Je viens de lire le quotidien. Je le fais à chaque matin – sachant très bien que je vais y trouver les habituelles dépravations, bassesses, hypocrisies et cruautés qui font la civilisation; de sorte que je passerai le reste de la journée à supplier pour que la race humaine soit damnée. Mes prières ne semblent pas exaucées, mais je ne désespère pas.
L'homme fut créé tel un animal sanguinaire et je crois qu'il aura toujours soif de sang, et qu’il s’organisera pour en avoir. Je pense qu'il est de loin le pire animal qui existe; et le seul qui soit indomptable.
L’homme est le seul animal qui donne dans l’atrocité des atrocités : la Guerre. Il est le seul qui rassemble ses frères pour aller calmement exterminer ses pairs de sang froid. Il est le seul animal qui, pour un salaire minable, marche et tue des étrangers de sa propre espèce qui ne lui ont fait aucun mal et avec lesquels il n'est pas en conflit. Et pendant les intervalles entre les guerres, il lave ses mains souillées de sang en travaillant pour la «Confrérie universelle de l’homme».
(Sources des citations : Lettre à William Dean Howells, 1899; My Father Mark Twain; What Is Man?)
C'est pourquoi nous ne pouvons plus compter les victimes de la violence meurtrière dont l’espèce humaine est la championne. Voici une explication tout à fait plausible à ce penchant inné de tueur qui habite l’homme, proposée par des chercheurs scientifiques.
La violence : les humains sont-ils mauvais jusqu’à l’os?
Par Gemma Tarlach ǀ 28 septembre 2016
Désolée, chers pacifistes. Une nouvelle recherche, qui a adopté une approche novatrice pour tracer l'évolution de la violence meurtrière, a constaté que l'Homo sapiens descend d'une branche de mammifères particulièrement brutaux. Notre inclinaison à démolir et à tabasser est inscrite dans notre ADN. Cependant, avant de frapper quelque chose parce qu’une manchette vous dérange, prenez courage : les chercheurs ont également constaté que notre propension à nous entretuer peut être atténuée.
Essayer de comprendre pourquoi les humains ont tendance à tuer d'autres êtres humains tourmente les scientifiques et les philosophes depuis longtemps. Une partie du problème vient du fait que les causes de cette violence impliquent une multitude d’influences potentielles difficiles à isoler de façon scientifiquement rigoureuse.
Le chercheur José María Gómez et ses collègues ont développé une approche pour parer à cette difficulté en se tournant vers la phylogénie, qui démontre comment une espèce se développe et rayonne ensuite sur différentes espèces.
En résumé, ils ont découvert que l'Homo sapiens faisait partie d'une lignée particulièrement violente remontant à des millions d'années.
Dans l'ensemble du spectre des mammifères, le taux de violence meurtrière contre un membre de la même espèce est d'environ 0,30 pour cent – le risque d'être tué par un membre de sa propre espèce est de 1 sur 300. Chez nos ancêtres les grands primates, il était de 1,8 pour cent. Chez l'homme, au point d'origine de l’espèce, le taux grimpe à 2 pour cent – le risque d’être assassiné était de 1 sur 50.
En d'autres termes, notre espèce est, en tête de liste (telle qu’elle est) avec une augmentation constante de la violence meurtrière intra-espèce qui se perpétue depuis environ 100 millions d'années.
«Attendez un instant!», me direz-vous en maugréant, comment peuvent-ils connaître ces taux avec les quelques boîtes de fossiles qu’ils ramènent à la fin de journée?» En effet, reconstituer ces évaluations inclut une part d’estimation, mais aussi beaucoup de calcul et de modélisation sophistiquée.
Les chercheurs, dont le travail a été publié dans Nature, ont recueilli des données provenant de plus de 4 millions de décès chez 1000 espèces de mammifères (des musaraignes aux baleines) et chez 600 populations humaines de chasseurs-cueilleurs de leurs premiers jours (connus) jusqu'à maintenant. En utilisant des méthodes de modélisation similaires à celles qui retracent l'évolution des caractéristiques physiques spécifiques, l'équipe a tracé la prévalence de la violence meurtrière à l'intérieur de chaque espèce.
