15 janvier 2017

La débâcle des droits de la personne

Avec Donald Trump et son cabinet aux commandes, on peut légitimement se demander quel virage prendra la «démocratie» chez nos voisins. 

     Démocratie sélective? 
     Un projet de loi au Dakota du Nord protégerait les conducteurs qui frappent et tuent «accidentellement» des manifestants, rendant toute nouvelle protestation contre les pipelines encore plus dangereuse. «La responsabilité de la preuve serait transférée du conducteur automobile au piéton», a déclaré Kelth Kempenich. «Les manifestants se mettent intentionnellement en danger.» Ce projet de loi pourrait déresponsabiliser les conducteurs en panique qui auraient accidentellement appuyé sur «l'accélérateur au lieu du frein» quand les manifestants bloquent les routes. Il admet que la loi pourrait s’appliquer à des cas qui n'impliquent pas de manifestations. (Huffington Post Dakota)
     Incroyable! Ma foi, c'est quasiment ouvrir la porte à l’assassinat délibéré... 

     Human Rights Watch dénonce le populisme à la Trump 
     L'avertissement de Human Rights Watch est sans équivoque : les droits de la personne sont sérieusement menacés par la montée du populisme dans le monde. À commencer par les États-Unis, où Donald Trump s'apprête à entrer en fonction «à l'issue d'une campagne alimentée par la haine et l'intolérance», affirme l'organisation dans la 27e édition de son rapport annuel. 
     «La montée du populisme constitue une grave menace pour les droits de la personne. Donald Trump et diverses personnalités politiques en Europe cherchent à renforcer leur pouvoir en misant sur le racisme, la xénophobie, la misogynie et le nativisme, mouvement qui s’oppose à l’immigration.»
~ Kenneth Roth, directeur de Human Rights Watch

http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1010442/human-rights-watch-etats-unis-europe-populisme-canada-lois-anti-terrorisme-haine-propagande

De sorte que les femmes doivent encore «marcher» pour faire respecter leurs droits. Le 21 janvier prochain, les femmes qui marcheront à Washington devraient-elles s’attendre à une intervention des forces de l’ordre aussi musclée qu’à Londres le 18 novembre 1910 ou lors de la Nuit de la terreur le 14 novembre 1917 en Virginie (1)? Bien sûr que non; en tout cas on veut le croire. Or beaucoup de gens croyaient que Trump ne serait jamais élu président... Preuve que la réalité se fout de nos croyances. Boo-yah. Espérons simplement qu'il n'y aura pas "d'inflitré(e)s" payé(e)s pour générer de la bagarre...


     Women’s March, Washington, January 21, 2017 
     We stand together in solidarity with our partners and children for the protection of our rights, our safety, our health, and our families recognizing that our vibrant and diverse communities are the strength of our country. In the spirit of democracy and honoring the champions of human rights, dignity, and justice who have come before us, we join in diversity to show our presence in numbers too great to ignore. The Women’s March on Washington will send a bold message to our new government on their first day in office, and to the world that women's rights are human rights. We stand together, recognizing that defending the most marginalized among us is defending all of us.
https://www.womensmarch.com/mission/

     La lente progression vers le droit de vote et l’égalité des sexes 
     Emmeline Pankhurst fut une figure de proue en matière de revendications pour les droits des femmes, notamment le droit de vote et l’égalité des sexes. En 1903, elle fonda la Women’s Social and Political Union (WSPU), une association qui se concentrait sur des actions concrètes visant l’accès au vote pour les femmes. Le 12 mai 1905, après qu’un projet de loi sur le droit de vote des femmes fut rejeté, Emmeline et ses co-militantes, dont ses filles, manifestèrent devant le Parlement. Les journaux leur donnèrent par dérision le nom de suffragettes.


