2 juin 2019

Impunité des multinationales : que le profit l’emporte!

 
Crédit : Aurélien R.R. Bonnetaud, Parodie d’un monde sans failles  

«Ils vécurent une période de transition où les différences devinrent élastiques» ... un regard humoristique sur certaines absurdités du monde moderne. Les attitudes de masse, les rites et codifications que nous créons et auxquels nous devenons soumis nous amènent quelquefois dans le non sens le plus total.

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Bibliosurf : La bourse ou la vie; Philippe Labarde / Bernard Maris; Éditeur Albin Michel (19/04/2000)

Résumé :
Quel type de société nous réservent les chantres des fonds de pension, des stock-options et de la Bourse pour tous? Que se cache-t-il derrière l'avenir radieux promis par la nouvelle économie? Le capitalisme, toujours en quête de nouveaux marchés, ne risque-t-il pas de dissoudre le modèle démocratique? Autant de questions auxquelles Philippe Labarde et Bernard Maris, déjà auteurs de Ah Dieu! Que la guerre économique est jolie!, ont choisi de répondre sur un ton résolument polémique. Et ce en analysant les récentes évolutions du capitalisme mondial et en éclairant la face cachée de notions chères aux libéraux comme les privatisations, les fonds de pension, la «création de valeur» ou encore le «capitalisme populaire». L'objectif principal de l'ouvrage est clair : déconstruire le discours économiste dominant, repris en choeur par les médias et les puissants, en repérant ses contradictions et ses hypocrisies. Caricaturale à dessein, nourrie d'exemples précis, l'argumentation est souvent percutante et contient des passages particulièrement savoureux (sur l'illusion que constitue la «transparence», tant prônée par les fonds américains ou la mystification opérée par les fonds d'investissement «éthiques», par exemple). Très accessible, ce pamphlet séduira tous ceux qui ne veulent pas vivre au sein d'une «République des actionnaires».
– Arnaud Stephanopoli

«Quel imbécile peut croire à la transparence, cette qualité des entreprises à peu près aussi partagée que la virginité dans une maison de passe? Qui ne sait que l'honneur, la vertu, sont toujours brandis par ceux qui en ont le moins?
   Il n'arrive pratiquement jamais qu'un grand patron se retrouve au chômage : on le voit toujours réapparaître, et très rapidement, à la tête d'une autre entreprise, nouvelle parfois. Pourquoi? Parce qu'un grand patron, c'est un réseau, un carnet d'adresses, des amitiés, des relations, des tractations, des jeux d'alliance, et que la transparence, il n'y a que les cyniques du néolibéralisme pour feindre d'y croire.» (La bourse ou la vie)

En avril dernier François Legault et Pierre Fitzgibbon défendaient la nomination de Guy LeBlanc à la tête d’Investissement Québec en des termes similaires.
   «Le monde des affaires est petit, et notre ministre de l'Économie, Pierre Fitzgibbon, a ‘beaucoup d'amis’, et les relations d'affaires et amicales qui l'unissent avec Guy LeBlanc ne devraient pas suffire à l'écarter de la société d'État. ... Le but, c'est de faire exploser les investissements des entreprises au Québec. Et on veut les meilleurs. Il faut ajuster la rémunération en fonction du marché.» (François Legault)
   Jusqu’à tout récemment M. LeBlanc brassait des affaires personnelles avec M. Fitzgibbon. La rémunération totale du nouveau PDG d'Investissement Québec pourrait augmenter de 277 000 $ afin d'atteindre près de 800 000 $ annuellement. Le dernier PDG de la société d'État touchait une rémunération totale de 523 000 $.

En 2019, le Canada (toutes provinces incluses) est toujours un parfait cancre en matière d’environnement et de respect des droits de la personne, même si l’on prétend le contraire. J’ai honte d’être canadienne.

Dans un article publié dans La Presse en 2012 on rapportait les scandales des industriels canadiens à l’étranger qui s’adonnent au pillage des ressources : évictions forcées en Papouasie-Nouvelle-Guinée; massacre en République démocratique du Congo; viols collectifs au Guatemala. En Argentine, au Guatemala, au Mexique, en Bolivie, etc., partout sur la planète, des sociétés minières canadiennes sont accusées d'engendrer de la violence et des dommages écologiques. 

