19 février 2020

À l’assaut des derniers territoires intacts

Il est illégal de s’opposer aux industries pétrolières, gazières et minières qui débarquent avec leurs gros canons. Les nations autochtones essaient pourtant de protéger leurs derniers territoires relativement épargnés en bloquant l’intrusion des assaillants armés qui font le pied-de-grue devant de pathétiques barricades. À chaque fois que les élus ouvrent la bouche c’est pour dire que la solution à la crise climatique est d’installer plus de pipelines pour produire et vendre plus de gaz naturel outre-mer, notamment en Asie (1) !
   Selon un article publié dans le Guardian en janvier 2019, la GRC avait planifié un raid militarisé pour se débarrasser des militants (non armés) de la Première nation Wetʼsuwetʼen, qui conteste le passage du gazoduc Coastal GasLink sur son territoire. «Lethal overwatch is req’d» lisait-on dans un communiqué, ce qui signifie déployer des tireurs d’élite (snipers), et dans un autre communiqué, «des arrestations seront nécessaires pour stériliser le site». Cela prouve deux choses : nous sommes tous à la merci des criminels financiers qui mènent le monde et les armes ont le dernier mot. 

Documentaire et résumé de la situation :

La communauté Wet’suwet’en refuse de négocier avec les chefs de bandes autochtones et la gouvernement fédéral, si les agents de la GRC ne quittent pas leur territoire. Ce n’est pas la fin du monde que d’acquiescer, ça règlerait les blocages ferroviaires. Mais c'est trop demander au pétro sapiens.

Photo via The Star 

Il ne nous reste qu’à attendre que Mère Nature ferme elle-même les robinets brutalement puisque que nous n’avons pas tenu compte des alertes. Mauvais karma.

De l’eau et de l’air propres
Aurélie Lanctôt
Le Devoir / Chronique / 14 février 2020

(Extrait)

On ne dit pas un mot du fait que l’expansion du capitalisme repose nécessairement sur la dépossession violente et que le capitalisme opère par ailleurs main dans la main avec le colonialisme, ce dont le projet Coastal GasLink est, tiens donc, un exemple parfait.

Bien sûr, cette violence est toujours voilée – elle ne s’annonce pas directement. On nous parlera plutôt de promesses de prospérité, d’emplois, de belles occasions. Mais elle se laisse toujours voir si l’on s’attarde au discours. Dans une conférence organisée à Prince George en janvier dernier, où étaient rassemblés les patrons de Coastal GasLink et de LNG Canada, le p.-d.g. de LNG Canada, Peter Zebedee, a eu ces mots surréalistes pour parler des progrès du projet contesté par les Wet’suwet’en : «We just finished what we call our pioneering work, clearing the land.»

Nettoyer, conquérir : le choix des mots est formidable. Ils révèlent en fait l’esprit dont s’imprègne chacun de ces projets de développement. Il faut purger l’espace de ce qui l’encombre, afin de prendre, d’accaparer, d’exploiter. À grande échelle, l’accumulation privée de la richesse se réalise au fond toujours ainsi, sur le mode de la prédation. Là se révèle aussi tout le courage dont les Wet’suwet’en et tous ceux qui dressent des barricades font preuve. Ces militants mettent leur corps en jeu pour opposer résistance à cette prédation, et ils le font pour la population entière. Ils résistent pour nous tous à la liquidation de l’avenir et du vivant, car après tout, tout le monde mérite de l’eau et de l’air propres.

Article intégral :

Vous pouvez changer le nom de la pétrolière et du PDG à volonté, le discours sera identique.

