19 septembre 2019

Blackface, brownface, redface, yellowface...

«Pourquoi payer pour retrouver votre ascendance généalogique? Entrez en politique et vos adversaires s’en chargeront.» Même chose pour les «erreurs» qu’un politicien aurait pu commettre.

Avec le web, nous avons acquis le don d’ubiquité, un pouvoir autrefois réservé à «dieu». Aujourd’hui, on vogue simultanément dans le passé et le présent à la vitesse d’un click. Si vous n’avez pas publié de photos de vos partys de jeunesse sur le net, d’anciennes connaissances pourraient s’en charger... avec plaisir.

Je me souviens être allée à des partys costumés, déguisée en africaine, indienne (pardon, autochtone), mexicaine, espagnole et ainsi de suite. Par chance que je ne suis pas candidate, je pourrais être accusée de racisme ou d’appropriation culturelle. Rappelons-nous le spectacle annulé SLAV monté par Robert Lepage. Aïe, c’est de plus en plus compliqué!

Durant les quatre dernières années tout le monde a pu remarquer que Trudeau adore s’harmoniser aux communautés qu’il visite en portant des déguisements contextuels – indien, autochtone, chinois, cowboy, etc. C’est dans son héritage patriarcal paternel (Trudeau père était comme ça). Justin a peut-être raté sa vocation, soit être comédien. Par contre, pour être politicien il faut être comédien; certains sont simplement plus bouffons que d’autres.

Loin de moi l’envie de défendre Justin Trudeau. Mais le traiter comme s’il avait commis un crime est disproportionné. Les leaders des partis adverses ont sauté sur l’occasion. Un vrai panier de crabes. Mais, fouillez donc le passé de ces critiques et vous trouverez des tas de choses pas très «catholiques». Pendant ce temps-là, on oublie les positions d’extrême droite d’Andrew Scheer (PCC) et de ses candidat/e/s évangéliques, homophobes, anti-choix, anti-immigration (voire racistes), pro-pétrole, et leur intention de nous enfoncer le pipeline Énergie Est dans la gorge s’ils sont élus. Pf!

L’autoroute de l’enfer est pavée de rectitude politique.   

Je comprends le principe du «politiquement correct» contemporain, qui entend protéger les victimes de discrimination, racisme, xénophobie et autres. Cependant, «l’intolérance des tolérants» fait en sorte qu’on a tendance à voir de la malveillance, de la persécution et du racisme partout. Je ne veux pas minimiser non plus les enjeux moraux et les problèmes de fond des minorités culturelles, mais, je me demande si nous sommes capables, tous autant que nous sommes, de sortir de notre propre cage – quelle que soit notre couleur, race ou ethnie.

Comme disait Leonard Cohen : «Nous sommes fatigués d’être blancs et nous sommes fatigués d’être noirs, et nous allons cesser d’être blancs et nous allons cesser dorénavant d’être noirs.» (Fatigués, Livre du constant désir)

Les deux meilleurs commentaires sur cette stupide controverse. Je suis entièrement d’accord avec leurs propos. J’ai aussi pensé hier que Justin Trudeau n’avait pas à s’excuser. Qui n’a pas fait de conneries au cours de sa vie? La preuve : criez «espèce de con!» dans la rue et tout le monde se retourne...

«Blackface» : une affaire de politiciens blancs, dénonce Dany Laferrière

Hugo Prévost Radio-Canada, 19 septembre 2019 | 21 h 05

L'écrivain et académicien Dany Laferrière dénonce vivement le traitement politique et médiatique de la controverse provoquée par la publication d'une photo de Justin Trudeau en «brownface» et « blackface », estimant même que les adversaires du chef libéral font preuve d'«hypocrisie» dans cette affaire.
   En entrevue à l'émission 24/60, sur les ondes d'ICI RDI, l'auteur déplore que l'on oublie le contexte de la première photo qui a alimenté l'affaire, publiée mercredi soir par le magazine américain Time, où l'on peut voir M. Trudeau déguisé pour ressembler à Aladin, dans Les mille et une nuits.
   «Aladin ne se réfère pas à un être vivant, c’est un personnage littéraire», affirme ainsi M. Laferrière.
   Celui-ci est d'ailleurs catégorique : le geste posé par M. Trudeau n'est pas un acte de blackface. «Il faut qu’il y ait une volonté certaine de vouloir ridiculiser et déshumaniser l’autre, et dans le cas de la première image que j’ai vue, où il était accompagné d’une jeune femme magnifique, et où il avait un très beau turban, et les femmes ne semblaient pas effrayées par sa présence… Aux États-Unis, quand on faisait du "blackface" pour ridiculiser, on mettait un regard effrayé, de grosses lèvres, des yeux un peu entourés de blanc pour obtenir un regard à la fois effrayé et effrayant.»
   De fait, pour l'écrivain, l'affaire est avant tout politique. Voilà pourquoi il juge que non seulement il n'a pas à accepter les excuses du chef libéral, présentées mercredi soir, puis encore une fois jeudi, mais que les excuses en question «n'ont rien à voir avec cette histoire».
   «C'est la politique, c'est l'Amérique du Nord. Nous nous disons société laïque, mais en fait, nous sommes toujours dans la confession publique.» (Dany Laferrière)