Mines canadiennes à l'étranger : or, sang et feuille d'érable

Agnès Gruda, Isabelle Hachey | La Presse 20 octobre 2012

En Tanzanie, des dizaines de personnes se ruent chaque jour sur les débris recrachés par une gigantesque mine d'or à ciel ouvert. Elles espèrent y grappiller les pépites qui leur permettront de nourrir leur famille -au péril de leur vie.
   Au Honduras, les habitants d'une vallée soutiennent avoir été empoisonnés à petit feu par les activités d'une mine aurifère. Amers, ils parlent de leurs rivières asséchées, de leurs maladies de peau, de leurs puits contaminés à l'arsenic et au mercure.
   Au Salvador, quatre opposants à un projet minier ont été assassinés depuis 2009. De mystérieux meurtres en série qui ont ébranlé ce petit pays d'Amérique latine.
   Trois pays, trois conflits sociaux. Et un point commun : les entreprises impliquées dans ces affaires sont toutes trois canadiennes.
   Les trois quarts des sociétés minières de la planète ont leur siège social au Canada. Elles y sont attirées par de généreux congés fiscaux – et par des contrôles réglementaires minimaux. La ruée vers l'or, toutefois, les pousse à exploiter des mines dans des pays pauvres, où la police est corrompue et les droits de la personne, pas toujours respectés.
   Trop souvent, le résultat est explosif. Et la réputation du Canada en souffre. Dans certains pays, la feuille d'érable est même devenue synonyme de négligence et de violation de droits.
  De l'Afrique à l'Amérique latine, voici l'histoire de gens ordinaires dont la vie a été bouleversée par une industrie aussi lucrative que controversée.
   La politique du Canada à l'égard des pays du tiers-monde ne tient absolument pas compte de leur souveraineté. On ne se préoccupe pas du respect des droits de la personne. Il n'en a que pour le respect de ses intérêts économiques.
   Dans plusieurs pays du tiers-monde, la diplomatie canadienne est pratiquement devenue un lobby minier officieux. Chaque année, des ambassades du Canada organisent des ateliers dans une cinquantaine de capitales. Elles invitent des ministres, des fonctionnaires, des financiers. Officiellement, c'est pour faire la promotion de la responsabilité sociale des entreprises, mais en réalité, on y fait surtout la promotion des sociétés minières canadiennes.
   Les projets miniers sont par définition éphémères. Les entreprises viennent et s'en vont. Mais les communautés touchées par ces projets restent, pour le meilleur ou pour le pire.
   Le projet de loi C-300 du député McKay prévoyait de retirer le financement gouvernemental aux entreprises qui auraient été reconnues coupables de violations à l'étranger. 
   Le lobby minier a dépensé des centaines de milliers de dollars pour le combattre, en embauchant les meilleures firmes de relations publiques et en multipliant les rencontres avec les ministres, députés et hauts fonctionnaires. Le projet de loi a été battu de justesse, en troisième lecture, en octobre 2010. Et les sociétés minières ne sont toujours soumises à aucune règle, mis à part celles, souvent très faibles, des pays dont elles exploitent les ressources.

Un grand reportage à lire, signé Agnès Gruda, Isabelle Hachey, David Boily et Ivanoh Demers :

«Les pays riches ne se contentent pas de consommer dix fois plus de ressources par habitant que les pays pauvres. Cette consommation, d’eau, de minerais, de pétrole ou de produits agricoles, se fait aussi au prix de dégradations environnementales et de violations des droits humains, générées par les multinationales qui (sur)exploitent ces ressources. Des entreprises qui ne sont jamais tenues légalement responsables des conséquences de leurs activités, en raison de leur poids économique et politique et de l’attentisme des gouvernements et des populations.» (Le Monde, 20 octobre 2010)    

Aucune poursuite pénale pour les ignobles saccages environnementaux. 
La thèse qui suit a été présentée en 2009 – et ce bouquet de bons vœux n’a malheureusement pas eu de suite. En outre, ce que la Canada devrait exiger des sociétés canadiennes à l’étranger, il ne l’exige même pas ici!