«Tant que les femmes consentiront à être injustement gouvernées, elles le seront.» ~ Emmeline Pankhurst (1858-1928)

Source des extraits ci-après : http://plume-dhistoire.fr/ 

     Guerre d’usure entre Suffragettes et forces de l’ordre 
     Pour leurs actions illégales, les Suffragettes sont régulièrement arrêtées. Emmeline, Christabel et Sylvia Pankhurst font plusieurs séjours en prison. Mais le jugement au tribunal offre à ces femmes une plateforme d’expression idéale. 
     Les Suffragettes savent en effet très bien utiliser la publicité entourant les procès pour défendre le droit de vote. Les journaux étant très lus en Grande-Bretagne, la presse devient un moyen efficace de diffuser leurs idées. 
     En 1909, une Suffragette arrêtée et emprisonnée réclame le traitement d’une prisonnière politique et entame une grève de la faim. Elle reçoit une avalanche de soutiens de toute l’Europe. Bientôt, toutes les Suffragettes emprisonnées l’imitent. 
     Le gouvernement prend alors une mesure radicale en décidant de nourrir les Suffragettes de force, par la bouche ou par le nez : exercice particulièrement douloureux pour les femmes, qui ressortent le visage tuméfié. L’opinion publique est horrifiée... 116 médecins envoient une protestation au Premier Ministre, des militants libéraux quittent le parti. 
     Toujours grâce aux journaux, la population est de mieux en mieux informée. Les points de vue féministes commencent à être entendus. En 1910, Suffragistes et Suffragettes recensent 290 000 supporters. 

     Une violence accrue 
     Des projets de lois font naître une grande espérance au sein du parti d’Emmeline Pankhurst. La déception n’en est que plus grande lorsque le Gouvernement ne donne pas suite! 
     La violence reprend de plus belle. Le 18 novembre 1910, Emmeline Pankhurst, suivie de 300 Suffragettes, manifeste devant le Parlement contre l’abandon des projets de lois. 
     La répression policière est d’une extrême brutalité. Sous les ordres du nouveau Ministre de l’Intérieur Winston Churchill, 200 femmes sont arrêtées. Les forces de l’ordre ferment en revanche les yeux quand des badauds s’en prennent aux militantes, à celles ont osé franchir «le code de la femme respectable». La propre sœur d’Emmeline Pankhurst, brutalisée par la police, meurt de ses blessures à Noël. Plus de 130 femmes déposent plainte contre des policiers pour agression. Ce jour restera dans l’histoire sous le nom de «Black Friday» : vendredi noir.

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(1) Katja von Garnier's film Iron Jawed Angels (2004) tells the remarkable and little-known story of a group of passionate and dynamic young women, led by Alice Paul (Hilary Swank) and her friend Lucy Burns (Frances O'Connor), who put their lives on the line to fight for American women's right to vote. They start by organizing the 1913 Woman Suffrage Procession on the eve of President Woodrow Wilson's inauguration. This true story has startling parallels to today, as the young activists struggle with issues such as the challenges of protesting a popular President during wartime. Many women are arrested for their actions, and sent to the Occoquan Workhouse for 60-day terms. Despite abusive and terrorizing treatment Paul and other women undertake a hunger strike, during which paid guards force-feed them.
     The film derives its title from Massachusetts Representative Joseph Walsh, who in 1917 opposed the creation of a committee to deal with women's suffrage. Walsh thought the creation of a committee would be yielding to "the nagging of iron-jawed angels" and referred to the Silent Sentinels as "bewildered, deluded creatures with short skirts and short hair." The Silent Sentinels protested six days a week in front of the White House during Woodrow Wilson's second term starting on January 10, 1917 until June 4, 1919 when the Nineteenth Amendment to the United States Constitution was passed both by the House of Representatives and the Senate. 


The name Silent Sentinels was given to the women because of their silent protesting. Throughout this two and a half year long vigil many of the women were harassed, arrested, and unjustly treated by local and US authorities, including the torture and abuse inflicted on them before and during the November 14, 1917 Night of Terror. “Forty-four club-wielding men beat, kicked, dragged and choked their charges, which included at least one 73-year-old woman. Women were lifted into the air and flung to the ground. One was stabbed between the eyes with the broken staff of her banner. Lucy Burns was handcuffed to the bars of her cell in a torturous position. Women were dragged by guards twisting their arms and hurled into concrete “punishment cells.” All because they dared to stand up and demand an equal say in their government. They were not hateful or mean. Those descriptors were owned by the men who treated them with such disdain, dismissal, and on that night, such brutality. 

