19 novembre 2015

Guy Turcotte : expertise psychiatrique réexaminée

Je voulais partager ce texte vendredi (13 nov.), mais d’autres assassins ont monopolisé mon attention...

Cette mise au point sur les évaluations psychologiques de Guy Turcotte me rassure. Car en effet, le défilé de psychiatres rémunérés par la défense pour obtenir un second verdict de non-responsabilité criminelle (1) «discrédite la profession».

Des manifestants contre le verdict dans le procès Turcotte à Montréal (2011).
Photo : Claude Bouchard 

Source : LaPresse+, 12 novembre 2015

Le roi est nu
Marie-Ève Cotton*

Je suis médecin psychiatre et professeur universitaire en psychiatrie. Je n’ai jamais évalué M. Guy Turcotte et ne connais de cette affaire judiciaire que le compte rendu qu’en ont fait les médias. Le but de ce texte n’est donc pas de rendre une expertise psychiatrique à son sujet, mais plutôt de commenter le raisonnement clinique appuyant sa défense de non-responsabilité criminelle et de souligner comment, de mon point de vue, il instrumentalise et discrédite ma profession.

Si l’un de mes étudiants affirmait qu’un diagnostic de trouble d’adaptation peut altérer le jugement de quelqu’un au point de le rendre non responsable de ses actes, je le recalerais sur-le-champ. Le trouble d’adaptation définit une détresse psychologique engendrée par des circonstances difficiles (séparation, perte d’emploi, problèmes financiers, etc.) et qui se manifeste par de la tristesse, de l’anxiété ou une perturbation des conduites. Son statut de «trouble mental» ne fait pas l’unanimité chez les psychiatres puisqu’il ouvre grand la porte à la médicalisation d’un mal-être réactionnel et parfaitement normal.

Mais trouble mental ou non, rien dans ce diagnostic ne peut conduire à une altération du jugement au point de ne plus distinguer le bien du mal. Rien. Alors pour un psychiatre, il est inquiétant qu’un tel raisonnement puisse constituer la défense de non-responsabilité criminelle dans un cas de double infanticide particulièrement violent. Parmi les collègues avec qui j’ai pu en discuter, tous critiquent là le manque flagrant de rigueur scientifique.

Cela dit, est-ce que je m’étonne vraiment que des psychiatres affirment une telle chose? Non. Pas dans le cadre d’expertises rémunérées par la défense. Ce qui me trouble profondément, toutefois, c’est qu’ils puissent le faire sous leur titre de médecin au nom de la psychiatrie. Et que le Collège des médecins n’intervienne pas pour dénoncer une instrumentalisation et un galvaudage aussi grossiers des concepts médicaux.

Car parler «au nom de la psychiatrie», c’est aussi parler en mon nom. Et en celui de mes collègues. Et en celui de notre ordre professionnel. Implicitement, nous sommes tous associés à ces quelques expertises qui n’ont de médical que le vocabulaire. Certains d’entre nous, en usant de leur titre de médecin, se comportent envers le système judiciaire et la population comme les deux personnages du conte d’Andersen qui prétendent que les habits du roi sont tissés d’une étoffe invisible aux sots. Alors qu’en fait, le monarque ne porte aucun vêtement et nous, médecins, nous retrouvons les témoins passifs de cette mascarade faite en notre nom.

Alors, être psychiatre au temps de l’affaire Guy Turcotte, c’est malaisé. Pour ne pas dire carrément gênant.

Dans la population, ces expertises risquent d’avoir de sérieuses conséquences : doutes sur la crédibilité scientifique des médecins, perte de confiance en la profession psychiatrique, intolérance envers les gens trouvés non criminellement responsables sur la base de maladies mentales sévères ayant réellement altéré leur jugement (situations rares, mais qui existent), etc.

En tant que psychiatre et professeur universitaire, je tiens à me dissocier de ces discours d’experts qui, sur la base d’un trouble d’adaptation, exemptent M. Guy Turcotte de responsabilité criminelle. J’invite mes collègues psychiatres à faire de même. J’appelle également le Collège des médecins à intervenir en se prononçant sur la valeur scientifique de telles expertises et en protégeant le cadre de ce qui peut être affirmé au nom de notre profession.

La responsabilité est le thème central de l’affaire Guy Turcotte. Je souhaite sincèrement que nous, médecins, individuellement et collectivement, nous mobilisions pour assumer la nôtre. Le roi est nu.

* Médecin psychiatre à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal et professeur adjoint de clinique à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal. L’auteure écrit à titre personnel.

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(1) Extrait de l’article «Les enfants comme enjeu dans la violence conjugale», 29/11/2015 : 
     [...] Si Guy Turcotte n’avait pas été un «notable» pouvant bénéficier de la connivence de collègues psychiatres, il se serait sans doute retrouvé derrière les barreaux à vie, comme n’importe quel autre criminel du genre. Mis à part les cas de légitime défense, tous les tueurs ne souffrent-ils pas de troubles mentaux? Pourquoi certains individus seraient-ils épargnés de la sentence en vigueur dans notre système de justice? 
     Rappelons que l’ex-cardiologue était accusé du meurtre prémédité de ses deux jeunes enfants. Le drame était survenu trois semaines après sa séparation d'avec Isabelle Gaston, la mère des enfants. Au terme du procès le jury a décidé que Guy Turcotte était criminellement  non responsable en raison de troubles mentaux : les psychiatres avaient déclaré qu’il souffrait d'un trouble de l'adaptation avec anxiété et humeur dépressive. Le verdict a soulevé beaucoup de controverse, si bien qu’en 2013, la Cour d'appel a décidé d'infirmer le verdict de non-responsabilité criminelle et ordonné la tenue d'un nouveau procès (2015). 
     À mon avis, le verdict de non-responsabilité criminelle en raison de troubles mentaux invite implicitement tous les individus violents à passer à l’acte. En lisant la chronologie de l’affaire dans le journal La Presse, on voit bien que Turcotte présentait des caractéristiques comportementales similaires à celles du pervers narcissique ou du psychopathe – ces individus n’acceptent pas le rejet, ne sont jamais coupables de rien et chercheront à se venger s’ils ont l’impression d’avoir été trahis ou lésés. Selon une étude américaine de Crawford et Gartner de 1992, 45 % des meurtres de femmes étaient provoqués par la fureur de l’homme s’estimant abandonné par sa partenaire. [...] http://situationplanetaire.blogspot.ca/2015/09/les-enfants-comme-enjeu-dans-la.html

Mais, à quelle peine s’expose habituellement un assassin?
L'assassinat est puni de la réclusion criminelle à perpétuité.
(Assassinat : homicide volontaire avec préméditation – quelqu'un tue une personne après avoir consciemment planifié son acte.)  

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