Extrait 

La responsabilité pénale des sociétés canadiennes pour les crimes contre l’environnement survenus à l’étranger

Par Amissi Melchiade Manirabona | Août 2009 | Faculté de droit
(Thèse présentée à la Faculté des études supérieures en vue de l’obtention du grade de Docteur en droit)

«As a psychopathic creature, the corporation can neither recognize nor act upon moral reasons to refrain from harming others. Nothing in its legal makeup limits what it can do to others in pursuing its selfish ends, and it is compelled to cause harm when the benefits of doing so outweigh the costs. Only pragmatic concern for its own interests and the laws of the land constrain the corporation’s predatory instincts, and often that is not enough to stop it from destroying lives, damaging communities, and endangering the planet as a whole». (Joel Bakan, The Corporation: The Pathological Pursuit of Profit and Power, New York / Toronto, Free Press, 2004 à la p. 60).

La Cour pénale internationale (CPI) instituée pour juger les acteurs non-étatiques n’a malheureusement pas juridiction pour juger les sociétés commerciales quand bien même celles-ci commettraient des crimes parmi les plus graves.

Introduction générale

Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale est apparu un important phénomène de groupements d’entreprises commerciales. Le besoin de la reconstruction des États a entraîné des grands travaux qui, souvent, dépassaient les possibilités matérielles et financières d’une seule entreprise. Afin de faire face à ces vastes chantiers, il était plus pratique pour les sociétés de nouer des relations d’alliance, ce qui a conduit à la constitution de groupes de sociétés qui ont d’abord opéré au plan national avant de délocaliser leurs activités au-delà des frontières de leurs pays d’origine.
   La délocalisation des entreprises vers les territoires soumis à des souverainetés étatiques étrangères a permis l’émergence des sociétés en groupements reliées et obéissant à une stratégie économique commune qu’on appelle couramment les sociétés multinationales. Selon l’OCDE, les sociétés multinationales sont des entreprises ou entités «établies dans plusieurs pays et liées de telle façon qu’elles peuvent coordonner  leurs activités de diverses manières». L’OCDE ajoute que dans leur fonctionnement, «une ou plusieurs de ces entités peuvent être en mesure d’exercer une grande influence  sur les activités des autres, mais leur degré d’autonomie au sein de l’entreprise peut être  très variable d’une multinationale à l’autre».
   Actuellement, les sociétés multinationales ou transnationales occupent une position de premier plan dans les relations économiques internationales. Qu’il s’agisse de la construction, de la manufacture, des services, de la technologie, de l’extraction minière ou du transport, aucun domaine économique n’est épargné par l’intervention de cette catégorie d’entreprises. En 2007, on estimait qu’il y avait dans le monde 79000 sociétés transnationales ayant chacune en moyenne 10 sociétés affiliées à l’étranger.
   La présence des sociétés multinationales dans les pays en développement a ses bons et mauvais côtés. L’intensification des activités de ce genre de sociétés fait la fierté de leurs actionnaires dans la mesure où elle permet l’accroissement de leur puissance économique. Les investissements faits par ces entreprises sont aussi supposés participer au bien-être des populations des pays d’accueil notamment par la création d’emplois pour les populations locales. En outre, dans le cas des sociétés d’extraction minière, comme la majorité d’entre elles sont installées loin des villes, dans des zones isolées et économiquement défavorisées, la présence des sociétés étrangères assure aux populations locales un soutien sanitaire important de même qu’un certain nombre d’autres avantages sociaux tels que les infrastructures routières, l’eau potable, les écoles, les terrains de jeu, etc. Enfin, dans la mesure où la plupart des travaux d’investissement, comme l’extraction du pétrole, du gaz et des minerais exigent la mobilisation de la haute technologie et des capitaux dont plusieurs pays en développement ne disposent pas, ces derniers ont intérêt à ce que les investisseurs étrangers interviennent en grand nombre afin de mettre en valeur leurs différents projets et ainsi encaisser plus de recettes en termes de dividendes, de taxes et d’impôts.
