12 janvier 2011

Moments d’illumination 2

Témoignages rapportés dans l’Anthologie de l’Extase

Richard Maurice Bucke

J’étais dans un état de joie tranquille et presque passive, sans vraiment penser, mais laissant les idées, les images et les émotions défiler d’elles-mêmes dans mon esprit. Tout à coup, sans aucun avertissement, je me suis senti enveloppé dans un nuage de la couleur d’une flamme. Pendant un instant je pensais à du feu, une immense conflagration quelque part près de la grande ville; ensuite, je me rendis compte que le feu se situait en moi-même. Immédiatement après je fus envahi par un sentiment d’exulter, une joie immense accompagnée ou immédiatement suivie par une illumination intellectuelle, impossible à décrire. Entre autres choses, je n’avais pas à y croire tout simplement, mais je vis que l’univers n’était pas composé de matière morte, mais qu’il est au contraire une Présence vivante; je devenais conscient en moi-même de la vie éternelle, mais une conscience de posséder à ce moment la vie éternelle. Je vis que tous les hommes sont immortels, que l’ordre cosmique est fait de telle manière que, dans aucun doute, toutes les choses travaillaient ensemble pour le bien de chacun et de tous, que le principe fondamental du monde, de tous les mondes, est ce que nous appelons l’amour et que le bonheur de chacun et de tous est en fin de compte absolument certain. La vision a duré quelques secondes et se dissipa, mais sa mémoire et le sens de réalité de ce qu’elle exprimait continua pendant ce quart de siècle qui s’est passé depuis. Je savais que ce que cette vision m’a montré était vrai. J’avais atteint un point d’observation du haut duquel je vis que cela devait être vrai. Cet horizon, cette conviction, je dirai cette conscience n’a jamais été perdue, même dans des périodes de dépression profonde. (Citation extraite d’un texte qui a précédé le livre classique de Bucke, La Conscience Cosmique – rapportée par James William)

Fritjof Capra

Il y a cinq ans, j’ai eu une belle expérience qui m’a mis sur le chemin qui m’a amené à écrire ce livre. J’étais assis au bord de l’océan, pendant une soirée d’automne, observant le mouvement des vagues et sentant le rythme de ma respiration quand, soudain, je pris conscience que tout l’environnement était comme engagé dans une danse cosmique gigantesque. Comme physicien, je pris connaissance du fait que le sable, les rochers, l’eau et l’air autour de moi étaient faits de molécules et d’atomes, et que ceux-ci consistaient de particules qui interagissaient les unes avec les autres, créant et détruisant d’autres particules. Je sus également que l’atmosphère de la terre était continuellement bombardée par des pluies de «rayons cosmiques», particules d’énergie élevée sujettes à de multiples collisions dès leur pénétration dans l’air. Tout ceci m’était familier, en relation avec mes recherches sur la physique de haute énergie mais, jusqu’à ce moment, je ne l’avais expérimenté que par des graphes, des diagrammes et des théories mathématiques. Dès que je m’assis sur cette plage, mes expériences passées devinrent vivantes. Je «vis» des cascades d’énergie descendant de l’espace extérieur, dans lequel les particules étaient créées et détruites en pulsions rythmiques. Je «vis» les atomes des éléments et ceux de mon corps, participant de cette danse cosmique de l’énergie; je sentis son rythme et en «entendis» le son, et à ce moment-là je sus que c’était la danse de Shiva, le Seigneur des danseurs, vénéré par les Hindous.

… Ceci fut suivi de nombreuses expériences similaires qui mont aidé à réaliser graduellement qu’un point de vue consistant commence à émerger de la physique moderne, et que celui-ci est en harmonie avec l’ancienne sagesse orientale. (The Tao of Physics)

Mrs. D. K.

Un jour de printemps, alors que je travaillais dans mon jardin, l’air me parut frissonner d’une étrange manière, comme si le temps normal prenait une autre dimension, et j’eus le sentiment que quelque chose de fâcheux allait se passer, sinon tout de suite, du moins dans un prochain avenir. Pour m’y préparer, je multipliai mes séances de zazen et me mis, chaque soir, à lire des ouvrages bouddhistes.

