Quand je me sens vraiment mal, je m’assois au bord de la mer avec Philip Martin. «The Zen Path through Depression» a été une bouée de sauvetage durant une période de ma vie où mon p’tit monde s’était écroulé. Je trouve la philosophie de vie Zen, ou Taoïste, extrêmement utile en matière de détachement (non pas d’indifférence, bien sûr) quand rien ne va plus.
Une excellente visualisation de l’impassibilité zen – j’ai découvert ce montage-photos animé en 2003, et je revisite régulo, histoire de décrisper. Vraiment chouette et efficace – amusez-vous avec la mouche ou dans le temple (en anglais, mais, une image vaut 1000 mots) :
© KODAIJI-TEMPLE
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Présentation
Fort de son expertise psychologique et de sa connaissance du Zen, Philip Martin ouvre ici une voie novatrice fondée sur la méditation et la visualisation, directement inspirée du bouddhisme et des pratiques zen. Il nous explique comment s'attaquer aux symptômes de la dépression, et nous propose, à la fin de chaque chapitre, des exercices d'approfondissement. Un guide simple et quotidien, pour se retrouver et s'épanouir.
Bonne lecture!
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L’IMPERMANENCE
Pensez à cette vie éphémère ... comme à une bulle s’élevant d’un ruisseau, à une étoile filante, à un fantôme, à un rêve. - Sutra du Diamant
Renoncer aux choses ce n’est pas les abandonner. C’est simplement reconnaître qu’elles sont appelées à disparaître. - Shunryu Suzuki Roshi
Souvent, dans la dépression, nous sommes extrêmement conscients du fait que toutes les choses sont éphémères. La mort et les pensées morbides occupent largement notre esprit. Nous pensons à notre propre mort, à la disparition de tous ceux qui nous sont chers et de toutes les choses qui comptent pour nous. Savoir que toutes ces choses ont une fin peut nous causer énormément de souffrance.
Bien que cette prise de conscience soit extrêmement douloureuse, elle conduit vers une vérité que le Bouddha considérait comme essentielle è explorer : toutes choses sont éphémères. Ou, dit moins élégamment, tout ce qui est homogène se désintègre. C'est une vérité que la plupart d'entre nous essayons d’ignorer ou d’oublier durant toute notre vie.
J'étais affreusement conscient de cette vérité pendant ma dépression. La décrépitude ressemblait à une fleur que je voyais s’épanouir en éclats d'impermanence tout autour de moi. La dépression rendait toutes mes initiatives inutiles et sans espoir, car elles n’avaient plus de sens si tous les êtres et les choses qui m’entouraient cessaient d’exister.
Mais le monde dans son ensemble nous survit, et nous espérons que notre passage ici aura contribué à l’améliorer. Cependant, il est difficile de dépasser le sentiment que, dans ce monde d'impermanence, rien n'a d'importance; et ce sentiment peut être particulièrement envahissant durant la dépression.
Essayer de donner un sens à ce sentiment – ou tenter d’en tirer quelque chose – c’est comme «laver une motte de terre dans de l'eau boueuse», disait Karagiri Roshi. Mais, il ajoutait : «notre pratique doit se poursuivre, au beau milieu du désespoir».
C’est l'impermanence, disait Bouddha, qui provoque la majorité de nos souffrances. Ou, pour être plus précis, non pas l'impermanence elle-même, mais notre refus de la voir et de l'accepter. No souffrance provient de notre attachement aux gens et aux choses, de nos tentatives réitérées pour trouver quelque chose de durable là où il n'y a de durable.
Nous voulons que les choses qui nous procurent du plaisir perdurent. En réalité, nous voulons être inaltérables. Mais la réalité de l'impermanence nous apprend non seulement que rien n'est éternel, mais que rien ne reste tel quel. Le monde autour de nous change, et nous changeons, d'instant en instant. La mort n'est rien d’autre qu’un changement plus radical dans un monde où tout change de toute façon.
Nous aimerions croire que nous sommes sur un terrain solide, qu’il y a une constance et une permanence capable de nous soutenir. Mais quand on choisit de dépendre d’une telle constance, on se tient debout sur de l’air. On est comme le coyote des dessins animés qui continuait de courir au dessus du gouffre et qui soudainement réalisait qu'il n'y avait rien sous ses pieds.
