14 août 2018

Inhabitable pour la faune, inhabitable pour nous

Que je comprends George Monbiot! J’éprouve le même désarroi depuis des décennies. Étant plus âgée que lui, forcément ma liste de «créatures oubliées» est plus longue. Je n’ai pas vu d’hirondelles depuis 10 ans. Il y a cinq ans, le sol était couvert de merles d’Amérique au printemps, pas même une dizaine cette année; très peu de mésanges, pourtant résistantes, un seul couple de cardinaux et aucune tourterelle... Je n’ai plus envie de faire de la randonnée, c’est déprimant – un affreux cauchemar dont je ne me réveillerai pas, je le sais. Alors, les discours de campagne électorale truffés de «développement économique» donnent envie de vomir car il signifie habituellement  destruction des écosystèmes, constructions en béton remplaçant les boisés, plus de forage minier et gazier et de déforestation... Nous souffrons de glaucome environnemental – voyez L’invention de la pollution à la fin du message (1).

Alors, je relis The Zen Path through Depression de Philip Martin, voilà où j’en suis...  

«Un homme avisé sait quand avancer et quand reculer. On doit comprendre les nécessités de chaque situation.» ~ Tchouang Tseu

Image : Claude-Henri Saunier, Think Zen/Restons zen, Éditions Cartes d’art, Paris FR.

Notre monde naturel disparaît sous nos yeux. 
Nous devons le sauver.

Les créatures que nous craignions que nos petits-enfants ne voient pas ont disparu : c'est arrivé plus vite que ce qu’avaient prédit les pessimistes.

George Monbiot | The Guardian | Le 29 juin 2018

Je me sentais aussi désorienté que si j’avais oublié mon nip. Je regardais la chenille, incapable d'y attacher un nom. Je ne pense pas que mes facultés mentales s'estompent : je possède toujours une capacité étrange de me rappeler des faits et des chiffres et de mémoriser de grands bouts de texte. C'est une perte de mémoire spécifique. Quand j’étais enfant et adolescent, je me réjouissais de pouvoir identifier presque n'importe quelle plante ou n’importe quel animal sauvage. Et maintenant c’est parti. Cette capacité est tombée en désuétude : je ne peux plus les identifier parce que je n’en trouve plus.
   Peut-être que cet oubli me protège. Je détourne les yeux. Parce que je ne supporte pas de voir ce que nous avons fait à la nature, je ne vois plus la nature elle-même. Autrement, la vitesse de la perte serait insupportable. L'effondrement est perceptible d’année en année. Le déclin rapide (de 25 % en cinq ans) est marqué par la disparition des cris sauvages qui, jusqu'à très récemment, remplissaient le ciel au-dessus de ma maison. Mon envie de visiter les colonies d'oiseaux maritimes aux Shetland et à Saint-Kilda a été remplacée par l'intention de ne jamais visiter ces îles pendant la saison de reproduction : je ne peux pas supporter de voir les falaises vides, là où les populations se sont effondrées à quelque 90 % au cours des deux dernières décennies.
   J'ai vécu assez longtemps pour assister à la disparition de mammifères sauvages, de papillons, d'éphémères, d'oiseaux chanteurs et de poissons que je craignais que mes petits-enfants ne verraient pas : tout est arrivé plus vite que ce qu’avaient prédit les pessimistes. Marcher à la campagne ou faire de la plongée sous-marine est maintenant aussi douloureux pour moi; je suis comme l’amateur d'art qui à chaque visite dans les galeries, verrait que les tableaux des maîtres ont été retirés de leurs cadres.
   La cause de cette accélération n'est pas un mystère. L’ONU signale que notre utilisation des ressources naturelles a triplé en 40 ans. La grande expansion de l'exploitation minière, de l'exploitation forestière, de la production de viande et de la pêche industrielle vide la planète de ses lieux sauvages et de ses merveilles naturelles. Ce que les économistes appellent le progrès, les écologistes le voient comme une ruine.
   C'est ce qui a contribué à quadrupler les zones mortes dans les océans depuis 1950; à l’«annihilation biologique» caractérisée par l'effondrement étonnant des populations de vertébrés; à l'abattage tout azimut des dernières forêts intactes; à la disparition des récifs coralliens, des glaciers et de la glace marine; au rétrécissement des lacs, au drainage des zones humides. Le monde vivant meurt à cause de la consommation.
   Nous avons une faiblesse fatale : l'incapacité de percevoir la progression du changement. À mesure que les systèmes naturels passent d'un état à l'autre, nous oublions presque immédiatement ce que nous avons perdu. Je dois faire un effort pour me rappeler ce que j'ai vu dans ma jeunesse. Est-il vrai que chaque parcelle d'ortie, à cette époque de l'année, était recouverte de trous de chenilles? Que les moucherolles étaient si communs que je les regardais à peine? Que les rivières, à l'équinoxe d'automne, étaient presque noires d’anguilles?