Quelques soirs plus tard, après avoir lu attentivement le Livre des morts tibétains, je pris un bain et m’assis devant une peinture représentant le Bouddha, en écoutant à la lumière des bougies le mouvement lent du Quatuor en la mineur de Beethoven, profonde expression du renoncement de l’homme à lui-même, puis j’allais me coucher. Le lendemain matin, juste après le petit déjeuner, j’eus brusquement l’impression d’être frappé par un éclair et je me mis à trembler. Je revécu en une seconde le traumatisme de ma difficile naissance. Comme une clef ouvrant les portes de chambres obscures, cette sensation fit se répandre en moi les poisons de ressentiments secrets et de pensées cachées. Pourtant, derrière tout cela, il y avait un profond bonheur…

Lentement mon optique changea et je me dis : «Je suis morte! Il n’y a rien qui s’appelle moi! C’est une allégorie, une image mentale, un schéma sur lequel rien n’a jamais été modelé!» La joie me donnait le vertige. Les objets solides m’apparaissaient comme des fantômes et tout ce sur quoi mon regard se posait était d’une beauté radieuse.

Je ne puis qu’indiquer sommairement ici ce qui me fut révélé d’une manière éclatante au cours des jours suivants :
1. Le monde que perçoivent nos sens est la partie… la moins importante d’une immense «géométrie de l’existence».
2. Les mots sont maladroits et simplistes… lorsque l’on essaire de donner une idée du fonctionnement multiple d’un vaste complexe de forces…
3. …En fait il n’y a rien à connaître, rien qui puisse être connu.
4. Le monde physique est une infinité de mouvements, de Temps existentiel mais… en même temps… de Silence et de Vide.
5. …Il n’y a rien à faire : le seul fait d’être est un acte absolu.
6. Quand je regarde des visages, je vois un peu de la longue chaîne de leurs existences passées, et parfois un peu de leur avenir.
7. …Chaque chose a sa propre chanson… Pourtant derrière cette variété infinie, tout cela se fond en une unité…
8. J’éprouve un amour sans objet, un «état d’amour». Mes vieilles réactions émotionnels contrarient encore cet «état d’amour» suprêmement doux et naturel.
9. Je me sens une conscience qui n’est ni moi-même, ni étrangère à moi. Elle me protège et me conduit. (Raporté par Philip Kapleau, Les Trois Peupliers)

Cinq rapports obtenus par Timothy Leary

a. «Plusieurs fois je rentrais et sortais d’un état de délassement, me laissant aller à un flux puissant, au-dessus, autour et au travers de mon corps (plus que dans mon corps)…
     Tous les objets ruisselaient et fondaient sous la chaude lumière blanche ou électricité qui ondulait dans l’air. C’était comme si nous contemplions le monde, à peine créé, refroidissant, sa substance et sa forme encore fondues et commençant juste à durcir.»

b. «Le corps se détruisait après avoir été trop lourd à porter. L’esprit errait, vagabondait à travers une lumière extatique, un paysage indescriptible. Comment peut-il y avoir tant de lumière, des vagues et des vagues de lumière, lumière sur lumière? Tout est illumination.»

c. «Je devenais de plus en plus consciente qu’il y avait des vibrations – des vibrations dans mon corps, chaque corde de la harpe émettait sa propre sonorité. Je pensais que je faisais progressivement corps avec la vibration cosmique… À ce niveau il n’y a plus ni formes, ni déités, ni personnalités mais seulement la félicité.»

d. «L’impression dominante était que j’entrais dans la substantifique moelle de l’existence… C’était comme si chacun des milliards d’atomes de l’expérience, qui, dans des circonstances normales, se réduisent et se résument en des impressions grossières et aveugles, était maintenant vu et savouré pour lui-même. La relativité cosmique était une autre sensation très claire. Peut-être l’expérience ne se résume-t-elle jamais à une seule vue d’ensemble. Peut-être tout ceci n’est-il que l’éternelle somme d’un nombre infini de points de vue particuliers, chacun considérant le tout dans sa propre perspective.»

e. «Je pouvais voir toute l’histoire de l’évolution qui aboutit à l’homme. J’étais projeté dans le futur et je vis le vieux cycle de la paix et de la guerre, des temps heureux et malheureux, qui allait se renouveler et je pensais : «Toujours la même vieille histoire.» Oh mon Dieu! Cela a changé et c’est différent. Et j’évoquais le passage de l’homme de l’état animal à l’état spirituel. Mais j’étais toujours projetée dans le futur et je vis la planète entière détruite et toute l’histoire, l’évolution et les efforts de l’homme balayés dans un ultime geste destructeur.» (Timothy Leary, Politique de l’Extase, 1973)

