De la fenêtre de la cuisine, Alex regardait la colline à proximité. L’immense chêne fut soudain secoué par une bourrasque venue de nulle part. Intrigué, l’adolescent observa Chanou, sa chatte brun et blanc, qui du haut d’une branche succomba à la gravité. Elle rampa vers le ruisseau, queue et oreilles baissées.
Alex vit alors quelqu’un s’approcher de l’arbre centenaire. Il ouvrit la fenêtre pour mieux scruter le visiteur. Non, ce n’était pas le voisin venu chercher sa potion hebdomadaire, ni M. Rockwell qui voulait emprunter un outil, ni le mendiant du village en quête de ragoût, il était trop tôt.
L’homme portait la barbe. Son chemisier et son pantalon étaient d’un blanc immaculé, lumineux. Il posa son sac de voyage au pied du chêne et s’assit. Puis, il tourna la tête vers Alex. Le gamin ne voyait pas les yeux de l’homme, mais il ressentait son regard, aussi intense que bienveillant. Il eut l’impression d’être visité jusque dans les recoins les plus ignorés de son cœur.
Alex se rappela d’un seul coup toutes les excursions avec les copains où l’on ne comptait pas les grenouilles éventrées, les corbeaux lapidés et les suisses tailladés vivants. Un malaise indescriptible l’envahit car, étrangement, il vivait dans sa chair toutes les cruautés infligées à ces animaux qu’il considérait imperméables à la souffrance, rien de plus que des choses à martyriser et à tuer pour s’amuser.
- Salut! Mon nom est François, dit l’inconnu.
Toujours rivé à la fenêtre, Alex voulut fuir. Impossible, François lui parlait dans sa tête, d’une voix trop douce à son goût, d’ailleurs.
- Ne crains rien, Alex, je veux ouvrir les portes de ton cœur. J’aimerais t’aider à percevoir autrement ces amis qu’on appelle animaux.
Alex se recroquevilla. ‘Il se prend pour Saint-François d’Assise, celui-là', pensa-t-il. Il se rappelait très bien de l’image accrochée au-dessus du buffet chez sa grand-mère. Des images pour les homos!
- Est-ce que tu trouves que j’ai l’air efféminé? demanda François.
‘Aïe, c’est vrai, il m’entend penser!’ se dit Alex en répliquant
- Non, mais on m’a enseigné qu’on n’était pas un vrai homme si on aimait les animaux.
- Non, mais on m’a enseigné qu’on n’était pas un vrai homme si on aimait les animaux.
Sur ce, François lui décocha quelques souvenirs supplémentaires. Alex revit toutes les fois où il avait pris un malin plaisir à tirer les cheveux des filles à l’école, à donner des coups de poing à ses camarades et à partir des feus dans les granges voisines. Encore une fois, il ressentit la peine infligée et eut envie de vomir.
- C’est simple, dit François, n’attend pas le retour du frisbee... tu peux dès maintenant apprendre ceci : fais à la nature, aux animaux et aux humains ce que tu aimerais qu’on te fasse et ne leur fais pas ce que tu n’aimerais pas qu’on te fasse. Ainsi, tu ne seras ni efféminé ni macho, tu seras simplement un vrai humain. Tu vois?
Bang! La fenêtre guillotine se ferma d’un coup sec. Alex eut juste le temps d’ôter ses mains. La communication coupa net. Il courut vers la porte. Il voulait absolument voir ce François de près. Il se rendit à toute vitesse vers le chêne et en fit le tour : personne!
Déçu, il s’effondra là où François était assis quelques instants plus tôt. Il pleura comme on pleure quand on perd un ami – ce qu’il n’avait jamais fait de sa courte vie. Avait-il rêvé? Chanou frôla sa jambe en ronronnant. Il la caressa machinalement. Mais, pensant à ce que François lui avait dit, il regarda la chatte, droit dans les yeux. Or ce regard lui révéla dans l’instant une amitié et une complicité étranges, un lien de l’âme qu’il ne soupçonnait pas. Une image de François apparu dans la prunelle de Chanou et il entendit dans sa tête : «Voilà ce que je voulais t’apprendre, Alex. Au revoir.»
Mestengo © 2004
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