Caricature :
André-Philippe Côté / Le Soleil, 20 juin 2019
À lire :
Les blocus, ça marche
Patrick
Lagacé / La presse, 21 février 2020
Pas mêlant,
je comprends tout le monde. Je comprends tout le monde dans cette affaire de
blocus ferroviaires. Enfin, presque tout le monde.
D’abord, je comprends les autochtones. Je
les comprends de voir l’injustice partout. On ne compte plus les commissions
d’enquête qui ont recensé la dépossession des peuples autochtones, dépossession
culturelle, géographique, économique, autonomiste.
Je comprends aussi les ministres qui
s’inquiètent, les chefs d’entreprise qui tapent du pied, les employés en ta****
parce qu’ils ont reçu un avis de mise à pied.
Pour ma part,
je suis convaincue de la bonne foi des manifestants qui supportent cette
communauté. Néanmoins, les blocages ferroviaires à la Extinction Rebellion sont contre productifs. Premièrement, ils suscitent
la colère des citoyens pénalisés, et deuxièmement, de par un effet pervers, ils
servent l’industrie pétrolière et gazière.
On peut donc douter
de l’efficacité de ces actions et se demander à qui elles profitent en réalité.
Pour mieux
comprendre le fonctionnement du mouvement Extinction Rebellion, je vous suggère
une critique en trois parties rédigée par Kim Hill, une activiste
néozélandaise.
Je
cite :
Le mouvement
Extinction Rebellion (XR) s’est déployé à travers le monde, des millions de
personnes défilant dans les rues afin de demander aux gouvernements qu’ils
s’occupent du réchauffement climatique et, plus généralement, de la crise
écologique.
Cependant, la
nature de ce qu’il demande n’est pas claire, et mérite un examen approfondi.
Notamment en raison de cette longue
histoire de puissants intérêts gouvernementaux ou industriels apportant leur
soutien à des mouvements sociaux dans l’unique but de réorienter ou d’orienter
leur action afin qu’elle rejoigne leurs propres objectifs. Extinction Rebellion
ne fait pas exception.
Avec la vie
sur Terre en jeu, chaque décision déterminant le fonctionnement de nos sociétés
doit être scrupuleusement étudiée. Les actions ont des conséquences, et au
point où nous en sommes, le moindre faux pas peut être catastrophique. Le
sentiment selon lequel ces problèmes ont été suffisamment discutés et qu’il est
maintenant temps de passer à l’action directe est compréhensible. Cependant,
sans objectifs clairs et sans un plan pour les atteindre, nos actions risquent
plutôt de faire empirer la situation.
L’extinction des espèces et le changement
climatique font partie des nombreuses conséquences désastreuses que génère la
société industrielle. Vouloir agir pour
mettre fin à la destruction du monde naturel est admirable. Cependant, se
rebeller contre les effets sans confronter directement les systèmes économiques
et politiques qui les produisent revient à traiter les symptômes plutôt que la
maladie. Cela ne fonctionnera pas.
S’attaquer à un seul aspect du système, sans prendre en compte les
interconnexions industrielles et les structures de gouvernance ne peut
qu’aboutir à un empirement de la situation.
La neutralité
carbone, ça n’existe pas. Il n’existe aucun moyen de «dé-brûler» des énergies
fossiles. Cette demande, ce concept, ne vise pas à mettre un terme à
l’extraction et à la combustion de carburants fossiles, mais à permettre à
l’industrie du pétrole et du gaz de continuer, au motif que quelque technologie
non existante rendrait tout cela acceptable. XR (Extinction Rebellion) ne
spécifie pas comment ils prévoient d’atteindre cet objectif.
L’objectif de
neutralité carbone est soutenu par plus de 100 entreprises et lobbies dans une
lettre au gouvernement du Royaume-Uni, stipulant : «Nous voyons la menace que
le changement climatique constitue pour nos affaires et nos investissements,
ainsi que les opportunités économiques significatives que présente un
investissement précoce dans le développement de nouveaux services et marchandises
faibles en carbone». Parmi ces entreprises, on retrouve Shell, Nestlé et Unilever.
