31 octobre 2019

Un pays divisé? Mais voyons donc!

Depuis quand? Les Français on d’abord colonisé le territoire, puis les Britanniques emboitèrent le pas. Depuis, la coexistence franco/anglo a généré des conflits identitaires, linguistiques, économiques et territoriaux. Que se passe-t-il quand deux plaques tectoniques entrent en collision? La terre tremble...

Nous sommes actuellement dans une période de transition où deux mondes s’enchevêtrent : l’ancien persiste, encore tout-puissant, continuant à dominer la masse, et le nouveau se faufile, encore modeste, ne dérangeant pas grand-chose pour le moment. Mais...

La discorde de l’heure entre l’Ouest et l’Est? Le «corridor énergétique» des sables bitumineux albertains. C’est comme une grande tache d’huile qui se répand sur un vêtement et qu’on n’arrive pas à nettoyer.

Caricature : André-Philippe Côté | Le Soleil, 7 octobre 2019

Le premier ministre conservateur de l’Alberta, Jason Kenney, ne dérougit pas, même s’il est bleu... Il ne cesse de répandre des faussetés sur la péréquation (1) pour mobiliser ses troupes pro-pétrole, croyant que cela aidera à soumettre le Québec à sa volonté – son seul but  est d’exploiter ses sables bitumineux, de faire construire un immense réseau de pipelines, de vendre et d’exporter toujours plus de pétrole et de gaz vers les marchés asiatiques et européens. Le mot «diminution» n’existe pas dans son dictionnaire.
   Il se comporte comme un redoutable conquérant qui semble croire que le Canada entier appartient à l’Alberta; il compte parmi les plus agressifs représentants conservateurs pro-pétrole. Dans son discours de la victoire, il avait réitéré sa promesse de lutter contre les groupes écologistes canadiens qui, selon lui, acceptent de l'argent de fondations américaines avec le secret dessein de saboter l'économie d'ici en empêchant l'Alberta d'exporter du pétrole ailleurs que vers le sud. Il a créé une «cellule de guerre» disposant d’un budget de 30 millions de dollars canadiens pour répondre aux mensonges et à la désinformation qui circulent sur l’énergie albertaine; il se propose de contester chaque affirmation à l’aide de faits et de preuves. (Avril 2019)

«Jason Kenney est un politicien rusé qui nourrit sans doute l’ambition de retourner un jour en politique fédérale. Il faut donc relativiser les menaces qu’il lance au gouvernement central. Certes, M. Kenney court le risque d’alimenter la grogne des Albertains envers le reste du pays en mettant constamment l’accent sur les désavantages du fédéralisme sans souligner les avantages dont a bénéficié sa province au fil des ans grâce à son appartenance à la famille canadienne. Mais sa démarche vise exclusivement à faire pression sur Ottawa, et non à souffler sur les braises du nationalisme albertain, le terme même étant un oxymoron.
   L’aliénation de sa province est circonstancielle et ne découle pas de facteurs plus fondamentaux et permanents. Contrairement aux Québécois, les Albertains ne prétendent pas former une nation. Le mouvement séparatiste albertain, aussi marginal soit-il, ne trouve pas son inspiration dans des différences identitaires ou culturelles des Albertains par rapport aux autres Canadiens. Pour ceux qui y adhèrent, c’est purement une question d’argent  

~ Konrad Yakabuski (chronique Le malaise canadien, Le Devoir, 26 octobre 2019)  

«Il est toujours désagréable de rabrouer un membre de sa famille. Mais le premier budget du gouvernement Kenney m’inspire cette critique de l’irresponsabilité d’une part appréciable des Albertains, incapables de se libérer du souvenir de l’époque où ils pouvaient flamber des sommes astronomiques d’argent sans penser au lendemain.
   Je suis totalement insensible aux plaintes de notre turbulent cousin, que ce soit en matière de péréquation ou en matière de construction de pipelines. Jason Kenney, que j’observe depuis 15 ans et que j’ai côtoyé quatre ans à la Chambre des communes, est un charlatan qui s’est fait élire sur la promesse de livrer le beurre et l’argent du beurre dans son mandat. Le problème est que les citoyens de cette province seront privés des deux, étant donné la crise économique à venir et le maintien très bas du prix du baril de pétrole sur les marchés, assortis aux prévisions irréalistes de ce premier budget. [...]  
   L’Alberta est actuellement incapable d’accepter le fait que la cause du bas prix de son pétrole sur le marché n’est pas l’opposition de ses méchants cousins canadiens qui refusent le passage de pipelines ou le «pétrole non éthique» de l’Arabie saoudite, mais la production massive et égoïste de son voisin états-unien. L’exploitation désordonnée et dévastatrice, digne des pires épisodes des ruées vers l’or du XIXe siècle, du pétrole de schiste aux États-Unis est un phénomène qui dépasse l’entendement. Et malgré la menace qui pèse sur la santé et la sécurité de millions d’États-Uniens, nous ne voyons pas encore de ralentissement notable du rythme effréné de cette production.
   Peter Lougheed avait mis en place l’Alberta Heritage Savings Trust Fund en 1976 pour assurer l’avenir des Albertains. [...]  
   L’héritage de Peter Lougheed a été dilapidé par l’avidité ordinaire de ses successeurs avec la complicité d’une partie des contribuables. Cette gênante avidité a culminé avec les «Ralph Bucks» de 400 $, comparables au «Buck a beer» de Doug Ford ou au «remboursement» des trop-perçus d’Hydro-Québec de François Legault. Le sinistre souvenir de Ralph Klein, un irresponsable qui a poussé sa province à l’imprévoyance, n’a pas empêché 55 % des Albertains de choisir Jason Kenney, qui poursuivra dignement le travail de démolition de Klein.
   Connaissant le catholique fondamentaliste qui s’est installé sur le siège de premier ministre, je vais m’inspirer de la parabole du fils prodigue des Évangiles. L’Alberta ne montre ni le repentir du fils cadet ni le sens du devoir du fils aîné. Cette province va payer le prix fort de son acharnement à s’illusionner. Espérons que les Albertains ne pousseront pas trop loin l’aveuglement.»

~ Raymond Côté, député de la Chambre des communes de 2011 2015 (L’immaturité des Albertains les mènera à leur perte; Le Devoir, 26 octobre 2019)  

[Ndlr : Le militantisme catholique de Jason Kenney. À 19 ans, alors qu’il était étudiant en philosophie à l’Université de San Francisco (Californie), il publia un article où il accusait les catholiques américains d’ignorer les enseignements de l’Église. L’année suivante il s’en prenait aux étudiantes en droit qui militaient pour le droit à l’avortement. En 1989, il organisa une pétition pour que l’université de San Francisco soit déclarée «institution catholique» – l’archevêque refusa. Plus tard, Kenney fut une voie importante pour les fondamentalistes religieux au sein du cabinet de Stephen Harper, entre 2008 et 2015.]  

