29 septembre 2014

Dr Marc Zaffran : la relation entre patient et médecin

«Donne un cheval à celui qui dit la vérité, il en aura besoin pour s’enfuir.» ~ Proverbe persan

Dr Marc Zaffran. Photo : Olivier Paradis-Lemieux, Les éclaireurs, Ici Radio Canada
   Samedi (27 sept.) : l’animateur de l’émission Les éclaireurs, Philippe Desrosiers, recevait le Dr Marc Zaffran. Un point de vue très intéressant sur la profession médicale en général et la médecine de proximité.

Dr Gaétan Barrette, ministre de la santé, se qualifiant lui-même de «redoutable négociateur». Photo : Tout le monde en parle, Ici Radio Canada
   Dimanche (28 sept.) : j’ai écouté en direct (via Internet) l'entrevue avec le Dr Gaétan Barrette. Sa façon de négocier avec ses confrères confirment les propos du Dr Zaffran (ci-après). 

Assez ironique cette congruence entre les deux interviews, à quelques heures d’intervalle.

À mon avis, si nous avions plus de médecins de la trempe du Dr Zaffran, notre système de santé se porterait mieux…

Site Les éclaireurs :
http://ici.radio-canada.ca/emissions/les_eclaireurs/2014-2015/

Ma transcription (pour les visiteurs qui n’ont pas accès à l’Audio fil de Radio Canada); je trouvais que le job de moine valait la peine.

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Q. : Vous avez déjà dit que la médecine familiale était la plus belle. Pourquoi?
R. : Parce qu’un médecin… un médecin, on s’attend à ce qu’il soit un soignant. Les soignants sont les professionnels de la santé de proximité. Les infirmières, les sages-femmes, les médecins de famille et puis les autres professionnels de proximité, les ergothérapeutes, les assistantes sociales sont des soignants de proximité. Il y a beaucoup de métiers de profession de santé, mais ces professions de santé sont les plus belles parce que précisément on s’occupe des gens chez eux ou en tout cas pas loin de chez eux, dans leur environnement. On s’occupe de leur famille, on prend en compte tout un tas de choses. Quand on est un spécialiste très isolé, très éloigné de la vie quotidienne des gens, c’est beaucoup moins facile. Je ne dis pas que ce n’est pas un beau métier, mais que c’est moins facile et beaucoup moins gratifiant à certains égards. C’est plus technologisé. Donc, la médecine de famille, oui… De toute façon quand je voulais devenir médecin je voulais être médecin de famille. Si c’était à refaire, je ferais la même chose.

Q. : On parle beaucoup des disparités salariales dans les soins de santé. Vous parliez des infirmières ou des travailleuses sociales qui sont très peu payées et des médecins qui sont beaucoup mieux payés, les médecins spécialistes. On en parle beaucoup. Qu’en pensez-vous?
R. : Je pense que… Je suis très radical dans ce que je pense. Dans le livre que je viens de publier, je dis «Je pense qu'il ne devrait pas y avoir deux professions de santé invasives, c'est-à-dire les médecins et les infirmières. Il ne devrait y en avoir qu'une. Tout le monde devrait être en premier infirmier et ensuite se spécialiser pour faire un autre métier : médecin, chirurgien, infirmière spécialiste, etc. Ce qui voudrait dire que le salaire des gens devrait être proportionnel à leurs responsabilités et non pas à leur statut» – dans tous les pays, y compris les pays les plus égalitaires, et je pense que le Canada et le Québec sont parmi les pays les plus égalitaires sur ce plan-là.
   Dans tous les pays, il y a une séparation de fait entre le corps infirmier et le corps médical qui à mon avis est injustifiée, qui n’est pas une séparation de formation – il y a des infirmières qui sont bien plus compétentes que certains médecins – qui n’est pas une question de capacité intellectuelle, mais qui est liée aux gens, les hommes étaient médecins, les femmes étaient infirmières. Ce n’est plus vrai maintenant. La profession médicale est beaucoup plus féminisée qu’auparavant, il y a beaucoup d’infirmières. Mais maintenant, c’est lié au statut de classe, à une distinction, et dans une société égalitaire il ne devrait pas y avoir de différence de statut de classe entre les différentes professions de santé, puisque les professions de santé sont destinées à soigner tout le monde collectivement. Il y a un paradoxe fantastique, c’est que pour soigner – le soin est une activité altruiste – si on est en compétition on ne peut pas être altruiste. Or dans les professions de santé, même les médecins parmi eux-mêmes, sont en compétition, en permanence. Ils ne peuvent pas être en compétition les uns avec les autres et être altruistes avec leurs patients, c’est juste pas possible psychologiquement.

