Rappelons que Teck Resources est
une entreprise minière canadienne spécialisée dans l'extraction, la transformation
et la distribution du plomb, du zinc et du charbon. En juillet 2009, la
compagnie avait accepté une offre d'investissement de 1,74 milliard CAD de la firme chinoise China Investment Corporation. La Chine ne cesse de multiplier les
partenariats financiers dans tous les domaines, sur tous les continents (1), et
le Canada est sur sa route.
Projet Teck Frontier : «L’argument économique
l’a emporté»
Hélène Baril / La Presse Affaires,
25 février 2020
«L’argument économique l’a
emporté. Les prix actuels et prévisibles du pétrole brut font en sorte que
l’investissement de 20,6 milliards dans un nouveau site de production de
pétrole bitumineux n’aurait pas été rentable. À plus
long terme, rien ne permet de croire que les prix du brut vont revenir à des
niveaux assez élevés pour rentabiliser les nouveaux projets dans les sables bitumineux.
C’est un des pétroles les plus chers au monde.» (Jean-Thomas Bernard,
spécialiste en énergie et professeur à l’Université d’Ottawa)
D’autres projets énergétiques controversés
Coastal GasLink : le projet de pipeline de TC Energy veut relier Dawson Creek à
Kitimat, en Colombie-Britannique, sur une distance de 670 kilomètres pour
alimenter les installations de liquéfaction de gaz naturel de LNG Canada. C’est
ce projet qui est à l’origine des blocages ferroviaires partout au pays
actuellement.
LNG Canada : la
coentreprise formée de Shell, Petronas, PetroChina, Mitsubishi et Kogas veut
construire des installations de stockage et de liquéfaction de gaz naturel à
Kitimat pour l’exporter en Asie. Il
s’agit d’un investissement estimé à 40 milliards, le plus important
investissement privé de l’histoire du Canada.
Trans Mountain : l’expansion de l’oléoduc Trans Mountain vise à ouvrir de nouveaux marchés en Asie pour le pétrole canadien.
Racheté par le gouvernement fédéral en 2018, le projet est maintenant estimé à
12,6 milliards, ce qui représente un bond de 70 % depuis trois ans.
Énergie Saguenay : un consortium formé d’investisseurs américains veut construire des
installations de liquéfaction de gaz naturel à Saguenay, au Québec. Le projet
prévoit la construction d’un gazoduc de 750 kilomètres pour acheminer le gaz
naturel de la frontière de l’Ontario jusqu’à Saguenay. Les installations de
stockage et de liquéfaction ainsi que le gazoduc nécessiteraient des
investissements de 14 milliards.
[Ndlr : le gaz sera acheminé
non seulement vers les États-Unis, mais aussi vers l’Asie et l’Europe.]
Même si Teck Resources évoque diverses
raisons pour abandonner son mégaprojet d’exploitation des sables bitumineux en Alberta,
en réalité le vent de récession qui plane en est sûrement la principale raison –
ceux qui la créent en connaissent les jalons.
Bien sûr, le chef conservateur Andrew Scheer et le premier ministre
albertain Jason Kenney versent des larmes de pétrole sur la poule aux œufs noirs
et fustigent le cabinet Trudeau. L’Alberta menace de sortir de la fédération –
étant un copié-collé du Texas la province pourrait devenir le 51e état
des États-Unis d’Amérique.
Quoiqu’il advienne, le désistement de Teck Resources est une bonne
nouvelle... pour l’environnement. La production de pétrole bitumineux n’est-elle
pas suffisamment colossale en Alberta pour qu’on songe à lever le pied de la
pédale à gaz? Ce qui ne signifie pas de
«cesser» radicalement toute production, mais plutôt de se limiter à l’essentiel.