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(1) Pour le chef du Parti conservateur uni de l’Alberta, Jason Kenney, [la péréquation] est un affront aux provinces de l'Ouest car, selon lui, elles sont les principales contributrices au programme de péréquation. Ce qui est faux.
   En réalité, la cagnotte globale de la péréquation est constituée des impôts fédéraux des particuliers, des sociétés, etc. Le décalage se situe au niveau du partage de la cagnotte. «Les paiements de péréquation visent à permettre aux provinces moins prospères de fournir à leurs citoyens des services publics comparables à ceux d'autres provinces, à des taux d'imposition comparables.» ~ Bill Morneau, ministre fédéral des finances, décembre 2018  

Caricature : André-Philippe Côté Le Soleil, 29 août 2019

«Ayant été ministre à Ottawa sous Stephen Harper, y compris lors de l’adoption de la formule de péréquation qu’il dénonce aujourd’hui, Jason Kenney sait qu’il mêle les choux et les navets et entretient la confusion. La péréquation a été créée en 1957 et transformée en obligation constitutionnelle en 1982. C’est un programme fédéral. Ottawa écrit les règles et il est le seul à financer ce transfert à même ses revenus généraux, ceux auxquels tous les Canadiens contribuent. L’Alberta n’envoie de chèque à personne.» ~ Manon Cornellier (La péréquation pour faire diversion, Le Devoir, 30 octobre 2019)

Sous la loupe de Gérald Filion (chronique RDI Économie, décembre 2018)  

ANALYSE - Débattre de la péréquation est un véritable sport national, un enjeu qui revient périodiquement, au moins une fois par année, comme la première neige ou le retour des bernaches. ... Je vous propose une petite explication en 10 points sur la péréquation.

1- D’abord, les paiements de péréquation sont des sommes qui viennent de vos impôts fédéraux, donc du gouvernement fédéral, et qui sont distribuées dans les provinces en fonction d’un calcul défini à l’avance par Ottawa et les provinces;
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4- Le montant de péréquation représente l’écart de revenus fiscaux par habitant d’une province avec la moyenne canadienne; les provinces qui sont sous la moyenne reçoivent de la péréquation (il y en a cinq) et celles qui sont au-dessus de la moyenne n’en reçoivent pas (il y en a cinq également);
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5- La capacité fiscale est établie à partir des revenus d'impôts des particuliers et des sociétés, des revenus de taxes à la consommation, des revenus des impôts fonciers et des recettes tirées des ressources naturelles;
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6- Les paiements de péréquation sont calculés par habitant; ainsi, en 2019-2020, l’Île-du-Prince-Édouard est la province qui recevra le plus grand montant de péréquation par habitant, soit 2694 $, suivie du Nouveau-Brunswick (2613 $), de la Nouvelle-Écosse (2086 $), du Manitoba (1646 $) et du Québec (1549 $);
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8- [...] Même si l’Alberta est touchée par la baisse des prix du pétrole, sa capacité fiscale dépasse encore la moyenne et la province ne reçoit pas de péréquation;
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10- La péréquation n’est pas un programme d’aide; les problèmes cycliques de l’Alberta n’ont rien à voir avec les montants de péréquation actuels, il y a d’autres programmes fédéraux pour soutenir les provinces en difficulté à court terme.

Article intégral :
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La «loi 21» sur la laïcité de l’État (québécois), comme autre sujet de discorde. L’interdiction de porter des signes religieux au sein de la fonction publique a soulevé la grogne. Les contestataires prétendent que c’est le gouvernement fédéral qui a la compétence pour légiférer en cette matière. Encore là on invoque le non respect des droits et libertés. Pourtant, cette loi n’empêche personne de pratiquer sa religion.
   Paradoxalement, les adeptes de certaines religions, contraints de porter des signes distinctifs et de pratiquer des rituels quotidiens (souvent discutables...), sont d’une manière les personnes les plus privées de droits et libertés. Si certains chrétiens ont adopté un rapport individualiste à la religion en faisant une affaire strictement privée, d’autres croyants, comme les sikhs, les juifs et les musulmans préservent toujours le rapport communautaire de leur religion – pour eux, les signes ostensibles sont essentiels pour marquer publiquement leur appartenance à cette communauté; en outre, pour ces croyants pratiquants, suivre les préceptes de leur religion n'est pas une décision (un choix) mais une obligation.

«Les gens peuvent parler autant qu'ils le veulent de leur religion, mais si elle ne leur apprend pas à être bons et bienveillants envers les hommes et les bêtes, c'est une imposture.»

Le 99 % est en marche

«Quand on ne peut plus respirer, on finit par casser les vitres.» (Film L’horloger de Saint-Paul, 1974)

Actuellement, la détresse des populations se traduit par des manifestations dont le nombre de participants est sans précédent dans plusieurs pays du monde. On constate un écœurement généralisé relativement au libre marché et ses crimes économiques, aux régimes corrompus, à la pauvreté, aux pénuries de nourriture et de médicaments, à la privatisation des services de santé et d’éducation, aux pouvoirs politico-religieux, au spectre de la crise climatique, de la récession, de la dette et de l’inflation. La coupe est pleine.

Justice comes when enough is enough.

Citations du jour

«Pour l’avenir, qu’allons-nous choisir collectivement de favoriser? Une société-loterie où une poignée d’individus empoche le gros lot et dont l’horizon est la ploutocratie? Ou une société véritablement démocratique, dans laquelle nous nous reconnaissons égaux et décidons collectivement des objectifs que nous désirons poursuivre?»  
~ David Robichaud / Patrick Turmel (La juste part | Repenser les inégalités, la richesse et la fabrication des grille-pains; Atelier 10; 2012)

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«Pour le capitalisme les implications écologistes sont trop importantes pour que le capitaliste puisse les envisager. [Les ploutocrates] sont plus attachés à leur richesse qu'à la Terre sur laquelle ils vivent, plus préoccupés par le sort de leur fortune que par celui de l'humanité. La crise écologique actuelle a été créée par une minorité d’individus au détriment du plus grand nombre. En d'autres termes, la lutte pour l'environnementalisme fait partie de la lutte des classes elle-même, un fait qui semble avoir échappé à de nombreux écologistes mais qui est bien compris par les ploutocrates – c'est pourquoi ils ne se privent pas de ridiculiser et de dénoncer les ‘éco-terroristes’ et les ‘protecteurs des arbres‘.»