«Si tu te trouves au sommet d'un mât de cent pieds, fais un pas en avant», recommande un koan Zen. L’impermanence est ce mât de cent pieds. Ou plutôt, notre attachement et le désir de permanence représentent ce mât de cent pieds auquel nous nous accrochons; et nous avons peur de bouger. Voilà pourquoi notre vie est si restreinte et limitée, aussi étroite que le sommet de ce mât.
Il y a une alternative. Nous pouvons faire un pas en avant dans ce monde d'impermanence. Qui sait? Au lieu de tomber, nous pourrions découvrir une nouvelle liberté. Nous pourrions découvrir la beauté de l'éphémère.
Tous les jardiniers savent que c'est l'impermanence même de la floraison qui la rend précieuse. La beauté du jardin réside dans sa nature changeante, dans sa variété de couleurs et de formes en perpétuelle mouvance.
La beauté du monde résulte du même mouvement perpétuel. Nous pouvons nous infiltrer dans cette beauté, au milieu de tout ce qui meurt et naît autour de nous.
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Photo : Buenos Aires
LA DÉTRESSE DU CORPS
Fréquemment, la sagesse du corps exprime le désespoir de l'esprit. - Marion Woodman
La plupart des grandes traditions spirituelles admettent que le corps est éphémère. Bien que leurs points de vue diffèrent au sujet de l'esprit ou de l'âme, ils admettent que le corps redevient poussière. (On affirme aussi que, contrairement aux animaux, les humains savent qu'ils vont mourir.)
Au plus profond de sa chair, le corps sait qu'il va mourir. Il ressent vivement la perte d'énergie de la vieillesse, le goût déplaisant de la détérioration due à la maladie. Dans son ADN il reconnaît l'impermanence. Notre corps s’afflige de la perte de cette vie précieuse.
La dépression n'est pas seulement une expérience de l'esprit, c'est aussi une affliction du corps. Il ya un manque d'énergie, une pesanteur douloureuse, une tristesse et un chagrin qui nous imprègnent jusqu’à la moelle. La tristesse et le chagrin proviennent, en partie, d’une nostalgie que le corps éprouve vis-à-vis d’une pérennité inexistante, et qu’il ne ressent que changement et déclin. Lorsque nous approchons la douleur et la tristesse sans crainte, il devient possible de contacter la douleur du monde entier, la souffrance de tous les êtres.
Dans la dépression, nous pouvons ressentir le chagrin tout autour de nous, dissimulé derrière le visage des gens que nous rencontrons. En voyant cela, nous nous rendons compte que toute cette souffrance a la même origine. Ensuite, quand nous pleurons, nous pleurons toutes les larmes du monde.
Dans le bouddhisme, le corps est à juste titre perçu comme un instrument pour atteindre l'illumination. Pourtant, notre technologie vise de plus en plus à rendre le corps obsolète. Aujourd'hui, nous ignorons souvent l'un des besoins les plus élémentaires de notre corps, à savoir la nécessité d’être l’utilisé. Nous roulons au lieu de marcher. Nous achetons des plats préparés au lieu de cuisiner. Nous mettons nos couverts sales au lave-vaisselle. Nous nous rasons rapidement avec un rasoir électrique plutôt que de ressentir le plaisir du blaireau et la mousse contre notre visage et le poids du rasoir dans notre main.
On nous vend tous ces appareils avec la promesse de transformer en plaisir tout ce qui autrefois était corvée. En fait, tout ce qu'ils font, c'est accomplir les tâches plus rapidement; les tâches en elles-mêmes ne sont ni un plaisir ni une corvée. Le vrai plaisir réside dans l'activité – lorsqu’on accueille les sensations reliées à l'activité. Si nous faisons les choses de bon cœur, avec conscience, ces simples activités remplissent tout l'univers.
Dans la dépression, la sensation de lenteur et de lourdeur ressemble à ce qu’on éprouve durant la méditation marchée. Dans l'effort extrême nécessaire pour achever le moindre geste, comme se lever ou traverser une pièce, on trouve la possibilité d'expérimenter et de ressentir pleinement l'action.
