5 décembre 2016

L’argent dévore tout ce qui lui barre la route

Nos Premières Nations rencontrent les mêmes difficultés que les Sioux à Standing Rock, d’un bout à l’autre du Canada. Et il est probable que la victoire remportée au Dakota du Nord encouragera la mobilisation contre les projets délétères du gouvernement fédéral (1).

Peut-être allons-nous finir par réaliser que si les «Indiens» sauvent leurs territoires de la destruction industrielle, ils «sauveront» du même coup ceux des «Blancs»?!

La Presse, 5 décembre 2016 – Des militants de Greenpeace ont escaladé au lever du jour les tours destinées à charger le pétrole des sables bitumineux dans les pétroliers au terminal de la Ligne 9b de la compagnie Enbridge, au port de Montréal. L'action est motivée par des inquiétudes concernant la sécurité de la ligne 9b et l'approbation du projet de Kinder Morgan et de la ligne 3 d'Enbridge dans l'ouest du pays.
   L'une des activistes sur place, Marie-Ève Robert, croit que les pipelines installés à partir des sites de sables bitumineux compromettent les engagements climatiques du Canada et bafouent les droits des Premières Nations. Greenpeace signale au premier ministre Justin Trudeau et à ses homologues des provinces qu'ils ont laissé tomber la protection du climat et de l'eau et qu'ils rencontreront une résistance si des pipelines sont construits.

Photo : Patrick Sanfaçon, La Presse. Des activistes de Greenpeace se sont enchainés dans le port de Montréal pour dénoncer des projets d'oléoducs.

Plus tard, d’autres militants les avaient rejoints en kayak. Bien sûr, ils ont été arrêtés.

Dommage, Superman n’était pas là pour les sauver.  

Les autochtones du Canada ont subi un «knock-out» disait Richard Desjardins dans son film Peuple invisible, parce que pour les blancs «un Indien, ça ne vaut rien». Tous les peuples indigènes à travers le monde on été et sont persécutés, méprisés, chassés, délogés de leurs habitats, dépouillés de leurs moyens de subsistance et contraints à vivre dans la misère par de quelconque envahisseurs financiers. Ils se nomment Guanari ou Awá au Brésil, Jarawa en Inde, Khanty ou Udege en Russie, Bushmen au Botswana, Pygmées en Afrique centrale, Aborigènes en Australie, Nunak en Colombie...

L’organisme non gouvernemental Survival s’occupe des droits des peuples indigènes et prône leur défense. «Les peuples indigènes disparaissent en même temps que leur mode de vie est bouleversé. L’ONU estime qu’il reste 150 millions de personnes appartenant à des peuples indigènes, vivant en marge de la société et plus ou moins indépendants du monde extérieur. Leurs ressources naturelles attirent des politiques gouvernementales iniques, qu’il s’agisse de pétrole, d’or, de diamants ou… d’acajou.»
~ Jean-Patrick Razon, Survival International France http://www.survivalfrance.org/peuples

Plusieurs documentaires (en anglais) sur les difficultés et la lutte pacifique des peuples indigènes : https://thoughtmaybe.com/topic/indigenous/

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J’en profite pour publier un extrait d’une pièce d’Yves Sioui Durand, tristement d’actualité.


Pionnier du théâtre amérindien au Québec, Yves Sioui Durand est membre de la nation huronne-wendat. Il est auteur dramatique, metteur en scène et acteur. En 1985, avec Catherine Joncas, il a fondé la compagnie Ondinnok, qu’il codirige depuis. 
   Le Porteur des peines du monde, la première œuvre de Sioui Durand, a été créée en 1985 lors du premier Festival du théâtre des Amériques, et a mérité le prix Américanité. Elle a été présentée depuis au Canada, en Europe et au Mexique. La pièce est un spectacle-rituel. [...] Le spectateur plonge dans la tragédie de la dépossession territoriale, culturelle et religieuse des Amérindiens ... et est invité à se questionner sur la place que les Autochtones peuvent tenir à l’époque contemporaine, sur le continent américain et dans le monde. 
   L’extrait qui suit reproduit la scène 3, la rencontre entre le Porteur et le Loup de la finance. (Le Porteur des peines du monde, Montréal, Leméac, 1992, p. 37-41)

Le Loup de la finance


La lune immense se renverse dans le présage. Un loup hurle, ivre de lumière.
Le Loup de la finance, riche conquérant de l’Ouest américain, cowboy de cabaret, véritable personnage de bande dessinée, se tient debout sur un baril d’huile. Il porte un magnifique chapeau de cowboy en paillettes argentées; des liasses de billets de banque pendent de ses poches. C’est lui, le Loup de la finance, le loup financier du monde de l’homme blanc. Il possède tout. Tout est à lui, la Terre, la ville, les humains. Une musique de discothèque l’accompagne. Il chasse l’indien de ses terres. Il chasse même les morts indiens de leur cimetière... Il détruit les semences de notre survie; changer l’indien en homme blanc, en faire un homme enseveli sous la ville...
Il s’adresse au Porteur. 

Le Loup de la finance :  

Sors du ventre de la terre
Homme de maïs
Sors du ventre de la Terre

LA TERRE TOUTE ENTIÈRE
DÉSORMAIS M’APPARTIENT

Ton destin tout entier
m’appartient...

Tu n’as plus de terre
tu n’as plus de nom
tu n’as plus rien
va-t-en... va-t-en...

tu n’as plus de nom
tu n’as plus de Terre

TU N’AS PLUS RIEN
va-t-en... va-t-en...

