales, d'acquisition par la violence des droits sur l'eau et les mines, d'extermination de peuples autochtones, de vente de marchandises de mauvaise qualité et dangereuses, de fonds publics utilisés pour des spéculations privées, d'ententes malhonnêtes sur des titres et des bonds gouvernementaux, et de pots de vin en échange de faveurs politiques. On trouve des fortunes bâties sur le travail forcé, le travail sous contrat, le travail en prison, le travail des immigrés, le travail des femmes, le travail des enfants et le travail des briseurs de grève – soutenus par la force meurtrière des bandits armés et des milices. ‘L'argent ancien’ n'est souvent que de l'argent sale blanchi par plusieurs générations de possession.»

«Le but d'une bonne société est de structurer les relations sociales et les institutions de sorte que les impulsions coopératives et généreuses soient récompensées, et les impulsions antisociales découragées. Le problème du capitalisme, c'est qu'il récompense le pire de nous-mêmes – des pulsions impitoyables, compétitives, machiavéliques, opportunistes, cupides – alors qu’il récompense peu et même punit, ou du moins freine, l'honnêteté, la compassion, le fair play, le travail honnête, l'amour de la justice et le souci pour ceux qui sont dans le besoin.»


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«Mon garçon, les carrosses existent. Le lord est dedans, le peuple est sous la roue, le sage se range. Mets-toi de côté et laisse passer.» ~ Victor Hugo

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«Mais s’ils avaient ensemble appris une chose, c’était que la sagesse vient à nous lorsqu’elle ne sert plus à rien.» ~ Gabriel García Márquez

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