Iron Jawed Angels, Part I: https://www.youtube.com/watch?v=lwd2sLEuw30

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Dans son roman La Maison des sœurs (Presses de la Cité, 2003; Das Haus der Schwestern, 1999) Charlotte Link, à travers son héroïne Frances Gray, décrit les événements du Black Friday (novembre 1910), les horribles conditions de détention et le gavage des détenues faisant la grève de la faim.

[Extrait] 

     Elle [Frances] pensait qu’il y avait des horizons qu’il valait mieux ne pas connaître. Elle découvrait la vie sous un de ses visages les plus laids. Le froid, la faim, une cellule sinistre, un seau puant dans un coin, une étouffante promiscuité auprès de quatre femmes avec lesquelles elle ne partageait qu’une même conviction, sinon rien. 
     Pamela fut la première qu’ils vinrent chercher pour la nourrir de force. Quand ils la ramenèrent dans la cellule, elle faisait peine à voir. Ses lèvres, qu’elle avait mordues au sang, étaient monstrueusement enflées, ses poignets et ses chevilles, là où elle avait été attachée, portaient de vilaines marques violacées. Les surveillantes qui la raccompagnèrent haletaient. Elles dirent que personne encore ne s’était débattu avec une telle force. Pamela elle-même ne put rien raconter. Le tuyau de caoutchouc qu’on lui avait glissé dans l’estomac lui avait tellement meurtri la gorge qu’elle ne pouvait prononcer aucun mot. 
     Puis ce fut au tour de Frances. 
     Depuis le premier jour, elle espérait qu’elle réussirait à sortir avant d’y avoir droit. Elle était convaincue que sa famille remuait ciel et terre pour lui venir en aide. Peut-être même avaient-ils trouvé quelqu’un pour témoigner que ce n’était pas elle qui avait lancé la pierre [au policier]. ... Il y avait eu un si grand nombre d’arrestations que les services administratifs devaient être débordés et dépassés par les événements. 
     Deux hommes vinrent la chercher vers midi. Deux armoires à glace, choisies pour leur corpulence, les militantes féministes se révélant, en effet, combatives. Le plus âgé des deux demanda à Frances si elle ne souhaitait pas mettre un terme à sa grève de la faim pour leur épargner à tous, et surtout à elle, ce qui allait suivre. Frances répondit qu’elle n’en avait nullement l’intention. Elle trouvait ridicule que ces deux hercules l’encadrent et la tiennent chacun par un bras comme s’ils craignaient qu’elle leur échappât, voire qu’elle s’en prît à eux. Elle était épuisée; elle avait de la fièvre, elle avait faim, elle était malade, elle ne représentait pas un grand danger. ... 
     Ses genoux flageolaient tant elle avait peur. Elle se demanda ce qui lui était arrivé pour qu’elle se retrouve dans une situation aussi grave. Elle dut faire appel à toute l’énergie qui restait en elle pour ne pas s’avouer vaincue, demander à ses gardiens de faire demi-tour et leur promettre d’accepter de se réalimenter. ...  
     Un escalier sombre aux marches usées les conduisit dans les sous-sols de la prison, puis ils empruntèrent un long couloir étroit dont les murs étaient percés de part et d’autre d’une succession de lourdes portes métalliques. Frances, oppressée, se demanda ce qu’elles cachaient. 
     Au bout du couloir, une des portes d’acier était ouverte. Ils pénétrèrent dans une pièce carrée, dépourvue de fenêtre, nue et vide à l’exception d’un fauteuil branlant. 
     Asseyez-vous, dit l’un des hommes. 
     Frances se laissa tomber dans le fauteuil. Marcher l’avait achevée, elle comprit qu’elle était plus malade qu’elle ne l’avait cru. Elle avait l’impression d’avoir une cloche sur la tête qui étouffait tous les bruits qui parvenaient à ses oreilles et la plongeait dans une sorte d’abrutissement. 
     Elle savait qu’elle ne se défendrait pas. Elle n’en avait plus le courage. La seule résistance dont elle était encore capable, c’était de refuser d’interrompre sa grève de la faim. Tout le reste, elle l’accepterait. 
     Ses deux gardiens la surveillaient toujours comme du lait sur le feu. Ils parlaient entre eux, mais alors qu’ils s’étaient efforcés de s’adresser à Frances dans un anglais relativement châtié, ils utilisaient maintenant un cockney si marqué qu’elle les comprenait à peine. ... 
     Quelques minutes s’écoulèrent, puis deux autres hommes forts comme des Turcs entrèrent dans la pièce, suivis de deux surveillantes, aussi grandes et corpulentes que les hommes. À l’évidence, c’étaient les plus gros gabarits que la prison affectait à la «réalimentation» des grévistes, et cela disait assez ce que l’expérience leur avait enseigné. 
     Attache-la bien! fit l’une des surveillantes d’un ton las. 


