31 mai 2012

Les non-dits

Le silence est d’or, mais en certaines circonstances «le silence est la plus grande persécution», disait Blaise Pascal.

Il y a deux semaines j’apprenais qu’une de mes amies avait retrouvé son fils après vingt ans de silence. Au même moment, Tout.tv rediffusait la série «Aveux» – un psychodrame particulièrement bien réussi illustrant les conséquences de la fuite et des non-dits... Il va sans dire qu’en faisant le parallèle avec l’histoire de mon amie, j’ai revu la série d'un tout autre oeil et cela m'a inspiré cet article.  

Synopsis  Aveux (Radio-Canada)

Aveux, c’est l’histoire de Carl Laplante qui, par amour, a choisi le silence à la suite d’un drame qui a remis en question toute sa vie. Pour survivre, il a attendu d’avoir ses 18 ans et a quitté famille et amis, sans leur donner de nouvelles par la suite. C’était il y a 15 ans. Maintenant, il s’appelle Simon, il s’est inventé un nouveau passé et a rencontré Brigitte avec qui il partage sa vie depuis huit ans. À 33 ans, malgré l’imposture, Simon semble avoir trouvé une certaine paix grâce aux liens profonds qu’il a tissés avec ses nouveaux amis, ses collègues de travail et sa belle-famille. Le hasard fait que Simon Laplante est obligé bien malgré lui de renouer avec tous les acteurs et l’horreur de son passé. Aveux est aussi une histoire de couples, de solitudes, de chassés-croisés dont les maillons finiront par s’imbriquer les uns dans les autres avec en toile de fond, la reconstitution, au fil de l’histoire, de ce fameux soir du 15 octobre 1990. Que s’est-il passé? Quel est le lien de Carl (Simon) avec ce terrible drame qui a semé la consternation dans la famille? Peut-on refaire sa vie après avoir joué même malgré soi un rôle de premier plan dans un drame sans nom? Peut-on survivre après avoir été profondément blessé? Peut-on construire sa vie sur un mensonge même salvateur?

[La série Aveux, produite par André Dupuy de Productions Pixcom, écrite par Serge Boucher et réalisée par Claude Desrosiers, a reçu le prix de la Meilleure réalisation lors de la 11e édition du Festival de la fiction TV, en septembre 2009 (La Rochelle).] 

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Revenons à mon amie. Pendant toutes ces années d’espoir et d’attentes elle a multiplié les tentatives de retrouvaille en vain. Son fils ne répondait jamais. Aucun moyen de s’expliquer, non pas de se justifier, mais simplement d’aller au cœur des choses ayant causé la coupure. Des intermédiaires bienveillants lui donnaient des nouvelles de temps en temps; au moins elle savait qu’il était toujours vivant.

Dans la série Aveux, le drame s’ébauche sur une expérience traumatisante vécue par le jeune homme, et qu’il tiendra secrète pour ménager son entourage; et peut-être aussi par sentiment de honte, de peur du jugement et du rejet, et ainsi de suite. Comme le disait Aurélien Scholl, «le moment le plus favorable pour la répression d’un abus, c’est le jour où on le découvre» … ou qu’on le vit. C’est ce que Carl (Simon) avait omis de faire.

Espérer protéger les gens (ou soi-même) de la souffrance par les non-dits, la fuite ou le mensonge, produit l’effet contraire. J’entends encore mon amie : «J’ai besoin de savoir pourquoi il me fuit. Si je connaissais la vraie raison de son mutisme et ce qu’il me reproche, je cesserais de me questionner et je lâcherais prise. Mais, comme je ne sais rien, les questions tournent en boucle dans ma tête... pourquoi cette volteface subite sans préavis ni explications?»

Réflexions extraites d’Aveux :
- Combien de choses nous échappent. Si seulement on pouvait être dans la tête de ceux qu’on aime. 
- Qu’est-ce qui te ronge par en-dedans? Dis-le.
- Si la confiance est la base d’une relation… il faut arrêter de faire semblant qu’il y a des choses qui n’existent pas.