Moucherolle – un insectivore très important de la chaîne; comme on empoisonne les insectes, les oiseaux s’empoisonnent à leur tour... Photo: Bill Hubick. Acadian Flycatcher along the C&O Canal at Noland's Ferry, Frederick Co., Maryland (5/25/2008).

D'autres semblent inconscients. Quand j'ai critiqué les pratiques actuelles, les agriculteurs m'ont envoyé des images de monocultures verdoyantes de ray-grass vivace, avec le message : «regardez ça et essayez de me dire que nous ne prenons pas soin de la nature». C'est vert, mais au point de vue écologique c’est aussi riche qu’une piste d'aéroport.
   Un lecteur, Michael Groves, notait le changement qu'il avait vu dans le champ à côté de sa maison, où autrefois l’herbe était coupée pour en faire des ballots de foin, maintenant coupée pour l'ensilage. En regardant les coupeurs sillonner à travers le champ à grande vitesse, il a réalisé que toute la faune serait fauchée et déchiquetée. Peu après, il a aperçu un chevreuil debout dans l'herbe fauchée. La femelle est restée là toute la journée et la nuit suivante. Quand il est allé inspecter, il a trouvé son faon avec les pattes amputées. «Je me suis senti malade, en colère et impuissant... combien de temps avait-il mis à mourir?» La «viande nourrie à l'herbe» que les magazines et les restaurants fétichisent? Voilà la réalité.
   Lorsque nos souvenirs sont nettoyés aussi radicalement que les terres, nous ne pouvons pas réclamer leur restauration. Notre oubli est un cadeau pour les lobbies industriels et les gouvernements qui les servent. Au cours des derniers mois, on m'a dit à plusieurs reprises que le secrétaire à l'environnement, Michael Gove, avait compris. Je l'ai dit moi-même : il semble vraiment comprendre la source des problèmes et ce qui doit être fait. Malheureusement, il ne le fait pas.
   Gove ne peut pas être blâmé pour tous les fiascos auxquels son nom est associé. Le plan de 25 ans pour la nature a, semble-t-il, été évacué par le cabinet du premier ministre. La surveillance environnementale qu'il avait proposée a été démantelée par le Trésor (le parlement lui a ensuite prêté quelques dentiers). Les autres échecs sont le fruit de son propre travail. En réponse au lobbying des éleveurs de moutons, Gove a permis que les corbeaux (une espèce très intelligente qui vit longtemps et commençait à peine à se remettre de siècles de persécution) se fassent tués une fois de plus afin de protéger les agneaux. Il y a 23 millions de moutons dans ce pays pour 7 400 couples de corbeaux. Pourquoi toutes les autres espèces doivent-elles céder la place à la peste blanche?

Concours de tonte en Australie. L'élevage industriel du mouton est une horreur sans nom pour les animaux, à laquelle s'ajoute l'horreur environnementale.