Quelques modèles se sont dégagés : certaines espèces animales passablement différentes s'entendent très bien avec les membres de leur espèce, entre autres les baleines et les chauves-souris. Les herbivores sont en général plus kumbaya.
Mais les chercheurs ont trouvé que plus une espèce était sociale et territoriale, plus la violence entre les membres de la même espèce était répandue.
C’est logique : si vous vivez avec d'autres membres d’un groupe social, vous avez tout simplement plus de possibilités de vous retrouver dans une prise de bec sanglante. Si vos ressources sont limitées, ou si vous devez protéger vos biens ou si vous sortez du bois, vous avez plus de prétextes pour assommer un concurrent. Hé, j’ai regardé les rediffusions de Law & Order! Motivation et opportunité. Ç’a toujours été une question de motivation et d'opportunité.
Les primates ne sont pas la seule branche de l'arbre généalogique ayant des tendances meurtrières. Sans grande surprise, les chercheurs ont constaté que les prédateurs carnivores non-primates avaient aussi tendance à être plus violents les uns envers les autres, en particulier, là encore, ceux qui vivaient dans des groupes sociaux et territoriaux.
Ne pouvons-nous pas tous nous entendre?
Cependant, avant de trop désespérer, disons que la seconde partie de la recherche offre un peu d’espoir. Les chercheurs se sont intéressés aux taux de violence meurtrière à l’intérieur de centaines de populations humaines étudiées selon le modèle de société où les individus évoluaient. L'équipe a constaté que les choses sont devenues particulièrement sanglantes autour de l’an 1000 av. J.-C., mais que, au cours des 500 dernières années ou à peu près, les humains avaient un peu nettoyé le jeu.
Le pic des carnages se situerait au début de l'âge du fer, cette période où une grande partie de notre espèce abandonna peu à peu la vie nomade de chasseur-cueilleur, quitta les petites bourgades pour des espaces urbains plus importants. C'est aussi le moment où les états s'engagèrent dans la compétition territoriale. Ouais, de plus en plus de monde entassé et en compétition pour les mêmes ressources et territoires. Motivation et opportunité.
Au cours du siècle dernier, cependant, la diminution de la violence meurtrière, amorcée il y a 500 ans, s'est accélérée. Dans les sociétés d’aujourd'hui, avec les systèmes juridiques et le maintien de l’ordre public (deux groupes distincts d'égale importance...) et, tout aussi important, avec une culture qui rejette la violence, le taux de criminalité est autour de 1 sur 10 000.
Ainsi, même si l'étude présente un dossier solide qui montre que nous sommes de par nature plus violents que la moyenne des autres mammifères, les chercheurs ont également montré que les systèmes sociaux et les normes culturelles peuvent garder à vue notre tendance innée à démolir et tabasser.
Article original (en anglais) : http://blogs.discovermagazine.com/deadthings/2016/09/28/violence-are-humans-bad-to-the-bone/#.WTLRwU2GO70
Dans la même veine
Boucar Diouf est de retour depuis quelques semaines sur ICI Première. Cette semaine à La nature selon Boucar : De chasseur-cueilleur à sédentaire.
Psychologie évolutionniste : le chasseur-cueilleur sommeille en nous
«Une compétition commence dès l'âge de 2 ans pour la dominance sociale entre les jeunes enfants, car l'individu qui est le plus dominant a accès à plus de ressources», souligne le professeur en psychoéducation à l'Université de Montréal Daniel Paquette. Il parle de la psychologie évolutionniste, une discipline qui explique notamment les mécanismes de pouvoir (agressivité) et d'attachement en tenant compte des résultats de la sélection naturelle.
Quand le chasseur-cueilleur s’est sédentarisé
La sédentarisation est relativement récente dans les sociétés humaines. Il y a environ 10 000 ans, les hommes se sont regroupés dans les villes et ont bouleversé le rapport entre eux et la nature. La psychologie évolutionniste se penche sur cette transition et se demande, à partir de la théorie de l’évolution, pourquoi l’humain vit une diversité d’émotions.
L’agressivité comme vecteur de survie
Le contexte socio-économique a une influence directe sur la longévité, donc si on vit dans un environnement pauvre en ressources ou dangereux «on a avantage à développer des traits (comme l’agressivité) pour essayer d’aller chercher le plus de ressources possible à court terme et se reproduire le plus rapidement possible», souligne le professeur Daniel Paquette. Dans un contexte de compétition, on acquiert des comportements particuliers comme la prise de risque et l’agressivité.
