5 décembre 2014

Derrière la haine, la colère et la violence...

On a beau analyser, examiner sous tous les angles les actes de violence arrache-cœurs comme celui de l’École polytechnique, nous arrivons difficilement à nous figurer comment un individu peut en arriver là, à comprendre les desseins de ces «tueurs fous». 
       Tant que les humains n’auront pas appris à maîtriser leurs instincts primaires (préhistoriques!) de prédateurs, voleurs, chasseurs, guerriers, tueurs, violeurs, etc., nous rêverons en vain de paix et d’harmonie sociale. Éduquer les masses à la grandeur de la planète serait une tâche colossale, voire impossible. 


Par contre, à échelle réduite, on pourrait au moins inculquer aux jeunes des rudiments de savoir-vivre et d’intelligence émotionnelle, via des notions de psychologie et d’humanisme. Et leur insuffler du même coup un minimum de sagesse, à savoir «qu'il est stupide de prendre ses désirs pour des réalités, tragique de renoncer à ses désirs au nom de la réalité, et vain d'espérer transformer tous ses désirs en réalités» (aphorisme zen). Car derrière la haine, la colère et la violence se cachent la frustration de ne pas obtenir tout ce qu’on désire et la crainte de perdre ce qu’on croit posséder.

L’introspection et la compréhension suscitent une réflexion habituellement favorable aux changements de comportement. Voici une excellente synthèse des mécanismes psychologiques qui peuvent mener à des homicides/infanticides et à des tueries, tant dans l’environnement privé que public.

COLÈRE ET VIOLENCE
Par Michelle Larivey, psychologue

Comment éviter les débordements de colère intempestifs? Comment canaliser sa colère pour la rendre créatrice? Comment empêcher sa colère de devenir destructrice? Quelles sont les sources les plus courantes de la violence? Quel est le rôle de la violence impersonnelle à laquelle nous sommes exposés quotidiennement dans les médias?

INTRODUCTION

Contrairement à une opinion populaire, la colère intense ne conduit pas nécessairement à la violence. C'est seulement chez les personnes déjà prédisposées à la violence qu'une forte colère débouche ainsi. Il faut d'autres facteurs que la colère elle-même pour expliquer l'action brutale même si, chez le violent, c'est souvent la colère qui sert de déclencheur. 
       À force d'associer l'agressivité à la violence, on en vient souvent à vouloir réprimer l'expression de la colère elle-même. Mais cette option conduit directement à une impasse et à des conséquences néfastes qui ressemblent étrangement à celles qu'on voudrait éviter : plus de violence destructrice. 
       Il est impossible de faire disparaître la colère; elle fait partie du répertoire fondamental de la vie émotionnelle. Il s'agit d'une émotion normale qui, comme toutes les émotions, est saine en elle-même. Comme les autres émotions, elle est même nécessaire aux processus adaptatifs qui permettent de conduire notre vie et nos rapports avec les autres. 
       On verra dans cet article que ce n'est pas en refoulant sa colère que l'on évite les débordements intempestifs, mais bien en la vivant à fond, quelle qu'en soit l'intensité. Plus précisément, on verra que c'est en canalisant sa colère qu'on la rend créatrice et qu'on l'empêche de devenir destructrice. Enfin, je tenterai d'identifier les sources les plus courantes de la violence et de cerner le rôle de la violence impersonnelle à laquelle nous sommes exposés quotidiennement dans les médias.

A- LA COLÈRE CANALISÉE

1- Deux versions du même problème

Je cherche à extraire mon nouvel ordinateur de sa boîte mais l'empaquetage est serré et c'est difficile. J'arrive à peine à le faire bouger. À répétition, le carton se referme sur mes mains. L'irritation me gagne petit à petit. Mécontente je remue brusquement la boîte, ce qui n'arrange rien : ça semble coincé. La moutarde me monte au nez. 
       Je lâche un hurlement de colère tout en empoignant le récalcitrant avec une plus grande fermeté. Je tiens résolument la boîte entre mes jambes et tire avec force. Il sort! C’est pas trop tôt, m'écris-je avec humeur, mais quand même satisfaite d'avoir réussi. Entre temps le chat s'est caché sous le lit et mon plus jeune enfant s'est mis à pleurer. Il n'est pas habitué de m'entendre crier ainsi mais tant pis, ça m'a fait du bien!  Cette colère était intense et exprimée avec toute son intensité.