«Si l'on examine les généalogies de nombreuses ‘vieilles familles’, on découvre des épisodes de trafic d'esclaves, de trafic d'alcool, de trafic d'armes, de trafic d'opium, de falsification des revendications territoriales, d'acquisition par la violence des droits sur l'eau et les mines, d'extermination de peuples autochtones, de vente de marchandises de mauvaise qualité et dangereuses, de fonds publics utilisés pour des spéculations privées, d'ententes malhonnêtes sur des titres et des bonds gouvernementaux, et de pots de vin en échange de faveurs politiques. On trouve des fortunes bâties sur le travail forcé, le travail sous contrat, le travail en prison, le travail des immigrés, le travail des femmes, le travail des enfants et le travail des briseurs de grève – soutenus par la force meurtrière des bandits armés et des milices. ‘L'argent ancien’ n'est souvent que de l'argent sale blanchi par plusieurs générations de possession.»

«Le but d'une bonne société est de structurer les relations sociales et les institutions de sorte que les impulsions coopératives et généreuses soient récompensées, et les impulsions antisociales découragées. Le problème du capitalisme, c'est qu'il récompense le pire de nous-mêmes – des pulsions impitoyables, compétitives, machiavéliques, opportunistes, cupides – alors qu’il récompense peu et même punit, ou du moins freine, l'honnêteté, la compassion, le fair play, le travail honnête, l'amour de la justice et le souci pour ceux qui sont dans le besoin.»


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«Mon garçon, les carrosses existent. Le lord est dedans, le peuple est sous la roue, le sage se range. Mets-toi de côté et laisse passer.» ~ Victor Hugo

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«Mais s’ils avaient ensemble appris une chose, c’était que la sagesse vient à nous lorsqu’elle ne sert plus à rien.» ~ Gabriel García Márquez

Andrew n’est pas le «Scheerleader» espéré?

Déception chez les troupes conservatrices. Le précédent chef du Parti conservateur, Stephen Harper, n’avait aucun charisme et était impopulaire non seulement à cause de ses politiques mais aussi en raison de sa froideur et de sa rigidité. Le PCC espérait sans doute que l’air jovial et bon enfant d’Andrew Scheer, ferait moins peur et pourrait séduire les électeurs d’un bout à l’autre du pays. D’autant plus qu’Andrew Scheer s’inscrit en directe continuité de l’héritage politique de Stephen Harper. Il se décrit comme un politicien pragmatique à l’image de Stephen Harper, mais avec un sourire, «un Harper 2.0», ou comme «M. Compromis», le seul qui peut unir les différentes «sortes de conservateurs» comme l’a fait son idole, Stephen Harper.

Or plusieurs stratèges et députés souhaiteraient le départ de Scheer avant Noël – de son plein gré car ils ne peuvent pas l’y contraindre.
   «Déjà à la mi-octobre, le Globe and Mail révélait que les organisateurs conservateurs torontois bien connus songeaient déjà à limoger le chef Andrew Scheer après une défaite électorale que plusieurs tenaient pour acquise. L’absence de candidats vedettes, de la trempe de Peter MacKay ou de Jason Kenney, avait permis à Andrew Scheer – un ancien président de la Chambre des communes qui n’avait jamais servi au Conseil des ministres – de gagner la course à la chefferie conservatrice en 2017. Après deux ans à la barre de son parti, il demeurait un parfait inconnu pour la plupart des Canadiens lors du déclenchement des élections et il ne s’est pas distingué depuis le début de la campagne.» ~ Konrad Yakabuski (Choisir le «moins pire» | Le Devoir, 12 octobre 2019

Quel est donc le problème? Même si Scheer n’est pas aussi affirmé que Kenney, il est tout à fait conforme à l’idéologie conservatrice, comme en fait foi ce curriculum vitae bien documenté.

Andrew Scheer ruinera-t-il le Canada?
Bruce Livesey in Analyse
National Observer Français

Illustration : Victor Juhasz / National Observer

Situé dans une forêt de frênes et de bouleaux à environ 45 minutes en voiture au sud-ouest du centre-ville de Calgary, l'Azuridge Estate Hotel est un complexe hôtelier de luxe regorgeant de fontaines, de chutes d'eau, de façades en pierre grise et de poutres en bois exposées. C'est une destination populaire pour les mariages.
   Le 11 avril 2019, dans une des salles de conférences de cette retraite verdoyante, le chef du Parti conservateur, Andrew Scheer, et son directeur de campagne, Hamish Marshall, se rassemblaient avec un groupe de PDG de compagnies pétrolières, aux côtés de Tim McMillan, président de l'Association canadienne des producteurs pétroliers (ACPP), le plus puissant groupe de pression des Supermajors. De fait, tous les PDG présents sont membres du conseil des gouverneurs de l'ACPP.
   Un des buts de cette réunion? Élaborer une stratégie visant à renverser le gouvernement de Justin Trudeau lors des élections fédérales de ce mois-ci. L'ordre du jour comprenait également des discussions sur la façon de réduire au silence les écologistes s’opposant aux projets d’oléoducs et aux sables bitumineux, y compris leur poursuite en justice.


En août dernier, Andrew Scheer avait répété qu’il s’opposerait aux initiatives de ses députés qui voudraient rouvrir le débat sur l’avortement. Ses propos ont rapidement attiré les foudres du lobby pro-vie Coalition nationale pour la vie et contrarié une partie importante de sa base électorale de la droite religieuse. Il a finalement été forcé d’admettre qu’il était pro-vie.
   L’avortement a été décriminalisé et il est permis partout au Canada. Néanmoins, le mouvement pro-vie réclame à grands cris des lois sur l’avortement qui lui permettrait d’en limiter l’accessibilité et même de le criminaliser.
   «Les lois ne changeront pas, mais un député pourrait forcer le Parlement à tenir un débat sur un projet de loi restreignant l’accès à l’avortement ou donnant une nouvelle définition de ce qu’est un fœtus. Le seul fait de tenir un tel débat serait considéré comme une grande victoire pro-vie. La conciliation entre les convictions personnelles, morales ou religieuses et la politique est aussi vieille que le monde. Mais, depuis un demi-siècle au moins, un principe s’est imposé : les politiciens ne doivent pas gouverner en fonction de leurs croyances morales ou religieuses, si sincères peuvent-elles être, mais en fonction de l’intérêt de tous les citoyens.» (Michel C. Auger, Radio-Canada)

15 % de députés pro-vie, tous conservateurs
Ottawa – Le mouvement pro-vie est encore bien représenté aux Communes. Un total de 50 personnes s’opposant au libre accès à l’avortement ont été élues lundi dernier, soit 15 % des 338 députés. Ces 50 élus sont tous conservateurs et forment 41 % du caucus d’Andrew Scheer. Dans la précédente législature, les élus pro-vie étaient moins nombreux (44), mais constituaient une portion plus importante de la députation conservatrice (46 %). M. Scheer, lui-même pro-vie, a été abondamment attaqué pendant la campagne électorale à cause de sa position alambiquée sur l’avortement : il a promis que son éventuel gouvernement ne ferait rien pour restreindre l’accès à la procédure, mais a refusé de s’engager à ce que ses députés d’arrière-ban ne déposent pas de projet de loi en ce sens. (Hélène Buzzetti, Le Devoir, 30 octobre 2019)  

Mais, qui veut remettre le sort de sa propre vie, puisque c’est de cela dont il s’agit, entre les mains d’un gouvernement ultraconservateur qui prône des valeurs d’extrême droite rétrogrades, un gouvernement pour qui le pendule de l’évolution sociale s’est arrêté dans les années 1940/50? Qui veut d’une théocratie qui réduirait à néant toutes les avancées de la sécularisation remportées à la dure? Qui veut d’une cohorte de conservateurs pro-armes, pro-vie, pro-pétrole, pro-économie-néolibérale, anti-écologie, antiscience, anti-choix, anti-mariage gai, et ainsi de suite (1)?

