«Ce ne sont ni les brigands ni les incendies qui détruisent le monde, mais la haine, l'hostilité, les petites intrigues...» ~ Anton Tchékhov (Oncle Vania)
La violence – La peur, le plaisir, la douleur, la pensée et la violence sont intimement reliés. La plupart d’entre nous prennent du plaisir à être violents, à détester des individus, à haïr des groupes ou des races, à éprouver un sentiment quelconque d’inimitié. Mais lorsque naît en nous un état d’esprit où toute violence a pris fin, une joie l’accompagne, très différente du plaisir que donnent la violence et ses manifestations telles que les conflits, les haines, les terreurs.
Pouvons-nous parvenir aux racines mêmes de la violence et nous en libérer? À défaut de cela, nous vivrons indéfiniment en état de guerre les uns contre les autres. Si c’est ainsi que vous voulez vivre – et c’est ce qu’apparemment veulent la plupart des personnes – continuez à dire que, encore que vous le déploriez, la violence ne pourra jamais cesser. Mais dans ce cas, nous n’aurons, entre nous, aucun moyen de communication, car vous vous serez bloqués. Si au contraire, vous pensez qu’il serait possible de vivre autrement, alors nous pourrons communiquer les uns avec les autres.
Examinons donc, entre ceux qui s’entendent, la question de savoir si l’on peut mettre fin, en soi-même, à toute forme de violence tout en vivant dans ce monde monstrueusement brutal. Je crois que c’est possible. Je ne veux avoir en moi aucun élément de haine, de jalousie, d’angoisse ou de peur. Je veux vivre totalement en paix… ce qui ne revient pas à dire que je souhaite mourir : je veux vivre sur cette merveilleuse terre, si belle, si pleine, si riche; je veux voir les arbres, les fleurs, les cours d’eau, les vallées, les femmes, les garçons, les filles, et en même temps vivre tout à fait en paix avec moi-même et avec le monde. Que puis-je faire pour cela? (Krishnamurti, Se libérer du connu)
Suite : https://situationplanetaire.blogspot.ca/2011/03/la-violence.html
On doit en effet travailler sur soi pour se libérer de certaines dysfonctions humaines transmises d’une génération à l’autre par l’éducation, et maintenant par les médias sociaux : «La droiture, l’honnêteté, le respect du droit d’autrui ne sont pas des qualités naturelles à l’homme, mais bien des qualités acquises au prix de pénibles efforts portant sur des générations.» (M. Loeffler-Delachaux)
On croirait que les réflexions suivantes ont été publiées hier; pourtant elles datent de 1946. J’ignore si l’ouvrage a été réédité (1). Vous reconnaîtrez néanmoins des caractéristiques très répandues chez les hommes de pouvoir actuels. Ces extraits pourraient être utiles aux électeurs ainsi qu’aux gens qui désirent oeuvrer en politique.
Les passages en bold sont de mon initiative.
Les gens impossibles
Par opposition aux personnes de bon caractère, il y a des gens avec lesquels on ne peut s’entendre; à leur approche tout devient compliqué, pénible, discordant, la gêne s’installe où régnait l’harmonie, les difficultés se multiplient, les conversations les plus anodines dégénèrent en controverses; souvent leur présence corrompt une ambiance dans une mesure qui paraît disproportionnée avec les défauts que l’on se sent en droit de leur reprocher. C’est à croire qu’ils traînent à leur suite une horde de démons invisibles dont les malices sournoises augmentent encore leur néfaste influence.
Ces gens impossibles sévissent dans toutes les classes sociales et leur degré d’importunité paraît se présenter au prorata :
1) des facilités que leur accorde le milieu;
2) des contraintes artificielles que leur impose le milieu.
C’est donc aussi bien à la trop grande liberté qu’à la contrainte qu’il faut imputer d’une part, de nombreux états nerveux, d’autre part : les mauvais caractères.
Reste à déterminer ce que l’on peut appeler trop grande liberté. En termes simplifiés, c’est celle qui accorde à l’individu un droit de décision et d’arbitration disproportionné à sa maturité d’esprit.
Une marge est nécessaire entre l’expérience acquise par un individu donné et la maîtrise qu’une initiative nouvelle lui réclamera. Cette marge représente sa possibilité de développement. De même que pour aller de l’avant sur une route, il faut avoir de l’espace devant soi, on ne peut accroître son intelligence et développer son caractère que s’il existe une progression ascendante entre les difficultés déjà surmontées et celles que l’on s’apprête à vaincre encore. Lorsque cette progression comporte des degrés trop rétrécis, on piétine (ce n’est d’ailleurs pas toujours mal, car un ralentissement de ce genre peut servir à approfondir l’acquis). Les degrés peuvent ainsi être trop hauts ou trop largement espacés; c’est alors que l’on fait des chutes ou que l’on s’égare.
