Caricature :
Serge Chapleau (La Presse 09.01.2019)
Pendant
les fêtes, j’ai revu en rafale mes DVD de la série The Handmaid’s Tale (saisons
1 et 2). Ce faisant, j’ai souffert d’une overdose
de : Sous Son Oeil (Under His
Eye), Béni soit le fruit (Blessed be
the fruit), Que le Seigneur Ouvre (May The Lord Open) Louons-le (Praise be), Jour
béni (Blessed Day)... jusqu'à la nausée.
Mais il y a pire. Certaines scènes sont
d’une violence perverse. Par exemple, à la suggestion de sa digne épouse Serena, le
commandant Fred Waterford viole June/Defred avec une brutalité inouïe afin de
provoquer l’accouchement (Serena a hâte de prendre possession du bébé tant
désiré). L’assujettissement sexuel fait partie du système – les hommes se donnent
le droit de posséder et de maltraiter le corps des femmes, et malheur à celles qui voudraient résister.
«Les
hommes ont peur que les femmes se moquent d’eux; les femmes ont peur que les
hommes les tuent.» ~ June/Defred, saison 2
Eh
oui, le contexte est tristement déprimant et révoltant. Mais plus on regarde,
plus on fait de liens avec les tsunamis politico-religieux qui déferlent sur le
monde. Plus on réalise que ce n’est même pas une dystopie, qu’on y expose
simplement ce qu’un régime militarisé, autoritaire et Théocratique signifie en perte
des droits individuels et collectifs : guerre, forces armées omniprésentes,
castes, hommes au pouvoir, femmes au foyer, individus privés de liberté, contrôle
du corps de la femme, surveillance, dénonciations, trahison – tous les ingrédients
naturels d’une dictature sont réunis. Les hommes ne se sont jamais privés de tuer au nom de «Dieu»...
Patriarcat créationniste :
1. Dieu
au-dessus de toutes les créatures
2.
Hommes au-dessus des femmes, enfants, animaux, et nature
3.
Femmes au-dessus des enfants
4.
Humains (globalement) au-dessus des animaux
5.
Animaux au-dessus de la nature ou ex aequo
6.
Nature en dessous de tout
Voilà
la pyramide d’autorités auxquelles chaque catégorie d’inférieurs doit se
soumettre. Cet état de chose perdure parce que ce sont les hommes qui, encore
aujourd’hui, désignent le rang qu’occuperont les «autres». Puisque l’homme se
prend pour le roi de la création après «Dieu», cela lui assure le droit de vie
ou de mort sur tout ce qui est «en dessous» de lui. C’est la principale cause
de toutes les horreurs qu’on a vues et qu’on voit sur la planète!
Le Brésil : un duplicata de la République de Gilead (note 1)
Le
slogan NOLITE TE BASTARDES CARBORUNDORUM a inspiré les designers de T-shirts et de tatouages
“Don't
let the bastards grind you down” / «Ne laissez pas les salauds vous
tyranniser» – une blague d’étudiant en faux latin explique le commandant
Waterford à June/Defred dans la première saison (note 2)
La
saison 2 de la série a été diffusée entre avril et juin 2018, au moment où la «gestion»
de la crise des immigrants illégaux atteignait un paroxysme. Un critique disait
au scénariste / réalisateur Bruce Miller : «Vous écrivez ces histoires des
mois à l'avance, puis elles atterrissent avec cet impact horrible qui fait écho
à l’actualité au moment de leur diffusion.»
Affrontant
la grogne croissante de la classe politique américaine face à la politique de
«tolérance zéro» vis-à-vis des immigrants illégaux, qui comprend la séparation
des familles, le président Donald Trump persiste et signe. Le locataire de la
Maison-Blanche propose une sortie de crise... à la condition de financer son «mur
frontalier» avec le Mexique.
En mai 2018, la manière de contrôler
l’arrivée des immigrants illégaux consistait à les garder en détention dans des
cages, à leur arracher leurs enfants (une loi interdit de les emprisonner) et à
confier ces derniers à des familles d’accueil par le biais d’organismes de
charité comme Bethany Christian Services. Les illégaux viennent principalement
du Mexique, du Honduras, du Guatemala et du Salvador.
