27 septembre 2014

Dans l’engrenage du libre échange


Photo : Oscar, film réalisé par Édouard Molinaro (1967) – Un industriel (incarné par Louis De Funès) découvre au cours d'une seule journée que sa fille est enceinte, qu'il a été volé par un employé et que d'autres calamités se sont abattues dans sa maison et son entreprise.

Toutes ces histoires de libre échange avec les États-Unis, l’Europe, le Moyen-Orient, l’Asie ou autres, me font penser à cette fable de Jean de La Fontaine (que tout le monde connaît par cœur, mais…) :

La cigale et la fourmi 

La cigale, ayant chanté
Tout l'été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue.
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau
Elle alla crier famine
Chez la fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu'à la saison nouvelle
«Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l'août, foi d'animal,
Intérêt et principal.»
La fourmi n'est pas prêteuse;
C'est là son moindre défaut.
«Que faisiez-vous au temps chaud?
Dit-elle à cette emprunteuse.
Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise.
- Vous chantiez? j'en suis fort aise.
Eh bien : dansez maintenant.»

Cette fable me rappelle aussi une anecdote de mon enfance (c’est arrivé pour vrai). Ma cousine et moi étions voisines. J’avais quatre ans et elle sept. Un jour, on nous donna à  chacune un sac de croustilles. À peine dix minutes plus tard, ma cousine vint me voir en minaudant : «Je les ai toutes mangées, veux-tu partager ce qui te reste avec moi?» Je n’ai pas hésité deux secondes et nous avons vidé mon petit sac. Puis, elle est partie chez elle pour revenir quelques minutes après avec son sac toujours scellé… et elle n’a pas partagé. Bien sûr, à cet âge-là on ignore tout des stratégies humaines d’appropriation déloyale. Ce fut le début d’un long apprentissage, car j’avais spontanément tendance, il n’y a pas si longtemps encore, à faire confiance, à croire que les gens étaient sincères, honnêtes. Quelle naïveté! Ma cousine est toujours une manipulatrice chronique (c'est génétique); mais une fois qu’on le sait, c’est pour la vie. Le plus difficile, c'est avec les gens que nous connaissons peu ou mal et qui ne nous ont pas «officiellement» fait de coup bas.  

Dans Les manipulateurs sont parmi nous, Isabelle Nazare-Aga écrit : «Un escroc est presque toujours un manipulateur au masque sympathique.» 
   Et, au sujet de l’opacité : «Le silence et le flou peuvent permettre, quand cela s’avère utile, de modifier les attitudes, prises de position ou opinions en fonction de la tournure des événements. Être clair, c’est dire , qui, quoi, quand, combien, comment; et éventuellement pourquoi s’il s’agit de donner une consigne à des collègues ou à des subordonnés. Toutes les informations nécessaires doivent être soumises d’emblée pour qu’il n’existe aucun quiproquo, aucune mauvaise interprétation possible. 
   Le manipulateur reste souvent flou pour :
- ne pas se sentir coincé ni découvert;
- se donner une forme d’autorité et donc faire croire qu’il sait mieux que les autres;
- nous laisser interpréter de manière à pouvoir changer d’opinions;
- nous dévaloriser si nous nous trompons;
- se déresponsabiliser;
- séduire par le mystère (cela en fait fantasmer certains, il est vrai). 
   Comment procède-t-il? Le manipulateur ne complète pas ses phrases ou sa pensée de manière à nous laisser imaginer le reste. Le caractère équivoque est suffisant pour attirer l’intérêt dans un premier temps, puis la suspicion et le malaise dans un second temps, puisque le mystère reste entier. Le non-dit crée alors le trouble et la réflexion. Et puisque cela n’est toujours pas explicite, il aurait donc du négatif à camoufler! (interprétation naturelle). Le jeu consiste à ne pas être compréhensible. 
   Si la communication ne sert pas à informer correctement le récepteur, alors à qui cela profite-t-il? 
   Le manipulateur ne demande pas. Il impose. Face à certains sujets, le manipulateur détourne le contenu de la conversation. En une ou deux phrases nous ne parlons plus de la même chose! Le manipulateur s’éloigne de la conversation quand :
- le sujet ne lui est pas assez familier et qu’il ne veut pas qu’on le décèle;
- le sujet est mené brillamment par quelqu’un d’autre que lui;
- le sujet le gêne ou devient ‘dangereux’ pour son image;
- il ne peut démontrer ce qu’il avance, ses arguments manquent de poids;
- il veut attaquer, provoquer, critiquer ou dévaloriser son interlocuteur.»

(Toute ressemblance avec des personnalités publiques est pur hasard.) 

Bref, quel est le lien entre la fable et les accords de libre échange? 
Pourquoi nous précipiter pour donner (ou vendre à rabais) nos ressources à tout venant? Quand nous n’aurons plus rien, danserons-nous pour attraper des poches de maïs OGM, des bouteilles d’eau siphonnée ici mais expédiée/embouteillée chez Nestlé, et des médicaments génériques fabriqués en Asie qu’on nous balancera sur la tête? Parfois il faut dire oui, parfois il faut dire non; ça fait partie du long apprentissage du discernement.

Pensée du jour :
“A war is when you kill enemies that you don’t even see, using the same technology to feed and kill them.” ~ Bill Hicks

Photo : série télévisée «Guerre et paix» parodiée par "Blup!"  
http://www.blup.fr/2007/11/07/guerre-et-paix/

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