Shell qui a causé des milliers de
fuites de pétrole et de déversements toxiques au Nigéria et à travers le monde,
a exécuté des manifestants, détient 60 % du projet de pétrole de sable
d’Athabasca en Alberta, et a l’intention de continuer à extraire du pétrole
pendant très longtemps. Nestlé qui
profite de la contamination de l’eau en vendant des bouteilles d’eau, tout en
épuisant les aquifères mondiaux. Unilever
qui est responsable d’avoir rasé des forêts tropicales pour de l’huile de palme
et du papier, déversé des tonnes de mercure en Inde, et engrangé des milliards
en promouvant de la malbouffe emballée dans du plastique ainsi que des produits
de consommation inutiles aux populations les plus pauvres du monde. Toutes ces
entreprises défendent le libre marché et la privatisation des biens publics,
exploitent les travailleurs et ignorent les lois environnementales dans les
pays pauvres [et parfois aussi dans les pays riches, NdT].
Leur lettre est claire, ces industriels cherchent simplement à profiter de cette crise, non pas à mettre un terme aux destructions et aux dégradations dont ils sont responsables.
Leur lettre est claire, ces industriels cherchent simplement à profiter de cette crise, non pas à mettre un terme aux destructions et aux dégradations dont ils sont responsables.
L'industrie du nucléaire considère également la campagne pour la
neutralité carbone comme une source de réjouissance. Même la fracturation est considérée comme compatible avec cet
objectif.
La FAQ d’Extinction
Rebellion stipule : «Au final, nous
faisons cela car il s’agit de la chose juste à faire, quels que soient les
résultats. Ce qui signifie que même si nous espérons pouvoir sauver quelque
chose de la vie sur Terre, nous essayons d’agir en fonction de ce qui est juste
(éthique de la vertu) plutôt que ce
qui pourrait fonctionner (éthique utilitariste).»
Il n’y a donc pas d’objectif, et ils ne se
demandent pas si leurs actions ont une chance d’être efficaces. En bref, il
s’agit d’une manière d’exprimer ses préoccupations, sans changer quoi que ce
soit. Comparez la citation ci-dessus avec celle-ci, que l’on doit à Stratfor,
une entreprise de consultance qui conseille gouvernements et entreprises sur la
meilleure façon de réprimer les mouvements sociaux :
«La
plupart des autorités toléreront un certain niveau d’activisme, en considérant
qu’il s’agit d’un moyen de faire retomber la pression. Elles permettent ainsi
aux protestataires de trouver un peu d’apaisement, en les laissant croire
qu’ils font une différence – aussi longtemps que les protestataires ne représentent
pas une menace. Mais à mesure que les mouvements de contestation prendront de
l’ampleur, les autorités agiront plus agressivement pour neutraliser les
organisateurs.»
Les dirigeants d’Extinction Rebellion ont
étudié les mouvements sociaux, et doivent donc être bien au courant de cette
stratégie. C’est comme si leur Rébellion
avait intentionnellement été créée pour être inefficace.
La décision d’organiser les plus grandes manifestations possibles, dans
l’intention, supposément, de perturber le quotidien des affaires ... a démontré
leur capacité à créer du spectacle plutôt qu’à s’engager dans des actions
ciblées et décisives.
Selon un
article publié par Klaus Schwab, le fondateur et président du Forum économique
mondial de Davos, sur le site internet du Forum : «Le Forum économique mondial
fournit une plate-forme pour aider les 1000 principales entreprises du monde à
façonner un meilleur futur». Je ne veux vraiment pas imaginer quel genre de
futur un millier d’entreprises multinationales pourraient concevoir si elles
s’y mettaient ensemble. Mais je n’ai même pas à le faire, puisqu’ils l’ont
décrit en détail. Cela s’appelle la 4e Révolution industrielle.