Les jeunes sont la cible d’intenses efforts d’évangélisation; les croyances religieuses des conservateurs chrétiens structurent très largement leur pensée politique. Les stratèges recrutent des croyants et militants passionnés qui doivent s’opposer résolument à l’humanisme laïc (secular humanism), prédominant dans les sociétés modernes pluralistes.

 
Famille Scheer (on est nataliste ou on ne l’est pas...). Scheer va à la messe tous les dimanches avec son épouse et ses cinq enfants.

Alors, qu’est-ce qui cloche derrière le souriant Andrew?

La droite chrétienne dans la campagne électorale
Journal Métro

«Je crois que nous sommes tous des enfants de Dieu», avait déclaré Andrew Scheer en mai lors d’un discours sur l’extrémisme. Fils de diacre, le chef pro-vie parle souvent de Dieu. Les croyances du chef conservateur sont bien présentes, mais comment se manifestent-elles dans sa campagne?
   Selon André Gagné, professeur en études théologiques à l’Université Concordia, le Parti conservateur du Canada (PCC) d’aujourd’hui est influencé par la droite chrétienne. Il estime que le parti a beaucoup changé depuis l’époque de Joe Clark ou de Brian Mulroney. «Dans les années 1990, ce parti défendait le droit à l’avortement, ainsi que les droits des personnes LGBTQ+. Aujourd’hui, on n’est plus là, explique André Gagné. C’est reconnu historiquement que les groupes de la droite chrétienne ont une facilité sur le plan de la mobilisation politique.»

Une droite chrétienne influente
M. Gagné soutient aussi que la droite chrétienne favorise une perspective biblique et met en avant «des politiques ancrées dans la perspective que la bible est plus valable que la science». Le mariage de personnes de même sexe, l’avortement, les identités de genre, les droits LGBTQ+ et la liberté religieuse sont au cœur des inquiétudes de cette droite, explique-t-il.
   Les groupes de la droite chrétienne ont pris de l’ampleur dans le paysage politique de certains pays, souligne-t-il. Aux États-Unis, 80 % des évangélistes blancs ont voté pour Donald Trump. Parallèlement, au Brésil, 70 % des évangélistes du pays ont voté pour Jair Bolsonaro. M. Gagné constate que certains groupes de la droite chrétienne aux États-Unis ont milité pour faire avancer des lois inspirées du nationalisme chrétien par l’intermédiaire du  projet Blitz. Ainsi, depuis 2017, des motions du projet Blitz forcent des écoles publiques à afficher sur leurs murs la devise «In God we Trust».

Évangélisation politique
Lors de la course à la chefferie du Parti conservateur, M. Scheer a promis de créer un environnement amical pour les personnes voulant légiférer sur la protection des «droits des humains à naître».
   Aujourd’hui, malgré qu’il soit personnellement pro-vie, M. Scheer a assuré que le débat sur l’avortement ne serait pas rouvert s’il était élu. En revanche, certains candidats conservateurs assument leurs positions et se montrent prêts à changer la politique du pays.
   En Colombie-Britannique à Cloverdale, la candidate conservatrice Tamara Jansen, connue pour être une activiste anti-avortement, est aussi membre de l’Association for Reformed Political Action (ARPA), qui selon M. Gagné est un groupe d’évangélisation politique. «Le but de ces gens est de promouvoir une perspective biblique auprès des autorités civiles. Ils s’opposent beaucoup à l’éducation sur l’avortement, à l’éducation non genrée et aux droits des personnes LGBTQ+. Le but des groupes d’évangélisation est d’avoir des gens engagés pour influencer la politique fédérale.»  
   À Ottawa, la candidate conservatrice de Kanata-Carleton, Justina McCaffrey, est quant à elle membre d’Opus Dei, une organisation catholique ultraconservatrice qui condamne l’avortement, l’aide médicale à mourir et qui qualifie l’homosexualité de maladie grave.

Des lobbyistes pro-vie
L’organisme pro-vie Campaign Life Coalition (CLC), un groupe de lobby politique de la droite chrétienne, avait milité pour Andrew Scheer au moment de sa course au leadership.
   Actuellement, ce groupe de lobbyistes tient une liste de candidats pro-vie qui incitent les électeurs à voter pour ceux qui sont contre l’avortement et qui militeront en ce sens à la Chambre des communes.
   Selon des informations obtenues par Métro, 142 candidats fédéraux sont sur la liste pro-vie établie par CLC. Parmi ceux-ci, 47 % appartiennent au Parti conservateur du Canada, et 18 % au Parti populaire du Canada. Les autres sont indépendants ou du parti chrétien Christian Heritage. Parmi les 67 candidats conservateurs, 24 ont rempli des questionnaires pour le groupe stipulant qu’ils voteraient pour des lois limitant l’avortement et l’aide médicale à mourir.
   Questionné à ce sujet, le Parti conservateur a réitéré la position d’Andrew Scheer qui a dit qu’il ne changera pas la loi sur l’avortement s’il est élu premier ministre et a ajouté qu’il ne questionne pas ses candidats sur leurs convictions religieuses.


Une coalition politico-religieuse
Extraits d’un article d’Alec Castonguay | L’actualité, 5 juin 2019