Les parcs nationaux de Grande-Bretagne sont une farce : ils sont gérés pour servir à une petite minorité *
En réponse aux plaintes selon lesquelles la plupart de nos parcs nationaux sont des déserts dépourvus de faune, le gouvernement a mis sur pied une commission chargée de les examiner. Mais les gouvernements choisissent leurs conclusions d'avance, grâce aux nominations qu'ils font. Il serait difficile de trouver un comité plus lugubre, rétrograde et si peu inspirant : aucun de ses membres, à ce que je sache, n'a exprimé le désir d'apporter des changements importants à nos parcs nationaux, et la plupart d'entre eux, si l’on se fie à leurs déclarations passées, sont déterminés à les maintenir dans leur état dévasté pour les moutons et les gélinottes.
   Aujourd'hui, après le Brexit, les lobbyistes demandent un règlement néo-zélandais en faveur d’une agriculture déréglementée, étendue, hostile à la fois à la faune et à l'oeil humain. S'ils parviennent à leurs fins, aucun paysage, aussi précieux soit-il, ne sera à l'abri des usines à poulets et des méga-unités laitières, aucune rivière ne sera protégée des eaux de ruissellement et de la pollution, aucun oiseau chanteur ne sera sauvé de l'extinction locale. La fusion entre Bayer et Monsanto réunit le fabricant des pesticides les plus mortels au monde et le fabricant des herbicides les plus mortels au monde. Déjà le pouvoir concentré de ces mastodontes est un danger pour la démocratie; ensemble, ils constituent à la fois un désastre politique et un désastre écologique. L'équipe de l'environnement du parti travailliste n'a pas grand chose à dire à ce sujet. De même, les grands groupes de conservation ont disparu dans l'inaction.
   Nous oublions même nos propres histoires. Nous ne nous souvenons pas, par exemple, que le rapport Dower en 1945 envisageait des parcs nationaux plus sauvages que ceux que nous possédons aujourd'hui, et que le livre blanc sur la conservation publié par le gouvernement en 1947 réclamait le genre de protection à grande échelle qui est considérée comme audacieuse et innovatrice aujourd'hui.
   Se souvenir est un acte radical.


Zygène de la spirée. Source : Lepi Photo 

Cette chenille, soit dit en passant, était une zygène de la spirée : la larve d'un étonnant papillon de nuit iridescent noir et rose qui peuplait autrefois mon quartier. Je ne me permettrai pas de l'oublier à nouveau : je travaillerai pour récupérer le savoir que j'ai perdu. Car je vois maintenant que sans le pouvoir de la mémoire, nous ne pouvons pas espérer défendre le monde que nous aimons.


* Visitez un parc national en Grande-Bretagne, et demandez-vous si ce que vous voyez est un «paysage sauvage préservé», comme ceux que les brochures et les présentoirs promettaient? Ou bien est-il dépourvu de faune et de riches écosystèmes? Est-il géré dans l'intérêt de la nation ou pour une infime minorité privilégiée? Je soupçonne que si nous voyions de tels endroits appelés parcs nationaux dans un autre pays, nous les reconnaîtrions pour ce qu'ils sont : une farce monumentale.
   L'une des raisons de ce terrible état de chose est le feu. Une grande partie des terres de nos parcs nationaux sont systématiquement brûlées, avec la bénédiction des organismes censés les protéger. Ce vandalisme est parfois justifié comme un «outil de conservation», mais il n’a rien à voir avec la conservation de la faune pas plus que l’incendie d’une bibliothèque pour conserver des livres. Notre engagement avec la nature dans ce pays est si étrange que nous ne pouvons plus faire la différence entre protection et destruction.
   À Dartmoor et Exmoor, les autorités du parc national et le National Trust, chargés de protéger le terroir, l’ont brûlé pour l’élevage des moutons. Dans les parcs nationaux du centre et du nord de l'Angleterre et de l'Écosse, ces incendies criminels sont perpétrés pour le compte d'une autre espèce : la gélinotte rouge. Le brûlage en faveur des gélinottes fait rôtir des reptiles, des petits mammifères, des insectes et des plantations d'arbres. Les recherches menées à l'université de Leeds montrent que cela endommage et assèche la tourbe, augmente l'acidité des cours d'eau et pourrait augmenter le risque d'inondation en aval. Mais la quantité d’incendies, qui produit de jeunes pousses de bruyère pour nourrir les gélinottes, a augmenté de façon exponentielle soit de 11% par an selon une étude. La gestion des landes de gélinottes s'intensifie, pour les offrir à un groupe choisi de personnes qui peuvent tirer dessus autant qu’ils peuvent.
   Vous privilégiez un écosystème riche ou vous privilégiez la chasse aux gélinottes, mais vous ne pouvez pas avoir les deux.


