8 décembre 2014

Dieu merci, ce n’est pas moi…


Autodéfense ou flèches? Aucune échappatoire possible contre des armes à feu...

En août dernier j’ai mentionné l’édition 2014 de Poésie, sandwichs et autres soirs qui penchent (spectacle réalisé par Loui Mauffette). À l’émission Médium large Loui Mauffette, Kathleen Fortin et Maxime Dénommée ont lu un poème de l’édition 2012 – que j’ai osé transcrire et publier dans L’art est dans tout pour les gens qui n'ont pas accès à l’Audio fil : http://ici.radio-canada.ca/emissions/medium_large/2014-2015/  

Je republie ici ce poème d’une vérité poignante en guise de transition, parce qu’après avoir revu le film Polytechnique de Denis Villeneuve  en fin de semaine, je me sens incapable de passer sans façon à des sujets triviaux. Par ailleurs, en le revoyant, je me disais que des drames aussi horrifiants font partie du quotidien des femmes, des enfants et des hommes en plusieurs pays du monde.

DIEU MERCI, CE N’EST PAS MOI
Par Evelyne de la Chenelière*

Laissez-moi vous parler d’un cœur
qui souffre d’avoir perdu Dieu
errant sans fin dans la nuit, sans espoir
Ici, à la lisière, il n’y a pas d’étoiles, 
ici, nous sommes raides, immaculés

Sans croire en Dieu parfois nous pensons 
Dieu merci, ce n’est pas moi 

Dieu merci, ce n’est pas moi
Ce n’est pas moi qui ai perdu mon enfant
dans une crevasse, une avalanche, une tuerie, une rivière
Ce n’est pas moi le corps tordu dans la voiture accidentée
Dieu merci, ah… ce n’est pas moi

Nous pensons Dieu merci, ce n’est pas moi
le sans-abri, le sans-papiers, le sans-emploi,
le sang contaminé, les dents qui tombent,
les os qui brisent à la moindre chute
ce n’est pas moi la droguée, le vieux, la folle!

Ce n’est pas moi en République centrafricaine, en Ukraine, à Gaza, 
Dieu merci, ce n’est pas moi
Ce n’est pas moi qui ai des mouches plein les yeux,
qui ai les membres arrachés, des sœurs kamikazes,
des frères pendus par les pieds, des enfants-soldats
Ce n’est pas moi!

Nous pensons Dieu merci, ce n’est pas moi
qui ai reçu une balle perdue comme une giclée de rage
Dieu merci, ce n’est pas moi qu’on voile,
qu’on excise, qu’on viole, qu’on vend
Dieu merci, ce n’est pas moi!

Ce n’est pas moi non plus
la starlette sur laquelle on éjacule et qui vieillira pourtant
Le désir des autres n’est pas un bain de jouvence
et les plus belles tomberont avec leur chair molle
Dieu merci, ce ne sera pas moi!

Ce n’est pas moi, je ne peux rien
Je ne peux rien pour les miséreux, les pauvres,
les damnés, les malades
Adressez-vous aux puissants du monde
je ne peux pas vous sauver la vie
ce n’est pas moi qui vous sauverai la vie
Pour commencer, cessez de crier, taisez-vous donc!
Ah… Dieu merci, ce n’est pas moi

Ce n’est pas moi qui appellerai, éperdu, 
la clémence, l’absolution
À l’heure de ma mort on ne dira pas de moi
«Dieu merci, il est mort»
«Dieu merci, enfin, elle est morte»
On ne souillera pas ma dépouille
on ne profanera pas ma tombe

Sans croire, nous disons
Dieu merci, ce n’est pas moi
qui brûlerai dans les flammes éternelles
de ton enfer
Dieu merci, ce n’est pas moi…

D’ailleurs nous pensons
Dieu merci, je ne mourrai pas

Après, nous replions le journal
nous fermons la télévision
nous fermons tous nos sens brûlés
et les livres d’histoire

Nous tordons nos mains
dans une prière difforme
et nous pensons
Dieu merci, ce n’est pas moi

* Evelyne de la Chenelière, comédienne et dramaturge : le film Monsieur Lazhar (écrit et réalisé par Philippe Falardeau) est une adaptation de sa pièce Bashir Lazhar.

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COMMENTAIRES

1. Je veux souligner la façon dont Denis Villeneuve a choisi de présenter le drame : avec pudeur et grand respect.

2. Des fois je suis vraiment écoeurée de la situation planétaire, et de mon blogue du même nom. Il me semble avoir couvert la plupart des questions critiques, et je ne vois pas l’utilité de continuer à répéter comme un vieux disque rayé. Alors, je songe à le recycler en 2015 : peut-être en site de recettes culinaires, de décoration, d’artisanat ou de jardinage... Je réfléchis fort.

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Pensée du jour :
«Toute notre vie, on dit autre chose que ce qu’on pense.»
~ Manesquier (Jean Rochefort), film L’homme du train

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