21 décembre 2014

Prisonniers d’un style de vie

«Je veux poursuivre PETA et Amnistie Internationale en justice pour «cruauté et souffrance» parce qu’ils m’ont rendue consciente de la cruauté et de la souffrance qu'occasionne mon style de vie.» (Cartooniste : Dan Piraro)

Photo : Robert Skinner (Archives La Presse) 

La nausée du temps des Fêtes
Réjean Bergeron (professeur de philosophie) 
(La Presse) 

Pour le dernier cours de la session avant la période des Fêtes, mes étudiants et moi tentons d’y aller d’une interprétation de l’allégorie de la caverne de Platon.

Vous connaissez peut-être cette histoire : des prisonniers enchaînés dans une caverne depuis leur naissance s’imaginent que les ombres qui apparaissent sur le mur du fond sont le reflet de la réalité. Pourtant, ce qu’ils ignorent, c’est qu’ils sont l’objet d’une incroyable machination!

Plus haut dans la caverne se trouvent des hommes qui s’amusent, à la manière de marionnettistes, à présenter des objets au-dessus d’un muret derrière lequel ils se cachent. Étant donné qu’un feu brûle encore plus haut, ce sont les ombres de ces objets qui sont projetées sur le mur du fond et que les prisonniers prennent pourtant pour la vérité.

Ces prisonniers «nous ressemblent», nous dit Platon. Mais en quoi exactement? En fait, cette allégorie fait référence à notre réalité quotidienne. Nous sommes tous, à des degrés divers, les prisonniers d’une caverne où miroitent mensonges et illusions. Nous croyons être dans le vrai alors que notre vision du monde est construite à partir de préjugés éculés et d’opinions vulgaires. Nous croyons être libres de nos choix alors que nous sommes manipulés par des discours démagogiques et différentes formes de propagande. 

Pour illustrer mon propos, je suggère à mes étudiants de prendre comme exemple ce qui se passe lors de la période des Fêtes. Promenez-vous dans un centre commercial et regardez attentivement autour de vous.

Dans ces espaces souvent souterrains, vous croiserez des hommes de caverne nouveau genre qui se prêtent au culte de la consommation débridée.

Que voulez-vous, les manipulateurs de marionnettes leur ont fait croire que le fait de dépenser et de s’endetter allait les rendre heureux en plus de contribuer à la bonne santé de l’économie, cette nouvelle idole au pied desquelles le citoyen-consommateur aime se prosterner.

Pour ce qui est du soir du réveillon comme tel, il devient de plus en plus difficile d’évoquer «la magie de Noël présente dans le cœur des enfants». Nostalgie tout ça! Ensevelis sous des tonnes de cadeaux fades et sans saveur, bien des enfants finissent eux-mêmes par être traités comme des objets par la machination du temps des fêtes et des parents qui, par mauvaise conscience, tentent de se racheter en misant le tout pour le tout sur l’avoir au détriment de l’être.

DOUBLE DISCOURS

À ce stade-ci, ce qui me lève le cœur, c’est de voir toute cette matière utilisée pour produire ces objets qu’on appelle «cadeaux» et qui se transformeront, à l’ère de l’obsolescence programmée, en déchets toxiques pour la planète.

En fait, ce qui me donne la nausée par-dessus tout, c’est ce double discours que certains citoyens-consommateurs se racontent à eux-mêmes. Le jour, ils peuvent manifester pour la défense des bélugas et la protection de l’environnement tout en se livrant, le soir venu, à leur nouvelle religion qu’est la consommation à outrance sous prétexte que «c’est le temps des Fêtes!» Belle hypocrisie.

Conscient d’avoir été un peu excessif dans mon interprétation de l’allégorie de la caverne, j’ai conclu mon propos, sourire en coin, en informant mes étudiants que j’avais adopté la politique du zéro-cadeau pendant la période des Fêtes, même que cela faisait plus de 10 ans maintenant que je n’avais pas fait de cadeau à ma copine…

Évidemment, un fou rire se fit entendre aussitôt dans ma salle de cours, certains en profitant pour souligner mon petit côté radin. Soyez toutefois assuré que je me suis défendu en leur révélant que ma copine aussi ne faisait plus de cadeau et qu’à ce compte nous en étions quittes…

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Magasiner la conscience en paix
«Ce jupon est fabriqué à partir de coton biologique, ramassé par des esclaves travaillant en plein air.»
Marketing «bonne conscience» au temps de la Guerre de Sécession.
(Cartooniste : Dan Piraro) 

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