Jour d’élection
de mi-mandat : dernier tour de barillet aléatoire à la roulette russe... dans quel camp
ira la balle?
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Le Soir Plus (Belgique)
Nicole Bacharan : «Aujourd’hui, il
faut avoir peur de l’Amérique»
Stéphane
Bussard
Le temps | Publié
vendredi 2 novembre 2018
Politologue
et historienne ayant longtemps vécu aux Etats-Unis, Nicole Bacharan commente la
violence des mots et des actes sous la présidence Trump, et estime que la
deuxième moitié de son mandat pourrait être fortement entravée par les enquêtes
de la Chambre des représentants si celle-ci est reconquise par les démocrates
[...]
Donald Trump (et par ricochet les
républicains) va-t-il bénéficier de ce climat de haine le 6 novembre?
C’est son
calcul. Il ne cherche pas à apaiser les tensions, mais à générer le plus de
colère possible au sein même de son électorat. Sa technique, c’est le mensonge
avéré quotidien, sans vergogne, érigé en système. Or, quand les faits ne
comptent plus, cela rappelle les années 1930. C’est en tout cas ainsi que ça
commence. La honte a disparu. Le migrant devient l’ennemi. Si je pouvais
résumer la présidence Trump, je choisirais cette image : l’homme à la tête de
l’armée la plus puissante du monde promet d’envoyer jusqu’à 15 000 soldats à la
frontière américano-mexicaine face à quelque 4000 déguenillés. Il y a la
grandeur de la fonction et la petitesse de l’homme. Donald Trump maintient son
électorat dans une vraie paranoïa. Si vous êtes un Américain qui regarde Fox
News et qui écoute le polémiste Rush Limbaugh, vous vous sentez menacé par
tout. Selon moi, Donald Trump est habité par la peur. Il l’a identifiée avec un
véritable génie comme un moyen qui fait sa fortune. Quand les gens n’auront
plus peur, ils ne voteront plus pour lui.
[...]
Article
intégral :
~~~
Il y a plusieurs années, à force de réfléchir au sens du mot démocratie, j’ai réalisé que notre système politique en était un pastiche qu’on serait mieux d’appeler «dictature démocratique».
Les propos de Pierre-André Paré,
ex-sous-ministre au Ministère du Revenu du Québec, devant une commission de l’Assemblée
Nationale du Québec (Le Devoir, le 6 avril 1996), m’avaient fortement marquée :
«Tout
est privilège concédé par l’état : votre voiture, votre maison, votre
profession, bref votre vie; et ce que l’état donne, il peut le reprendre si
vous n’êtes pas un contribuable docile.» (Évidemment, cela n’incluait pas les
gens qui déposent leurs économies
dans des Paradis fiscaux...)
Plus récemment, des articles de Francis
Dupuis-Déri et des commentaires sur ses ouvrages, ou l’entendre à la radio, ont
éclairé mes cellules grises. Je comprends mieux le tout-faux derrière notre démocratie.
Ces deux exemples de représentation antidémocratique ont confirmé ma perception :
l’achat du pipeline Trans Mountain de Kinder Morgan et la vente d’armement à l’Arabie
Saoudite. Avons-nous été consultés? Non. Les décisions les plus graves et
compromettantes se prennent toujours en catimini.
«Pour
les adversaires de la démocratie directe, le peuple assemblé serait
irrationnel, donc inapte à délibérer et à gouverner. Il serait aussi une proie
facile pour les démagogues. Le fait d’avoir des chefs ne nous prémunit pas
contre l’irrationalité. Machiavel disait que les vices et les défauts du peuple
se retrouvaient de manière encore plus accentuée chez ceux qui gouvernent. Les
élites politiques sont aussi animées par la passion, par la soif du pouvoir, de
l’argent ou de la gloire. Quant à la démagogie, elle est plus inquiétante dans
la démocratie représentative que dans la démocratie directe. Elle constitue
l’ADN de notre système électoral. Les spécialistes de la communication et de
l’image sont là pour réfléchir à la meilleure façon de manipuler l’opinion
publique.» ~ Francis Dupuis-Déri
Démocratie : histoire d'un malentendu
Pour
Francis Dupuis-Déri, la démocratie n'est pas celle que l'on croit et son
histoire est encore plus méconnue. Détestée et ridiculisée pendant des siècles,
la démocratie était vue comme le pire des régimes pendant des générations en
Occident.