La même situation aurait pu déboucher autrement et avoir des conséquences très différentes.

Voici un deuxième scénario. Je lâche un hurlement de colère et me mets à donner des coups de pieds sur la boîte. Cela ne donne rien et me satisfait pas; j'empoigne alors la boîte et la lance de toutes mes forces à l'autre bout de la pièce! Je continue à vociférer contre le fabricant qui devrait être puni pour avoir fait de pareils emballages et contre le vendeur qui aurait dû retirer lui-même l'ordinateur de sa boîte. Le chat est disparu et les enfants sont immobiles et silencieux dans le coin.

2- Comment se servir adéquatement de la colère  

Dans ces exemples, la colère est apparue comme une réaction normale lorsque j'ai rencontré un obstacle important à l'atteinte de mon objectif et elle a augmenté à l'apparition de chaque nouvelle barrière. C'est toujours source d'une colère réelle : celle-ci est la réaction normale devant ce qui s'oppose à ma satisfaction. 
       Toutes les émotions qu'on appelle "négatives", servent à nous indiquer qu'un de nos besoins est en souffrance. La colère est porteuse d'un message plus spécifique : elle est déclenchée par le fait qu'il y a un obstacle. Quelqu'un ou quelque chose s'oppose à notre satisfaction. 
       Dans l'exemple présenté plus haut, j'éprouve de la difficulté à retirer l'ordinateur de sa boîte. Devant cet empêchement, une énergie proportionnelle à ma frustration est automatiquement créée dans mon organisme. Cette énergie agressive est une ressource utile : elle me fournit des ressources nécessaires pour m'aider à résoudre le problème. Pour m'en servir adéquatement, il me reste à canaliser cette énergie dans la résolution du problème. C'est ce que je fais dans le premier scénario. 
       Cette façon d'utiliser ma colère est la seule manière d'être entièrement satisfaite. Il s'agit essentiellement de me servir de l'information fournie par mon émotion pour me guider et d'utiliser l'énergie contenue dans ma colère pour rechercher activement la satisfaction désirée. 
       Ce n'est pas ce qui se passe dans le deuxième scénario. Celui-ci constitue au contraire un excellent exemple de mauvaise gestion de la colère. Même s'il est beaucoup moins grave, mon geste destructeur s'apparente à celui du conjoint enragé qui assassine la femme qui ne l'aime plus. Au lieu de consacrer l'énergie de sa frustration à la reconquérir, à changer en lui-même ce qu'elle ne supporte plus, il détruit l'objet de son désir. L'inefficacité de son geste est évidente : non seulement le prive-t-il irrémédiablement de ce qu'il voulait, mais en plus il l'entraîne dans un immense pétrin. 
       J'ai présenté ces deux exemples pour faire voir que la colère n'aboutit pas nécessairement à un geste inapproprié ou à un acte de violence. L'action sur laquelle débouche la colère dépend de plusieurs facteurs.

Voyons ce qui peut expliquer que la colère soit explosive plutôt que canalisée.

B- L'EXPLOSION DE COLÈRE

La colère éclatée est l'inverse de la colère canalisée; soit qu'elle reste sans cible, soit qu'elle vise une mauvaise cible. On peut penser, par exemple, à la personne qui tempête contre tout et tout le monde ou à celle qui se soulage sur un bouc-émissaire. On peut évoquer aussi celle qui explose pour se soulager, sans se soucier des conséquences. Il est évident que ces manifestations de colère ne peuvent déboucher sur la satisfaction que par accident.

