9 janvier 2019

Le contrôle à toutes les sauces

Accuser les Mexicains d'être responsables des maux qui affligent les États-Unis, notamment de faire couler «le sang américain» (meurtres, viols, drogues, etc.) est enfantin. Le pays est une passoire pour le trafic de tout genre, d’est en ouest et du sud au nord. Et puis, armés comme ils le sont, les Américains n’ont besoin de l’aide de personne pour s’entretuer.

Caricature : Serge Chapleau (La Presse 09.01.2019)  

Pendant les fêtes, j’ai revu en rafale mes DVD de la série The Handmaid’s Tale (saisons 1 et 2). Ce faisant, j’ai souffert d’une overdose de : Sous Son Oeil (Under His Eye), Béni soit le fruit (Blessed be the fruit), Que le Seigneur Ouvre (May The Lord Open) Louons-le (Praise be), Jour béni (Blessed Day)... jusqu'à la nausée.
   Mais il y a pire. Certaines scènes sont d’une violence perverse. Par exemple, à la suggestion de sa digne épouse Serena, le commandant Fred Waterford viole June/Defred avec une brutalité inouïe afin de provoquer l’accouchement (Serena a hâte de prendre possession du bébé tant désiré). L’assujettissement sexuel fait partie du système – les hommes se donnent le droit de posséder et de maltraiter le corps des femmes, et malheur à  celles qui voudraient résister.

«Les hommes ont peur que les femmes se moquent d’eux; les femmes ont peur que les hommes les tuent.» ~ June/Defred, saison 2 

Eh oui, le contexte est tristement déprimant et révoltant. Mais plus on regarde, plus on fait de liens avec les tsunamis politico-religieux qui déferlent sur le monde. Plus on réalise que ce n’est même pas une dystopie, qu’on y expose simplement ce qu’un régime militarisé, autoritaire et Théocratique signifie en perte des droits individuels et collectifs : guerre, forces armées omniprésentes, castes, hommes au pouvoir, femmes au foyer, individus privés de liberté, contrôle du corps de la femme, surveillance, dénonciations, trahison – tous les ingrédients naturels d’une dictature sont réunis. Les hommes ne se sont jamais privés de tuer au nom de «Dieu»... 
Patriarcat créationniste :
1. Dieu au-dessus de toutes les créatures  
2. Hommes au-dessus des femmes, enfants, animaux, et nature
3. Femmes au-dessus des enfants
4. Humains (globalement) au-dessus des animaux
5. Animaux au-dessus de la nature ou ex aequo
6. Nature en dessous de tout
Voilà la pyramide d’autorités auxquelles chaque catégorie d’inférieurs doit se soumettre. Cet état de chose perdure parce que ce sont les hommes qui, encore aujourd’hui, désignent le rang qu’occuperont les «autres». Puisque l’homme se prend pour le roi de la création après «Dieu», cela lui assure le droit de vie ou de mort sur tout ce qui est «en dessous» de lui. C’est la principale cause de toutes les horreurs qu’on a vues et qu’on voit sur la planète!

Le Brésil : un duplicata de la République de Gilead (note 1) 

Le slogan NOLITE TE BASTARDES CARBORUNDORUM a inspiré les designers de T-shirts et de tatouages   

“Don't let the bastards grind you down” / «Ne laissez pas les salauds vous tyranniser» – une blague d’étudiant en faux latin explique le commandant Waterford à June/Defred dans la première saison (note 2)  

La saison 2 de la série a été diffusée entre avril et juin 2018, au moment où la «gestion» de la crise des immigrants illégaux atteignait un paroxysme. Un critique disait au scénariste / réalisateur Bruce Miller : «Vous écrivez ces histoires des mois à l'avance, puis elles atterrissent avec cet impact horrible qui fait écho à l’actualité au moment de leur diffusion.»