Chassé du ventre de la Terre, dépossédé de son identité, l’homme-oiseau, le Porteur des peines du monde, devient la marionnette vivante du Loup de la finance. Il danse, secoué, manipulé, comme par magie, envoûté par l’illusion de l’argent... La musique infernale déchire la nuit...

Le Porteur :

ALL IS DOUBLE
LITTLE DOLL
ALL IS DOUBLE

TOUT EST DOUBLE
petite poupée
tout est double

ALL IS DOUBLE
LITTLE DOLL
ALL IS DOUBLE

la vie               la mort
le temps          l’argent

Soudainement, la lune s’obscurcit en inversant sa lumière puis à nouveau son visage blanc et neigeux déchire les fumées de la nuit... L’homme-oiseau est ainsi illuminé par la vision lunaire... passé et futur se confondent dans la prophétie...

Le Porteur :  

je vois... je vois...
dans l’œil immense de la lune
les tentes perdues déchirées
abandonnées au loin dans la neige
les hommes et les femmes
sont assis dans les ténèbres
ils sont couverts de cendres...

ALL IS DOUBLE
LITTLE DOLL
ALL IS DOUBLE

La musique infernale reprend de plus belle. Le Loup de la finance, pareil au maître de piste d’un grand cirque, pareil au meneur-de-jeu des bingos minables, invite l’homme-oiseau à tenter sa chance dans le grand monde civilisé... Il lui jette des billets de banque au visage...

Le Loup de la finance :

WELCOME
ENTRE... dans le GRAND MONDE CIVILISÉ
ENTRE... dans la GRANDE VILLE MAGIQUE
ENTRE... IN THE BIG MAGIC CITY

tu n’as plus rien
tu n’as plus de nom
tu n’as plus de terre

tout désormais
m’appartient

AH... AH... AH... AH...

ENTRE... ENTRE...
DANS LA GRANDE MÉCANIQUE

THIS IS A TRUE STAGE
TO REACH THE TOP

ENTRE... ENTRE...
DANS LE GRAND BUILDING HUMAIN...  
TOUT M’APPARTIENT

AH... AH... AH... AH...

L’homme-oiseau entre alors à nouveau dans le premier cercle-des-herbes-de-la-guérison... Une pluie de déchets s’abat des étoiles; les quatre Lunes solsticiales et équinoxiales se vident... Les quatre Lunes vomissent une pluie de déchets sur la Terre sacrée. Le Porteur des peines du monde s’effondre... désormais «indien-des-villes», sans identité, perdu, seul et défait... La vie est violée sous l’envoûtement de la consommation...

Voix de femmes :

VOUS VIEILLARDS ÉTERNELS
AUX CŒURS DE PLASTIQUE
VOUS QUI RÊVEZ DE LA LUXURE INFINIE
AU SOMMET DE VOS TOURS DE VERRE


VOUS LES ARTISANS DU POUVOIR
QUI DOMEZTIQUEZ L’HOMME

LA TERRE MOURANTE N’EST-ELLE PAS
VOTRE ULTIME CAPRICE?

La musique est suspendue...

Source :
Littérature amérindienne du Québec 
Écrits de langue française
Rassemblés et présentés par Maurizio Gatti
Société d’édition Bibliothèque Québécoise, 2009

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(1) Parmi les activités humaines dévastatrices qui affectent le climat, la déforestation, inévitablement associée à toute forme d’exploitation industrielle, est la plus lourde de conséquences : quand on abat des forêts entières, on tue tout ce qui y vit. Allez visiter Fort McMurray et ses environs... 
   Les réserves de pétrole de l’Athabasca (Alberta) représentent plus de 1 700 milliards de barils. Les réserves prouvées, c'est-à-dire celles qui peuvent être exploitées par la technologie et les conditions économiques actuelles, représentent 174 milliards de barils, mais 315 milliards seraient à terme récupérables. Le sable contient en moyenne 11,5 % de bitume. Il faut donc exploiter une quantité gigantesque de sables bitumineux, afin d’obtenir une quantité élevée de bitume. La récupération de deux tonnes de sables bitumineux permet d’obtenir un seul baril de bitume
   L'extraction minière des sables bitumineux a un impact important sur les écosystèmes. En Alberta, cette forme d'extraction détruit complètement la forêt boréale dès l'ouverture de la mine à ciel ouvert, et a des conséquences directes sur la qualité de l’air, de l'eau et du sol, particulièrement sur les zones humides. Des centaines de km2 de territoires sont ainsi dévastés. En détruisant la forêt, on détruit ces tourbières qui constituent des réservoirs naturels de dioxyde de carbone, ce qui engendre une augmentation des émissions de gaz à effet de serre. 
   En produisant un baril de pétrole extrait des sables bitumineux, on génère trois fois plus d’émissions de gaz à effet de serre que la production d’un baril de pétrole classique. Il y a 10 ans, 16 millions de tonnes de gaz à effet de serre étaient rejetés lors du chauffage des sables bitumineux et dans 10 ans, ce sera 65 millions de tonnes de gaz à effet de serre qui proviendront de la même source. 
   Aujourd’hui, la compagnie d’exploitation des sables bitumineux Suncor rejette 600 tonnes de gaz naturel à l’heure. Les sables bitumineux de l'Athabasca ont commencé à être exploités de façon industrielle en 1967, avec l'usine des Great Canadian Oil Sands (maintenant Suncor) installée dans une zone où les sables bitumineux sont très près de la surface.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Sable_bitumineux

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