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Des fois on a l’impression que le vilain Moïse s’est réincarné avec ses dix plaies d’Égypte en bandoulière : les eaux du Nil changées en sang; invasion de grenouilles; poussière du sol changée en poux; mouches venimeuses; mort des troupeaux; ulcères; grêle; sauterelles; ténèbres; mort des nouveau-nés.  Moïse travaille maintenant dans les laboratoires de Bayer/Monsanto...
   Selon l’historien et archéologue John Romer les crues du Nil étaient fréquentes à l’époque, et le «flot de sang» était dû à des micro-organismes de couleur rouge qui déferlaient dans le fleuve. Quand l’inondation du Nil était totale, le pays était envahi de nuées de mouches. Ces conditions climatiques exceptionnelles s’accompagnaient d’orages très violents; des tornades de poussière faisaient tourbillonner locustes, grenouilles et poissons dont les corps tombaient en pluie sur le sol. Dans les années 1960, quand le lac Nasser se remplissait lentement à l’arrière du barrage d’Assouan, les îles du lac dont la superficie se réduisit, furent infestées par les scorpions, serpents et grenouilles qui s’y réfugiaient. Il est évident que les rédacteurs de l’Exode connaissaient les effets de ces catastrophes naturelles en Égypte et qu’ils les ont sciemment attribués au «pouvoir magique» de Moïse. (Voilà pour la mise à jour historique/scientifique.)

Sargasses et marée rouge en Floride

Des plages couvertes d'algues, des montagnes de dépôts nauséabonds à enjamber avant d'atteindre la mer et de l'eau contaminée par endroits. Les vacanciers qui comptaient profiter du soleil du Sud cette année pourraient hésiter avant de mettre les pieds dans l'eau.
   Alors que les plages du Mexique, des Caraïbes et de la côte est de la Floride sont aux prises avec les sargasses, des «marées rouges» ont pour leur part atteint la côte ouest de la péninsule floridienne. Le phénomène revient annuellement dans le golfe du Mexique, mais la concentration d’algues rouges Karenia brevis dans ce secteur est la pire des dix dernières années. Les neurotoxines générées par ces algues microscopiques ont tué crustacés, poissons et mammifères marins et donné une coloration parfois rougeâtre à l’eau.


«Ce sont deux phénomènes indépendants, mais qui coïncident cette année», explique la professeure au département de sciences biologiques de l’UQAM, Dolorès Planas.
   Les éclosions d’algues sont normalement associées à un apport riche en nutriments provoqué entre autres par la pollution de l’eau par l’humain, dont la présence de phosphate et de nitrates dans les eaux de ruissellement, d’égouts ou souterraines.
   Certaines années sont plus propices à leur développement et à leur transport vers les côtes, note à son tour le biologiste Philippe Juneau.
   Ces algues contiennent des toxines qui peuvent causer des problèmes gastro-intestinaux, des empoisonnements et des difficultés respiratoires chez les humains.


Un autre problème d’envergure : l’entrée des produits pharmaceutiques dans la chaîne alimentaire qui affecte toutes les espèces. Les étourneaux seraient dopés au Prozac... On sait que les substances médicamenteuses non absorbées par les consommateurs (contraceptifs, antibiotiques, médicaments contre le cancer extrêmement toxiques et non biodégradables) finissent dans l’eau parce qu’elles ne peuvent pas être filtrées. Alors, si la faune aquatique, les insectes et les oiseaux sont perturbés, quel est l’impact sur les humains?