Bien qu’il demeure discret au sujet de ses convictions religieuses, Andrew Scheer est conscient d’attirer une partie du vote catholique, mais aussi d’autres chrétiens, dont les évangéliques, qu’il voit même comme des alliés politiques. Ses appuis proviennent donc, en partie, de ce que les experts appellent «la droite religieuse».
   Bien que catholique, il affirme trouver souvent des alliés sur les questions politiques parmi les protestants pratiquants : «As a practicing Catholic, I get a positive reaction from Catholics. But I also get a positive reaction from ecumenical Christians and evangelical Christians are often my allies on issues.»
   Ce rapprochement entre Catholiques et Protestants suggère également que le statut de chrétien pratiquant prime sur les différences doctrinales. Le terme évangélique est un peu problématique, car c’est un terme fourre-tout. Cette coalition comprend des groupes protestants et catholiques intégristes. Parfois elle reçoit le soutien de groupes mormons, par exemple, même des groupes juifs intégristes», souligne le professeur en études théologiques à l’Université Concordia, André Gagné. Bien que statistiquement peu nombreux, les adeptes de la mouvance évangélique au Canada n’en représentent pas moins un poids politique certain, car ils comptent sur des personnes plus convaincues et mobilisées par rapport au reste de la population, analyse André Gagné. «Ils sont en croisade!» lance-t-il.
   Pour arriver à ses fins, la droite religieuse au Canada constitue des lobbys politico-religieux assez puissants pour attirer l’attention des députés et des ministres. C’est à cette adresse que loge par exemple l’organisme RightNow et son agenda pro-vie.
   Une autre coalition de mouvements chrétiens, TheCry, était également très active dans la campagne électorale. Fondée par Faytene Grasseschi, figure très connue dans le monde évangélique, elle a organisé un 24 heures de prières à Ottawa les 11 et 12 octobre afin que le Canada puisse être dirigé par des ministres et des députés dévoués à Dieu.
   Le professeur André Gagné s’intéresse également à la coalition qui se fait appeler The West Coast Christian Accord qui s’est formée en 2018. Composée de pasteurs évangéliques de partout au Canada, elle leur propose de signer une «déclaration de foi concernant l’autorité des Écritures sur l’identité de genre et la sexualité humaine».
   André Gagné précise que la coalition The West Coast Christian Accord avait récolté 6000 signatures au début août, bien avant le déclenchement de la campagne électorale. «Les signataires viennent d’un peu partout au Canada, majoritairement de l’Ouest canadien. Il y en a également au Québec, en Ontario, dans les Maritimes. Ils ratissent large.»
   L’ensemble de ces coalitions partage un but commun selon le professeur de Concordia. «Leur but n’est pas que politique. Il vise une transformation sociale. C’est cela en général que les gens ne comprennent pas de la droite chrétienne, de ces groupes-là. Le but ultime c’est de changer les mentalités, c’est de changer la société. Pour dominer le monde, ils doivent pénétrer ce qu’ils appellent les sphères de la culture (la religion, l’éducation, la famille, les médias, les arts, la politique, l’économie).»
   «Dans chacune de ces sphères, il y a des personnes influentes, qui sont les dirigeants de ces sphères. Il faut gravir les échelons pour finalement devenir les influenceurs de ces sphères. C’est comme cela qu’ils pénètrent la société. Cela semble être un discours conspirationniste. Mais c’est leur stratégie. C’est ce qu’ils font tranquillement en se faisant élire en politique», affirme André Gagné.
   Peut-on mesurer le poids politique de ces diverses coalitions et de la droite religieuse dans l’ensemble du Canada?
   Le professeur André Gagné reconnait que «la situation n’est pas critique comme elle l’est en ce moment aux États-Unis». Il fait remarquer qu’il a fallu quarante ans à la nouvelle droite politique à faire une percée aux États-Unis.
   «Ce n’est pas quelque chose qui va arriver au Canada demain, croit-il. Mais si nous ne sommes pas conscients qu’il y a des groupes qui se fédèrent autour de […] valeurs bibliques, qui cherchent aussi à susciter une certaine mobilisation, à s’impliquer politiquement pour changer la société à leur image, il n’y a rien qui nous dit que ces groupes-là ne peuvent pas poursuivre leur progression et faire une percée. L’objectif, souligne-t-il, n’est pas de faire peur aux gens. Toutefois, il ne faut pas être dupes et dire que cela ne se peut pas.»
   Le documentariste Jon Kalina, réalisateur du documentaire de 2014 intitulé La droite religieuse au Canada, souligne que ces mouvements chrétiens sont comme des lobbys. «Ils ne sont pas disparus il y a cinq ans, dit-il. Ils existent, tout comme d’autres lobbys au Canada. Nous pouvons discuter de leur véritable influence, mais une chose est certaine c’est qu’il y a bel et bien un lobby religieux au Canada.»
   Jon Kalina croit qu’il faut se demander quel accès au gouvernement la droite religieuse aura sous d’autres premiers ministres. Il rappelle la présence dans plusieurs pays de ces mouvements qui se sentent obligés d’influencer les gouvernements en place. «Pour eux c’est une question de moralité, de vérité.»
   Le documentariste ne croit pas cependant que la droite religieuse canadienne possède autant de pouvoir que celle des États-Unis. «Pourtant, elle a une influence. Pour des raisons liées à l’histoire du Canada, on n’a pas tendance à parler de cette réalité parce que cela ne fait pas très canadien de discuter de l’influence de la religion sur les affaires du pays. Toutefois c’est important d’en parler, surtout si ces groupes de pression ont de l’influence sur les politiques internationales et nationales.»

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(1) La quasi-totalité des promesses d’Andrew Scheer consistaient à ressusciter celles de l’ancien chef conservateur.

Parmi les promesses phares d'Andrew Scheer en 2017

Autoriser la construction de l'oléoduc Énergie Est et accélérer la construction d'infrastructures dans le secteur énergétique;
Abolir la taxe carbone;
Prioriser les réfugiés chrétiens et accueillir ceux qui se trouvent toujours dans leur pays plutôt que ceux qui ont fui;
Contrer les sites d'injection supervisés, les communautés auraient un droit de veto sur leur territoire;
 Protéger la gestion de l'offre;
 Autoriser la propriété étrangère de compagnies aériennes, réduire les taxes aux aéroports;
 Réduire les impôts des entreprises (sans chiffrer cette réduction) et éliminer les subventions;
 Retirer à la GRC la classification des armes à feu;
 Accorder un délai de grâce pour le renouvellement d'un permis en attente d'être délivré et créer un ombudsman des armes à feu;

Un système économique à la Milton Friedman pour qui la libre compétition des agents économiques animés par la recherche du profit constitue le seul vrai moteur du développement économique national et international. Loin d'intervenir comme agent économique, l'État doit favoriser la libre concurrence et opter pour une politique de laisser-faire : moins d’État, moins de bureaucratie, moins d’impôts et plus de revenus. Et surtout aucune solidarité sociale, car l’esprit d’entreprise est brimé par l’idéologie socialiste.

Corporations par Aurélien R.R Bonnetaud / Parodie d'un monde sans failles. 