Article intégral :

Commentaire du président de la Ligue des Noirs du Québec, Dan Philip.

Radio-Canada | 19 septembre 2019 | 15 h 42 :

La Ligue des Noirs du Québec estime que les personnes qui critiquent le chef du Parti libéral du Canada, Justin Trudeau, pour les images passées où on le voit en ‘brownface’, «nagent dans un bassin d’hypocrisie, car ils n’ont rien fait pour promouvoir l’intérêt de la communauté noire et culturelle».
   Le groupe de défense des droits de la communauté noire croit que le chef libéral ne devrait même pas avoir à répondre aux questions ou encore à s’excuser.
La Ligue juge que le chef libéral «démontre sa sensibilité pour les peines de toutes les communautés».

En ce qui me concerne, je connais très peu de gens qui ne portent pas de masques en société...

 

En écoutant cette pièce de l’album Ubiquité, je voyais un noir marchant lentement sur les berges d’une rivière. Puis, j’ai pensé à la poésie afro-américaine, et enfin au célèbre poème de Dunbar. Voilà pour le fil conducteur de mes élucubrations.

Paul Laurence Dunbar avait une intuition aiguë de la double conscience à l’œuvre au cœur de sa poésie, et il devait la déplorer dans son poème le plus célèbre, figurant dans maintes anthologies : «We Wear the Mask» / «Nous portons le masque».


We Wear the Mask

WE wear the mask that grins and lies,
It hides our cheeks and shades our eyes, –
This debt we pay to human guile;
With torn and bleeding hearts we smile,
And mouth with myriad subtleties.
Why should the world be over-wise,
In counting all our tears and sighs?
Nay, let them only see us, while
We wear the mask.
We smile, but, O great Christ, our cries
To thee from tortured souls arise.
We sing, but oh the clay is vile
Beneath our feet, and long the mile;
But let the world dream otherwise,
We wear the mask!

Nous portons le masque

Nous portons le masque grimaçant du mensonge,
Qui couvre nos joues et accoutre nos yeux, –
À la duplicité humaine nous payons cette dette;
Nous sourions, cœur déchiré, saignant,
Et déclamons des myriades de subtilités.
Pourquoi le monde serait-il juste à l’excès,
À compter nos larmes et nos soupirs?
Non, qu’ils nous voient seulement, alors
Que nous portons le masque.
Nous sourions, mais, Ô Christ tout-puissant, nos cris
Vers toi montent de nos âmes torturées.
Nous chantons, mais comme la glaise est vile
Sous nos pieds, et long le chemin;
Mais que le monde ait d’autres rêves,
Nous portons le masque!

Dans cette œuvre, il est important d’observer que, même si le poète concède que c’est peut-être la double conscience qui a forcé les Afro-Américains à «porter le masque» de la capitulation et du compromis, il précise également qu’elle les a également dotés d’une «bouche aux myriades de subtilités». Ce que signale le poème, ce n’est pas seulement une dénonciation du carcan déformant imposé aux écrivains afro-américains par l’esthétique dominante, mais, de façon plus significative, une affirmation de la capacité de ce même écrivain à transcender la condition de double conscience et à adapter sa voix à ses contraintes restrictives d’une manière positive et créatrice.

Source : OpenEdition; Mémoire(s), identité(s), marginalité(s) dans le monde occidental contemporain | Cahiers du MIMMOC
La représentation et la poétisation de l’esclavage dans diverses productions américaines de la fin du XIXe siècle; par Geoffrey Pitcher

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