Dans Démocratie,
Histoire politique d'un mot (Lux éditeur, 2013), le professeur au
Département de science politique de l'UQAM conclut avec fracas : le Canada
n'est pas une démocratie et ne l'a jamais été.
Entrevue :
L’esprit antidémocratique des
fondateurs de la «démocratie» moderne
Par
Francis Dupuis-Déri
Un
article publié dans la revue AGONE, no 22, septembre 1999, pp. 95-114.
Article
intégral :
Résumé
Se
réclamant de la «démocratie» – sans toutefois donner plus de pouvoir au démos –, les représentants de nos
systèmes politiques n’ont pas seulement piégé le peuple qu’ils prétendaient
servir, c’est la langue elle-même qu’ils ont trahie : comment désormais mettre
à jour l’antidémocratisme des discours, des pratiques, des systèmes et des
hommes politiques rangés sous l’étiquette de «démocrates»? Le glissement de
sens qu’a connu le mot «démocratie» constitue sans doute le principal coup de
maître de la propagande politique moderne.
Introduction
«L’esprit
antidémocratique des fondateurs de la «démocratie» moderne. On peut presque
dire que la théorisation politique a été inventée pour montrer que la
démocratie, le gouvernement des hommes par eux-mêmes, vire nécessairement en
règne de la populace… S’il existe quelque chose telle que la tradition
occidentale de la pensée politique, elle débute avec ce biais profondément
antidémocratique.» (J.S. McClelland)
Aujourd’hui,
presque tous les acteurs et les penseurs politiques se réclament de la
démocratie. Or, les fondateurs de nos démocraties représentatives étaient
ouvertement antidémocrates, utilisant le mot «démocratie» pour désigner et
dénigrer leurs adversaires trop radicaux. Ce paradoxe – des antidémocrates qui
fondent les soi-disant «démocraties» modernes – apparaît très clairement
lorsqu’on se plonge dans la lecture des discours, des pamphlets, des articles
de journaux, des lettres personnelles ou des poèmes de l’époque
révolutionnaire, tant américaine que française. En fait, la force quasi incantatoire
que possède le mot «démocratie» aujourd’hui nous fait oublier que, pendant plus
de deux mille ans, le terme «démocratie» eut un sens très négatif pour
pratiquement tous les penseurs politiques, et qu’aucun acteur politique ne s’en
est fait le champion.
Depuis Athènes, on entendait par «démocratie»
le gouvernement direct d’un peuple assemblé à l’agora pour proposer des lois,
en débattre et les voter. Bien sûr, la démocratie athénienne n’était pas
parfaite, les femmes, les esclaves et les métèques en étant exclus. Mais ce
problème d’exclusion – qui mérite d’être pensé – n’eut que peu de résonance
pendant deux mille ans, puisque les régimes monarchiques, impériaux ou
soi-disant «démocratiques» pratiquaient presque toujours eux-mêmes
l’esclavagisme et l’exclusion des femmes de la sphère publique. La définition
de la démocratie s’intéressait donc peu à ces problèmes, qui n’en étaient pas
aux yeux des penseurs et des acteurs politiques. Ils se concentraient plutôt
sur la forme du gouvernement direct de la démocratie, considérée comme
incompatible avec toute espèce de représentation. Cette définition descriptive
se doublait d’un sens normatif péjoratif : la démocratie était un régime faible
car le peuple est facilement manipulable par des démagogues et se laisse
aisément entraîné par ses passions. Pire encore, ce peuple foncièrement
irrationnel est incapable de discerner le «bien commun» – expression qui fait
l’impasse sur les conflits inhérents à la vie en commun – et risque d’imposer
des politiques égalitaires puisqu’à l’agora les pauvres seront toujours plus
nombreux que les riches. Bref, la démocratie tendrait inéluctablement vers une
de ses deux formes pathologiques : la tyrannie de la majorité ou le chaos. Les
pères fondateurs des premières «démocraties» modernes partageaient cette vision
de la démocratie.
Nous nous trouvons donc devant une situation
des plus paradoxales : nos régimes «démocratiques» ont été fondés par des
individus profondément et ouvertement antidémocrates. Cet antidémocratisme, que
nous nous proposons ici d’explorer, est un des éléments fondamentaux de nos
systèmes représentatifs contemporains. Lors de sa formation, notre régime
représentatif n’est pas connu sous le nom de «démocratie» mais plutôt sous
celui de «république», deux termes qui ne sont pas synonymes, loin s’en faut.