Émission Les années lumière 12.08.2018 – L'eau rejetée dans l'environnement par les usines d'épuration à la sortie des grandes villes contient plusieurs types de produits pharmaceutiques. Une nouvelle étude s'intéressant spécifiquement aux antidépresseurs montre qu'ils peuvent avoir un effet important sur la faune.
   Prendre un médicament peut nous aider à traiter toutes sortes de problèmes de santé. Toutefois, ce que notre corps ne métabolise pas est rejeté tel quel à travers l’urine ou les matières fécales. Ces produits pharmaceutiques se retrouvent alors dans notre système d’égout. N’étant pas éliminés par les usines d’épuration, ils ont ensuite un effet important sur l’environnement.
   Une nouvelle étude britannique a souligné l’effet des antidépresseurs. Ces médicaments affectent bien plus que les poissons : leur présence se fait aussi ressentir chez les oiseaux en passant par la chaîne alimentaire. En se nourrissant d’insectes vivant dans les boues à la sortie des usines d’épuration, les oiseaux s’exposent à des doses 10 fois moins grandes que ce qui est prescrit à un humain.
   Malgré tout, les chercheurs ont pu remarquer un effet sur leurs interactions sociales. Les étourneaux mâles jumelés avec des femelles dans une volière chantent moitié moins souvent, et moitié moins longtemps, si celles-ci ont été nourries avec des insectes contaminés. Pire encore, ils étaient beaucoup plus agressifs avec elles, allant même jusqu’à les attaquer physiquement. Chez les oiseaux, un tel comportement est l’équivalent d’une faible libido. Les mâles trouvaient les femelles moins attirantes.

Des solutions accessibles
La technologie pour retirer les médicaments des eaux usées existe déjà. Ces molécules peuvent être retirées par adsorption, une réaction chimique au cours de laquelle les médicaments se collent à certains composés, comme du charbon actif.
   L’autre est l’oxydation, où un produit très réactif est utilisé pour briser toutes sortes de molécules et même désinfecter l’eau. Un exemple est l’ozonation, un procédé à partir duquel des molécules d’ozone sont utilisées pour désinfecter l’eau.
   Même s’il s’agit d’un problème environnemental important, faciliter l’adoption de ces technologies dans les grandes villes du pays pourrait contribuer à diminuer fortement les rejets médicaux dans l’environnement.


(1) L’invention de la pollution

Les années lumière | Publié le dimanche 20 mai 2018

Photo : bundesarchiv / Schmidtke. Après la Seconde Guerre mondiale, de nombreuses industries qui fabriquaient des produits chimiques à des fins militaires ont investi le domaine de l'agriculture. Cet homme distribue du DDT. 

Comment la population voyait-elle l'environnement avant que le mot «pollution» existe? Si l'ère industrielle a fait exploser le phénomène, il est surprenant d'apprendre à quel point les questions d'«insalubrité» ont été considérées par les autorités au cours de l'histoire. Avec son collègue François Jarrige, Thomas Le Roux explore trois siècles de fléau humain dans l'ouvrage La contamination du monde.

Dans La contamination du monde, les auteurs distinguent trois périodes :
1. L’Ancien Régime, qui s’étend du 16e siècle jusqu’à la révolution industrielle. Dans ce monde plus rural, la pollution est localisée.
1. La face sombre du progrès, qui commence à la fin du 18e siècle et qui se termine au 19e. Une nouvelle façon de produire se développe grâce à la révolution industrielle et de nouveaux polluants apparaissent.
3. La phase toxique, qui représente le 20e siècle. Les industries productrices d’agents chimiques investissent notamment le domaine de l’agriculture après la Seconde Guerre mondiale.