Affrontant la grogne croissante de la classe politique américaine face à la politique de «tolérance zéro» vis-à-vis des immigrants illégaux, qui comprend la séparation des familles, le président Donald Trump persiste et signe. Le locataire de la Maison-Blanche propose une sortie de crise... à la condition de financer son «mur frontalier» avec le Mexique.
   En mai 2018, la manière de contrôler l’arrivée des immigrants illégaux consistait à les garder en détention dans des cages, à leur arracher leurs enfants (une loi interdit de les emprisonner) et à confier ces derniers à des familles d’accueil par le biais d’organismes de charité comme Bethany Christian Services. Les illégaux viennent principalement du Mexique, du Honduras, du Guatemala et du Salvador.
   La procédure ayant soulevé l’indignation des Américains, et les Nations Unies jugé la pratique de séparer les immigrants illégaux de leurs enfants «inadmissible» et «cruelle», il fut alors question de réunifier les familles. Comment fait-on pour retrouver les parents sans papiers d’enfants non identifiés (sans noms) parfois envoyés à de grandes distances des lieux d’incarcération des parents? Gros problème.

Caricature : Dave Granlund, «plan de réunification des familles d'immigrants»   

Parallèles avec la série The Handmaid's Tale

Le régime politique de la République de Gilead entend régler le problème d’infertilité survenu en raison de la pollution, en capturant le plus de femmes fertiles possible pour en faire des mères porteuses. On leur arrache leurs enfants qu’on place dans des familles d’accueil de haut rang. Les servantes sont violées à tous les mois au moment de l’ovulation jusqu’à ce qu’elles soient finalement enceintes. Après l’accouchement et le sevrage elles sont relocalisées dans d’autres familles et le scénario se répète. Les lesbiennes sont envoyées dans les colonies, à l'exception des homosexuelles fertiles. Les colonies sont des camps de la mort où l’on envoie les dissidentes, les servantes récalcitrantes et les improductives nettoyer les déserts de déchets radioactifs.

La Servante écarlate et les bébés volés

...Nous savons que lors d’une interview, la romancière a évoqué l’un des scandales les plus marquant de la dictature argentine : les bébés volés.
   Rappelons que Margaret Atwood écrit son roman à Berlin en 1984. Quelques années auparavant, des femmes en Argentine défient la junte militaire au pouvoir et se battent pour retrouver leurs petits enfants nés et volés sous la dictature argentine. Ces femmes, des grands-mères, ont été surnommées les «folles de la Place de Mai».
   Margaret Atwood s’est, en effet, inspirée des camps de détention argentins (clandestins) et de son cortège de persécutions, de tortures, des femmes tuées et de leurs bébés volés. Au sujet des accusations, la plupart du temps sans fondement, et de ces emprisonnements sans procès, elle explique dans article récent :
   «Cette structure – coupable parce que accusée – a été appliquée dans bien plus d’épisodes de l’histoire de l’humanité. Elle a tendance à se manifester pendant la phase «Terreur et Vertu» des révolutions – quelque chose a mal tourné, et il doit y avoir une purge, comme dans la Révolution française, les purges de Staline en URSS, la période des Gardes rouges en Chine, le règne des généraux en Argentine et les premiers jours de la révolution iranienne.»
   Pour les lecteurs du roman et les spectateurs de la série The Handmaid’s tale, l’histoire de ces femmes et de leurs bébés est monstrueusement similaire. En Argentine les bébés seront donnés et élevés par des généraux militaires (les élites) ou des familles proches du pouvoir en place.
   Lors d’un voyage en Argentine Margaret Atwwod affirmait :
   «Les femmes qui ne peuvent pas décider si elles veulent des enfants ou non sont des esclaves, car l’État revendique la propriété de leur corps et le droit de décider de l’usage qui doit en être fait. Un enfant est un cadeau, donné par la vie elle-même. Mais un cadeau doit être librement donné et reçu. Il peut aussi être rejeté. Un cadeau qui ne peut être rejeté n’est pas un cadeau mais un symbole de tyrannie.»

