10 janvier 2015

«Si j’aurais su, j’aurais pas venu»

Voilà ce que disait le p’tit Gibus, dans le film La Guerre des boutons, après avoir été abandonné par son clan à la suite d’une bataille entre gamins.

Guerres d’écoliers, guerres d’adultes, même cause : l’espèce humaine est fondamentalement belliqueuse. Les humains aiment se battre et s’entretuer, et n’importe quel prétexte fait l’affaire. Comme on l’a vu encore ces derniers jours.

Photo : Braminir Jaredic

Une réflexion très pertinente en ces heures de crises - notez la date de publication...

La première et dernière liberté
Par Krishnamurti
Traduction de Carlo Suares 
Préface de Aldous Huxley
Stock; 1954

QUESTIONS ET RÉPONSES

1. Sur la crise contemporaine
(p. 153-155)

Vous dites que la crise actuelle est sans précédent. En quoi est-elle exceptionnelle?

– Il est évident que la crise mondiale actuelle est exceptionnelle, qu’elle n’a pas eu de précédent. Il y a, au cours des siècles, des crises de différentes sortes, sociales, nationales, politiques. Les crises arrivent et passent; des dépressions économiques se produisent, subissent certaines modifications et continuent sous d’autres formes. Nous savons cela; ce processus nous est familier. Mais la crise actuelle n’est pas du même ordre. Elle est différente, d’abord parce qu’elle est moins une crise d’argent, d’objets tangibles que d’idées. Dans le monde entier nous justifions le meurtre comme moyen pour des fins morales, ce qui est sans précédent. Anciennement, le mal était reconnu comme mal et le meurtre comme meurtre mais l’assassinat d’individus ou de masses est justifié aujourd’hui, parce que l’assassin, ou le groupe qu’il représente, affirment que c’est le moyen de parvenir à un résultat bénéfique pour l’humanité. Nous sacrifions le présent pour l’avenir et nos moyens importent peu tant que nous affirmons que notre but est le bien général. En somme, nous affirmons que les moyens les plus faux peuvent produire des fins justes, et nous justifions ces moyens par l’idéation.

Les crises précédentes concernaient l’exploitation des choses ou l’exploitation de l’homme. Il s’agit maintenant de l’exploitation des idées, laquelle est bien plus pernicieuse, plus dangereuse, plus dévastatrice. Nous connaissons aujourd’hui la puissance de la propagande; cette utilisation des idées pour transformer l’homme est une des plus grandes calamités qui puissent se produire. Et nous la voyons se produire partout. L’homme n’est pas important; les idées, les systèmes le sont. L’individu n’a plus aucune valeur. Nous pouvons détruire des millions d’hommes pour parvenir à nos fins, et celles-ci sont justifiées par des idées. Nous avons mis au point de magnifiques structures d’idées pour justifier le mal, et cela est sans précédent. Le mal est le mal, il ne peut pas mener au bien. La guerre n’est pas un chemin vers la paix; elle peut nous apporter des bénéfices secondaires comme, par exemple, des avions plus perfectionnés, mais elle n’apportera pas la paix aux hommes. La guerre est justifiée intellectuellement comme moyen pour établir la paix. Lorsque l’intellect prend le dessus dans les affaires humaines, il provoque une crise sans précédent.

D’autres faits aussi indiquent une crise sans précédent. L’un d’eux est l’extraordinaire importance que nous donnons aux valeurs sensorielles, aux possessions, aux noms, aux castes, aux pays et aux étiquettes que nous portons : l’on est musulman, hindou, chrétien, communiste ou autre chose. Tout cela a acquis une importance suprême, ce qui veut dire que l’homme est pris dans des valeurs sensorielles, dans la valeur des choses fabriquées par l’esprit humain ou par la main.

Les choses faites par la main ou par l’esprit sont devenues si importantes que nous nous tuons, égorgeons, liquidons, détruisons à cause d’elles. Nous arrivons ainsi au bord d’un précipice; toutes nos actions nous y mènent; toute notre activité politique et économique nous entraîne inévitablement dans cet abîme de confusion et de chaos. Par conséquent cette crise sans précédent exige une action sans précédent. Il faut en sortir d’un coup, à la façon dont on franchit un seuil, par une action instantanée, une action intemporelle qui ne s’appuie sur aucun système, car toute idée aboutit inévitablement à une frustration et nous ramène à l’abîme par une voie différente. Comme la crise est sans précédent, il faut aussi une action sans précédent. Nous devons comprendre que la régénération de l’individu ne peut être qu’instantanée; elle n’est pas le résultat du temps. Elle doit avoir lieu maintenant, pas demain; car demain est un processus de désintégration. Si je pense me transformer demain, j’invite la confusion, je suis toujours dans le champ de la destruction. Mais est-il possible de changer maintenant? Est-il possible de complètement se transformer soi-même dans l’immédiat, dans le maintenant? Je dis que c’est possible.