Qui polluait au 18e siècle?
Avant la révolution industrielle, la planète est moins peuplée et les moyens de production sont limités. Ce monde plus rural, où la pollution est concentrée près des tanneries et des fabriques de poterie et de textiles, offre des possibilités d’autoépuration suffisantes.
   N’empêche, les résidus laissés par ces fabriques créent parfois des tensions à proximité. Le terme «pollution» n’existe pas encore : on parle plutôt de «corruption» et d’«insalubrité».
   Lorsqu’un litige éclate, le mode opératoire pour régler le conflit est surtout juridique. On parle de «nuisance».
   «C’est une chose étonnante de voir que ces sociétés anciennes étaient fortement préoccupées par ces questions d’insalubrité. D’une part parce que c’est un monde d’incertitude médicale. On estime que les odeurs [peuvent véhiculer des maladies]. D’autre part, on est dans un monde de vulnérabilité. Toute altération du milieu peut provoquer des troubles, ne serait-ce que pour l’approvisionnement en eau potable.» ~ Thomas Le Roux
   Ainsi, les réglementations sont très strictes; les polices locales ont généralement des pouvoirs de répression très développés, et elles agissent avec fermeté, souligne Thomas Le Roux.

La face sombre du progrès
À la fin du 18e siècle, l’industrialisation en marche introduit de nouvelles façons de produire. De nouveaux polluants font ainsi leur apparition.
   À partir des années 1760, on produit des acides fortement concentrés. Ces derniers ont maintenant un pouvoir de corrosion, et des dégâts environnementaux inédits surviennent. C’est à cette époque que l’on commence à observer de la végétation calcinée par des vapeurs acides. Les citoyens qui vivent près de ces usines qui utilisent ces agents chimiques commencent aussi à souffrir de ces moyens de production.
   On voit alors naître de grands débats qui ont pour objectif de définir la pollution. Fait insolite, on examine la dangerosité de cette dernière pour la santé publique! Ce sont les scientifiques et les chimistes qui s’intéressent maintenant à ces questions. Ils acquièrent une expertise en matière de pollution, auparavant reléguée aux juristes, lesquels réglaient les litiges de mauvais voisinage.

Photo : DWF Hardie / JD Pratt. La pollution industrielle de la fin du 19e siècle à Widness, en Angleterre.

Les autorités publiques, soucieuses d’encourager l’industrialisation, vont demander aux scientifiques de redéfinir le rapport des sociétés à l’environnement. Il faut donc trouver de nouveaux critères de salubrité. Le mot «pollution» fait tranquillement son apparition. Quand même, c'est plutôt l’augmentation de la consommation de charbon qui définit l’époque.
   Néanmoins, on développe des fourneaux qui brûlent la fumée de charbon pour adoucir l’effet de l’industrialisation sur la santé publique. Mais à l’époque, on apprend surtout à vivre avec la pollution, qui est perçue comme un effet secondaire du progrès.

La phase toxique
La dernière période abordée par François Jarrige et Thomas Le Roux commence au 20e siècle alors que le pétrole supplante maintenant le charbon. La pétrochimie se développe; son essor aboutira à la création de produits de synthèse qui ne se décomposent pas dans l’environnement et qui sont extrêmement toxiques.
   Au même moment, les populations explosent : l’humanité passe de deux à sept milliards d’individus, et chacun consomme plus que jamais.
   Ce sont les deux guerres mondiales qui auront les plus grandes répercussions sur ce nouveau boom industriel et la pollution qui en découle. À cette époque, les guerres totales monopolisent les sociétés et font exploser les verrous réglementaires. Elles sont menées avec des moyens d’exception, et la protection de l’environnement n’est vraiment pas un critère.
   Une fois ces grands conflits terminés, les entreprises qui ont mis au point de nouveaux produits chimiques – utilisés entre autres dans l’armement – investissent le domaine de l’agriculture, notamment pour créer des pesticides et des fertilisants chimiques.
   Thomas Le Roux souligne que les nombreux acteurs (notamment les scientifiques) qui s'intéressent maintenant à l'environnement consacrent leur pratique à contrer les dommages causés par d'autres avancées scientifiques.

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