Source :

Les régimes à la Gilead favorisent la traite des humains     

La traite d'êtres humains, qui concerne hommes, femmes et enfants victimes d'activités criminelles allant de l'exploitation sexuelle au prélèvement d'organes, reste largement impunie dans le monde, déplore un rapport des Nations unies.
   La traite à des fins d'exploitation sexuelle est de loin la plus courante et représente 59 % des victimes identifiées en 2016.
   Le travail forcé est la deuxième forme de traite la plus répandue. Il représente un tiers des victimes couvertes par les données et prévaut particulièrement en Afrique subsaharienne et au Moyen-Orient.
   Sur la période 2014-2017, 100 cas relatifs à du trafic d'organes ont été signalés. Les camps de réfugiés sont des terrains d'action privilégiés pour les trafiquants qui recrutent les victimes «avec de fausses promesses d'argent ou de transport vers des lieux plus sûrs». Dans certains cas, des preuves de collusion entre trafiquants et «professionnels de la santé, recourant à des pratiques corrompues et frauduleuses», ont été relevées.
   L'ONUDC relève que 70 % des victimes de traite détectées dans le monde sont des femmes et 23 % de l'ensemble des victimes sont des mineures.

Source :

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(1) Au Brésil, les évangéliques vont chercher dans les textes sacrés ce qui appuie leur projet de société

La montée en puissance des Églises évangéliques qui, dans un pays très religieux, ont soutenu les positions ultra conservatrices du candidat d’extrême droite, a grandement participé à la victoire de Bolsonaro. Nous vivons un moment délicat pour le pays, pour la démocratie, l’État laïc et les droits de l’homme. Parce qu’une partie des Églises évangéliques détient un véritable pouvoir politique, médiatique – en particulier à la télévision – et économique. Leurs visées sont anti-laïques et non démocratiques, elles ne célèbrent pas la diversité, ne reconnaissent pas les différences, qu’elles soient raciales ou dans les orientations sexuelles. [...]  
   Ce serait une erreur de réduire le problème de la démocratie brésilienne à la montée de l’Église évangélique. Le Brésil est l'enfant du colonialisme, du patriarcat et du racisme structurel. ... La Chambre des députés compte aujourd'hui plus de 80 députés appartenant à des groupes évangéliques. Le front évangélique de l’Assemblée, plus large, compte près de 180 députés qui se réclament de la «préservation de la famille monogame formée par des hommes et des femmes». Ce front rassemble également des députés catholiques et représente ce qu’on appelle le groupe BBB («Balle, Bœuf et Bible»), avec les grands propriétaires terriens et les défenseurs du port d'arme. Ils partagent une vision conservatrice et réactionnaire de la société. [...]  
   Le sociologue Boaventura de Sousa Santos dit que l’approfondissement du néolibéralisme mondial conduit à la renaissance des fondamentalismes religieux dans le monde. Le néolibéralisme démantèle les réseaux de protection sociale, mine les structures publiques qui soutiennent la vie quotidienne, dilue les spécificités culturelles. Ce «globaritarisme» impose partout un modèle qui massacre les pauvres et détruit les liens sociaux. Face à ce vide individualiste néolibéral, le fondamentalisme religieux apparaît comme une réponse objective à l'angoisse de la vie. Il se développe un peu partout dans le monde en réaffirmant les identités culturelles et les repères moraux de manière rigide. Le fondamentalisme s’appuie sur une demande de sécurité.
   Il faut faire le lien entre cette ascension politique et le contrôle des médias. [...]

Source :

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(2) Atwood dira à propos de ce slogan : «Je vais vous dire ce qui est bizarre : c'était une blague dans nos cours de latin. Donc cette chose de mon enfance est maintenant en permanence sur le corps des gens.»
   Détail amusant, les traducteurs du roman ont décidé de traiter ce “mock latin” en “mock latin à la française”. On notera en effet que dans la version française du roman comme de la série, ce n’est pas “Nolite Te Bastardes Carborundorum” que l’on trouve, mais “Nolite Te Salopardes exterminorum”. Les deux mots les moins latins ont été remplacés par deux autres mots plus évidemment identifiables pour un public français

Source : article faisant partie du dossier «latin, grec ancien et références antiques dans les séries télé» (rédigé le 7 mai 2017, mis à jour le 13 juillet 2018)

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