 
Lorsqu'on évoque des «politiques néolibérales», on se réfère généralement au «consensus de Washington» défini par l'économiste américain John Williamson à la fin des années 1980. Il a posé 10 principes : 1) discipline budgétaire forte, donc peu de déficits; 2) dépenses publiques avec un bon rendement ou une capacité réelle à réduire les inégalités engendrées par le marché; 3) diminution des taux marginaux d'imposition; 4) libéralisation des taux d'intérêts; 5) taux de change compétitifs; 6) libéralisation du commerce extérieur (abaissement des barrières); 7) ouverture aux investissements étrangers; 8) privatisation des entreprises publiques; 9) dérèglementation des marchés intérieurs; 10) protection accrue de la propriété privée (des capitaux, des brevets, des droits d'investir, de vendre et d'acheter).
(Source : Université de Sherbrooke)  

25 octobre 2019

Les enfants pris comme otages

Je lisais les commentaires sur l’homme de 40 ans, Jonathan Pomares, qui s’est enlevé la vie après avoir tué sa fille de 5 ans et son fils de 7 ans (thèse privilégiée par les enquêteurs).
   L’histoire ressemble à celle du cardiologue Guy Turcotte qui avait tué ses deux enfants pour punir son ex-épouse, mais qui avait raté son suicide. L’entourage était stupéfait. Ce sont des histoires d’horreur que personne ne comprend vraiment.
   Donc, l’entourage de Jonathan Pomares était tout aussi incrédule :
«On essaie de comprendre ce qu’il s’est passé ce matin, comment quelqu’un d’aussi enjoué a pu changer comme ça», a réagi le directeur général de ProjetSol, Louis-Simon Larrivée. Le professeur d’ébénisterie du père des enfants, Guy Pépin, a décrit l’homme comme un «boute-en-train» qui taquinait les gens autour de lui et qui avait toujours des photos de ses enfants sur son téléphone. «Je ne l’ai pas vu venir, a-t-il dit. Je suis resté sans mots en apprenant ça.»
   Plusieurs sources ont décrit une scène de crime insoutenable. Des premiers répondants bouleversés ont dû obtenir un soutien psychologique et ont été placés en arrêt de travail.
   En ce qui concerne la mutilation des petites victimes, elle n’est pas inusitée. «Parfois, il peut y avoir une rage épouvantable, une rage absolue, qui fait que les gens ne sont plus eux-mêmes. Il y a aussi des gens qui ont des troubles de personnalité», explique Gilles Tremblay, professeur de criminologie à la retraire.
   Dans un contexte de violence conjugale et familiale, il ne faut pas oublier le contrôle absolu que cherche à exercer la personne, juge Manon Monastesse, directrice de la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes. «Dans ce type de contexte-là, la seule motivation est de se venger de la mère, précise-t-elle. Je vais te faire souffrir en tuant les enfants, tu ne les auras plus avec toi.» (La Presse, 24 octobre 2019)

Le sentiment de rejet associé à une rupture ou un divorce peut soulever beaucoup de frustration et de colère. Tristement, les personnes psychologiquement vulnérables utiliseront la violence comme exutoire.
   «Derrière un pacifisme et même un évangélisme de façade, nous laissons se perpétuer des violences majeures pour peu qu’elles ne concernent que les plus vulnérables, à savoir les femmes et les enfants. L’enjeu de la violence est toujours la domination. Nous avons du mal à croire que la violence conjugale se produit dans des familles ordinaires. On préférerait reléguer cette problématique aux marges, l’attribuer aux classes sociales défavorisées. Or, il existe des individus violents dans tous les milieux. Nous avons du mal à croire, aussi, que la violence soit l’œuvre d’un notable, comme un magistrat ou un médecin, on préfère alors mettre en doute le témoignage de la victime. La violence au sein d’un couple nous touche de si près que la plupart des réactions aux récits des victimes sont excessives, soit dans le sens de la banalisation, soit dans le sens de la médiatisation outrancière.»
~ Marie-France Hirigoyen, psychanalyste et psychothérapeute familiale; Femmes sous emprise Les ressorts de la violence dans le couple

«Nous ne faisons jamais rien gratuitement; le moindre de nos actes s'inscrit dans la logique de l'échange : je fais ceci, d'accord, mais en échange de cela. La vie devient une série de transactions commerciales, sauf que les termes de l'échange sont beaucoup moins clairs que dans nos achats ordinaires. Une bonne partie des rapports familiaux s'inscrivent d'ailleurs dans cette logique vicieuse de l'échange, sous une forme plus subtile – celle du chantage affectif : «Comment, après tout ce que j'ai fait pour toi!».  Il est donc indispensable de se rendre compte à quel point la logique de l'échange domine nos vies, même si cette prise de conscience est douloureuse. Dans la vie, tout tourne toujours autour de ce que veut le moi. Il n’y en a que pour le je : je veux, j’ai envie, je voudrais. Il faut que ma vie soit exactement telle que je la voudrais. Voilà la clé du décalage, de ce petit quart de poil qui chamboule tout. Tous autant que nous sommes, nous avons notre image idéale de la vie et nous voudrions tant qu’elle se réalise. Une vie confortable, agréable, avec des lendemains qui chantent. Les lendemains? Mais le futur n’existe pas... Alors, qui peut vous garantir que vos lendemains vont chanter? Une fois qu’on découvre l’inconfort et les angoisses du moi, arrive le moment crucial du choix : soit faire comme si de rien n’était, soit trouver le moyen de faire sortir le moi à l’air frais et à la lumière, pour laisser respirer cette pauvre créature crispée qui étouffe.» (Charlotte Joko Beck, Soyez zen)

Le documentaire In the Heart of Gold, est très révélateur : on ferme les yeux sur des situations ignobles pour des promesses de succès et de gloire. Les gens croyaient que le médecin et entraîneur sportif Larry Nassar aimait les jeunes gymnastes dont il s’occupait. Stupéfiant de voir comment ce prédateur a camouflé ses agressions sexuelles en série pendant 20 ans, prétendant qu’elles faisaient partie de sa recette de traitement antidouleur. Derrière le masque du médecin charmant et respecté qui soignait les maux et les douleurs des jeunes athlètes, qui enseignait à l’église et faisait du bénévolat dans la communauté, se cachait un répugnant pédophile qui a agressé au moins 265 jeunes femmes et enfants. Sa première victime connue est la fille de son meilleur ami. Elle avait 6 ans lorsque Nassar l’a agressée sexuellement. Lors du procès elle a décrit la scène en détail, regrettant que ses parents n’aient pas cru son récit à l’époque. C’est là que le bât blesse. Quand des victimes ont commencé à dénoncer Nassar, on a refusé de les croire. Comme le souligne Hirigoyen, si le prédateur est drapé d’une quelconque notoriété publique, c’est encore plus difficile – s’instaurent la solidarité des institutions, la loi du silence, la négation, le chantage, les menaces...

Ce documentaire très bien construit révèle les dessous de l’enquête qui a mené au procès du psychopédophile. Un procès exemplaire, on doit le dire. Bravo à toutes les personnes qui ont contribué, des victimes aux journalistes d'enquête à la juge Janice Cunningham.