Plusieurs facteurs peuvent conduire à une explosion de colère. En voici trois que nous observons fréquemment.

1- Escamoter le processus de l'émotion

Comme nous l'avons souvent expliqué, nos émotions servent à nous informer sur nos besoins immédiats et à nous signaler combien ils sont comblés. Mais pour que l'émotion nous apporte toute son information et puisse nous servir à bien répondre au besoin qui les déclenche, il faut que le processus émotionnel se déroule bien. Lorsqu'elle est vécue adéquatement, l'émotion traverse cinq phases et l'action (ou l'expression) qui permet de répondre au besoin n'est que la dernière de ces cinq étapes du développement de l'émotion. 
       Si cette action expressive survient trop tôt dans le processus, celui-ci est perturbé et ne peut donner ses résultats normaux. Dans ce cas, l'expression verbale et le geste servent avant tout à nous débarrasser de l'émotion. Nous faisons un "passage à l'acte" ("acting out"), c'est à dire que l'action prématurée sert à éviter le ressenti en l'évacuant avant qu'il soit vraiment éprouvé. 
       Par exemple, si j'explose dès que la colère monte, mon éclat me permet de me défaire en partie du sentiment de frustration et d'en liquider l'intensité. Dans ce cas, ma colère n'est pas canalisée sur une cible qui me permettrait d'atteindre peut-être la satisfaction, elle ne sert qu'à me soulager. En plus d'éclater dès qu'elles sont en colère, certaines personnes se préoccupent peu de la cible sur laquelle elles dirigent l'expression de leur mécontentement. Souvent, les personnes qui sont dans les environs sont celles qui écopent, même si elles ne sont pas concernées. Parfois c'est contre lui-même que le violent dirige son agression (par exemple en se blessant d'une façon plus ou moins accidentelle). 
       Les personnes qui vivent ainsi leur colère éveillent la peur, chez elles comme chez les autres. On associe souvent le colérique à cette façon de vivre ses émotions, en particulier sa colère.

2- Recourir au bouc-émissaire 

D'autres ont besoin d'une cible; ils doivent absolument trouver quelqu'un sur lequel déverser leur colère. Ils se soulagent momentanément en attaquant quelqu'un ou en s'en prenant à un objet. La cible est alors un exutoire plutôt qu'un vrai responsable, même dans l'esprit de celui qui s'y attaque
       Dans ce cas également le processus est escamoté. Bien entendu, ce comportement est loin de celui qui pourrait procurer une réelle satisfaction. Le soulagement est souvent de très courte durée. Ceux qui sont dotés d'un peu d'empathie se mettent bientôt à regretter leur geste, ce qui ne les empêche généralement pas de recommencer.

3- S'en prendre à un faux obstacle

Pour me servir efficacement de ma colère, je dois m'en prendre à l'obstacle réel. C'est ce que je fais dans l'exemple où je m'y prends plus soigneusement et plus vigoureusement pour extraire l'ordinateur de son emballage. Dans le deuxième scénario par contre, je m'attaque à la boîte parce que j'estime qu'elle devrait me faciliter les choses. En fait, ce n'est pas réellement le rôle de cette boîte! 


Celui qui bat sa femme parce qu'elle veut le laisser s'en prend aussi à un faux obstacle. À première vue, il semble que le refus de celle-ci soit la source de son insatisfaction, l'obstacle qui l'empêche de réaliser son désir. Mais ce n'est pas vraiment le cas car son épouse n'est aucunement obligée de l'aimer ou de désirer la même chose que lui. Si elle veut vivre à ses côtés, il faut que ce soit parce qu'elle y trouve son compte. Aucune autre raison n'est vraiment acceptable car son existence n'est pas au service de celle de son époux. 
       Dans cet exemple, l'obstacle réel à la satisfaction de l'homme est plutôt sa propre incapacité. Il ne réussit pas à exercer une attraction suffisante sur sa femme pour qu'elle souhaite vivre avec lui.