La crise ayant un caractère exceptionnel, nous ne pouvons l’aborder que par une révolution de la pensée; et cette révolution ne peut pas nous être apportée par des personnes, par des livres ou par des organisations. Elle doit se produire à travers chacun de nous. Alors seulement pourrions-nous créer une nouvelle société, une nouvelle structure loin de l’horreur de ces forces extraordinairement destructrices qui s’accumulent partout. Et cette transformation ne peut se produire que lorsque l’individu commence à être conscient de lui-même dans chaque pensée, chaque acte et chaque sentiment.

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En complément

La tyrannie des croyances

«Une croyance est l’œuvre de notre esprit. Elle est humaine et nous la croyons Dieu», disait Fustel de Coulanges, historien français (1830-1889), auteur de La Cité antique – ouvrage dans lequel il expose les rapports entre la propriété et les institutions politico-religieuses. Selon lui, les anciens ne connaissaient ni la liberté de la vie privée, ni la liberté de l’éducation, ni la liberté religieuse. La personne humaine comptait pour bien peu de chose vis-à-vis des autorités presque divines de l’Église et de l’État. 

En va-t-il autrement aujourd’hui?

Quelques définitions utiles :

Religion : reconnaissance par l’homme d’un pouvoir ou d’un principe supérieur de qui dépend sa destinée et à qui obéissance et respect sont dus; attitude morale qui résulte de cette croyance, en conformité avec un modèle social, et qui peut constituer une règle de vie – incluant des rituels et parfois un accoutrement identitaire spécifique

Politique : relatif à l’organisation et à l’exercice du pouvoir dans une société organisée, au gouvernement d’un État

Croyance : une croyance est une chose qui nous tient à cœur parce que nous pensons qu’elle est vraie; les croyances sont souvent inconscientes, acquises par lavage de cerveau familial*, socioculturel, religieux, médiatique...

Doctrine : ensemble de notions qu’on affirme être vraies et par lesquelles on prétend fournir une interprétation des faits, orienter ou diriger une action

Dogme : point de doctrine établi ou considéré comme une vérité fondamentale, incontestable – dans une religion, une école philosophique, etc. 

* La quantité d’impressions qui s’accumulent en nous est imposante. Les psychologues spécialisés dans l’étude des comportements estiment que les signaux verbaux acquis grâce à nos parents durant notre tendre enfance, et qui continuent à défiler dans nos têtes comme de vieux vinyles usés, correspondent à eux seuls à plus de 25 000 heures de pur conditionnement.

Si le sujet vous intéresse voyez le libellé «Religions»

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Citations du jour :

Avec ces gens là,
Si tu parles, tu meurs
Si tu ne parles pas, tu meurs
Alors parle et meurs!

– Tahar Djaout* (1954-1993)

* Le poète et journaliste algérien a prononcé ces paroles trois semaines avant d'être assassiné; il fut l'un des premiers intellectuels victimes de la «décennie du terrorisme» en Algérie.

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«Vous avez des doutes? Sur quoi, sur qui? Sur Dieu? Mais c'est bien simple : écrivez-lui. – Je n'ai pas son adresse. – Telle est en effet l'état de la question.»

~ Rémy de Gourmont (1858-1915)

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«La plupart des gens qui se jettent dans la Foi y sont bien moins poussés par l'amour de la vérité que par le besoin de calmer certaines terreurs. Ils ferment les yeux et s'abandonnent. L'imagination aidant, ils finissent par se figurer qu'ils croient. Ils sont d'ailleurs si peu soucieux de la vérité, qu'ils fuient tout ce qui pourrait les tirer de cet état d'illusion. Aux objections de la raison ils n'opposent que des réponses absurdes ou puériles, mais qui les tranquillisent. Or, c'est là tout ce qu'ils demandent.»

~ Louise Ackermann (1813-1890)

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