Le PDG d'ExxonMobil est déprimé après avoir réalisé que la fin du monde pourrait survenir avant d’avoir  extrait tout le pétrole
The Onion* | 10 octobre 2018

IRVING – TX – À la suite d'un rapport des scientifiques du Groupe d'experts intergouvernemental sur l’évolution du climat qui prévoyait que la planète ne disposerait que d'une décennie pour éviter un réchauffement climatique catastrophique, Darren Woods, le PDG d'ExxonMobil, se serait senti déprimé après avoir réalisé que la fin du monde pourrait survenir avant qu'ils n’aient fini d'extraire tout le pétrole. «Quand j'ai lu le rapport, ça m’a frappé comme une tonne de briques – nous pourrions tous mourir et laisser des milliards de barils de pétrole piégés dans le sol pour toujours», a déclaré Woods, essuyant une larme et ajoutant que l'ensemble de l'industrie pétrolière avait le cœur brisé à l’idée qu'on pourrait ne pas avoir les décennies nécessaires pour extraire tout le pétrole de la planète comme on l'avait initialement projeté. «Nous avions déjà planifié la production de gaz pour les futures générations d'employés d'ExxonMobil, c'est donc très traumatisant pour moi de penser qu'ils n’auront peut-être jamais la chance de tirer profit des mêmes avantages que nous avons maintenant. Pensez-y, un jour, bientôt, nous serons tous partis et le pétrole restera toujours là sous terre, sans jamais être extrait. C'est une parodie.» Au moment d’aller sous presse, Woods a annoncé qu’ExxonMobil allait quadrupler sa production de pétrole pour tenter de tout l’extraire de la terre pendant qu'il était encore temps.

* La publication satirique The Onion (publiée depuis 1988) met le doigt sur nos paradoxes et notre crédulité sans ménagement.

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Québec permet la destruction gratuite de l'environnement au nord du 49e parallèle
Thomas Gerbet / Radio-Canada, 27 septembre 2018

Une arme contre les changements climatiques

Les milieux humides comme les tourbières sont extrêmement utiles pour capter et séquestrer le carbone, ce qui contribue à réduire de façon naturelle la présence des gaz à effet de serre dans l'atmosphère.
   Une étude de 2015, financée par le gouvernement, révélait que 95 % du carbone stocké dans les tourbières et les forêts du Québec se situe au nord du 49e parallèle.
   Les milieux humides et hydriques remplissent d'indispensables fonctions écologiques et constituent un maillon déterminant de la biodiversité du Québec.
   Selon le gouvernement du Québec lui-même, le nord du 49e parallèle «constitue l’un des derniers endroits de la planète présentant un potentiel de conservation de vastes territoires naturels» et «dispose de ressources fauniques exceptionnelles, dont des rivières à saumon mondialement reconnues».
   Le nord du 49e renferme plus de 200 000 km2 de forêts commerciales. Les grands sites d'épinettes noires sont généralement situés sur des milieux humides. Cette région compte aussi une quinzaine de mines actives et autant de projets en développement. La production hydroélectrique est une autre cause de disparition de milieux humides et hydriques.

Photo : Michelle Garneau / UQAM

«Si le règlement s'appliquait au nord du 49e, ça limiterait considérablement le potentiel de développement industriel», croit Michelle Garneau, directrice de la Chaire de recherche sur la dynamique des écosystèmes tourbeux et changements climatiques de l'Université du Québec à Montréal (UQAM). «Ce seraient des sommes astronomiques qu'il faudrait payer dans cette région.» Elle pense que c'est ce qui a guidé le gouvernement dans sa décision. La zone exemptée rappelle le territoire d'application du Plan Nord des libéraux.
   «Je ne vois pas pourquoi les mines ne paieraient pas. Pourquoi le développement du nord ne serait pas soumis aux mêmes règles?» ~ Monique Poulin, professeure au département de phytologie de l'Université Laval et spécialiste des tourbières
   «On aurait pu utiliser ces fonds-là pour renflouer certaines régions dans le sud qui ont un manque criant de milieux humides », estime Monique Poulin, professeure au département de phytologie de l'Université Laval et spécialiste des tourbières. Elle pense que le règlement «vient amoindrir la loi» et crée des disparités entre les régions et les secteurs industriels.


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(1) Pollue ta maison pour dépolluer celle de ton voisin! 