Pourtant, un changement d’étiquette survient, tant aux États-Unis qu’en France,
vers la fin de la première moitié du XIXe siècle. Dès lors, des régimes
ouvertement antidémocratiques adoptèrent, pour des raisons que l’on appellerait
aujourd’hui de marketing politique, l’appellation de «démocratie». Comme
l’antidémocratisme inhérent à notre régime représentatif, cet antidémocratisme
des pères fondateurs nous semble s’expliquer sur les plans à la fois
sociologique, politique et économique, philosophique et linguistique.
Une socialisation élitiste
[...]
Outre cette méfiance à l’égard d’un régime politique démocratique, les membres
de l’élite patriotique sont socialisés à se considérer comme supérieurs. Ils
répètent ce qu’ils ont appris : de chaque société émergerait une sorte
d’«aristocratie naturelle», à distinguer de l’aristocratie héréditaire
illégitime quand la première est celle du mérite et de la vertu.
L’«aristocratie naturelle», on la retrouve chez Thomas Jefferson : «Il y a une
aristocratie naturelle, fondée sur le talent et la vertu, qui semble destinée
au gouvernement des sociétés, et de toutes les formes politiques, la meilleure
est celle qui pourvoit le plus efficacement à la pureté du triage de ces
aristocrates naturels et à leur introduction dans le gouvernement». ... Selon
les membres même de cette aristocratie naturelle, eux seuls détiendraient les
compétences pour identifier, défendre et promouvoir le bien commun, alors que
les gens du [petit] peuple ne sont motivés que par leur intérêt personnel et
immédiat. Cet élitisme des patriotes s’exprime d’ailleurs sans gène dans les
discours, pamphlets et lettres personnelles : le peuple est synonyme de «foule»,
de «populace», de «mob», de «crowd»,
de «vermine»… bref, d’attributs qui dénotent autant leur antidémocratisme qu’un
véritable dédain des gens du peuple.
Utilisation politique du mythe de la
«souveraineté»
D’un
point de vue politique, les patriotes vont bien sûr s’efforcer de discréditer
la légitimité du pouvoir du roi ou de l’aristocratie. Mais ils vont aussi
insister sur l’incapacité politique du peuple à se gouverner lui-même.
Méprisant les gens du peuple, il est bien normal que les leaders du mouvement
patriote ne rêvent pas d’instaurer une démocratie directe. Mais s’ils refusent
que l’agora soit le siège du pouvoir, c’est aussi, et surtout, qu’ils veulent
le pouvoir pour eux-mêmes. [...]
Discours antidémocratique et peur des
pauvres
À
cet antidémocratisme s’ajoutait une peur du pauvre et de l’égalitarisme. Selon
une idée alors largement répandue, comme tous ceux qui n’étaient pas autonomes
financièrement (esclaves, femmes et salariés), les pauvres ne pouvaient avoir
de pensée autonome et rationnelle. John Adams écrit ainsi : «Telle est la
fragilité du coeur humain que seulement quelques hommes qui n’ont pas de
propriété possèdent un jugement qui leur soit propre».
[...] À ce mépris qu’affichait l’«élite»
patriotique quant aux capacités politiques du peuple, se doublait la peur que,
une fois au pouvoir, celui-ci ne s’attaque à la propriété privée et n’instaure
l’égalitarisme : comme les royalistes, les républicains craignaient la
démocratie directe et l’aspiration égalitaire des pauvres – l’égalitarisme
était alors clairement associée aux excès de la démocratie. Certes, l’élite
patriotique ne comptait pas tant de grands banquiers ou de riches marchants
qu’essentiellement des administrateurs, des juges et des avocats qui avaient siégé
dans les assemblées coloniales ou aux États généraux. Mais les leaders
politiques connaissaient souvent personnellement les membres de l’élite
économique, qu’ils côtoyaient au collège, en famille, dans les clubs, etc. Ils
partageaient donc leur peur de voir les pauvres profiter des troubles sociopolitiques
pour imposer réforme agraire, abolition des dettes, etc. Comme ils partageaient
leur intérêt à limiter la turbulence qu’entraînait le mouvement de contestation
qu’ils avaient lancé…
Les révolutionnaires les plus radicaux ne
s’y trompèrent d’ailleurs pas, associant ouvertement leurs idéaux égalitaires à
l’idéal démocratique.