At the Heart of Gold

Erin Lee Carr 2019 1:28:30

At the Heart of Gold: Inside the USA Gymnastics Scandal reveals a dangerous athletic culture that prioritised winning over everything else, including protecting young female athletes. For more than 30 years, Larry Nassar worked with gymnasts, as a respected trainer and doctor. He was charming, taught at church, volunteered in the community, and was seemingly well-liked throughout. He treated girls’ aches and pains, becoming a friend and confidant to many along the way, while also sexually abusing them during sessions for many years. When some girls began to speak up about their experiences, they were silenced, gaslighted or denied, all the way up to the highest levels of management, across multiple sporting institutions. After many complaints and eventually a cumulative legal investigation, Nassar ends up exposed as a serial sex offender. This film unpacks the scandal, its cover-up, and aftermath, through interviews with dozens of survivors, as well as coaches, lawyers and journalists, as one of the most high-profile paedophile trials in recent years. It documents the grooming, methods, and psychology of a charismatic sexual abuser, as well as the culture that enables and perpetuates it.

Les peines de prison s'accumulent pour l'ex-médecin sportif Larry Nassar

Radio-Canada, 5 février 2018

Déjà condamné à des dizaines d'années de prison lors de ses deux premiers procès, l'ex-thérapeute sportif Larry Nassar a été condamné cette fois à une peine supplémentaire de 40 à 125 années de prison à l'issue d'un troisième procès pour agression sexuelle sur des gymnastes américaines, lundi à Charlotte, au Michigan.
   L'ancien médecin de la Fédération américaine de gymnastique avait d'abord écopé d'une peine de 60 ans de prison, le 7 décembre 2017, pour possession de matériel pornographique juvénile devant un tribunal du Michigan.
   Puis, jugé à la fin janvier 2018, cette fois pour avoir agressé sexuellement des dizaines de femmes, dont des athlètes olympiques ou leurs proches, Larry Nassar avait hérité d'une peine variant de 40 à 175 ans de prison au terme des témoignages de plus de 160 femmes à Lansing, au Michigan.
   Les agressions sexuelles ont été commises sur une période de 20 ans alors qu'il travaillait pour USA Gymnastics ainsi qu'à l'Université du Michigan.
   Enfin, le thérapeute sportif de 54 ans a écopé d'une peine supplémentaire de 40 à 125 ans de prison à l'issue d'un troisième procès tenu cette fois dans la ville de Charlotte, au Michigan, mettant un terme à la saga judiciaire entourant ce que les médias américains ont qualifié de plus grand scandale de l'histoire du sport américain.
   Au cours de ce procès, Larry Nassar avait plaidé coupable à trois chefs d'accusation supplémentaires d'agression et de délinquance sexuelle. Au moins 65 victimes présumées avaient demandé à témoigner au cours du procès qui portait sur une série d'agressions commises au centre d'entraînement Twistars.

Des victimes du docteur Nassar (source : NY Times) 

Des centaines d'agressions
Toutes victimes confondues, Larry Nassar aurait agressé sexuellement au moins 265 jeunes femmes et enfants.
   S'adressant à la cour, Larry Nassar a présenté des excuses pour les gestes qu'il a commis en ajoutant que les déclarations des victimes l'avaient «affecté au plus profond de son coeur».
   «Cela étant dit, je comprends et reconnais que c'est peu par rapport à la douleur, au traumatisme et aux émotions que vous ressentez tous», a-t-il déclaré à l'intention des victimes et de leurs proches présents dans la salle. «Il est impossible de transmettre à toutes les personnes impliquées la profondeur et l'ampleur de mes regrets. Les visions de vos témoignages seront toujours présentes dans mes pensées.»
   Lors du prononcé de la peine, la juge Janice Cunningham a émis des doutes sur les remords de l'accusé.
   «Je ne suis pas convaincu que vous compreniez vraiment que ce que vous avez fait était mal et l'impact dévastateur que vous avez eu sur les victimes, la famille et les amis.» ~ Propos de la juge Janice Cunningham  (1)  

Un procès mouvementé
Vendredi dernier, le procès avait pris une tournure inattendue lorsque le père de trois jeunes femmes victimes de Larry Nassar s'est rué sur lui en plein procès pour lui faire un mauvais parti.
   L'homme, qui venait d'entendre les témoignages difficiles de deux de ses filles qui avaient relaté les agressions dont elles avaient été victimes, avait alors demandé à la juge de pouvoir passer cinq minutes seul avec l'accusé dans une pièce fermée.
   La magistrate avait refusé sa requête et c'est à ce moment qu'il s'est rué sur l'accusé avant d'être maîtrisé par les gardes de sécurité dans la salle d'audience. Le père a été banni de la salle d'audience par la juge Cunningham.
   Cet immense scandale sexuel a profondément secoué l'univers sportif américain et les organismes qui régissent la gymnastique où les démissions se sont multipliées les unes après les autres ces derniers mois, lorsque l'affaire a éclaté au grand jour.
   De nombreuses victimes ont par ailleurs dénoncé le silence qui entourait les pratiques de Larry Nassar tandis que d'autres ont accusé la fédération et les conseils d'administration d'avoir fait de l'aveuglement volontaire dans cette affaire.

(1) La juge Janice Cunningham, laissant tomber la lettre d’excuses de plusieurs pages de Nassar sur le bureau, déclara qu’elle ne la lirait pas en public parce que l’accusé pose en victime «il ne parle que de lui et se demande s’il sera capable d’entendre la suite des témoignages pendant encore quatre jours». L’accusé lit donc un court message d’excuses s’adressant aux victimes. Ensuite, juste avant de rendre son verdict, la juge dira ceci :
   “I do want to read more of your letter. And the reason I want to do that is because I’ve considered it in sentencing as an extension of your apology and whether I believe it or not. So I want you to hear your words: ‘The media convinced them that what I did was wrong and bad. ... Hell has no fury like a woman scorned’.”
   “That line says it all; he has no respect for women.” (Janice Cunningham)

À l’instar de l’industrie du spectacle et du divertissement, l’industrie du sport, notamment olympique, est un terrain extrêmement favorable à la criminalité et à la corruption. Les fédérations sportives, les comités organisateurs des jeux, les commanditaires, le crime organisé, tout ce beau monde a les deux pieds dedans et veut sa part de profit. Seuls les athlètes médaillé/e/s tireront des privilèges et des revenus de ces compétitions. Les perdant/e/s poursuivront leur quête de médailles, s’exposant potentiellement à des agressions sexuelles et à de la violence psychologique et physique. Ils seront peut-être même cobayes pour la recherche sur les drogues : dopage génétique, agents anabolisants, hormones, agents masquants, stimulants, narcotiques, etc.

La compétition est une drogue dure. La modération aurait meilleur effet.

