1 mai 2016

Travail, pauvreté et faim



À ce qui suit, il faut ajouter les impacts du réchauffement climatique sur la santé des travailleurs notamment dans les pays de chaleur et de froid intenses. Beaucoup de travailleurs en agriculture, dans les minières, les installations pétrochimiques, etc., mettent leurs vies en péril pour des salaires de crève-faim, tant dans les pays riches que les pays émergeants.

Le dernier des bien-portants
Nortin M. Hadler, M.D.
Traduit de l’anglais par Fernand Turcotte, M.D.
Les Presses de l’Université Laval 2008
The last well person: how to stay well despite the health-care system
McGill-Queen’s University Press 2004

(Extraits, p. 181-183; 188-192)

Les risques pour la santé d’un emploi haïssable

Quelques-unes des menaces pesant sur notre bien-être se terrent dans les activités de la vie courante. Il existe des aspects de nos mondes interactifs, de nos écosystèmes, qui peuvent déranger la biologie et contrôler la destinée. Deux menaces particulièrement puissantes ont été reconnues et elles sont beaucoup plus significatives pour la longévité de l’adulte. Ces deux menaces de la vie courante sont liées à des obstacles qui entravent la capacité de gagner son pain. 
   Une vie entièrement passée à vaciller à la limite de la pauvreté est mesquine, souvent décourageante, parfois désespérée et aussi plus courte. Qu’est-ce qui fait qu’un statut socioéconomique (SSE) précaire puisse être aussi malveillant pour le bien-être? Multiples sont les facteurs psychosociaux qui émergent des études portant sur la pauvreté relative. Certains agissent dès la conception, mais la majorité découle de la perte d’estime de soi, voire du ressentiment et de l’hostilité, que provoque la vulnérabilité accompagnant la pauvreté. Quelques-uns sont liés à l’alimentation et à certaines étapes de la vie. Bien des choses restent inconnues, mais il est évident que l’éventail des défis psychosociaux qu’il faut relever chaque jour quand on est pauvre, dont certains peuvent s’avérer insurmontables, pèse plus lourdement sur la santé et la longévité dans le monde «développé» que n’importe quel autre facteur. La persistance de la pauvreté dans les pays qui ne manquent pas de ressources constitue un reproche accablant pour leur système politique et leurs priorités de santé publique. 
   L’emploi ne constitue pas en soi, une protection générique contre la malveillance de la pauvreté. Certaines facettes de la vie des travailleurs modernes rivalisent avec les facteurs psychosociaux de la pauvreté pour compromettre la santé et la durée de la vie. Une esquisse de la situation commence à prendre forme et elle comporte des implications majeures pour la santé du monde. 
   Aimez-vous votre emploi? Vous apprécie-t-on au boulot? Ces deux questions méritent une place prioritaire sur l’agenda collectif et sur la liste des soutiens que la solidarité sociale entend procurer. Elles devraient servir de fondements à une initiative primordiale de santé publique. Répondre par la négative à ces deux questions est associé à la morbidité clinique et influence la longévité même de ceux qui pourraient, s’ils le souhaitaient, changer d’emploi. Par contre, pour un nombre grandissant de travailleurs, l’option de la mobilité en emploi n’existe même pas sinon pour aboutir à des emplois encore plus odieux. Particulièrement pour les travailleurs plus âgés qui ont commencé leur carrière en comptant sur une sécurité d’emploi, l’insécurité actuelle du marché du travail est éprouvante. 
   ... Pour aggraver les défis survenant dans ses relations et au travail, il convient d’ajouter les fluctuations de l’humeur, les malaises musculosquelettiques intermittents, les céphalées occasionnelles, les symptômes respiratoires épisodiques et la détresse physique récurrente. Pour être bien portant et se sentir invincible, il faut disposer des ressources personnelles requises pour faire face à tous ces défis, qu’ils soient physiques ou psychosociaux. ... Dans la culture occidentale, toute perte de bien-être et toute autre forme de détresse doivent s’exprimer dans un langage de souffrance physique plutôt que de détresse psychologique. On a vu que le seul fait d’évoquer la possibilité qu’un facteur d’origine psychosociale puisse exacerber une incapacité est anathème et analogue à l’accusation infâme : «c’est dans la tête!».  De sorte qu’on doit s’accommoder de la conclusion que le motif pour lequel on ne peut plus faire face aux difficultés est lié à l’intensité de la souffrance physique. Il arrive que ce soit vrai, mais ce sont le plus souvent les défis psychosociaux, non les défis physiques, qui sont les premiers responsables. Au travail, la méprise portant sur les causes somatiques des troubles musculosquelettiques régionaux a déréglé l’agenda de la santé et de la sécurité depuis plus de 60 ans. 
   Les troubles locomoteurs causent la plus grande partie de l’incapacité au travail de longue durée. La lombalgie rivalise avec la douleur du bras pour être le principal fléau affligeant les travailleurs de l’Occident. Parce que les mouvements exacerbent les symptômes, le monde industriel contemporain tend à attribuer toute incapacité à travailler, au contenu en activité physique des tâches d’un emploi. Il n’en a pas toujours été ainsi. La compréhension du mécanisme ayant suscité cette évolution est essentielle pour voir comment les problèmes locomoteurs en disent long sur la qualité de la vie au travail et, par extension, sur les menaces pour la santé et la durée de la vie qui surgissent quand cette qualité est compromise.