Pour identifier l'obstacle réel à notre satisfaction, nous avons besoin de nos ressources les plus évoluées. Il nous faut d'abord un certain niveau de conscience de nous-mêmes ainsi que la capacité d'analyser les situations du point de vue de notre responsabilité personnelle. Il faut en plus le courage de reconnaître notre responsabilité lorsqu'elle est en cause. Pour cela, il est essentiel d'accepter la solitude existentielle, c'est à dire le fait que "chacun est le seul responsable de sa satisfaction". Mon expérience comme psychothérapeute me permet d'affirmer sans hésiter que l'attitude contraire, celle qui consiste à se décharger de cette responsabilité sur un autre, est la source de nombreux conflits interpersonnels insolubles. 
       La notion de responsabilité est donc cruciale dans la gestion de la colère. Je dirais même que l'éducation à la colère ne peut réussir sans une éducation parallèle à la prise en charge de sa vie. Mais prendre la responsabilité de soi est exigeant. Il est tentant d'essayer de l'alléger en niant la solitude inhérente à la vie car elle en découle directement.

C- EN QUOI CONSISTE LA VIOLENCE? 

L'acte violent est habituellement un mauvais choix pour atteindre la satisfaction du besoin. Il l'est toujours lorsque l'action est dirigée sur la mauvaise cible et presque toujours lorsque l'action posée est destructrice. La vengeance ne fait pas exception à cette règle; elle est avant tout une manière de soulager la colère plutôt qu'une action satisfaisante. 
       Si l'agressivité a si souvent mauvaise presse c'est en partie parce que certains d'entre nous vivent leur colère sur le modèle de la violence. Or les actes violents engendrent toujours des problèmes supplémentaires (ordinateur en morceaux, vaisselle cassée, coeur blessé...). Les personnes qui agissent avec violence en viennent rapidement à craindre la colère elle-même. Même leur entourage hérite bientôt de cette crainte, avec raison!

Quel genre de personnes fait le choix d'agir de façon violente? Avant d'examiner cette question, précisons en quoi consiste la violence.


Essentiellement, la violence est une atteinte à l'intégrité. On dit qu'un choc à été violent s'il a fait des dommages importants. Contraindre quelqu'un par la force physique ou psychique, brutaliser en guise de répression sont des actes de violence. Lorsqu'on parle de violence pour qualifier une action humaine, on réfère à une volonté de transgresser les limites de l'autre et à un abus de pouvoir.

1- Qui est enclin à la violence?

Il est probable que toute personne soit capable de poser un geste violent dans certaines conditions. Même une personne au caractère pacifique peut agir avec une grande brutalité si les circonstances l'exigent. Par instinct de survie, elle repousse le naufragé qui s'agrippe à elle en étant consciente de mettre sa vie en péril, elle blesse cruellement son agresseur afin de se dégager de son emprise. En fait, dans certaines situations, le recours à la violence est nécessaire à la survie; la personne incapable d'y parvenir souffre d'un sérieux problème. 
       Une personne pacifique peut aussi avoir recours à la violence pour des raisons qui ne relèvent pas de la légitime défense : un père qui s'attaque au violeur de sa fille, une mère qui abat l'assassin de son enfant. L'agression qu'ils ont subie à travers l'être aimé est telle qu'ils estiment légitime de riposter, quelles que soient les conséquences pour eux-mêmes. Dans un tel cas, ils perdent la tête ou leur deuil est tellement dévastateur que toute autre souffrance leur est égale. Seule la vengeance, pensent-ils, peut les soulager quelque peu. 
       Plusieurs d'entre nous se méfient des personnes intenses et notamment de celles qui sont capables de très grande colère. Mais la capacité de vivre intensément la colère n'est pas en elle-même l'indice d'un risque de violence. Au contraire, cette capacité garantit une certaine maîtrise car celui qui peut exprimer sa colère avec justesse n'a pas besoin de la refouler. Par contre, il arrive souvent que des gens apparemment doux et gentils, ne manifestant jamais d'intensité dans leurs émotions, deviennent soudainement violents, parfois jusqu'au meurtre. Ils ont si souvent réprimé leur colère qu'elle s'est accumulée et transformée en une bombe à retardement. Au-delà d'un certain point, il suffit d'un nouveau déséquilibre pour provoquer l'explosion : son fils réplique et il le frappe.