Ce projet insensé, dont le site se trouve à quelques kilomètres du Parc national
de Wood Buffalo, avait été approuvé par le gouvernement fédéral. «Songer à
éventrer la terre et créer une mine dont la taille fait la moitié de la ville
d’Edmonton, c’est un crime contre la nature.» ~ Alice Rigney, militante environnementale originaire de Fort Chipewyan
Le projet tel qu’évalué en
juillet 2019 :
Le projet Frontier dans l'intérêt public malgré ses
effets négatifs, juge la commission d'examen
Stéphanie Rousseau, ICI Alberta
25 juillet 2019
Le mégaprojet minier Frontier dans les sables bitumineux est dans l’intérêt public,
malgré ses effets négatifs sur l’environnement et les communautés autochtones,
selon la commission d'examen chargée d'étudier le projet.
«Même si nous estimons que le
projet aura des effets négatifs importants et qu’il y aura des effets
cumulatifs sur certaines composantes environnementales et communautés
autochtones, nous considérons que ces effets se justifient et que le projet Frontier est dans l’intérêt public»,
indique un résumé de la décision de la commission d’examen conjoint formée de
l'Agence canadienne d'évaluation environnementale et l'Agence de réglementation
de l’énergie de l’Alberta.
La commission justifie son évaluation environnementale par les
retombées économiques et la création d'emplois liées à ce projet.
Le rapport note que le projet «devrait créer 7000 emplois pendant la construction et jusqu’à 2500 emplois pendant la durée de vie de la
mine, soit 41 ans».
La mine devrait en outre susciter des retombées de «plus de 70 milliards
de dollars» pour les trois ordres de gouvernement.
Un mégaprojet minier
Le projet de mine Frontier est proposé par l’entreprise de Colombie-Britannique Teck Resources. Son coût est estimé à plus de 20 milliards de dollars.
Devant produire 260 000 barils de
bitume par jour, il comprend deux mines à ciel ouvert, une usine de
préparation du minerai, une usine de traitement du bitume, des installations de
préparation et de gestion des résidus, des aires d’élimination et de stockage
des résidus, une prise d’eau fluviale, un aérodrome et un campement pour les
travailleurs.
Photo : David Dodge / The Pembina Institute. Wood Buffalo National Park.
Un parc à protéger
Il sera situé à quelques kilomètres du parc national de Wood Buffalo, alors que l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) évalue actuellement si le parc doit être placé sur sa liste des sites en péril.
L’organisme international a donné jusqu’en 2020 au Canada pour prouver
qu’il en fait assez pour protéger ce site unique, après avoir jugé insuffisant
le plan présenté par le gouvernement de Justin Trudeau.
Dans le résumé de son rapport, la commission juge que la mine «ne
devrait pas avoir d’effets mesurables sur le débit ou le niveau d’eau dans le
delta des rivières de la Paix et Athabasca» et que les changements climatiques
auront «des effets négatifs beaucoup plus importants sur le parc national».
Selon la commission, «Frontier sera aussi un grand émetteur de gaz à
effet de serre» et produira l'équivalent de 4 millions de tonnes de CO2
par année, mais elle n'établit aucun
lien direct entre ces émissions et les changements climatiques.
Impacts environnementaux majeurs et irréversibles
Photo: Iron Mountain Daily News /
Operation Migration. Whooping cranes, an endangered and federally protected species, stand
nearly five feet tall and have a wingspan of about 7.5 feet. Le parc national Wood Buffalo est le dernier
endroit où les grues blanches se reproduisent naturellement. Il accueille aussi
un des plus grands troupeaux de bisons.
Le projet «est susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs
importants sur les milieux humides, les forêts anciennes, la biodiversité et
les espèces en périls dépendantes des milieux humides et des forêts anciennes»,
indique le rapport, qui précise que les
lynx, les caribous des bois et la harde de bisons du lac Ronald seront touchés.
«La commission reconnaît que le
caribou des bois est en déclin dans l’ensemble de son aire de répartition»,
souligne le rapport, en ajoutant que «le projet a le potentiel d’apporter une
contribution supplémentaire aux effets cumulatifs importants déjà existants».
Pour diminuer l’impact du projet sur cette espèce menacée, la commission
demande à Teck Resources de finaliser un plan d'atténuation et de surveillance.
La perte de plus de 14 000
hectares de milieux humides est un effet de grande ampleur et irréversible, le
projet aura des effets cumulatifs négatifs importants sur les milieux humides
de la région.