Un père de famille ayant fait honneur à toutes ses obligations peut fort bien aspirer à collaborer à l’administration d’une commune. Un tel décalage est normal; il ne représente, en somme, qu’un déplacement de qualités acquises vers un nouvel objectif. Par contre, lorsqu’un raté ayant failli à ses tâches antérieures se voit investi d’un pouvoir politique, on peut considérer qu’il y a disproportion entre son incapacité notoire et sa charge, d’où trop grande liberté.
Le trop, en psychologie, c’est ce qui dépasse anormalement les limites de l’acquis. Ainsi y a-t-il partout des gens dont l’existence est trop agréable, qui sont trop aimés, trop riches, trop aidés, trop admirés, trop soutenus dans leur ascension au pouvoir, enfin trop libres pour qu’il leur soit possible de résister aux tendances qui, en tout homme, aspirent à exploiter la liberté au profit de satisfactions inférieures.
[...]
La tromperie
La plus grave tendance asociale des individus est la tromperie. Elle peut apparaître comme telle, ou sous des aspects plus nuancés : hypocrisie, abus de confiance, tricherie, flatterie enjôleuse, mystification, exploitation de l’ignorance, de la crédulité et de la sincérité, fraude, feintes, fourberie crapuleuse, imposture, sournoiserie, trahison, simagrées intéressées, momerie, faux-fuyants, chatteries mielleuses, intrigue, comédies, détournements, maraude, escroquerie, malversations, vol, etc.
De telles dispositions sont beaucoup plus répandues qu’on ne le pense, et ce n’est pas seulement chez les délinquants qu’il faut les chercher; elles réapparaissent, dans tous les milieux, dès que la discipline sociale se relâche. [...]
...La droiture, l’honnêteté, le respect du droit d’autrui ne sont pas des qualités naturelles à l’homme, mais bien des qualités acquises au prix de pénibles efforts portant sur des générations.
[...]
Un jeune employé de banque de bonne compagnie, gai, sportif et bien payé bénéficiait de l’estime générale. Un seul détail de son comportement pouvait donner à réfléchir. Pour justifier ses jugements à l’emporte-pièce qui, parfois, déconcertaient les gens, il disait : «Moi, je suis franc». En outre quand, quand il avait fini de raconter quelque chose, il recommençait. On sait, par la psychologie, qu’une affirmation répétée est toujours suspecte. [...] La seconde édition a pour but de le persuader lui-même de ce qu’il a dit la première fois. [...]
Chez les primitifs, le guerrier qui manque de bravoure mime par anticipation les violences qu’il se propose d’accomplir, et pour mieux s’encourager à l’action, il pousse en même temps des cris de guerre. Telle est l’origine des danses guerrières précédant les expéditions. Elles ont pour but de faire passer les hommes de l’état passif à l’état agressif, de l’hésitation à la décision, de l’ambiance de la paix à l’ambiance de guerre. Dans un autre ordre d’idées, celui qui dit : «Moi, je suis franc, Moi je suis ceci ou cela», répète inconsciemment le jeu des primitifs. Il s’entraîne à une lutte dont l’aboutissement sera l’entrée en possession d’une qualité à laquelle il aspire, précisément parce qu’elle lui manque. [...]
Le «Moi je suis», cri spontané de nos guerres intérieures, était donc l’unique bizarrerie apparente du jeune banquier qui fit plusieurs détournements et couronna ses exploits par la simulation d’un suicide. [...]
Les collectivités
Nous savons fort bien que l’on ne confie pas une responsabilité à un déséquilibré, et pourtant nous ne nous soucions pas de vérifier l’équilibre psychologique des personnes morales auxquelles nous accordons des droits illimités, puisque ce sont elles qui gouvernent les États.
Je ne veux pas donner à l’homme plus d’importance qu’il n’en a par rapport à la vie universelle, mais je pense que tout ce qui le concerne : commerce, industrie, politique, organisation sociale, doit être mesuré à son aune. Donc, lorsque nous réunissons plusieurs personnes, en vue d’une tâche qui dépasse les forces d’un seul homme, leur association doit multiplier les pouvoirs de l’individu isolé en respectant leur dosage et leur équilibre. Plusieurs personnes doivent former un grand homme et non point un monstre dont le centre de gravité se déplacerait vers quelque tendance hypertrophiée et qui, oubliant le devoir qui justifie son existence, ne servirait plus que lui-même.
Il y a déjà un assez gros danger dans le fait que les personnes, désignées pour faire partie d’un groupe quelconque, sont toutes déformées dans la même direction par la spécialité qui les réunit.
Elles ne s’entendent que mieux, cela va de soi, mais de telles conformités sont souvent un leurre. Même si, individuellement, tous les délégués d’une commission sont parfaitement équilibrés, il peut arriver que, réunis, ils ne résistent pas à l’envoûtement de leur commune dominante et perdent de vue l’intérêt général.
[...]
Toute association qui n’est pas psychologiquement équilibrée, porte en soi sa condamnation. Il est donc indispensable d’accorder les gens que l’on assemble de manière à composer un parfait grand homme.