La colère intense et sa libre expression ne sont donc pas des indicateurs du potentiel de violence. Mais on peut identifier des facteurs qui favorisent le développement des attitudes violentes. En voici quelques-uns.

L'éducation 

Dans certains milieux et dans certaines familles la violence règne; elle fait partie intégrante du mode de vie. L'usage de la violence y est valorisé. On sait par exemple de quel genre de brutalité les mafias sont capables. On connaît des familles où les attaques à l'intégrité physique et psychique par les "plus forts" est monnaie courante. Les victimes d'abus sexuels et les enfants battus en sont les tristes témoins
       Dans ces univers, la brutalité et même la cruauté apparaissent comme des signes de force et une qualité méritant le respect. Aussi n'est-il pas rare de voir le fils imiter le père violent et reprendre son rôle auprès de la mère et de la fratrie. Il n'est pas surprenant que les enfants de ces cultures se calquent aux modèles qui y sont valorisés. Plus tard, dans leur propre famille ou dans un gang, c'est par leur dureté, leur insensibilité et leur potentiel destructeur qu'ils tenteront de se valoriser.

La distance émotionnelle 

Certaines personnes sont généralement coupées de leurs émotions, la colère y compris. Cette scission les amène à vivre leur colère froidement, sans implication émotive. Ils posent alors leurs gestes violents d'une manière "impersonnelle". Comme la colère ne peut être modulée par le reste de leur expérience émotive ou par leurs valeurs, ils sont capables de gestes extrêmes
       Mais plus encore, la scission qu'ils opèrent dans leur expérience émotionnelle leur permet d'accomplir des actions extrêmement violentes sans le moindre remords. On n'a qu'à penser au tueur à gage pouvant abattre un inconnu de sang froid. Il le fait pour l'argent mais parfois aussi pour gagner le respect de ses pairs.

La symbolisation déficiente 

L'incapacité de symbolisation raffinée peut également amener la colère à s'exprimer par des réactions violentes. L'habileté à nommer précisément son expérience (symbolisation) est aussi un produit de l'éducation, mais elle dépend aussi d'autres sources, notamment les mécanismes de défense. 
       L'enfant de trois ans crie, tape, mord lorsqu'il est furieux. Il ne dispose pas des habiletés intellectuelles pour agir autrement. En d'autres mots, sa capacité de symbolisation se limite à l'expression physique. Petit à petit pendant sa maturation, il gagnera l'accès à l'usage des mots, ce qui lui permettra de symboliser son expérience émotionnelle de façon plus subtile. Mais certains individus ne passent jamais au stade de développement intellectuel qui leur permettrait une expression verbale adéquate de leurs sentiments. Ils continuent d'avoir besoin des actions pour extérioriser leurs émotions de manière concrète.
       On peut le comprendre, cette limite intellectuelle ne facilite pas l'introspection et réduit d'autant la lucidité émotionnelle. Une telle personne en vient facilement aux coups lorsqu'elle est furieuse et il arrive souvent qu'elle ne se soucie pas d'identifier l'obstacle réel à sa satisfaction.