La procédure ayant soulevé l’indignation
des Américains, et les Nations Unies jugé la pratique de séparer les
immigrants illégaux de leurs enfants «inadmissible» et «cruelle», il fut alors question de réunifier les
familles. Comment fait-on pour retrouver les parents sans papiers d’enfants non
identifiés (sans noms) parfois envoyés à de grandes distances des lieux
d’incarcération des parents? Gros problème.
Caricature :
Dave Granlund, «plan de réunification des familles d'immigrants»
Parallèles avec la série The Handmaid's Tale
Le régime
politique de la République de Gilead entend régler le problème d’infertilité survenu
en raison de la pollution, en capturant le plus de femmes fertiles possible pour
en faire des mères porteuses. On leur arrache leurs enfants qu’on place dans
des familles d’accueil de haut rang. Les servantes
sont violées à tous les mois au moment de l’ovulation jusqu’à ce qu’elles
soient finalement enceintes. Après l’accouchement et le sevrage elles sont
relocalisées dans d’autres familles et le scénario se répète. Les lesbiennes sont
envoyées dans les colonies, à l'exception des homosexuelles fertiles. Les
colonies sont des camps de la mort où l’on envoie les dissidentes, les
servantes récalcitrantes et les improductives nettoyer les déserts de déchets radioactifs.
La Servante écarlate et les bébés
volés
...Nous
savons que lors d’une interview, la romancière a évoqué l’un des scandales les
plus marquant de la dictature argentine : les bébés volés.
Rappelons que Margaret Atwood écrit son roman à Berlin en 1984. Quelques années auparavant, des femmes en Argentine
défient la junte militaire au pouvoir et se battent pour retrouver leurs petits
enfants nés et volés sous la dictature argentine. Ces femmes, des grands-mères,
ont été surnommées les «folles de la Place de Mai».
Margaret Atwood
s’est, en effet, inspirée des camps de détention argentins (clandestins) et de
son cortège de persécutions, de tortures, des femmes tuées et de leurs bébés
volés. Au sujet des accusations, la plupart du temps sans fondement, et de ces
emprisonnements sans procès, elle explique dans article récent :
«Cette structure – coupable parce que accusée
– a été appliquée dans bien plus d’épisodes de l’histoire de l’humanité. Elle a
tendance à se manifester pendant la phase «Terreur et Vertu» des révolutions –
quelque chose a mal tourné, et il doit y avoir une purge, comme dans la
Révolution française, les purges de Staline en URSS, la période des Gardes
rouges en Chine, le règne des généraux en Argentine et les premiers jours de la
révolution iranienne.»
Pour les lecteurs du roman et les
spectateurs de la série The Handmaid’s tale, l’histoire de ces femmes et de
leurs bébés est monstrueusement similaire. En Argentine les bébés seront donnés
et élevés par des généraux militaires (les élites) ou des familles proches du
pouvoir en place.
Lors d’un voyage en Argentine Margaret
Atwwod affirmait :
«Les femmes qui ne peuvent pas décider si
elles veulent des enfants ou non sont des esclaves, car l’État revendique la
propriété de leur corps et le droit de décider de l’usage qui doit en être
fait. Un enfant est un cadeau, donné par la vie elle-même. Mais un cadeau doit
être librement donné et reçu. Il peut aussi être rejeté. Un cadeau qui ne peut
être rejeté n’est pas un cadeau mais un symbole de tyrannie.»
Source :
Les régimes à la Gilead favorisent la traite des humains
La
traite d'êtres humains, qui concerne hommes, femmes et enfants victimes
d'activités criminelles allant de l'exploitation sexuelle au prélèvement
d'organes, reste largement impunie dans le monde, déplore un rapport des
Nations unies.
La traite à des fins d'exploitation sexuelle est de loin la plus courante et représente 59
% des victimes identifiées en 2016.