Conséquences sur les peuples autochtones
Le rapport mentionne aussi que les peuples autochtones de la région perdront des terres qu'ils utilisent pour leurs activités traditionnelles et qu’il «n’est pas certain que les groupes autochtones rétabliront les activités d’usage traditionnel sur les terres remises en état après une interruption sur plusieurs générations et vu la perte de liens culturels avec ces terres».
Le rapport note toutefois que «tous les groupes autochtones qui seraient
touchés de façon importante par le projet Frontier ont signé des ententes avec
Teck».
Le gouvernement fédéral doit donner son approbation en vertu de la Loi
sur les pêches et de la Loi sur la protection de la navigation.
La ministre fédérale de l’environnement, Catherine McKenna, doit
déterminer si le projet est susceptible de causer des dommages environnementaux
négatifs importants, malgré les mesures d'atténuation exigées.
Si tel est le cas, il appartiendra au cabinet fédéral de décider si ces
effets sont justifiés dans les circonstances. La décision d’Ottawa doit être
rendue en février.
Les groupes environnementaux ont déjà souligné que la mine est difficile
à concilier avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de
serre du Canada.
~~~
(1) Les Chinois étant à la fois
investisseurs et fournisseurs, si une contrainte comme le COVID-19 perturbe la
chaîne de production, d’approvisionnement et de distribution, le monde entier écope;
les marchés financiers paniquent car cette crise atteint plusieurs domaines :
industriel, manufacturier, touristique, etc. Empêcher un virus de se propager
est aussi puéril qu’empêcher l’eau de couler entre nos doigts... Un virus est
100 fois plus gros qu’une bactérie, néanmoins, l’un et l’autre sont incontrôlables
en raison de leur taille; si l’humain est perméable, ils feront le tour de la
planète...
Chine : mirages et fantasmes sur la nouvelle
route de la soie
Philippe Rochot / Reportages pour
mémoire
«La méthode chinoise consiste à
établir des jalons tels que des grandes réalisations tout au long des
itinéraires des anciennes «routes de la soie», puis de joindre ces points
d’ancrage et étendre ainsi son influence. Détail
important : les traités signés avec les états prévoient que la Chine reste
propriétaire des infrastructures installées dans les pays amis et peut
intervenir pour les protéger en cas de problèmes. On appelle ça
«l’ingérence sécuritaire» mais d’autres y verront une violation possible de la
souveraineté nationale. L’objectif inavoué de Pékin est le même qu’en mer de
Chine où l’Empire rouge avance ses pions sur les différents ilots revendiqués
par le Vietnam, les Philippines ou Taiwan. Il s’agit d’étendre la domination
économique et de «protéger» les terres conquises.
Xi Jinping habille cette initiative d’un discours poétique et
historique, celui de la main tendue et de l’amitié entre les peuples, destiné à
étouffer toute contestation, rappelant qu’il y a plus de 2000 ans, «un
émissaire de la dynastie des Hans chargé d’une mission de paix fut envoyé en
Asie centrale, inaugurant ainsi les échanges amicaux avec ces peuples de
l’ouest».
Aujourd’hui, la route a bien sûr changé d’aspect. Elle est aussi
maritime. Il faut pouvoir gagner l’Europe par les océans et surtout sécuriser
cet itinéraire menacé par l’instabilité autour des ilots de la mer de Chine ou
les risques de piraterie dans le détroit de Malacca, le golfe d’Aden ou le
détroit d’Ormuz... L’empire de Xi Jinping se voit assez bien devenir le
gendarme qui va sécuriser cet itinéraire. Ça n’est pas de l’expansionnisme nous
dit-on à Pékin mais simplement une nécessité de protéger le commerce. Personne
ne songe d’ailleurs à s’opposer aux «offres» de la Chine.
Les chiffres de la présence
chinoise dans le monde parlent d’eux-mêmes. En 1980 on comptait 250 000 Chinois
installés en dehors des frontières de l’empire rouge. En 2016 ils étaient 50
millions auxquels on peut ajouter plus de 100 millions de touristes... Le
devoir du régime est donc de les soutenir, de défendre leurs intérêts et leur
sécurité.»