Q. : Il y a un truc qui se passe aussi à l’école, c’est-à-dire que pour les gens qui font médecine, c’est un métier extrêmement bien payé, et ça attire les meilleurs élèves.
R. : Non, ça attire des gens qui sont sélectionnés sur des critères particuliers, par exemple, le fait d’être très bon en maths ou en sciences, ceux qui ont les meilleures notes en sciences ou en maths.

Q. : Mais tout notre système d’éducation est orienté comme ça, si vous me permettez. C’est-à-dire que si quelqu’un au secondaire est assez bon, on va l’orienter vers des métiers de science. On va dire ‘pourquoi ne pas faire science pure ou science santé?’, et si on est bon là-dedans, on va dire ‘pourquoi ne pas faire médecine’. Donc il y a une valorisation extrême dans le système d’éducation.
R. : Oui, mais c’est quelque chose de très ancien la valorisation des métiers de savoir, des métiers dans lesquels il faut acquérir un grand savoir scientifique. Il y avait des échelles. Quelle était la profession la plus respectée jusque dans les années 90? C’était le savant. Depuis 1990, c’est le médecin. Donc, il y a une valorisation des métiers de savoir. Le problème n’est pas que les métiers de savoir n’ont pas de valeur, ce n’est pas ce que je veux dire, le problème c’est qu’on ne sélectionne pas les gens qui vont faire un métier de soins sur leur aptitude à soigner, c’est-à-dire plutôt sur leur aptitude à résoudre des problèmes théoriques sur papier … Encore une fois, au Canada c’est beaucoup mieux qu’en d’autres pays, comme la France. Néanmoins, par exemple, aux Pays-Bas, les étudiants en médecine sont tirés au sort, c’est-à-dire s’ils ont un niveau suffisant, quel que soit le type d’études qu’ils aient fait au secondaire, ils sont tirés au sort et peuvent devenir médecins. Pourquoi? Ils disent ‘peu importe que ce type là ait fait de la musique ou de la peinture ou ceci, s’il a des capacités on pourra le former pour devenir un bon médecin’. Donc, ils partent de ce principe et disent que c’est beaucoup plus égalitaire. On sait que statistiquement les gens qui font des études scientifiques viennent des classes plus favorisées; et ça perpétue, ça contribue à égaliser encore l’origine sociale des médecins et donc le type d’attitude qu’ils ont.

Q. : Cette valorisation on la retrouve au Québec. Notre premier ministre est médecin et le ministre de la santé est médecin. Est-ce qu’on a raison de leur attribuer… je ne veux pas faire de politique, mais est-ce que ça veut quand même dire quelque chose?
R. : Au risque de me griller définitivement auprès de tous les hommes politiques et peut-être de tous les médecins du Québec, personnellement je pense que devenir un élu et un ministre est incompatible avec le fait d’être médecin. C’est incompatible. Pourquoi? Un poste d’élu est un poste de pouvoir. C’est du pouvoir. Mais une relation de soin ce n’est pas une relation de pouvoir. Les médecins qui cherchent à devenir ministres, c’est le pouvoir qui les intéressent, ce n’est pas les soins. Si nos trois ministres québécois qui sont médecins étaient si intéressés par le système de santé, vous ne croyez pas qu’il y aurait vraiment une révolution sur le système de santé? Vous ne croyez pas qu’en particulier ils essaieraient de faire quelque chose qui consisterait à dire : ‘mais d’abord, faut-il fermer les CLSC? je n’en suis pas sûr’. Est-ce qu’il ne faudrait pas faire comme tous les gens intelligents qui pensent au système de santé et qui disent : ‘premièrement il faut faire le bilan de ce dont on a besoin dans chaque zone, dans chaque région, puis attribuer les ressources, et non pas faire quelque chose qui va du haut vers le bas.