Le travail
forcé est la deuxième forme de traite la plus répandue. Il représente un
tiers des victimes couvertes par les données et prévaut particulièrement en
Afrique subsaharienne et au Moyen-Orient.
Sur la période 2014-2017, 100 cas relatifs à
du trafic d'organes ont été
signalés. Les camps de réfugiés sont des
terrains d'action privilégiés pour les trafiquants qui recrutent les victimes «avec
de fausses promesses d'argent ou de transport vers des lieux plus sûrs». Dans
certains cas, des preuves de collusion entre trafiquants et «professionnels de
la santé, recourant à des pratiques corrompues et frauduleuses», ont été
relevées.
L'ONUDC relève que 70 % des victimes de
traite détectées dans le monde sont des femmes et 23 % de l'ensemble des
victimes sont des mineures.
Source :
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(1) Au Brésil, les évangéliques vont chercher
dans les textes sacrés ce qui appuie leur projet de société
La montée en puissance des Églises évangéliques qui, dans un pays très religieux, ont soutenu les positions ultra conservatrices du candidat d’extrême droite, a grandement participé à la victoire de Bolsonaro. Nous vivons un moment délicat pour le pays, pour la démocratie, l’État laïc et les droits de l’homme. Parce qu’une partie des Églises évangéliques détient un véritable pouvoir politique, médiatique – en particulier à la télévision – et économique. Leurs visées sont anti-laïques et non démocratiques, elles ne célèbrent pas la diversité, ne reconnaissent pas les différences, qu’elles soient raciales ou dans les orientations sexuelles. [...]
Ce serait une erreur de réduire le problème
de la démocratie brésilienne à la montée de l’Église évangélique. Le Brésil est
l'enfant du colonialisme, du patriarcat et du racisme structurel. ... La
Chambre des députés compte aujourd'hui plus de 80 députés appartenant à des
groupes évangéliques. Le front évangélique de l’Assemblée, plus large, compte
près de 180 députés qui se réclament de la «préservation de la famille monogame
formée par des hommes et des femmes». Ce front rassemble également des députés
catholiques et représente ce qu’on appelle le groupe BBB («Balle, Bœuf et Bible»),
avec les grands propriétaires terriens et les défenseurs du port d'arme. Ils
partagent une vision conservatrice et réactionnaire de la société. [...]
Le sociologue Boaventura de Sousa Santos dit
que l’approfondissement du
néolibéralisme mondial conduit à la renaissance des fondamentalismes religieux
dans le monde. Le néolibéralisme
démantèle les réseaux de protection sociale, mine les structures publiques qui
soutiennent la vie quotidienne, dilue les spécificités culturelles. Ce
«globaritarisme» impose partout un modèle qui massacre les pauvres et détruit
les liens sociaux. Face à ce vide individualiste néolibéral, le
fondamentalisme religieux apparaît comme une réponse objective à l'angoisse de
la vie. Il se développe un peu partout dans le monde en réaffirmant les
identités culturelles et les repères moraux de manière rigide. Le
fondamentalisme s’appuie sur une demande de sécurité.
Il faut faire le lien entre cette ascension
politique et le contrôle des médias. [...]
Source :
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(2) Atwood dira à propos de ce slogan : «Je vais vous dire ce qui est bizarre : c'était une blague dans nos cours de latin. Donc cette chose de mon enfance est maintenant en permanence sur le corps des gens.»
Détail
amusant, les traducteurs du roman ont décidé de traiter ce “mock latin” en
“mock latin à la française”. On notera en effet que dans la version française
du roman comme de la série, ce n’est pas “Nolite Te Bastardes Carborundorum”
que l’on trouve, mais “Nolite Te Salopardes exterminorum”. Les deux mots les
moins latins ont été remplacés par deux autres mots plus évidemment
identifiables pour un public français
Source :
article faisant partie du dossier «latin, grec ancien et références antiques
dans les séries télé» (rédigé le 7 mai 2017, mis à jour le 13 juillet 2018)
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