De grosses cordes rêches furent glissées autour de ses poignets, de ses chevilles, du haut de son corps et serrées d’un coup sec. Frances étouffa un cri de douleur. Pourquoi faisaient-ils ça? Était-ce apparu, au fil des grèves de la faim, comme une mesure de précaution nécessaire, ou bien l’humiliation des victimes faisait-elle partie de leur stratégie? Ils ne devaient que trop savoir ce qu’éprouvait un être ficelé sur une chaise à l’immobilité totale et livré pieds et poings liés à leur bon vouloir. ... 
     Puis elle vit le tuyau. Un tuyau noir, gros. Beaucoup trop gros! ... 
     C’est à cet instant qu’elle comprit. Qu’elle comprit les cordes, les six personnes présentes autour d’elle... et pourquoi elles étaient toutes si grandes et si fortes. La seule vue du tuyau suffit à mobiliser en elle des forces et une énergie qu’elle n’avait pas cru posséder encore. 
     Elle tira sur les liens, tenta de s’arc-bouter, se débattit comme une furie. 
     Surtout tenez-la bien! c’est encore une de ces sauvages! 
     Un homme ajouta : 
     Ces misérables garces! 
     ...Deux poignes de fer plaquèrent ses avant-bras sur les accoudoirs. Des mains gantées de cuir saisirent son menton et firent basculer sa tête en arrière. ... Elle banda tous ses muscles pour tenter de se libérer. ... 
     Des doigts, également gantés de cuir, forcèrent sa bouche et d’un geste brutal écartèrent ses mâchoires. Furieuse, elle tenta de refermer la bouche tandis que des larmes de rage et d’humiliation jaillissaient de ses yeux. Toute résistance était vaine. Elle était prisonnière d’un étau d’acier qui ne lui laissait aucune chance. 
     Bon, et maintenant, enfonce-le bien! dit quelqu’un, un homme, et l’une des femmes eut un rire obscène. 
     Soudain, Frances sentit le goût repoussant du caoutchouc sur sa langue, à la fois amer et chimique qui aussitôt déclencha une nausée presque irrépressible. Elle fut prise de panique.  ... Elle lutta comme une folle avec sa langue – le seul et unique muscle qu’elle pouvait encore bouger dans tout son corps – pour repousser l’immonde tuyau. Vainement. Le violent spasme de régurgitation qui la secoua lorsqu’il s’enfonça dans sa gorge s’accompagna d’un inquiétant gargouillement. Le gros tuyau noir qui progressait dans son œsophage faisait démesurément mal, mais la nausée était pire encore. L’impression d’étouffer était atroce, et le fait que tout son corps résistait, se crispait et se contractait était abominable parce que cela ne faisait que rendre le supplice encore plus douloureux. Elle voulait hurler, supplier les bourreaux d’arrêter, les supplier de la détacher parce qu’elle allait vomir et que, comme elle allait vomir, elle allait étouffer et... Elle ne réussit à produire que des sons sans suite qui n’émurent personne. Personne ne se souciait d’elle. 
     Ils firent couler de la nourriture liquide dans son estomac et quand ils eurent terminé, ils arrachèrent le tuyau beaucoup plus vite et beaucoup plus brutalement qu’ils n’auraient dû. Une douleur fulgurante la déchira, une brûlure atroce qui ravagea son corps et la laissa pantelante. 
     Pourtant, en dépit de tout, en dépit de la panique, en dépit du désespoir et de l’épouvantable douleur qui persistait, pour la seconde fois depuis qu’elle était attachée sur ce fauteuil, Frances sentit une colère l’emplir tout entière, une colère brute, primaire que rien n’aurait pu apaiser.

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Comme disait Marguerite Yourcenar, «les hommes se font la main sur les animaux» (réf. : gavage des oies).

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