Ce gaz naturel supposément moins polluant

L'hydrofracturation utilisée pour extraire le gaz de schiste requiert des trains d’explosions puis l’injection sous très haute pression d’un fluide de fracturation constitué d'eau, de sable et d'additifs (toxiques pour certains). Cette pratique affecte le sous-sol, les écosystèmes en surface et la santé. Les fuites de gaz fréquentes peuvent contaminer des puits. L'utilisation de produits toxiques risque de polluer les nappes phréatiques. L'eau de fracturation remonte avec des contaminants indésirables pour la santé et les écosystèmes (sels, métaux et radionucléides) pour toute personne vivant près d'une source d'extraction.
   Le gaz naturel et le pétrole brut sont souvent associés et extraits simultanément des mêmes gisements, ou encore des mêmes zones de production. Les hydrocarbures liquides proviennent du pétrole brut pour une proportion moyenne de l'ordre de 80 %; les 20 % restants, parmi les fractions les plus légères, le propane et le butane sont presque toujours liquéfiés pour en faciliter le transport.
   Pour transporter le gaz naturel des gisements vers les lieux de consommation, les gazoducs sont le moyen le plus courant. Mais une part croissante du gaz consommé est transportée sous forme liquide, à − 162 °C et à pression atmosphérique, dans des méthaniers du lieu de production vers les lieux de consommation : c'est ce que l'on appelle le GNL, ou Gaz Naturel Liquéfié.
   Cette solution qui permet de «condenser» l'énergie gazeuse sous un volume réduit exige des investissements très lourds, tant pour la liquéfaction  que pour le transport. À titre indicatif, le coût d'une usine de liquéfaction, de taille minimale de l'ordre de 45 Gthermies/an (3,5 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié) est de l'ordre de 400 à 500 millions USD et si l'on veut doubler cette capacité, il faut ajouter 85 % de plus à ce coût.
   Lors de sa liquéfaction, le gaz naturel est fractionné, si nécessaire, pour le séparer de l'éthane, du propane et du butane. À l'arrivée près des lieux de consommation, le GNL est éventuellement stocké sous forme liquide puis vaporisé dans des terminaux méthaniers. Il est alors émis sur un réseau de transport classique. Ici encore, il faut des investissements importants pour la réception, le stockage et la vaporisation

Pas étonnant qu’Énergie Saguenay GNL Québec lobbytomise le gouvernement (2). 

La fracturation hydraulique consomme de grandes quantités d'eau et utilise des additifs chimiques souvent toxiques. Le torchage et les fuites ont, en outre, des effets directs et indirects sur le climat et l'acidification des milieux.

Le gaz naturel est souvent présenté comme moins polluant que le pétrole et préférable au charbon, avec des émissions de CO2 inférieures de 40 % et pratiquement pas d'émissions de dioxyde de soufre s'il est désoufré. Mais les fuites de méthane menacent d'annuler ces avantages, selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), qui estime que chaque année, les compagnies pétrolières et gazières émettent plus de 75 millions de tonnes de méthane dans l'atmosphère, et que le taux de fuite moyen atteint 1,7 % pour la chaîne du gaz.
   Le secteur gazier génère en outre des émissions de méthane (CH4) et d'autres polluants durant le forage, l'exploitation du gisement, le stockage, la compression, le transport et la distribution du gaz. Les techniques modernes de fracturation hydraulique augmentent le risque et le niveau de fuites ou de perte lors des forages et des incertitudes existent quant à la fiabilité à moyen ou long terme du colmatage des puits en fin de production, notamment en zone sismiquement active.

Risques pour le grand public

Les principaux dangers directs sont l'explosion, l'incendie. Les produits de combustion du méthane sont dangereux pour la santé (risque d'asphyxie en atmosphère confinée ou en cas de mauvaise combustion).  

inflammation : le méthane peut s'enflammer en présence d'air, d'autres oxydants et d'une source de chaleur. Sa limite inférieure d'inflammabilité est de 5 % et sa limite supérieure d'inflammabilité est de 15 %;
explosion d'un mélange air/gaz :
a) en milieu non confiné, ce gaz ne détone pas et son inflammation conduit à de faibles surpressions
b) en milieu confiné, il peut exploser (en cas d'inflammation d'un mélange air/gaz s’il y a suffisamment de gaz dans le mélange);
décompression : la libération brutale de gaz comprimé à haute-pression peut s'accompagner d'un effet local de congélation et de projections violentes d'objets (éclats métalliques, terre, pierres...);
anoxie/asphyxie :
a) en milieu libre ce gaz plus léger que l'air s'élève rapidement et se disperse sans créer de nappe gazeuse au sol ni dans l'air
b) en milieu confiné le gaz naturel est un gaz asphyxiant (par privation d'oxygène);
  intoxication : en cas de combustion incomplète en milieu confiné ou en milieu appauvri en oxygène (défaut d'air de combustion ou ventilation insuffisante), il y a production de monoxyde de carbone (toxique à de très faibles concentrations);
particules : ce gaz n'étant pas livré pur à 100 %, et les systèmes de combustion étant imparfaits, sa combustion est source de microparticules et nanoparticules dont les effets sur la santé sont encore mal appréhendés.