Les abus physiques et psychologiques 

Les personnes qui ont été victimes de violence au cours de leur enfance sont plus susceptibles d'en manifester à leur tour à l'âge adulte. Ce n'est pas le cas de tous ceux qui ont vécu sous la contrainte, qui ont été battus ou violentés psychologiquement. Mais c'est généralement le cas pour ceux qui sont encore habités par la rage. La plupart du temps, cette dernière est profondément enfouie parce que sa puissance les effraie. Mais elles savent instinctivement que cette rage pourrait resurgir et, probablement, devenir dévastatrice. C'est pourquoi certains s'interdisent toute manifestation de colère et évitent les situations qui pourraient déclencher une telle émotion chez eux. La colère est à leurs yeux une émotion dangereuse car ils pressentent qu'elle pourrait mettre le feu aux poudres, éveiller leur volcan. 
       Mais comme la colère est une émotion indispensable à la vie, ces personnes doivent trouver le moyen de l'apprivoiser. Elles ont absolument besoin de faire une démarche thérapeutique pour y parvenir. C'est ce travail qui est nécessaire pour les aider à se libérer de la rage et leur rendre l'usage de leur agressivité. 
       D'autres victimes d'abus ont trouvé le moyen de ne pas réprimer leur rage. Ils la manifestent au contraire constamment à travers des gestes violents. Souvent cet exutoire consiste à faire souffrir des individus vulnérables ou dépendants comme leurs enfants ou leurs animaux domestiques.

2- Colère, violence et perte de contrôle 

C'est avec raison qu'on se méfie des gens violents car on ne connaît pas les limites de leur brutalité. Certains sont susceptibles de perdre le contrôle, mais d'autres ont recours à la violence en gardant la tête froide. Ceux dont la rage est réprimée sont les plus susceptibles de perdre le contrôle, même s'il est contraire à leurs valeurs de devenir violents. Ils se méfient d'eux-mêmes et nous incitent à demeurer sur nos gardes lorsqu'ils sont en colère ou pourraient le devenir. 
       D'autres anciennes victimes de violence adoptent le comportement de bourreau dans leur vie présente. Ils sont eux aussi susceptibles de perdre le contrôle, d'une part, parce que leur conscience d'eux-mêmes est déficiente, et d'autre part, parce qu'ils refusent la responsabilité de répondre à leurs besoins, ce qui les amène à s'en prendre à des innocents lorsqu'ils sont frustrés. Ils trouvent toujours un bouc-émissaire sur lequel déverser leur rage et se venger lorsqu'on ne se soumet pas à leur volonté. Il vaut mieux se tenir à distance si on tient à sa peau!

D- L'ATTRAIT POUR LA VIOLENCE IMPERSONNELLE

Un exutoire à notre colère 

N'est-il pas paradoxal que la colère soit considérée comme une émotion à bannir mais qu'en même temps nous y soyons de plus en plus exposés par le cinéma, les journaux et la télévision? Si les médias obtiennent autant de succès en faisant l'étalage de la violence, si les actes de brutalité nous sont exposés aussi crûment, c'est qu'il y a preneur. Paradoxalement, bon nombre d'entre nous sommes attirés par la violence et la morbidité. Nous disons que nous sommes curieux, que nous voulons nous tenir informés, mais ces rationalisations cachent des raisons plus pertinentes. 
       Je partage l'opinion exposée dans "L'agressivité créatrice" à l'effet que l'attrait pour les scènes de violence constitue un exutoire à notre propre agressivité. La plupart d'entre nous tolérons mal la nôtre et celle de nos proches mais nous assistons fascinés à des scènes d'agression. La distance maintenue par la nouvelle ou la fiction nous permet de nous substituer aux protagonistes sans culpabilité ou encore de nous délecter sans remords du spectacle. Cela équivaut à une soupape pour évacuer la colère de tous les jours que nous réprimons parce que nous n'osons pas la vivre
       On pourrait se demander ce qu'il adviendrait de notre propre colère réprimée si nous bannissions en plus les manifestations sociales impersonnelles de l'agressivité. Quel exutoire nous resterait-il alors? Une vie sans colère est impossible car celle-ci est une réaction saine devant un obstacle et elle fournit l'énergie nécessaire pour le vaincre. Tenter de la bannir c'est faire fausse route. Il faut plutôt nous soucier d'apprendre à nos enfants à la vivre d'une manière constructive. Lorsqu'elle fait partie de nos émotions normales, nous avons moins tendance à vivre notre agressivité par procuration. Dès que nous serons assez nombreux à mieux assumer notre agressivité, les médias seront bien forcés d'inventer d'autres façons d'attirer notre attention.

