L’univers est un tourbillon de particules d’énergie subatomique qui se désorganisent pour se réorganiser autrement. Un homme meurt, un autre naît. Pendant qu’un monde agonise, un autre est en train de naître. La transition est difficile si nous nous accrochons à ce qui agonise. Nous résistons au changement parce que nous avons peur; peut-être aussi par manque d’imagination, de créativité et de vision.
L’abbé Raymond Gravel
C’est la première fois de ma vie que la mort d’un clergyman me touche. J’éprouve de l’admiration pour cet homme qui s’est buté contre ce mégalithe de dogmes (1) passés date qu’est l’Église catholique.
«L'Église ne peut plus continuer à tenir un langage d'interdits et de condamnations», écrivait-il dans une lettre ouverte le 23 avril 1999. «Ce faisant, elle prouve, une fois de plus, à la face du monde entier, jusqu'à quel point elle est déconnectée de la réalité.»
Il n’a pas craint d’affirmer ses positions par rapport à des sujets difficiles comme l’aide médicale à mourir, la discrimination envers les homosexuels, l’avortement, l’ordination des femmes et des hommes mariés, etc., ni de dénoncer le conservatisme, l’intransigeance et le manque de compassion de l’institution.
«[L'Église] aurait-elle nécessairement le dernier mot sur les mystères de la vie politique, sociale, familiale, sexuelle? Est-ce qu'elle détiendrait "toute la vérité" sur l'être humain?»
«l'Église catholique n'a malheureusement aucune crédibilité dans le débat actuel sur une redéfinition du mariage [...]. En refusant aux homosexuels la reconnaissance qu'ils revendiquent, l'Église les contraint à demeurer dans la clandestinité au lieu de les aider à vivre dans la normalité.»
«Je peux comprendre que des gens qui sont dans la souffrance puissent demander à mourir [...]. Je suis croyant, mais si jamais je décide de mourir, ne me dites pas ce que Dieu va me faire. Je vais m'arranger avec lui de l'autre bord.»
(Source des citations : ICI Radio Canada, Grands titres)
Et, je lui souhaite les meilleurs arrangements avec son Dieu…
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En complément (une recherche sur la misogynie religieuse m’a menée vers ce superbe écrit, d’un à propos étonnant) :
Dieu c’est nous. Une apparition
Christian Bobin - publié le 01/07/2014
Écrivain et poète, Christian Bobin a récemment publié L’Homme-joie (L’Iconoclaste) et La Grande vie (Gallimard, 2014).
La journée s’était conclue par une étrange apparition au buffet de la gare de Lyon où je buvais un verre de vin. Levant la tête, j’ai regardé dans le miroir, et tout d’un coup je me suis rencontré : je me voyais du dehors comme il est impossible de se voir. Je regardais ce monsieur qui, semble-t-il, revenait avec moi. C’était curieux : il avait sur ses traits une détermination et aussi quelque chose d’inachevé. Sur son visage, la moindre émotion s’écrivait en plein jour comme sur les visages en argile des bébés. J’ai cessé de le regarder pour ne pas le gêner. J’ai bu une gorgée de Sancerre et perdu mes yeux dans la lecture du journal qui se fanait déjà. Les yeux du monsieur qui était moi menaçaient de rouler en tous sens. Vraiment curieux. Quelques minutes auparavant dans un taxi, le chauffeur s’était mis à me parler de Dieu. Je lui avais répondu. La conversation s’était poursuivie pendant tout le trajet – une théologie vivante coupée de rires. La voiture, à l’arrivée à la gare, était remplie par les roses, les soleils et les tigres de notre échange. Par instants, l’homme me citait le Coran en arabe, puis me le traduisait, soulignant certains mots d’une main qui, lâchant le volant, battait des ailes. Nous sommes des cadavres, monsieur, me disait-il. Et les cadavres, ils ne savent pas si celui qui les approche est bon ou mauvais. Mais un cheval, lui, il sait. Si un homme de cœur vient vers lui, le cheval éclate de rire, monsieur. Et si c’est un diable, il recule. La bonne surprise, c’est pour après la mort – pourquoi la craindre puisque nous sommes des cadavres ? Nous avons parlé des âmes, de la pauvreté et des interdits. Je lui ai dit que si Dieu, par les haut-parleurs des textes sacrés, énonçait des interdits, ce n’était que pour nous protéger et donc pour se protéger, lui, puisque Dieu c’est nous. Une ivresse angélique nous prenait tous les deux. Paris devenait aussi lumineux qu’une clairière. Je regardais les couples dans les rues. Les mains des amoureux, quand elles croisent leurs doigts, chacune capturant l’autre, on dirait une corbeille de ciel. À l’arrivée, j’ai laissé un pourboire à mon frère en délires célestes. Il s’est tourné vers moi, son visage n’était que vérité quand il m’a dit : chaque fois qu’un client me donne un pourboire je ne le garde pas pour moi, je le donne à un pauvre. Et c’est quelques minutes après cette extase que dans le buffet de la gare j’ai entrevu le monsieur qui était moi dans la glace, son visage d’argile mouillé par toutes sortes de sentiments, vaguement affolé. Une tête encore dans les mains du potier, pas finie. Je n’en dis pas plus. Je crois bien qu’il est là, dans ma maison. Je ne veux pas le déranger. Il écrit sur sa journée à Paris.
http://www.lemondedesreligions.fr/chroniques/regard-poetique/dieu-c-est-nous-une-apparition-01-07-2014-4048_164.php
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(1) L’industrie du dogme
On croit naïvement qu’on a fini d’ergoter sur l’homosexualité, l’avortement et le voilage. Quel est donc le dénominateur commun à tous ces débats? Le contrôle politico-religieux. Un suaire de croyances et de doctrines tissé par l’homme.
«Une croyance est l’œuvre de notre esprit. Elle est humaine et nous la croyons Dieu», disait Fustel de Coulanges, historien français (1830-1889), auteur de La Cité antique. Fustel y expose les rapports entre la propriété et les institutions politico-religieuses. Selon lui, les anciens ne connaissaient ni la liberté de la vie privée, ni la liberté de l’éducation, ni la liberté religieuse. La personne humaine comptait pour bien peu de chose vis-à-vis des autorités presque divines de l’Église et de l’État.
Est-ce différent aujourd’hui?
Quelques définitions de base :
Religion : reconnaissance par l’homme d’un pouvoir ou d’un principe supérieur de qui dépend sa destinée et à qui obéissance et respect sont dus; attitude morale qui résulte de cette croyance, en conformité avec un modèle social, et qui peut constituer une règle de vie – incluant des rituels et parfois un accoutrement identitaire spécifique
Politique : relatif à l’organisation et à l’exercice du pouvoir dans une société organisée, au gouvernement d’un État
Croyance : une croyance est une chose qui nous tient à cœur parce que nous pensons qu’elle est vraie; les croyances sont souvent inconscientes, acquises par lavage de cerveau parental*, socioculturel, religieux, médiatique...
Doctrine : ensemble de notions qu’on affirme être vraies et par lesquelles on prétend fournir une interprétation des faits, orienter ou diriger l’action
Dogme : point de doctrine établi ou considéré comme une vérité fondamentale, incontestable – dans une religion, une école philosophique, etc.
* La quantité d’impressions qui s’accumulent en nous est imposante. Les psychologues spécialisés dans l’étude des comportements estiment que les signaux verbaux acquis grâce à nos parents dans notre tendre enfance, et qui continuent à défiler dans nos têtes comme de vieux vinyles usés, correspondent à eux seuls à plus de 25 000 heures de pur conditionnement.
Dans la même veine : libellé «Religions».
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Citaquote du jour :
«Il faut vivre comme on pense, sans quoi l’on finira par penser comme on a vécu.» ~ P. Bourget
«Quand on progresse, il faut s’attendre à laisser un certain nombre de gens à la traîne.» ~ G. Sheehy
«Il est des victoires qui mènent à l’impasse, comme il est des défaites qui ouvrent des voies nouvelles.» ~ P. Bruckner
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