Q. : Mais attendez, les gens qui font de la politique, c’est des gens de pouvoir, faut pas être surpris, c’est comme ça partout.
R. : Oui! c’est ce que je vous dis. Moi je pense qu’un médecin qui devient un ministre ce n’est plus un médecin; sa préoccupation n’est plus d’être médecin. Donc, c’est un problème, parce que quand un médecin veut devenir un homme politique, se présenter pour être élu, il joue sur son image pour être élu. Et c’est pour ça que je pense que les médecins ne devraient pas être éligibles, comme les juges. Les juges ne sont pas éligibles. Vous ne devriez pas être éligible si vous êtes médecin parce que vous avez un rapport à l’ensemble de la communauté dont vous vous occupez, ce qui fait que les dés sont pipés.

Q. : Qu’est-ce que vous pensez du projet de loi ‘mourir dans la dignité’ commencé sous un gouvernement et fini par l’autre.
R. : Ah ça, je m’incline bien bas parce que c’est la preuve que la société québécoise est bien plus évoluée que la société française.

Q. : Il y a un certain snobisme envers certains médecins en France, qu’il n’y a pas ici. Les médecins qui font des visites familiales sont moins considérés.
M.Z. : Ils sont moins considérés parce qu’ils y a une différence de caste. Vous savez, en France, il y avait quasiment trois castes de médecins. Jusque dans les années 60, il y avait des médecins qui n’avaient jamais vu un patient. Il y avait des médecins qui voyaient des patients mais qui n’avaient aucune responsabilité. Il y avait ceux qui avaient été internes, et ceux-là devenaient spécialistes. Il y avait une médecine, une formation médicale à trois vitesses. Donc, on a toujours méprisé le médecin de famille. Mais pas ici.

Q. : Excusez-moi, je vous ai interrompu tantôt au sujet de ‘mourir dans la dignité’.
R. : Moi, il se trouve que j’ai lu un grand rapport du collège royal canadien et puis ensuite le rapport de la commission d’éthique québécoise qui étaient tous les deux dans le même sens et disaient : il faut décriminaliser un certain nombre de choses, en particulier il faut laisser les gens mourir comme ils ont envie de mourir et ne pas laisser les médecins s’acharner sur eux, et éventuellement les aider, etc.
   C’est compliqué parce que le code criminel canadien interdit qu’on aide quelqu’un à mourir ou qu’on le tue à petit… Mais en tout cas, ce qu’ils ont fait, à mon avis, est tout à fait remarquable parce que non seulement c’est dans le sens de ce qu’ont fait certains pays très évolués mais aussi dans le sens des besoins de la population. … Il y a des moments où on n’en peut plus, si vous voulez, c’est aussi simple que ça.

Q. : Mais vous avez vous-même été placé dans cette situation, en face de quelqu’un qui vous disait ‘je n’en peux plus’… un proche, un ami, votre mère, je crois.
R. : Oui, tout à fait! Un médecin est toujours mis devant ce genre de situation tout simplement parce que contrairement à ce qu’on croit, le médecin ne sauve personne. De temps en temps on sauve quelqu’un si on a de la chance. Tout le monde va mourir.

Q. : C’est une maladie mortelle!
R. : Voilà, la vie est une maladie mortelle, y compris pour les médecins. Et donc il arrive un moment où on se dit : est-ce que je vais traîner et souffrir encore longtemps? est-ce que je vais me morfondre encore longtemps dans ma souffrance et dans mon isolement? ou est-ce que je peux faire un  baroud d’honneur et puis m’en aller avec ou sans éclat? En Belgique, ça fait dix ans que ça existe et il y a un très beau livre de François Damas «La mort choisie» (1) où il raconte comment les gens qui choisissent de mourir accompagnés le font, et que ça peut être apaisant pour tout le monde.