Justifications philosophiques
L’idéologie
représentative sera enfin complétée par Benjamin Constant dans son célèbre et
brillant discours De la liberté des
anciens comparée à la liberté des modernes. Le système représentatif y est
dépeint comme le seul respectant l’«esprit des modernes», c’est-à-dire une
philosophie où l’individu moderne n’aurait comme perspective politique que le
système représentatif. Selon Constant, les anciens concevaient la liberté comme
la possibilité de participer aux décisions politiques. Les modernes, au
contraire, se sentiraient libres lorsqu’ils pourraient se consacrer à leurs
affaires privées… D’où l’intérêt pour les modernes du système représentatif,
qui permet aux représentés de ne pas avoir à s’investir dans la sphère
publique.
[...] Malgré ses qualités, Constant incarne
bien ce délégué cynique et manipulateur qui dissimule son antidémocratisme
derrière de belles paroles, cherchant à légitimer aux yeux des électeurs sa
propre ambition politique.
[...] Historiquement hérité du régime
monarcho-féodal, le système représentatif moderne est philosophiquement
légitimé par l’antidémocratisme de ceux qui l’ont instauré.
Langage : l’antidémocratisme dissimulé
L’antidémocratisme
des pères fondateurs, quoiqu’aujourd’hui méconnu, avait l’avantage d’être
ouvertement assumé. L’antidémocratisme contemporain est plus insidieux, ayant
pris la forme d’une propagande de la démocratie.
[...] Aux États-Unis, le mot «démocratie»
acquiert un sens positif quand apparaissent les grands partis politiques. En
France ce renversement de sens correspond à l’octroie du suffrage universel aux
hommes et la montée des pressions socialistes. Une telle «manipulation
langagière» ne s’est pas faite seule, mais fut orchestrée par l’élite politique;
son but, jouer sur l’imaginaire pour asseoir la légitimité des représentants.
Désigner les républiques comme démocratiques ne fut qu’une manoeuvre pour faire
croire que ce système répondait aux intérêts du peuple – du demos.
[...] Se réclamant de la «démocratie» – sans
toutefois donner plus de pouvoir au demos
–, les modernes n’ont pas seulement piégé le peuple qu’ils prétendaient servir,
c’est la langue elle-même qu’ils ont trahie : comment désormais mettre à jour
l’antidémocratisme des discours, des pratiques, des systèmes et des hommes
politiques rangés sous l’étiquette de «démocrates»? Le glissement de sens qu’a
connu le mot «démocratie» constitue sans doute le principal coup de maître de
la propagande politique moderne.
L’«agoraphobie» comme concept politique
Un
nouveau concept politique pourrait nous permettre de penser ce qui ne semble
pouvoir l’être : l’antidémocratisme de notre démocratie moderne. Nous proposons
un concept emprunté à la psychologie : l’agoraphobie – «peur injustifiée,
parfois accompagnée de vertige, que certaines personnes éprouvent lorsqu’elles
se trouvent dans des lieux publics et de grands espaces découverts.
L’agoraphobique, affolé à l’idée de devoir traverser une place ou d’être mêlé à
la foule, préfère les éviter». L’agora, qui inspira le concept, est la place
publique constituant le coeur politique et économique de la cité démocratique
en Grèce antique, où se réunissaient les citoyens pour exercer directement leur
pouvoir.
Passant en politique, l’agoraphobie décrit
cette méfiance à l’égard d’un peuple se gouvernant seul, sans que sa volonté ne
soit filtrée par des représentants. Le philosophe ou l’acteur politique qui
souffre d’agoraphobie politique craint la démocratie directe, ce «chaos», cette
«tyrannie de la majorité». Peur du peuple au pouvoir, l’agoraphobie politique
est aussi un mépris des capacités politiques du peuple.
Un tel concept n’aurait pas été utile lors
de l’instauration de nos gouvernements représentatifs, les politiciens de
l’époque se déclarant alors ouvertement antidémocrates. Mais depuis, nommant
«démocratie» un système politique fondé sur des bases antidémocratiques, les
politiciens se disant «démocrates» ont piégé la pensée à la manière du «Big
Brother» de 1984. Ce coup de force piège la critique de l’agoraphobie de nos
républiques. Il fait de la naissance des «démocraties» modernes une rupture
avec un ordre ancien où le peuple ne détenait pas le pouvoir. Rien n’est moins
faux : suivant l’esprit des fondateurs, le système représentatif n’est qu’une
forme raffinée d’incarnation de cette agoraphobie qui a toujours caractérisé la
pensée et l’action politique. Il y eut quelques rares expériences dénuées
d’agoraphobie – comme Athènes ou les communes anarchistes –, mais notre système
représentatif n’en fait pas partie.
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