340 entraîneurs accusés de délits sexuels au Canada en 20 ans, plus de 600 victimes

Radio-Canada, 10 février 2019

D'après une enquête de Lori Ward et Jamie Strashin, en collaboration avec Marie Malchelosse

Une enquête conjointe de CBC News et de CBC Sports, à laquelle Radio-Canada Sports a contribué, a mis au jour un nombre inquiétant d'entraîneurs de jeunes athlètes qui ont été accusés de délits sexuels envers des mineurs. En prenant connaissance de cette enquête, des experts demandent une réforme majeure de l'ensemble du monde du sport canadien.
   Dans les 20 dernières années (1998-2018), période que couvre cette enquête, 340 entraîneurs du sport amateur au Canada ont été accusés d’un délit sexuel. Au total, 222 de ces accusations ont donné lieu à des condamnations pour des gestes envers 603 victimes mineures. Et le problème persiste. En date du 25 janvier 2019, notre enquête a relevé que 34 dossiers additionnels étaient toujours devant les tribunaux.
   «Il y a une fausse sensation de sécurité quand vous laissez votre enfant à son club sportif. L’encadrement le moins structuré est au niveau des clubs.» ~ Lorraine Lafrenière, chef de direction de l'Association des entraîneurs du Canada
   Pour créer sa base de données, CBC News et CBC Sports ont fouillé des milliers de dossiers judiciaires, d’articles journalistiques et ont visité d’innombrables tribunaux, sans se limiter au sport de haute performance. L’équipe a tenté de recueillir toute l’information disponible sur ceux qui dirigent ou surveillent les centaines de milliers de jeunes canadiens qui, chaque année, sont inscrits dans une panoplie d’activités sportives.
   Ce qui a émergé de ces recherches est un portrait dérangeant de l’ampleur des délits sexuels commis par des entraîneurs ou des personnes en position de pouvoir dans le sport amateur canadien depuis 20 ans.
   Les 340 accusations vont de l’agression sexuelle à l’exploitation sexuelle en passant par le leurre d’enfants et la fabrication ou la possession de matériel pornographique juvénile.
   Même si les victimes n’ont pas systématiquement été des athlètes s’entraînant sous la responsabilité de l’entraîneur inculpé, les accusations remettent en doute la sécurité du système sportif canadien pour les athlètes de tous âges, peu importe leur pratique sportive.
   Pour les chercheuses Sylvie Parent ainsi que l’ancienne avironneuse olympique et professeure à l’Université de Winnipeg Sandra Kirby, les données recueillies par CBC/Radio-Canada constituent seulement « la pointe de l’iceberg » des délits commis par des entraîneurs au pays.
   Notre enquête a répertorié 603 victimes. Mais selon l'ancienne athlète olympique Sandra Kirby, aujourd'hui professeure à l'Université de Winnipeg et experte internationale en matière d'abus dans le sport, il pourrait y avoir plusieurs autres milliers de cas qui n'ont jamais été signalés.
   «C’est un problème qui touche tous les sports. Aucun sport n’est épargné», insiste Sandra Kirby, qui souligne que si un sport n’apparaît pas dans la base de données, cela ne signifie pas qu’il n’y a pas eu de cas, mais qu’aucune accusation criminelle n’a été déposée.
   «Il y a un danger de se dire que ça se passe dans le monde du hockey, ou de la gymnastique ou du ski alpin. C’est le système qui est le problème, insiste Lorraine Lafrenière. Les prédateurs sont des personnes rusées qui cherchent des points d’accès. Alors, s’ils entrent dans un vestiaire ou un gymnase et qu’ils voient des jeunes sans surveillance ou qu’ils peuvent isoler, alors c’est là qu’ils vont aller
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L’ancien bosseur Jean-Luc Brassard croit que la course au succès peut créer un aveuglement chez les parents et les athlètes : «Il y a des programmes qui donnent de l’argent aux fédérations seulement si elles récoltent des médailles, dit-il. On a une culture de succès qu’on devrait peut-être changer de prime abord. Ce n’est pas seulement les fédérations, ce sont les parents aussi [...]. Il faut leur dire : Laissez vos enfants s’épanouir en faisant du sport et on va s’organiser pour que la supervision soit adéquate. Mais ne leur mettez pas trop de pression, parce que ça peut mener à tous les vices.»

Photo AFP 

En effet, au Canada, les athlètes n’échappent pas au système pourri qui favorise les abus.
Parmi les cas les plus médiatisés : 

– Bertrand Charest : l’ex-entraîneur de ski a partiellement obtenu gain de cause devant la Cour d'appel; le tribunal maintient le verdict de culpabilité pour 16 des 37 chefs d'accusation portés contre lui, mais réduit sa peine de prison de deux ans, passant à 10 ans et 3 mois. En juin 2017, Bertrand Charest avait été reconnu coupable de crimes de nature sexuelle contre neuf plaignantes, notamment des relations sexuelles complètes avec certaines des adolescentes, alors qu'il était en position d'autorité. L'une d'entre elles s'était retrouvée enceinte et Charest l'avait emmenée se faire avorter.

– Dave Brubaker : l’ancien entraîneur de l'équipe féminine canadienne de gymnastique a été déclaré non coupable, à la conclusion de son procès pour agression sexuelle et incitation à des attouchements sexuels, à Sarnia, en Ontario. La juge Deborah Austin a jugé sincère le témoignage de la plaignante, mais a noté des failles dans la façon dont l'enquête policière a été menée. Brubaker a nié toute intention à caractère sexuel, même s’il embrassait la plaignante sur les lèvres à chaque fois qu’il la voyait. La femme, premier témoin appelé à la barre, a aussi affirmé que Dave Brubaker lui prodiguait régulièrement des massages pour soulager ses douleurs, mais parfois au haut de la cuisse, dans ses sous-vêtements, jusqu'autour du pubis. Parfois aussi, il lui tapait les fesses en la serrant dans ses bras pour lui dire au revoir. Il a expliqué qu’il palpait le haut de sa cuisse, près de son pubis, de même que les muscles pectoraux près de ses seins, pour améliorer ses performances sportives. 

– Michel Arsenault : l’ex-entraîneur à Gymnastique Canada, Michel Arsenault, aurait eu des comportements inappropriés envers ses athlètes : intimidation, violence verbale et physique, agressions sexuelles et voies de fait. Radio-Canada Sports a recueilli plusieurs témoignages, dont ceux de trois femmes qui soutiennent avoir été agressées sexuellement par lui alors qu'elles étaient mineures. Humiliation et propos dénigrants auraient fait partie du quotidien des gymnastes entraînées par Michel Arsenault. Il aurait peu à peu instauré un régime duquel les parents étaient exclus. Des rideaux auraient notamment été installés afin que les parents ne puissent voir leurs enfants s’entraîner. «Tu parles de moins en moins à tes parents de ce que qui se passe au gym, parce que tu sens que tu es en train de trahir celui qui va t’emmener sur le podium olympique, celui qui te promet de vivre ton rêve de petite fille. Tu es vraiment dans un conflit de loyauté entre lui, qui se donne des airs de maître, de dieu, de demi-dieu, et tes parents», rapportait une plaignante. En avril 2019, l’enquête préliminaire suivait son cours.  

Données cueillies sur divers médias (La Presse, Radio-Canada...)