Ainsi, nous pouvons prendre plaisir à ressentir la chaleur du soleil sur notre dos, ou même la chaleur de l’ampoule allumée derrière nous. Nous pouvons voir à quel point nous avions perdu de vue ces sensations avant la dépression, alors que nous passions nos journées bien remplies totalement inconscients de nos gestes.
La dépression nous donne la chance de revenir dans notre corps, de ressentir tout ce que nous avons manqué.
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Photo : The Compassion Project
LA COMPASSION ET L’ACTION
Ma religion est la bonté. - Dalaï-Lama
La connaissance de la vacuité donne naissance à la compassion. - Milarepa
Quand nous luttons contre la dépression, la bonté et la compassion peuvent sembler aussi rares que l'eau dans le désert. Nous sommes en colère, nous avons peur et nous jugeons. Nous n’arrivons même pas à ressentir de la bonté ou de la compassion envers nous-mêmes, encore moins envers autrui. En même temps, on peut trouver difficile de croire que quelqu'un puisse nous témoigner de la bonté. Nous nous sentons abandonnés, par nous-mêmes et par le monde.
Toutefois, la capacité d’être compatissant demeure toujours en chacun de nous. En fait, les difficultés que nous traversons durant la dépression peuvent nous mener à une compréhension plus profonde de la vie, ainsi qu'à une plus grande compassion envers les autres et nous-mêmes.
Lorsque nous commençons à voir que la vie est remplie de souffrance, nous prenons conscience aussi qu'il y a en déjà trop partout dans le monde. Pourquoi en rajouter? En réalisant de plus en plus que la vie est éphémère, notre compassion grandit. La compassion émerge d’une meilleure compréhension de nous-mêmes et de notre relation au monde.
La dépression nous ralentit et nous permet d'entrer en contact avec notre tendresse fondamentale. Si nous prenons conscience de ce qui se passe en nous, les graines de la compassion pourront germer. La compassion naturelle peut alors s’extérioriser, se manifester dans nos relations et activités. (On doit donner suite à cette prise de conscience, faute de quoi elle restera vide de sens.)
Le cliché «nous devons prendre soin de nous avant de prendre soin des autres» est particulièrement vrai durant une dépression. Tant que nous n’avons pas dépassé les sentiments d'inutilité et de haine de soi que nous ressentons, nous avons beaucoup de difficulté à agir avec amour. Lorsque nous arrivons à mieux nous percevoir grâce à la sensibilisation et la méditation, nous devenons plus indulgents et compatissants pour nous-mêmes.
Dans l'obscurité de la dépression, il nous semble que nous n’arriverons jamais au terme de cette souffrance. Il est difficile de s’aider soi-même, et encore plus d’être d’une quelconque utilité aux autres. Pourtant, durant la dépression, le service aux autres devient éventuellement encore plus essentiel à pratiquer.
La dépression peut être une maladie du «moi», où nous sommes tellement absorbés dans notre propre souffrance que nous sommes portés à nous centrer uniquement sur nous. Chercher des moyens d’aider les autres peut nous sortir de notre petit monde égocentrique dans lequel nous vivions.
Aider les autres est également un antidote contre l’intense sentiment d'inutilité que nous éprouvons dans la dépression. De plus, en aidant les autres, on acquiert une certaine perspective à savoir qu’on n’est pas le seul individu au monde à souffrir.
Nous n’avons pas besoin de faire de grandes choses pour aider les autres. Chaque mot gentil ou geste utile sert à faire de notre monde un endroit plus agréable. Les ondes qui se propagent en périphérie d'un tel geste se répercutent bien au-delà de ce que nous pouvons imaginer.
Nous avons déjà une manière d’aider les autres. Ayant survécu à notre dépression, nous pouvons faire preuve de bonté, de compréhension et offrir de l'espoir à ceux qui luttent contre elle. Nous pouvons parler honnêtement de notre propre expérience et modifier quelques-uns des préjugés que les gens entretiennent à ce sujet. Nous pouvons créer une différence.
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Bonus : En souvenir de la magnificence de la terre - à conserver dans vos archives : http://www.andiesisle.com/creation/magnificent.html