CONCLUSION

S'il faut se méfier de la violence quelle qu'en soit la forme et les raisons, il n'est pas opportun de nous méfier de l'agressivité et de la colère. Nous devons au contraire réhabiliter la colère en apprenant à la vivre d'une manière constructive. Si nous y parvenons, elle deviendra à nos yeux une émotion précieuse parce c'est elle qui nous fournit la force nécessaire pour régler les situations problématiques. Alors, le fait d'être en colère envers des êtres qui nous sont chers n'est plus une expérience à prohiber, bien au contraire. Car cette émotion nous éclaire sur ce qui manque à notre satisfaction et nous donne l'énergie nécessaire pour y remédier.

Cet article est tiré du magazine électronique  "La lettre du psy"
Volume 7, No 1: Janvier 2003
http://www.redpsy.com/infopsy/

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QU'EST-CE QUE LA HAINE?

Des synonymes : Détester – Abhorrer – Exécrer
Des exemples :
Je hais mon mari à chaque fois qu'il me méprise.
Je hais les profiteurs du système et ceux qui font des lois qui les encouragent.
Je hais les araignées.

La haine est l'envers de l'amour. La haine est une colère intense doublée de désirs malveillants : on voudrait que l'objet de notre haine ne puisse nous avoir causé du mal impunément. C'est une manifestation d'insatisfaction à l'égard d'un être ou d'une situation qui détient un pouvoir sur notre satisfaction. 
       La haine est une émotion vécue surtout par rapport aux humains. Il arrive aussi qu'elle soit suscitée par un animal: c'est la peur ou le mal qu'il nous a déjà fait qui alors la suscite. Lorsqu'il s'agit d'objets ou de situations, on parlera de détestation ou d'exécration plutôt que de haine.

À quoi sert la haine?

La haine nous renseigne sur notre insatisfaction. L'insatisfaction peut être de différentes natures, allant de la simple frustration ("elle me prive de ce que je désire le plus au monde") à l'outrage ("elle m'a humilié en public") jusqu'à un tort subi (sa décision est à l'origine de ma débandade financière").

L'insatisfaction provoque habituellement des émotions de colère.

Quelle différence y a-t-il entre la colère et la haine?

Pour éprouver de la haine au lieu de la colère, il faut une certaine dépendance à l'égard de la source d'insatisfaction contre laquelle on en a. Cette dépendance peut être de nature affective, financière, politique..., l'effet est le même : on est à la merci de l'autre. L'épouse qui rage devant le mépris de son mari et qui le hait de la traiter ainsi réagit aussi fortement parce qu'elle attend l'opposé de lui (exemple #1). 
       L'associé est lié au partenaire qui l'amène à la banqueroute. Les choix politiques de nos élus agissent petit à petit sur la mentalité de notre société, l'éloignant de plus en plus des valeurs auxquelles j'adhère (exemple #2). 
       Le #3 est un exemple de haine liée à la peur. On déteste les araignées en général à la suite d'un événement désagréable vécu avec une d'entre elles. Il est possible aussi que l'araignée soit l'objet d'une phobie. Dans ce dernier cas, c'est une autre expérience émotive qui est transposée sur l'araignée. La haine à l'égard de l'insecte est ce qu'on appelle un déplacement (voir " La phobie démystifiée" à ce sujet).

La haine est une émotion importante, comme toutes les émotions. C'est en la ressentant qu'on arrive à comprendre ce qui nous affecte réellement.

LA PUISSANCE DES ÉMOTIONS
Michelle Larivey
Éditions de l'Homme, 2002
Préface de Jacqueline C. Prud'homme, psychanalyste, thérapeute familiale

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