L’homme d’action et la politique
Notre époque a le culte du dynamisme : vitesse et déplacements sur tous les plans, extraversion cent pour cent. Sa caractéristique principale est le mouvement. En grand : mouvements de troupes, déplacements massifs de populations, campagnes intercontinentales. En petit : compétitions sportives, automobilisme forcené, navigation aérienne, soirées et week-end passés hors de chez soi, frénésie dansante, spectacles à décors changeants, turbulence cinématographique, animateurs et «schläger». En outre, dans la vie de tous les jours on change à tout instant de situation, de ville, de milieu, d’amis, de journal, de partenaire conjugal, de métier, de place, d’idées; et ceux qui, dans cet enfer d’instabilité, prétendent encore à des sentiments durables, à cultiver leur esprit dans une direction déterminée, à réfléchir, à étudier, à méditer, sont regardés comme des phénomènes.
La grande masse les ignore (comme elle ignore leurs oeuvres) et leur refuse le titre, si galvaudé par ailleurs, de gens d’action.
En revanche, elle considère comme supérieurement actifs tout ce qui s’agite ou manque de stabilité, les affairés, les emballés, les brouillons, les ambitieux froidement entreprenants, les dégourdis plus retors que scrupuleux, les zélés, les bâcleurs, les piaffeurs, les exaltés, les désaxés, les imaginatifs désordonnés, les impulsifs dépourvus de contrôle sur eux-mêmes et surtout les amuseurs publics (du pitre à l’orateur de cantine) dont le moins qu’on en puisse dire est qu’ils sont en perpétuel état de fuite psychologique.
Par surcroît, la masse confond encore l’activité avec la vitesse et le bruit comme elle confond la valeur profonde des gens avec le retentissement de leur réputation. Il ne lui vient pas à l’idée qu’un savant travaillant quinze heures par jour dans sa bibliothèque, ou son laboratoire, puisse être aussi actif qu’un boxeur, une entraîneuse de bar ou un politicard exalté.
Le grand nombre se fait de l’activité une idée fausse parce qu’incomplète. C’est normal, chacun de nous ne pouvant être familiarisé qu’avec les pouvoirs en honneur au niveau de développement où il se trouve.
[...]
Il est difficile de discerner les mobiles d’un homme d’action – ou prétendu tel – lorsqu’on est réduit à le juger sur ses œuvres, car l’œuvre peut être le résultat d’une protection, de collaborations secrètes, d’un arrivisme dépourvu de scrupules, d’un effort temporaire insoutenable, aussi bien que du talent, du mérite, du labeur honnête.
Il importe certes de constater que tel candidat a fait ceci ou cela, mais il est plus important encore de savoir comment et pourquoi il l’a fait. La même action peut être l’aboutissement d’une intention pure, objectivée en toute dignité, ou d’une intention basse associée à des procédés de forbans.
En outre, il est indispensable de connaître le niveau de développement des actifs, ou réputés tels : réalisateurs loyaux, intelligents, pondérés; ou impulsifs casse-cou; ou encore cyniques ambitieux.
On pense peut-être à ces choses, mais pratiquement, on n’en tient pas compte et l’on arrive à confier d’importants mandats à des gens qui ont toutes les apparences d’une activité supérieure : titres, situation, réputation. ...
Société des nations
Par exemple, un gros personnage, collectionneur de titres, de missions et de postes de commande, expert ici, directeur là, fut président de comités nationaux et membre d’une importante commission d’experts dont les décisions intéressaient trois continents. Actif, il le fut, cela ne fait aucun doute, mais à la façon des moins développés aptes surtout à l’effort physique, à se déplacer, à gagner beaucoup d’argent, à bien manger, à s’imposer par des moyens énergiques et primaires. ...ni intelligence supérieure, ni sensibilité, ni finesse. Un homme en bonne santé, instinctif, courageux, résistant, entreprenant, content de soi, considérant que tout honneur et tout succès lui sont dus, bien décidé à ne pas se laisser devancer et jouant de gaieté de cœur le rôle du pot de fer indifférent aux misères des pots d’argile.
Sans aucun doute [eût-il été préférable d’en débarrasser la diplomatie et de le remplacer] par quelqu’un d’infiniment plus humble, moins représentatif, moins sûr de soi, moins ambitieux mais capable, en revanche, de raisonnements plus subtils et de jugements plus nuancés.
[...]
Avant de juger qui que ce soit – sur ses comportements... – il faut se souvenir qu’une activité efficace est incompatible avec la précipitation, le bruit, l’emphase, la fébrilité, l’impétuosité, la hâte, l’incohérence, l’impatience, le souci des apparences, la brusquerie, la turbulence; elle n’est surtout jamais spectaculaire. Les actifs authentiques sont toujours des concentrés et moins ils se sentent portés à trahir le secret de leur vie profonde par des extériorisations brillantes, plus noble et plus utile est leur dynamisme.
(1) La graphologie au service de l’homme d’action; Mme Loeffler-Delachaux; Éditions J. Oliven, 1946
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