Le cerveau social
«On a un cerveau de chasseur-cueilleur, croit Daniel Paquette. On pensait que le cerveau ne servait qu’à traiter l’information, les connaissances et les choses assez rationnelles; maintenant on parle du cerveau social. Si on a un si gros cerveau, c’est pour gérer l’activité sociale.»
L’humain, cet être social
«Nous sommes une espèce sociale. [...] Nous avons besoin des autres pour la survie. C’est pour cela qu’il y a des mécanismes d’attachement, explique Daniel Paquette. En même temps, on est en compétition les uns contre les autres. Nous avons besoin d’un équilibre entre les deux (compétition et mécanisme d’attachement) pour faire une société.»
Audiofil : http://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/la-nature-selon-boucar
La proposition de Krishnamurti
Les structures de tous les changements extérieurs qu’amènent des guerres, des révolutions, des réformes, des lois ou des idéologies, ont été incapables de modifier la nature profonde de l’homme, donc des sociétés. En tant qu’individus humains vivant dans la monstrueuse laideur de ce monde, demandons-nous donc s’il est possible de mettre fin à des sociétés basées sur la compétition, la brutalité et la peur. Posons-nous cette question, non pas comme une spéculation ou un espoir, mais de telle sorte qu’elle puisse rénover nos esprits, les rendre frais et innocents, et faire naître un monde totalement neuf. Cela ne peut se produire, je pense, que si chacun de nous reconnaît le fait central que nous, individus, en tant qu’être humains, en quelque partie du monde que nous vivions, ou à quelque culture que nous appartenions, sommes totalement responsables de l’état général du monde.
Nous sommes chacun de nous, responsables de chaque guerre, à cause de l’agressivité de notre propre vie, à cause de notre nationalisme, de notre égoïsme, de nos dieux, de nos préjugés, de nos idéaux, qui nous divisent. Ce n’est qu’en nous rendant compte – non pas intellectuellement mais d’une façon aussi réelle et actuelle qu’éprouver la faim ou la douleur – que vous et moi sommes responsables de la misère dans le monde entier parce que nous y avons contribué dans nos vies quotidiennes et que nous faisons partie de cette monstrueuse société, de ses guerres, ses divisions, sa laideur, sa brutalité, et son activité – ce n’est qu’alors que nous agirons. [...]
Pouvons-nous donc, vous et moi, provoquer en nous-mêmes – sans aucune influence extérieure, sans nous laisser persuader, sans crainte de punition – pouvons-nous provoquer dans l’essence même de notre être une révolution totale, une mutation psychologique, telles que la brutalité, la violence, l’esprit de compétition, l’angoisse, la peur, l’avidité, et toutes les manifestations de notre nature qui ont construit cette société pourrie où nous vivons quotidiennement, cessent d’exister? [...]
[...] Ce qui importe, ce n’est pas d’adopter une philosophie de vie, mais d’observer ce qui a lieu, en toute vérité, dans notre vie quotidienne, intérieurement et extérieurement. Si vous l’observez de très près et si vous l’examinez, vous verrez que tout ce qui se passe est basé sur des conceptions intellectuelles; et pourtant, l’intellect n’est pas la sphère de l’existence : ce n’en est qu’un fragment. [...]
Pouvons-nous parvenir aux racines mêmes de la violence et nous en libérer? À défaut de cela, nous vivrons indéfiniment en état de guerre les uns contre les autres. Si c’est ainsi que vous voulez vivre – et c’est ce qu’apparemment veulent la plupart des personnes – continuez à dire que, encore que vous le déploriez, la violence ne pourra jamais cesser. Mais dans ce cas, nous n’aurons, entre nous, aucun moyen de communication, car vous vous serez bloqués. Si au contraire, vous pensez qu’il serait possible de vivre autrement, alors nous pourrons communiquer les uns avec les autres.