Les dangers inhérents à un mauvais contexte psychosocial de travail

La recherche de pointe en épidémiologie s’affaire à trouver une meilleure définition du «contexte psychosocial». C’est un défi presque aussi redoutable que celui de déterminer les facteurs psychosociaux qu’on peut associer à la pauvreté. Certaines caractéristiques qui émergent d’études réalisées en milieu de travail comprennent des aspects du «stress» lié à l’emploi, de la «tension», de la «charge allostatique» et des «fluctuations» de motivation.  Ces mesures échantillonnent des fonctions psychosociales complexes comme la satisfaction au travail, l’autonomie au poste de travail, la motivation et autres. D’une manière générale, les associations montrées par les variables «psychosociales» sont faibles, voire inconstantes. Il s’en trouve même plusieurs qui sont dépourvues de sens. Cette variabilité ne diminue en rien leurs implications; travailler dans un contexte psychosocial hostile compromet la capacité de surmonter le prochain épisode de souffrance musculosquelettique et constitue une menace pour la longévité. [...] 
   La période contemporaine est riche en exemples de situations où l’hostilité du contexte peut toucher une entreprise, sinon une industrie. Les menaces liées aux réorganisations, le recours à la sous-traitance, quand ce ne sont pas les menaces de faillite, empoisonnent le climat d’entreprises où des travailleurs se trouvent plongés dans un contexte vicié par l’insécurité et les griefs personnels. Les effets néfastes de ces contextes pour la santé sont considérables. [...] 
   Une solution humaniste ne saurait se trouver dans la réglementation. Elle est sise dans l’éducation de toute la société à propos de l’importance du contexte psychosocial du travail et de la valorisation des travailleurs, plus particulièrement de ceux qui, pour être dotés d’un talent inné, sont capables d’aider leurs collègues à affronter correctement le stress. Ces leaders qui ont du cœur sont inestimables. L’atelier contemporain a les moyens d’aider ceux qui ne sont pas toujours en mesure d’améliorer par eux-mêmes leur estime de soi, leur attitude à faire face aux difficultés et la protection de leur longévité. 
   Cet idéal ne peut pas se réaliser tant que les constructions sociales de la blessure, du «c’est dans la tête» et du capital humain n’auront pas été reléguées aux oubliettes. [...] Une solution devient possible quand on connaît la dynamique d’un milieu de travail et qu’on peut reconnaître des ressources capables d’aider à l’instar de ce qu’on fait tous dans sa vie privée. La communauté se doit de brider tout comportement traitant le capital humain comme s’il était remplaçable.

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L’organisation criminelle de la faim

«Couper les vivres et toutes formes de subsistance économique aux pauvres devient un moyen de les pousser coûte que coûte au travail.» ~Joseph Townsend, représentant britannique (1786).

Dans son essai, Olivier Assouly, professeur de philosophie en France, s'intéresse à cette stratégie terrifiante que les nazis portèrent à un niveau inédit pendant la Deuxième Guerre mondiale dans les camps de concentration. Aujourd'hui, d'autres pratiques continuent d'assujettir les populations en prenant en otage le fait alimentaire.

Entretien avec Michel Desautels (19 janvier 2014; 11 min.) :
http://ici.radio-canada.ca/emissions/desautels_le_dimanche/2013-2014/chronique.asp?idChronique=325851

L'organisation criminelle de la faim
Olivier ASSOULY
Actes Sud Sciences humaines
Hors collection
Octobre 2013

Présentation de l’éditeur :

Si la faim est une arme qui n’a cessé d’être utilisée en temps de guerre pour faire plier l’ennemi, les nazis portèrent à un niveau inédit de criminalité l’organisation de la faim au sein de leurs camps de concentration. 
   Dès lors que, le 15 décembre 1942, Himmler eut, pour optimiser les performances des déportés, préconisé de gratifier ceux-ci d’une nourriture plus “saine”, les nazis s’employèrent à une évaluation scientifique de la résistance physique des détenus, au calcul vétilleux des calories et des rations alimentaires au nom d’un ordre biologique supérieur impliquant la transformation des victimes en “sous-hommes” exploitables à merci puis “retraités” au titre écologique de déchets organiques. 
   Aussi terrifiante et scandaleuse qu’en aient été les manifestations sous le joug nazi, pareille économie exterminatrice n’était cependant pas totalement inédite au regard de l’instrumentalisation de la faim orchestrée, à la fin du XVIIIe siècle, par l’avènement d’une ère industrielle contraignant des populations entières à travailler en usine pour échapper à l’inanition. 
   Bien que les temps aient changé, d’autres pratiques continuent d’assujettir les populations en prenant en otage le fait alimentaire. Comment, en effet, ne pas s’interroger sur l’industrie agroalimentaire qui favorise une libéralisation croissante aux fins d’une criminelle mise sous tutelle économique du vivant et des denrées planétaires, érigeant ainsi l’appétit en un redoutable instrument politique de domination?

http://www.actes-sud.fr/contributeurs/assouly-olivier-0

 

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