Risque industriel

Il concerne surtout l'amont de la filière (du puits au client final) et les gros clients industriels. Les principaux dangers du gaz naturel sont liés au fait qu'il est extrait, véhiculé et fourni sous pression, qu'il est inflammable et explosif. L’exploitation offshore ou terrestre de gaz profonds (à plus de 4 ou 5 km de profondeur), chauds (de 190 °C à plus de 200 °C), très corrosifs et sous très haute pression est source de risques nouveaux, comme l'a montré l'accident d'Elgin. La «fuite d'Elgin», survenue en mars 2012, désigne un blowout – expulsion brutale et accidentelle de gaz et de boue – suivi d'une exceptionnelle fuite de gaz et condensats de gaz naturel sur la plateforme pétrolière et gazière offshore située entre l'Écosse et le Sud de la Norvège. Total aurait mal évalué le risque d’accident. Est-il raisonnable de forer à de si grandes profondeurs en mer? Il est évident que les compagnies n’ont tiré aucune leçon de la marée noire de Deepwater Horizon en 2010 causée par la plateforme de BP dans le Golfe du Mexique. 



Total compte une vingtaine de plateformes pétrolières qui siphonnent le gisement Elgin-Franklin en mer du Nord.

Risques pour les écosystèmes

Ils peuvent s'exprimer tout au long de la filière – de l'accident de forage à la contribution du gaz naturel à l'effet de serre en passant par les séismes induits.
   Les gisements les plus accessibles étant en cours d'épuisement, les industriels gaziers doivent forer plus profondément et exploiter des gaz «non-conventionnels» souvent plus sales, c'est-à-dire plus acides, corrosifs et toxiques. Les industriels ont ainsi à traiter et gérer une quantité croissante de soufre. Ils sont de plus en plus confrontés à la présence de mercure et de sulfure de plomb et/ou de sulfure de zinc, sources de risques de colmatage par entartrage minéral dans le puits, les vannes de sécurité ou la tête de puits. On parle maintenant de «gaz ultra-acides» (Sour and Acid Gas). 40 % du gaz des réserves mondiales connues en 2005 et susceptibles d'être exploitées (plus de 2 600 billions de pieds cubes) étaient acides ou ultra-acides et riches en H2S. Dans ces réserves, plus de 350 milliards de pieds cubes contiennent plus de 10 % de H2S. Outre des risques de corrosion exacerbés pour l'infrastructure extractive, ce caractère acido-toxique est a priori source d'un risque environnemental supplémentaire en cas d'accident ou de fuites chroniques.

Info sur le gaz naturel : Wikipedia

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(2) Toujours la même fable à dormir debout. «Il est plus facile de duper les gens... que de les convaincre qu'ils ont été dupés.» ~ Mark Twain 


GNL Québec est un projet «vertueux» pour l’environnement, selon Jonatan Julien

Le ministre de l’Énergie Jonatan Julien affirme que l’usine gazière Énergie Saguenay, de GNL Québec, est un projet «vertueux» et «hyperimportant» en matière de lutte contre les changements climatiques, tout en étant «fantastique» pour le développement économique du Québec. Selon les informations inscrites au registre des lobbyistes mercredi, les entreprises GNL Québec et Gazoduq (qui doit construire le gazoduc qui alimentera l’usine Énergie Saguenay) ont actuellement un total de 25 lobbyistes inscrits. Le mandat de certains lobbyistes comprend des démarches en vue de «l’obtention de puissance hydroélectrique et l’obtention potentielle de soutien financier» du gouvernement pour la réalisation du projet.

Alexandre Shields / Le Devoir, 12 février 2020

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