Q. : Est-ce que vous pensez à votre propre mort?
R. : Depuis que j’ai sept ans.

Q. : Depuis l’âge de raison comme on dit.
R. Depuis que j’ai sept ans je sais que je vais mourir. Oui, ça me déplaît beaucoup, mais euh… bon … et c’est aussi pour ça que je suis très…

Q. : Il y a un truc que vous avez déjà dit qui me fait halluciner, c’est que vous ne voulez pas savoir, par exemple faire des tests de dépistage pour des maladies comme le cancer de la prostate, ou le cholestérol, vous ne mesurez pas ça.
R. : Mais c’est parce que je fais des choix rationnels. Je ne rejette pas tout. Mais par exemple concernant le dépistage du cancer de la prostate, il y a plein de gens qui disent qu’il ne faut pas faire dépister parce qu’on risque des effets secondaires beaucoup plus grave que la maladie elle-même. Le cholestérol, ça on sait – je viens de préfacer un livre qui vient de sortir et s’appelle «La vérité sur le cholestérol» – on sait très bien que là, c’est une manipulation de l’industrie pharmaceutique. Donc, j’ai une attitude quand même rationnelle par rapport à ça. Ce n’est pas parce je ne veux pas savoir.

Q. : Ce n’est pas parce que vous avez un comportement risqué, mais vous préférez ne pas le savoir si vous avez ça.
R. : Eh bien, je préfère ne pas savoir des choses qui ne vont rien m’apprendre et ne rien changer. Par exemple, je viens de lire un article très intéressant qui montre que ce qui entretient les prises de poids c’est les sucres rapides plutôt que les graisses. Comme j’ai envie de perdre un peu de poids je vais manger moins de sucres rapides.

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Un autre segment de l’émission portait sur l’immunothérapie (entrevue avec Marie-Pier Élie). Commentaire du Dr Zaffran :
   Ça rejoint l’idée qu’on a maintenant vis-à-vis de certains cancers comme le cancer su sein : les traitements qu’on utilise, qu’on utilisait jusqu’à présent, la chirurgie, la chimiothérapie et la radiothérapie, diminuent l’immunité. Chez un certain nombre de patients, ça a tendance à accélérer la maladie. Donc maintenant on est en train de revenir sur les dépistages précoces, sur les chirurgies qui sont très mutilisantes, sur les chimiothérapies intenses, etc., en se disant que si le patient va bien et qu’il a une immunité correcte peut-être qu’il faut en faire un peu moins. Il faut enlever la tumeur, mais il faut peut-être en faire un peu moins sur les autres traitements, justement pour ne pas compromettre l’immunité. Et c’est la preuve qu’on peut aussi prendre le problème de l’autre côté, en se disant ‘mais qu’est-ce qui, en travaillant l’immunité, permettrait de soigner les gens?’

Dans le même ordre d'idée :
http://situationplanetaire.blogspot.ca/2014/06/le-cancer-sans-chimioradiotherapie.html

Dernière publication du Dr Zaffran :
Le patient et le médecin
Marc Zaffran
Les Presses de l’Université de Montréal, 2014

Extraits disponibles :
http://www.pum.umontreal.ca/catalogue/patient-et-le-medecin-le

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(1) La mort choisie - Comprendre l'euthanasie et ses enjeux   
François Damas 
Éditions Mardaga 
http://www.editionsmardaga.com/mort-choisie

Le Dr François Damas à TED : un choix et un droit qui apportent apaisement et sérénité au patient et à son l’entourage.



Si le droit de mourir dans la dignité vous préoccupe :
   Une femme de Colombie Britannique, Gillian Bennett, s’est enlevée la vie parce qu’elle ne voulait pas subir l’indignité de la démence. Elle a créé un site pour expliquer son parcours et son choix. Une femme extraordinaire, brillante, lucide, qui pave le chemin pour nous http://deadatnoon.com/index.html car nous ne sommes pas sortis de la broussaille :
http://situationplanetaire.blogspot.ca/2014/08/morte-midi.html

Voyez aussi le libellé «Euthanasie».

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Concernant l’installation de caméras de surveillance dans les centres de détention prolongée pour personnes âgées, je suis entièrement d’accord! Cela réduirait le niveau de maltraitance et la fréquence des vols. Ma mère s’est fait voler des vêtements dument identifiés, des friandises, etc. Le personnel de direction est peut-être intègre, mais les préposés ne le sont pas toujours.
   Pourquoi s’indigner puisque nous sommes tous filmés partout où nous allons : coins de rues, épiceries et boutiques (prévention contre le vol), buildings à condos, édifices gouvernementaux, banques, officines d’avocats, etc. La vie privée n’existe plus depuis un bon moment…

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