Les gens qui érigent un mur de silence ignorent probablement tout des ravages qu’ils causent. À mon avis, il n’y a rien de plus cruel que de laisser les personnes avec qui nous avons un lien affectif important dans le doute et l’incompréhension; et en réalité, cette remarque est valide pour tout type de relations sociales. [Exemple : Le malentendu invisible (en milieu de travail) par Jean Garneau, psychologue http://www.redpsy.com/infopsy/conflit-qr.html ]

Heureusement, l’histoire de mon amie finit bien. Le fils et la mère se sont revus – il a maintenant 43 ans. Elle est soulagée et heureuse et m'a envoyée des photos. Une nouvelle relation s’amorce sur la pointe des pieds... Leur scénario est loin d’être aussi dramatique que dans Aveux – il n’y a pas eu de morts, et la rupture était due à une accumulation de drames d’adolescence non résolus parce que non dits au moment opportun.

***

Il m’est arrivé de vivre du rejet en amitié en raison de suppositions sans fondement. À partir d’une phrase anodine, la personne avait imaginé que …, sans vérifier avec moi si cette présomption avait une quelconque réalité (ceci tend à prouver que souvent nous ne sommes pas responsables de ce que les autres pensent de nous).

Donc, voyant qu’elle se distanciait, et sachant intuitivement que quelque chose clochait, j’ai vérifié. Elle a nié et m’a laissée sans nouvelles pendant deux ans. Puis, un beau jour, elle m’a rappelée pour s’excuser, après que certains évènements lui aient fait réaliser sa méprise.

D’où l’importance d’aller au fond des choses ou de vérifier si l’on a bien compris ce que l’autre a dit, sur-le-champ – si la personne est prête à coopérer, bien sûr. Tout dépend aussi de la considération qu’on porte à la personne et du degré d’amour-propre en jeu.

«T’excuser ou t’expliquer ne signifie pas toujours que tu as tort et que l’autre a raison. Cela signifie simplement que tu accordes plus d’importance à la relation qu’à ton égo.» (Auteur inconnu)

Quoiqu’il en soit, il est toujours possible, par une conversation non-violente, de résoudre des conflits émotionnels. C'est une excellente méthode pour éviter de faire souffrir inutilement autrui ... un bonus pour ceux qui pratiquent la philosophie de vie bouddhique!  

En conclusion, je reste persuadée, tout comme Sam Harris et son professeur Ronald A. Howard, qu’il vaut mieux dire la vérité. Il y aurait surement moins de détresse, de suicides et d’agressions, car les non-dits et les mensonges entrainent plus de souffrance qu’une «dure vérité» exprimée avec délicatesse ou compassion. http://situationplanetaire.blogspot.ca/2012/05/est-ce-mal-de-mentir.html


En terminant, un poème inspiré par la douleur d'un père devant son fils victime de la drogue (source : www.redpsy.com ) 

Le mur

Il est là devant moi
Silencieux, lointain
Si proche et si loin
Il y a ce mur qui me coupe de lui
C’est dur. J’ai mal.

C’est dur
Si loin et si proche
Il y a la méfiance, il y a les souvenirs mauvais
Il y a le désir, il y a la peur de la blessure
Les silences qui nous emmurent
Ensemble et si seuls

Devant, je resterai devant
Malgré les repoussements
Patient; je serai patient
Malgré les vents contraires
Malgré la méfiance
Je serai fort et aimant

Plus fort que le mur
J’ai l’espoir de retrouvailles
Je vaincrai le mur,
Si je fléchis je me redresserai
Je verrai son écroulement pierre par pierre
Tous les empires ont connu l’effondrement

Il y a ce mur qui me coupe de toi
C’est dur
Je suis là devant, tenace
Je serai là lorsque le mur ne tiendra plus
Je serai ton père… à jamais

Jean-Marc Beaudoin

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COMMENTAIRE

Personne ne peut rafistoler notre vie à notre place. Changer d'attitude est un acte de courage personnel, comme le dit Jane Fonda dans l'article du 2 juin, "Le troisième acte".   

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