Avec le web,
nous avons acquis le don d’ubiquité, un pouvoir autrefois réservé à «dieu». Aujourd’hui,
on vogue simultanément dans le passé et le présent à la vitesse d’un click. Si
vous n’avez pas publié de photos de vos partys de jeunesse sur le net, d’anciennes
connaissances pourraient s’en charger... avec plaisir.
Je me
souviens être allée à des partys costumés, déguisée en africaine, indienne (pardon, autochtone), mexicaine, espagnole et ainsi de suite. Par chance que je ne
suis pas candidate, je pourrais être accusée de racisme ou d’appropriation
culturelle. Rappelons-nous le spectacle annulé SLAV monté par Robert Lepage. Aïe, c’est de
plus en plus compliqué!
Durant les
quatre dernières années tout le monde a pu remarquer que Trudeau adore
s’harmoniser aux communautés qu’il visite en portant des déguisements
contextuels – indien, autochtone, chinois, cowboy, etc. C’est dans son héritage
patriarcal paternel (Trudeau père était comme ça). Justin a peut-être raté sa vocation, soit
être comédien. Par contre, pour être politicien il faut être comédien; certains
sont simplement plus bouffons que d’autres.
Loin de moi l’envie
de défendre Justin Trudeau. Mais le traiter comme s’il avait commis un crime
est disproportionné. Les leaders des partis adverses ont sauté sur l’occasion. Un
vrai panier de crabes. Mais, fouillez donc le passé de ces critiques et vous
trouverez des tas de choses pas très «catholiques». Pendant ce temps-là, on oublie
les positions d’extrême droite d’Andrew Scheer (PCC) et de ses candidat/e/s
évangéliques, homophobes, anti-choix, anti-immigration (voire racistes), pro-pétrole,
et leur intention de nous enfoncer le pipeline Énergie Est dans la gorge s’ils sont
élus. Pf!
L’autoroute
de l’enfer est pavée de rectitude politique.
Je comprends
le principe du «politiquement correct» contemporain, qui entend protéger les
victimes de discrimination, racisme, xénophobie et autres. Cependant, «l’intolérance
des tolérants» fait en sorte qu’on a tendance à voir de la malveillance, de la persécution
et du racisme partout. Je ne veux pas minimiser non plus les enjeux moraux et les
problèmes de fond des minorités culturelles, mais, je me demande si nous sommes
capables, tous autant que nous sommes, de sortir de notre propre cage – quelle
que soit notre couleur, race ou ethnie.
Comme disait
Leonard Cohen : «Nous sommes
fatigués d’être blancs et nous sommes fatigués d’être noirs, et nous allons
cesser d’être blancs et nous allons cesser dorénavant d’être noirs.»
(Fatigués, Livre du constant désir)
Les deux
meilleurs commentaires sur cette stupide controverse. Je suis entièrement
d’accord avec leurs propos. J’ai aussi pensé hier que Justin Trudeau n’avait
pas à s’excuser. Qui n’a pas fait de conneries au cours de sa vie? La
preuve : criez «espèce de con!» dans la rue et tout le monde se
retourne...
«Blackface» : une affaire de
politiciens blancs, dénonce Dany Laferrière
Hugo Prévost Radio-Canada,
19 septembre 2019 | 21 h 05
L'écrivain et
académicien Dany Laferrière dénonce vivement le traitement politique et
médiatique de la controverse provoquée par la publication d'une photo de Justin
Trudeau en «brownface» et « blackface », estimant même que les adversaires du
chef libéral font preuve d'«hypocrisie» dans cette affaire.
En entrevue à l'émission 24/60, sur les
ondes d'ICI RDI, l'auteur déplore que l'on oublie le contexte de la première
photo qui a alimenté l'affaire, publiée mercredi soir par le magazine américain
Time, où l'on peut voir M. Trudeau déguisé pour ressembler à Aladin, dans Les
mille et une nuits.
«Aladin ne se réfère pas à un être
vivant, c’est un personnage littéraire», affirme ainsi M. Laferrière.
Celui-ci est d'ailleurs catégorique : le
geste posé par M. Trudeau n'est pas un acte de blackface. «Il faut qu’il
y ait une volonté certaine de vouloir ridiculiser et déshumaniser l’autre, et
dans le cas de la première image que j’ai vue, où il était accompagné d’une
jeune femme magnifique, et où il avait un très beau turban, et les femmes ne
semblaient pas effrayées par sa présence… Aux États-Unis, quand on faisait du
"blackface" pour ridiculiser, on mettait un regard effrayé, de
grosses lèvres, des yeux un peu entourés de blanc pour obtenir un regard à la
fois effrayé et effrayant.»