...Dans ce
monde d’écrans, de propagande techno-fantaisiste, où les seules pensées
disponibles sur le marché sont des illusions d’entreprises produites en masse,
on nous présente un enfant dont le message est : «Je veux que vous paniquiez»,
et nous nous exécutons.
Même si le discours de Greta était adressé
aux délégués industriels présents au Forum économique mondial de Davos, et même
si son intention était d’en appeler à mettre un terme à l’avarice
entrepreneuriale et à la croissance économique (ce qu’elle fit en Pologne,
quelques semaines auparavant, avant que ses «conseillers» ne se mettent à plus
sérieusement cadrer ses discours), la vidéo de son discours a été promue par le
Forum économique afin de promouvoir un sentiment de peur et d’urgence, qui leur
sert à promouvoir leurs plans basés sur le marché, l’industrie et la
technologie en guise de solution aux problèmes environnementaux. Encore une
fois, la résistance est cooptée et transformée en profits.
Partie
1 : Zéro émission nette
Partie
II : Solutions et tactiques promues
Partie
III : La 4e Révolution industrielle
Illustration : Mario Sanchez Nevado, Betrayal (trahison). Via Wrong Kind of Green.
Pessimiste, mais lucide :
Le mythe de la croissance verte
La démocratie peut-elle survivre sans
le carbone? Nous ne le saurons pas.
Simon Kuper
FT Magazine /
Opinion / Octobre 2019
Voici
l'histoire sur le climat que nous, libéraux, aimons nous raconter : une fois
que nous nous serons débarrassés des politiciens dinosaures comme Trump, nous
nous attaquerons au lobby des combustibles fossiles et aux entreprises cupides,
et nous voterons pour «green new deal».
Il financera des industries propres et à
croissance rapide : panneaux solaire, éoliennes, véhicules électriques,
vêtements durables. Tout le monde y gagnera : nous pourrons rendre nos sociétés
plus vertes et continuer à consommer. Cette histoire s'appelle «croissance verte».
Malheureusement, la croissance verte
n'existe probablement pas – du moins pas pour les deux prochaines décennies, au
cours desquelles nous devrons réduire la plupart de nos émissions de carbone
pour que la planète reste habitable. Notre génération doit choisir : être verte
ou avoir de la croissance, car nous ne pouvons pas avoir les deux à la fois.
Commençons par l'essentiel. Nous devons
réduire de près de la moitié les émissions mondiales actuelles de carbone d'ici
2030 pour avoir une chance de limiter la hausse des températures de la planète
à 1,5°C, déclare le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du
climat.
De nombreux climatologues estiment que les
estimations rétrospectives et consensuelles du GIEC sont trop optimistes, mais
acceptons ce chiffre pour l’instant. Il faudrait un revirement de situation.
Les émissions mondiales continuent d'augmenter, elles ont atteint un record
l'année dernière. Parallèlement, la population mondiale augmente.
Nous devons donc réduire les émissions tout
en nourrissant et en ravitaillant davantage de personnes. Mais ces personnes
s'enrichissent également : le revenu mondial par habitant augmente généralement
d'environ 2 % par an.
Et lorsque les gens ont de l'argent, ils le
convertissent en émissions. C'est ça, la richesse.
Pour parvenir à une croissance verte, il
faudrait que nous émettions radicalement moins de carbone par unité de produit
intérieur brut. La quantité de carbone nécessaire pour produire un dollar de
PIB a récemment diminué d'environ 0,4 % par an.
Mais pour maintenir la hausse des
températures à des niveaux sécuritaires, l'intensité en carbone de l'économie
mondiale doit diminuer au moins dix fois plus vite, estime le groupe de
réflexion REN21 (Renewable Energy Policy Network for the 21st Century).
Les verts diront : «Ne vous inquiétez pas,
les énergies renouvelables sont en train de décoller». Et il est vrai que les
énergies renouvelables modernes représentent aujourd'hui plus de 10 % de la
consommation totale d'énergie, selon le REN21. D'ici 2050, ce chiffre pourrait
atteindre environ 30 %.