Examinons donc, entre ceux qui s’entendent, la question de savoir si l’on peut mettre fin, en soi-même, à toute forme de violence tout en vivant dans ce monde monstrueusement brutal. Je crois que c’est possible. Je ne veux avoir en moi aucun élément de haine, de jalousie, d’angoisse ou de peur. Je veux vivre totalement en paix… ce qui ne revient pas à dire que je souhaite mourir : je veux vivre sur cette merveilleuse terre, si belle, si pleine, si riche; je veux voir les arbres, les fleurs, les cours d’eau, les vallées, les femmes, les garçons, les filles, et en même temps vivre tout à fait en paix avec moi-même et avec le monde. Que puis-je faire pour cela?
Une des manifestations les plus habituelles de la violence est la colère. Si ma femme ou ma sœur est attaquée, je me dis que ma colère est juste. J’éprouve également cette juste colère lorsque mon pays, mes idées, mes principes, mon code de vie sont attaqués. Je l’éprouve encore lorsque mes habitudes, mes petites opinions sont menacées. S’il arrive qu’on me marche sur les pieds ou qu’on m’insulte, je me mets en colère; ou encore si quelqu’un m’enlève ma femme et que je suis jaloux : cette jalousie passera pour être bienséante et juste, parce que cette femme est ma propriété. Tous ces aspects de la colère sont justifiés moralement, ainsi que tuer pour mon pays. Donc lorsque nous parlons de la colère, qui est une forme de violence, distinguons-nous, selon notre inclination et les influences du milieu, celle qui est juste de celle qui ne l’est pas, ou considérons-nous la colère en tant que telle? Une colère juste? Cela peut-il exister? Ou la colère a-t-elle une qualité intrinsèque, tout comme l’influence qu’exerce la société, que je qualifie de bonne ou mauvaise, selon qu’elle me convient ou non?
Dès que vous protégez votre famille, votre pays, un bout de chiffon coloré que vous appelez drapeau, ou une croyance, une idée, un dogme, ou l’objet de vos désirs, ou ce que vous possédez, cette protection même est un indice de colère. Pouvez-vous examiner cette colère sans l’expliquer ou la justifier, sans vous dire qu’il vous faut protéger votre bien, ou que vous avez le droit d’être en colère, ou qu’il est absurde de l’être? Pouvez-vous la regarder complètement, objectivement, c’est-à-dire sans l’absoudre ni la condamner? Le pouvez-vous?
C’est très difficile d’observer la colère sans passion, parce que la colère fait partie de mon être. Et pourtant c’est ce que j’essaie de faire. Me voici, être humain violent, blanc, noir, brun ou rouge, et il ne m’intéresse pas de savoir si j’ai hérité de cette violence ou si la société l’a engendrée en moi : ce qu’il importe de savoir, c’est si je peux m’en libérer. Cette question pour moi prime tout le reste, nourriture, besoin sexuel, situation sociale, car elle me corrompt, me détruit et détruit notre monde. Je veux la comprendre, la transcender. Je me sens responsable de toute la colère et de toute la violence du monde. Je m’en sens personnellement responsable; ce ne sont pas que des mots, je me dis : «Je ne peux agir dans ce sens que si je suis au-delà de la colère, au-delà de la violence, au-delà des particularismes nationaux.»
Mais pour aller au-delà de la violence, je ne dois ni la refouler, ni la nier, ni me dire : «Elle fait partie de moi, je n’y peux rien» ou «Je veux la rejeter». Je dois la regarder, l’étudier, entrer dans son intimité et à cet effet je ne dois ni la condamner ni la justifier.
Vos esprits conditionnés, vos façons de vivre, toute la structure de la société vous empêchent de voir un fait tel qu’il est et de vous en affranchir séance tenante. Vous dites : «J’y penserai; je verrai s’il m’est possible ou non de m’affranchir de la violence; j’essaierai.» Cette déclaration «j’essaierai» est une des pires que l’on puisse faire. Essayer, faire de son mieux, cela n’existe pas. On fait la chose ou on ne la fait pas. Vous voulez du temps pour prendre une résolution lorsque la maison brûle. Elle brûle à cause de la violence dans le monde, et vous dites : «Donnez-moi le temps de trouver l’idéologie la plus propre à éteindre l’incendie.» Lorsque la maison brûle, discutez-vous sur la couleur des cheveux de celui qui apporte l’eau?
Extraits de : Se libérer du connu, Krishnamurti; Stock+Plus, 1970
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