Témoignages rapportés dans La Conscience Cosmique

Walt Whitman

Walt Whitman est le meilleur, le plus parfait exemple que le monde ait eu jusqu’ici du Sens Cosmique [note : il faut se reporter en 1901 et se rappeler que Bucke admirait inconditionnellement Whitman], premièrement parce qu’il est l’homme chez lequel la nouvelle faculté a probablement été le plus parfaitement développée, et spécialement parce qu’il est, par excellence, l’homme qui, dans les temps modernes, a écrit distinctement, et généralement, du point de vue de la Conscience Cosmique, et qui a aussi fait référence à ces faits et phénomènes plus clairement qu’aucun autre écrivain, moderne ou ancien. Il nous parle ouvertement, quoique pas aussi complètement qu’on pourrait le souhaiter, du moment où il a atteint l’illumination, ensuite, vers la fin de sa vie, de sa disparition. Non pas qu’on doive supposer qu’il a possédé le Sens Cosmique continuellement pendant des années, mais plutôt que la présence du nouveau sens se fit de moins en moins fréquente à mesure qu’il avançait en âge, qu’elle restait probablement de moins en moins longtemps à chaque fois, et qu’elle diminuait en vivacité et en intensité.

[Balzac appelait le nouvel homme un «Spécialiste» et le nouvel état la «Spécialité». Whitman appelait la Conscience Cosmique «Mon Âme» mais en parlait comme s’il s’agissait d’une autre personne, par exemple :
Ô mon âme, sans réserve, moi avec toi, et toi avec moi…
Nous aussi nous nous embarquons, ô mon âme…
Avec des rires et maint baiser…
Ô mon âme, tu me plais et je te plais.

…Voyons ce que dit Whitman de ce nouveau sens qu’il doit avoir acquis en juin 1853 ou 1854. […] Il dit :

Je crois en toi mon âme… l’autre que je suis ne doit pas s’abaisser devant toi,
Et tu ne dois pas t’abaisser devant l’autre.
Flâne sur l’herbe avec moi… délivre ta gorge de ce qui l’obstrue.
Ce n’est pas de mots, de musique ou de rimes que j’ai besoin… ni de conseils ou de leçons, même les meilleurs,
Je n’aime que le bercement, le murmure de ta voix musicale.
Je me souviens comment en juin alors que nous étions couchés par un si transparent matin d’été,
Tu installas la tête en travers de mes hanches et doucement te retournas vers moi,
Et écartas la chemise de ma poitrine et plongeas la langue jusqu’à mon cœur mis à nu,
Et étendis les mains jusqu’à toucher ma barbe et étendis les mains jusqu’à tenir mes pieds.
Aussitôt jaillirent et se répandirent sur moi la paix et le savoir qui surpassent tous les arguments de la terre.
Et je sais que la main de Dieu est l’aînée de la mienne,
Et je sais que l’esprit de Dieu est mon propre frère aîné,
Et que tous les hommes qui n’ont jamais vécu sont aussi mes frères… et les femmes, mes sœurs et mes amantes,
Et que la contre-quille de la création est l’amour.

Ajoutez maintenant à ceci les lignes suivantes écrites à un autre moment mais faisant certainement référence à la même expérience ou à une autre similaire :
As-tu jamais vu une heure où,
Une divine lueur, soudain, éclate toutes ces bulles, ces modes, cette richesse,
Ces âpres ambitions d’affaires – livres, politique, arts, amours,
Les précipite dans le même oubli?

Henry David Thoreau

Né le 12 juillet 1817, mort le 6 mai 1862. Il y a plusieurs raisons pour soupçonner Thoreau d’être un cas de Conscience Cosmique, comme son fort penchant pour la solitude, son amour du mysticisme et des mystiques, l’acuité presque surnaturelle de ses sens, son amour pour les animaux et sa familiarité avec eux, sa pénétration intellectuelle et son élévation morale. Que signifiaient ces huit lignes, sinon que leur auteur a vécu une expérience semblable à celles dont on traite ici?

J’ai une ouïe qui n’a pas d’oreilles
Et une vue qui n’avait auparavant que des yeux.
Je vis des moments qui n’écoulent pas le temps.
Je vois la vérité quand je ne connaissais que le leurre de l’éducation.
J’entends au-delà de la portée du son,
Je vois au-delà de la portée de la vue,
De nouvelles terres, et ciels et mers tout autour,
Et dans mon jour, le soleil n’est que pâle lumière.

***
COMMENTAIRE

Ces témoignages me font penser aux expériences de mort imminente (Near Death Experience). La plupart des sujets donnent dans le pré-transpersonnel car leur vision reste colorée par des croyances – notamment des visions d’enfer et de paradis, des identifications à des figures religieuses, etc. Néanmoins, quelques rares individus  accèdent effectivement au transpersonnel dépourvu d'identification et de dualité.

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