2 août 2018

Campagne électorale, nous y voilà!

Armons-nous de patience, cultivons l’esprit critique et le discernement. Et n’oublions pas le scandale Cambridge Analytica, car peu de gens, en affaires et en politique, s’embarrassent de principes moraux (et je ne parle ici pas de religion) :  
   «Ça ne sert à rien de mener une campagne électorale en s’appuyant sur des faits, expliquait le directeur général de Cambridge Analytica. Il n’y a que les émotions qui comptent.» Ces commentaires de Mark Turnbull avaient été captés par une caméra cachée de la chaîne britannique Channel 4. Avec ses ordinateurs, la firme prétendait mieux savoir ce qui choque ou effraie les électeurs que ces électeurs eux-mêmes. Ce sont les formules informatiques développées avec les données de Facebook qui lui auraient donné cet avantage. Ces craintes et ces émotions se sont retrouvées au cœur de la controversée campagne de Donald Trump, dont la peur des immigrants illégaux et des terroristes, le contrôle des armes à feu, et un désir de rejeter les élites qui auraient la vie plus facile

Les élections québécoises dans la mire d'un nouveau groupe d'influence sur Facebook

Un texte de Thomas Gerbet et Jeff Yates
ICI Radio-Canada Info Le jeudi 3 août 2018

Une nouvelle page Facebook inspirée d'un modèle qui a fait grand bruit lors des élections en Ontario tente d'influer sur la campagne québécoise. Alors que l'utilisation de Facebook pour influencer, voire déstabiliser des élections, est maintenant bien documentée en Occident, le Québec est-il prêt à y faire face? Pas vraiment, révèle notre enquête.
   Des Québécois de la droite libertarienne proches des conservateurs fourbissent leurs armes à la veille de l’élection québécoise du 1er octobre. Menés, entre autres, par l’animateur de la radio de Québec Éric Duhaime, ils tentent de créer un réseau d’influence sur le web.
   Leur page Facebook baptisée Québec Fier a accumulé près de 6000 abonnés en un mois. Ses publications ont déjà pu rejoindre des dizaines de milliers de Québécois et sa portée est en croissance.
   La page écorche tous les principaux partis, que ce soit la CAQ, le PQ ou le PLQ, mais attaque principalement les libéraux fédéraux et provinciaux. Les thèmes récurrents sont l’immigration, le contrôle des armes à feu ou les subventions aux entreprises.
   Québec Fier ne s’attarde pas seulement à la politique. Plusieurs images d’apparence anodine apparaissent sur la page Facebook. Par exemple, les internautes sont invités à partager l’image s’ils aiment les bleuets québécois.

Une des publications de la page Québec Fier. Photo : Capture d'écran Facebook

«On a vu que ça a marché en Ontario», explique Éric Duhaime à Radio-Canada. Avec un mélange de publications politiques et de style viral, la page Facebook Ontario Proud a en effet bâti une communauté de près de 400 000 abonnés.
Article intégral : 

«J’ai toujours dit qu’au fond Twitter et Facebook ce sont des ‘conversations de tavernes’, mais à l’échelle globale. Avant les conversations restaient dans les tavernes, mais maintenant on met nos conneries sur Twitter, tous au même moment.» (Yves Gingras)

Suggestion pouvant aider à voir plus clair dans le flot de messages propagandistes qui envahit déjà les réseaux : le documentaire La démocratie des crédules : le paradoxe d'internet, inspiré du livre à succès de Gérald Bronner (1).  

Éclairé par plusieurs interventions d'Yves Gingras, le documentaire La démocratie des crédules : le paradoxe d'internet diffusé à l'émission 1001 vies de Radio-Canada, se penche sur la prédisposition naturelle de notre cerveau à s'intéresser aux sornettes, et sur la façon dont les théories du complot gagnent l'esprit de nos contemporains.
   En moins de 20 ans, la révolution Internet a eu un effet beaucoup plus marquant que tous les autres médias réunis sur l’ensemble des comportements humains, jusqu’à influencer notre façon de penser elle-même... Les avis, les opinions et les contributions sont tous mis sur un pied d’égalité, sans hiérarchie ni réserve. Internet est ainsi devenu un tremplin sans précédent pour les complotistes.
  

Yves Gingras – articles, interviews, ouvrages...  

(1) La démocratie des crédules, par Gérald Bronner; Éditeur : Presses Universitaires de France, 2013

Pourquoi les mythes du complot envahissent-ils l’esprit de nos contemporains? Pourquoi le traitement de la politique tend-il à se «peopoliser»? Pourquoi se méfie-t-on toujours des hommes de sciences? Comment un jeune homme prétendant être le fils de Mickael Jackson et avoir été violé par Nicolas Sarkozy a-t-il pu être interviewé à un grand journal de 20 heures? Comment, d’une façon générale, des faits imaginaires ou inventés, voire franchement mensongers, arrivent-ils à se diffuser, à emporter l’adhésion des publics, à infléchir les décisions des politiques, en bref, à façonner une partie du monde dans lequel nous vivons? N’était-il pourtant pas raisonnable d’espérer qu’avec la libre circulation de l’information et l’augmentation du niveau d’étude, les sociétés démocratiques tendraient vers une forme de sagesse collective? Cet essai vivifiant propose, en convoquant de nombreux exemples, de répondre à toutes ces questions en montrant comment les conditions de notre vie contemporaine se sont alliées au fonctionnement intime de notre cerveau pour faire de nous des dupes. Il est urgent de le comprendre.