Mais le GIEC estime que nous devrons doubler
ce pourcentage d'ici là. Et les investissements mondiaux dans les projets
d'énergie propre sont tombés à leur plus bas niveau en six ans au cours du
premier semestre 2019, selon Bloomberg New Energy Finance.
Les verts sont les premiers à souligner la
transformation des économies européennes au cours des dernières décennies :
augmentation du PIB, baisse des émissions. Mais c'est surtout parce que les
pays ont délocalisé leurs émissions : une grande partie de leurs produits sont
désormais fabriqués en Asie.
De plus, l'aviation et le transport maritime
ne sont pas pris en compte dans les budgets carbone nationaux. Si l'on tient
compte des émissions liées aux biens importés, les émissions de carbone de l'UE
sont supérieures d'environ 19 % aux chiffres officiels de l'Union, estime le
Global Carbon Project, un réseau de scientifiques. Pour de nombreuses grandes
villes, l'écart est d'environ 60 %.
La triste vérité est que le passage d'une
croissance sale à une croissance verte prendra beaucoup plus de temps que nous
n'en avons. L'infrastructure que nous utiliserons au cours des prochaines
décennies cruciales a déjà été en grande partie construite, et elle n'est pas
verte. La plupart des avions et des porte-conteneurs actuels seront encore
utilisés d'ici 2040. Il n'y a pas encore d'alternatives vertes, ni assez de
hamburgers végétaliens ou de vêtements durables.
En 2040 aussi, la plupart des gens vivront
dans les mêmes rues qu'aujourd'hui, et continueront à conduire des voitures.
Les véhicules électriques ne nous sauveront pas : leurs émissions sur toute
leur durée de vie sont inacceptables. (Extraire du lithium, fabriquer des
batteries, produire/expédier des véhicules et utiliser beaucoup d'électricité
n'est pas propre).
Ou encore, imaginez le plus grand projet de
nouvelles infrastructures au monde : la nouvelle route de la soie (ou la
Ceinture et la Route) chinoise est un réseau d'autoroutes, de ports, de
cimenteries, de centrales électriques (dont beaucoup sont alimentées au
charbon) et, oui, de nombreux rails verdâtres, construits pour faire circuler
les biens de consommation à travers le monde à bon rythme. C'est de la
croissance, mais ce n'est pas vert.
C'est vrai que nous devenons plus économes
en carburant. Les navires, les voitures et les avions ont tous réduit leur
consommation d'énergie par kilomètre.
Mais, comme l'a souligné William Jevons en
1865, lorsque les carburants deviennent moins chers et plus efficaces, nous en
utilisons davantage. Notez la hausse des ventes de voitures dans le monde,
l'augmentation de la vitesse des navires et le nombre croissant de vols chaque
année. Environ quatre personnes sur cinq sur terre n'ont jamais pris l'avion.
Beaucoup d'entre elles ne peuvent pas attendre.
Si la croissance verte n'existe pas, la
seule façon d'empêcher une catastrophe climatique est la «décroissance»
maintenant, pas en 2050 : réduire le trafic aérien, éliminer la viande et ne
pas acheter de vêtements jusqu'à ce que nous ayons des alternatives vertes,
interdire les voitures privées et cesser l’étalement urbain tentaculaire. Une
longue dépression économique pourrait suffire à maintenir la planète habitable.
Il faudrait aussi détourner l'argent de la consommation pour construire des
infrastructures vertes. C'est essentiellement l'argument de Greta Thunberg.
Mais cela nous plongerait dans un monde
nouveau. La croissance économique, la démocratie et le CO2 ont toujours été entremêlés.
La croissance et la démocratie existaient à peine avant que le charbon ne
propulse la révolution industrielle. La démocratie peut-elle survivre sans le
carbone?
Nous ne le saurons pas. Aucun électorat ne votera pour détruire son propre mode de vie.
Nous ne pouvons pas blâmer les mauvais politiciens ni les mauvaises
entreprises. C'est de nous dont il s’agit : nous choisirons toujours la croissance plutôt que le climat.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire