11 janvier 2014

État et religions


Un vieux problème… En matière de séparation, on peut remplacer «église» par «religion». 

Je le savais qu’il y aurait quelque chose de pertinent chez Rémy de Gourmont!

Séparation de l’Église et de l’État
Rémy de Gourmont
15 avril [1905]

La Séparation de l'Église et de l'État. – On va, dit-on, prononcer, par consentement d'un seul, le divorce de ces deux puissances. Cela fait qu'à la Chambre on débite force discours théologiques. On se croirait au concile de Trente. Cela intéresse beaucoup les protestants, dont l'intellect entre en érection dès qu'ils entendent parler de la liberté de conscience; mais les autres y trouvent plutôt des causes de frigidité. Pour y prendre quelque goût, ils sont obligés d'écarter le point de vue religieux, qui est secondaire, et de considérer la question sous ses aspects vrais, qui sont : l'aspect politique, l'aspect financier, l'aspect commercial, l'aspect artistique ou pittoresque.

L'Église étant une puissance, il est très utile à l'État de la pouvoir dominer. Le concordat lui en donne le moyen. Pour vaincre l'ancienne noblesse, Napoléon avait imaginé de l'enrôler dans sa domesticité. Pour mater l'Église, qu'il reconstituait en France, il mua les ecclésiastiques en fonctionnaires. Il considérait le clergé comme l'appoint de la gendarmerie. Les prêtres ont longtemps joué ce rôle très utilement. Maintenant que leur crédit a diminué en certaines régions, et peut-être partout, cette fonction s'est amoindrie : elle est encore appréciable, et il n'est pas un curé, parmi les plus humbles, qui n'ait prévenu quelque crime et beaucoup d'infractions sociales. Cette utilité a son revers, une influence générale selon des tendances communément appelées rétrogrades ou réactionnaires, et c'est pour cela même, si l'on adopte les idées les plus modérées de la théorie étatiste, qu'il est bon que le gouvernement garde sur le clergé une prise certaine.

Une confiance décidée dans les bienfaits de la liberté à l'infini ferait au contraire accepter avec plaisir une séparation réelle, qui pourrait même n'être qu'un prélude. Après l'Église, on arracherait à la tutelle bureaucratique l'instruction publique, les beaux-arts, l'agriculture, les postes, plusieurs autres administrations, sans compter les tabacs et les allumettes, et peu à peu l'État se trouverait réduit à son vrai rôle, celui de grand juge de paix.

Mais la séparation que l'on projette ne semble pas, au point de vue politique, pouvoir être examinée sous cet aspect. Elle sera verbale, plutôt que réelle, et les prêtres, cessant d'être surveillés comme fonctionnaires, le seront ainsi que des sortes de malfaiteurs d'un ordre tout particulier. Cela n'est pas très intelligent. Quand on se trouve en présence d'une force utilisable, il vaut mieux que la détruire la capter à son profit. Si on parvenait à la détruire, ce serait au moins une solution; y parviendra-t-on? Beaucoup d'esprits sages en doutent sérieusement. S'ils n'en doutaient pas, d'ailleurs, seraient-ils sages? On connaît l'heureux principe de Machiavel, qu'il faut tuer son ennemi, et non pas le blesser seulement, un ennemi blessé étant un ennemi décuplé. S'il y a dans l'Église d'aujourd'hui une hostilité sourde contre l'État tel qu'il est, on la verra, après la blessure, s'avouer et s'exaspérer.

Au point de vue financier, les charges de l'État seront fort peu diminuées. Sensiblement les mêmes pendant quelques années, elles seront maintenues à un niveau élevé par la mendicité des députés, jusqu'aux plus radicaux, qui trouveront mille prétextes, pour le besoin électoral, à tirer des ministères de secrètes subventions. Ensuite si le curé, trop appauvri, ne fait plus l'aumône, la misère retombera toute à la charge des communes.

L'aspect commercial est important. Dans les petites communes, et il y en a trente mille en France, où, faute de ressources, un curé ne pourrait plus résider, l'humble commerce local en souffrirait singulièrement. L'église est un centre; près d'elle, le dimanche matin, un petit marché s'organise. Cela survivra-t-il à la fermeture de l'église? On ne le croit pas.

Je ne parle pas des grandes industries ecclésiastiques, industries qui touchent à l'art par bien des côtés. Il peut y avoir là une perte immense, qui ne sera compensée par rien.

Reste l'aspect pittoresque. Le clocher est un des éléments les plus originaux des paysages de France. C'est aussi un phare. Qui aperçoit un clocher, égaré dans la campagne, est sauvé. La plupart des communes rurales se composent de hameaux ou groupes de maisons inégalement réparties sur un territoire assez vaste souvent. L'un de ces hameaux, et ce n'est pas toujours le plus populeux, possède le clocher. Là est le centre; là donc aussi la mairie, et aussi l'école, et le débit, et le bureau de tabac, et la boîte aux lettres. Le clocher disparu, la commune disparaît. On la cherche en vain.

Il arrivera aussi que si l'église est détruite ou détournée de sa destination, les autres hameaux ne voudront plus être subordonnés. On verra de petites guerres. Il y aura des heures émouvantes, c'est quand du résultat d'un scrutin municipal dépendra la vie ou la mort du clocher qui pendant des siècles contempla les moissons. Une voix de plus et on démolira la flèche, qui coûte bien cher d'entretien. La nef sera louée à ce riche fermier, qui a besoin d'une grange.

Peut-être aussi n'y aura-t-il rien de changé, ou du moins si peu de chose que cela ne sera qu'une crise dans l'évolution qui entraîne toutes choses vers la mort.

On peut, en tout cas, craindre, pour une des prochaines années, une réaction terrible des opprimés. Mais cela, c'est la guerre. À chacun son tour.

Il n'y a pas plus de vérité en politique qu'en philosophie. Une suite d'apparences nous émeut, ou parfois nous étreint le cœur; chacune est contradictoire. Le progrès d'aujourd'hui sera la reculade de demain. On sait qu'une innovation a été un progrès, quand elle s'est imposée aux usages, aux besoins, quand elle est devenue une habitude. Mais cette habitude même devient quelque jour un fardeau. Les socialistes et les radicaux de l'an 305 étaient ardemment chrétiens; le noble et fécond paganisme ne leur inspirait que dégoût. La religion qui remplacera peut-être en France le catholicisme sera façonnée à la mesure de la nouvelle bassesse des âmes. Plus tard, elle paraîtra grande, parce qu'elle aura vaincu. Rien n'est définitif. L'aiguille tourne infatigable autour du cadran; le peuple, de temps en temps, se pend à la chaîne de l'horloge et remonte les poids. Heureux les hommes qui ont assisté à quelque intermède pittoresque, qui ont vu Fouché devenir duc d'Otrante et protéger Louis XVIII. M. Jaurès sera-t-il chambellan? Verra-t-on les délateurs d'aujourd'hui dénoncer ceux qui ne vont pas à la messe? Tout cela n'est qu'un amusement d'imagination et ne sera jamais, même réalisé en plein, qu'un amusement historique.

Les hommes politiques d'aujourd'hui semblent trop médiocres pour jamais nous donner le spectacle curieux des revirements brusques. Leurs persécutions aussi sont timorées comme leurs âmes. Et ceux qui font profession d'aimer la liberté ne l'aiment qu'à demi. Ils font un choix. Ils réprouvent certains excès, laissant ainsi dans leurs lois un ferment d'arbitraire. Mais il en sera toujours de même : le législateur est un tyran inconscient qui croit avoir fait son devoir quand il a satisfait à ses préjugés.

Ce qui engage tant d'hommes présentement à vouloir la séparation de l'Église et de l'État, c'est ce motif : que la religion n'est pas vraie et que l'État se déshonore en subventionnant une imposture. L'argument n'est pas sans force théologique; il est aussi très propre à égayer les gens sérieux. Le peuple est idéaliste. Il le faut être pour lui plaire. Le christianisme s'est soutenu, en répétant : Je suis la vérité. À tout autre secte qui tiendra le même langage, le peuple, inquiet, prêtera l'oreille.

Voilà où nous en sommes, après plus d'un siècle de science expérimentale.

Source : http://www.remydegourmont.org/index2.php


Églises à vendre

On ne sait que faire des églises désertées par les fidèles ici. Pourquoi ne pas les transformer en refuges pour sans-abris plutôt que les démolir ou en faire des façades à condos? Ce serait au moins dans la ligne paupérisante du nouveau pape (appliquée au Vatican*). Qui plus est, l’oisiveté étant la mère de tous les vices, les membres du clergé enclins à faire des choses, disons pas très catholiques, pourraient s’occuper des sans-abris – double vocation expiatoire au projet.

* Le Vatican tire ses revenus de la vente de ses timbres et des revenus provenant de ses placements immobiliers. Son budget est complété par une partie du denier de Saint-Pierre, c'est-à-dire l'ensemble des contributions annuelles des diocèses de partout dans le monde. Seul le secteur économique tertiaire est représenté au Vatican, sous la forme d'activités bancaires. Le Vatican est considéré comme un paradis fiscal. Il est impossible d'obtenir de données précises au sujet de son PIB ou de son PNB. Les revenus du Vatican ont totalisé 216 millions d'euros en 2002 (337 millions de dollars canadiens), pour des dépenses de 13,5 millions d'euros (21 millions de dollars canadiens).

Aucun commentaire:

Publier un commentaire