«Il existe, au moins métaphoriquement un marché cognitif, un espace fictif, où rentrent en concurrence des propositions intellectuelles qui viennent de milieux sociaux très différents, et, sur ce marché, il y a quatre catégories d’acteurs qui font circuler des informations fausses : ceux qui le font en sachant qu’elles le sont, simplement pour mettre du bordel dans le système; ceux qui le font par militantisme idéologique afin de servir leur cause; ceux qui le font pour servir des intérêts politiques, économiques ou même personnels; enfin ceux qui le font en croyant qu’elles sont vraies, et c’est à leur propos que se pose le plus la question de la post-vérité.
   Mais il ne faut pas croire que nous sommes devenus tout d’un coup indifférents à la vérité par l’effet d’une quelconque mutation. Ce n’est pas ainsi que fonctionne la sélection biologique. La thèse que je défends est que les évolutions technologiques et la libéralisation des marchés amplifient des éléments préexistants qui sont de grands invariants de l’être humain.»


En complément 

L'intelligence artificielle n'existe pas

Science critique avec Yves Gingras
Les années lumière | ICI Radio-Canada Première
Publié le dimanche 3 juin 2018

Alors que le monde entier parle d'intelligence artificielle, l'historien des sciences Yves Gingras critique durement la communauté scientifique, qui peine à définir le mot «intelligence» dans ce contexte précis. Selon lui, l'objectif des industriels qui parlent d'une «révolution» est d'abord financier et militaire, et les chercheurs devraient hésiter à participer à cette enflure verbale.
   «Il n’y a rien d’intelligent dans ça. Il s'agit uniquement d'algorithmes qui ont des propriétés qu’il faut écrire. Ce sont des individus qui les écrivent!» ~ Yves Gingras, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en histoire et sociologie des sciences de l’Université du Québec à Montréal (UQAM)

La nouvelle mode

Yves Gingras a suivi de près l’entrée en scène de ce nouveau dada de la communauté scientifique nommé intelligence artificielle (IA). Avant 2015, personne n’en parlait. Maintenant, ces deux mots sont sur toutes les lèvres. L’historien des sciences rappelle qu’à différentes époques, le même traitement a été accordé aux biotechnologies, à la génomique ou aux nanotechnologies. À chaque épisode, de nombreuses voix pressent la communauté scientifique de mettre en place des balises éthiques dans l’urgence, afin d’éviter la catastrophe.
   L’historien des sciences souhaite ramener le débat aux applications réelles de l’intelligence artificielle. Ce qui saute aux yeux, c’est que personne ne définit réellement l’intelligence lorsqu’on parle d'IA.
   À titre d’exemple, Gingras critique vertement la Déclaration de Montréal pour un développement responsable de l’intelligence artificielle de l’Université de Montréal. Il réduit l’exercice à «un discours pompeux d’informaticiens et d’éthiciens qui se disent : "On va déclarer quelque chose, nous, au nom de l’Université», et ce, dans un document qui offre de nombreuses définitions, mais qui omet de définir l’intelligence en soi."


Photo : Getty images / iStockphoto / koto_feja; un drone qui lance des missiles. Un exemple d'application concrète de l'intelligence artificielle est le Project Maven, qui permet au département de la Défense américain d'utiliser les systèmes d'intelligence artificielle de Google pour analyser les images captées par les drones militaires.

Pourquoi cette négligence sémantique?

Selon Yves Gingras, une piste qui pourrait expliquer le problème de définition de l'«intelligence» se trouve peut-être dans une déclaration de Luc-Alain Giraldeau, directeur général de l'Institut national de la recherche scientifique (INRS), qui compare l’intelligence de la machine à celle d’un pigeon.
   «On considère le pigeon comme idiot, alors que l’intelligence comportementale du pigeon est infiniment supérieure à celle d’un soi-disant ordinateur intelligent qui a gagné une partie d’échecs en brûlant des millions de watts d’électricité.»

L'algorithme et son retour triomphal

Yves Gingras affirme qu’il faudrait carrément arrêter de parler d’intelligence artificielle, car on l'associe automatiquement à l'intelligence naturelle, ce qui «crée de faux problèmes».

Photo : Yale Babylonian Collection. Cette tablette cunéiforme a servi à calculer une racine carrée, via un algorithme babylonien.

Alors, qu’est-ce que l’intelligence artificielle? Yves Gingras souligne qu’il s’agit essentiellement d’algorithmes. Ces derniers sont des suites d’opérations et d’instructions qui permettent de résoudre un problème ou d’obtenir un résultat. Le concept a été mis au point par les Babyloniens au 3e millénaire av. J.-C. Ils ont développé un algorithme pour calculer les racines carrées, notamment.


   Une nouvelle attention est pourtant portée aux algorithmes. Yves Gingras explique que la capacité de calcul des ordinateurs superpuissants qui les utilisent et l’étendue des bases de données frappent l’imaginaire. Une chose demeure, c’est l’œuvre de l’homme : «Ce n’est pas magique», souligne-t-il.

Une grande diversion

L’historien affirme qu’il faut d’abord considérer le contexte dans lequel ces technologies font surface : les premiers algorithmes modernes sont des innovations menées par l’industrie militaire, notamment. Il est grand temps que les historiens, sociologues, philosophes, ainsi que ceux qui peuvent vraiment définir l’intelligence, prennent la parole, selon lui, car l’enflure du moment peut déboucher rapidement sur des politiques publiques élaborées sur la base de promesses plus abstraites que la réalité.

Chroniqueur : Yves Gingras, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en histoire et sociologie des sciences de l'Université du Québec à Montréal (UQAM)

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AVERTISSEMENT : CE DISPOSITIF N’A PAS DE CERVEAU UTILIZEZ LE VÔTRE

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