De fait, pour l'écrivain, l'affaire est
avant tout politique. Voilà pourquoi il juge que non seulement il n'a pas à
accepter les excuses du chef libéral, présentées mercredi soir, puis encore une
fois jeudi, mais que les excuses en question «n'ont rien à voir avec cette
histoire».
«C'est la politique, c'est l'Amérique du
Nord. Nous nous disons société laïque, mais en fait, nous sommes toujours dans
la confession publique.» (Dany Laferrière)
Article
intégral :
Commentaire du
président de la Ligue des Noirs du
Québec, Dan Philip.
Radio-Canada
| 19 septembre 2019 | 15 h 42 :
La Ligue des
Noirs du Québec estime que les personnes
qui critiquent le chef du Parti libéral du Canada, Justin Trudeau, pour les images passées où on le voit
en ‘brownface’, «nagent dans un bassin
d’hypocrisie, car ils n’ont rien fait pour promouvoir l’intérêt de la
communauté noire et culturelle».
Le groupe de défense des droits de la
communauté noire croit que le chef
libéral ne devrait même pas avoir à répondre aux questions ou encore à
s’excuser.
La Ligue juge que le chef libéral «démontre
sa sensibilité pour les peines de toutes les communautés».
En ce qui me concerne, je
connais très peu de gens qui ne portent pas de masques en société...
En écoutant cette pièce de l’album Ubiquité, je voyais un noir marchant lentement sur les berges d’une rivière. Puis, j’ai pensé à la poésie afro-américaine, et enfin au célèbre poème de Dunbar. Voilà pour le fil conducteur de mes élucubrations.
Paul Laurence
Dunbar avait une intuition aiguë de la double conscience à l’œuvre au cœur de
sa poésie, et il devait la déplorer dans son poème le plus célèbre, figurant
dans maintes anthologies : «We Wear the Mask» / «Nous portons le masque».
We Wear the Mask
WE wear the mask that grins and lies,
It hides our cheeks and shades our eyes, –
This debt we pay to human guile;
With torn and bleeding hearts we smile,
And mouth with myriad subtleties.
Why should the world be over-wise,
In counting all our tears and sighs?
Nay, let them only see us, while
We wear the mask.
We smile, but, O great Christ, our cries
To thee from tortured souls arise.
We sing, but oh the clay is vile
Beneath our feet, and long the mile;
But let the world dream otherwise,
We wear the
mask!
Nous portons le masque
Nous portons
le masque grimaçant du mensonge,
Qui couvre
nos joues et accoutre nos yeux, –
À la
duplicité humaine nous payons cette dette;
Nous sourions,
cœur déchiré, saignant,
Et déclamons
des myriades de subtilités.
Pourquoi le
monde serait-il juste à l’excès,
À compter nos
larmes et nos soupirs?
Non, qu’ils
nous voient seulement, alors
Que nous
portons le masque.
Nous
sourions, mais, Ô Christ tout-puissant, nos cris
Vers toi
montent de nos âmes torturées.
Nous
chantons, mais comme la glaise est vile
Sous nos
pieds, et long le chemin;
Mais que le
monde ait d’autres rêves,
Nous portons
le masque!
Dans cette
œuvre, il est important d’observer que, même si le poète concède que c’est
peut-être la double conscience qui a forcé les Afro-Américains à «porter le
masque» de la capitulation et du compromis, il précise également qu’elle les a
également dotés d’une «bouche aux myriades de subtilités». Ce que signale le
poème, ce n’est pas seulement une dénonciation du carcan déformant imposé aux
écrivains afro-américains par l’esthétique dominante, mais, de façon plus
significative, une affirmation de la capacité de ce même écrivain à transcender
la condition de double conscience et à adapter sa voix à ses contraintes
restrictives d’une manière positive et créatrice.
Source :
OpenEdition; Mémoire(s), identité(s), marginalité(s) dans le monde occidental
contemporain | Cahiers du MIMMOC
La représentation et la poétisation de
l’esclavage dans diverses productions américaines de la fin du XIXe siècle; par Geoffrey Pitcher
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