   Cependant, les avantages procurés par les sociétés transnationales sont souvent annihilés par leur comportement irresponsable par rapport à la protection des droits de la personne en général et de l’environnement en particulier. Cet état de fait risque de se perpétuer à grande échelle car plusieurs recherches ont prouvé qu’en l’absence de normes contraignantes, peu de sociétés se conforment aux politiques  d’internalisation des risques parce que cela a un coût qu’elles ne veulent pas supporter.
   Or, pour l’instant, le droit international en général et le droit de l’environnement en particulier ne sont pas en mesure d’encadrer, avec efficacité, les activités des sociétés  transnationales. Les commentateurs ont mis au jour l’inefficacité, voire même l’inapplicabilité, des conventions internationales dans la régulation des activités de ces  sociétés.
   Dans le cours normal des choses, il appartient à l’État, sur le territoire duquel opère une société, de réglementer ses activités. Malheureusement, dans la plupart des pays en développement où beaucoup de sociétés multinationales opèrent, il n’existe pas de mécanismes adéquats contraignant les sociétés transnationales à répondre d’éventuels crimes contre l’environnement qu’elles sont susceptibles de commettre. En conséquence, dans plusieurs de ces États, les activités des sociétés transnationales  sont peu ou pas réglementées. Comme conséquence, plus les jours passent, plus on assiste à une multiplication de cas d’atteintes à l’environnement dus surtout à l’accroissement du poids financier des entreprises multinationales qui, avec  l’accentuation du libéralisme, sont de plus en plus présentes dans les pays en  développement. La puissance économique dont disposent ces sociétés face aux pays en développement, de même que le manque de normes appropriées et le phénomène  de la corruption, occasionnent alors certains abus qui échappent totalement au droit.
   Par ailleurs, les institutions internationales chargées  d’accompagner le développement comme le Fonds Monétaire International et la Banque mondiale encouragent les pays en développement à adopter des législations favorables aux intérêts des investisseurs étrangers. Bien que ces institutions recommandent l’adoption de normes minimales de respect de l’environnement par les investisseurs bénéficiant de leurs financements, ces normes demeurent d’application volontariste et leur mise en œuvre souffre généralement des défaillances institutionnelles. Quant aux projets directement financés par les agences gouvernementales des pays d’origine des sociétés transnationales, ils ne sont quasiment soumis à aucune norme environnementale obligatoire. Si les exigences d’information environnementale adoptées dans certains de ces pays ne se heurtent pas à la problématique de la territorialité, elles manquent de rigueur et la législation y est relative, bien qu’elle puisse avoir le potentiel d’améliorer la protection de l’environnement, malgré son champ d’application réduit, n’en est encore qu’à ses balbutiements.
   Les traités conclus pour favoriser les investissements étrangers laissent généralement peu de place aux normes environnementales contraignantes. Les tentatives d’imposition  de nouveaux standards environnementaux aux investisseurs étrangers sont souvent  entravées par les obligations contenues dans ces traités d’investissements qui peuvent assimiler le renforcement de la législation à une forme d’expropriation susceptible d’entraîner le paiement de dommages-intérêts par les États hôtes. De même, la  majorité des pays en développement considèrent qu’une législation environnementale contraignante pourrait décourager les investisseurs étrangers. Dans ces pays, on estime, à tort ou à raison, que seuls les capitaux étrangers sont susceptibles de permettre des lendemains meilleurs.
   Devant cette réalité, les pays en développement se livrent à une véritable compétition en nivelant, vers le bas, le seuil d’obligations des investisseurs étrangers envers l’environnement. La recherche d’un niveau maximal d’investissements étrangers se traduit donc généralement par un faible niveau de réglementation ou, même, par un abandon pur et simple de tout contrôle des activités des sociétés transnationales. La mondialisation économique étant ainsi dépourvue de mécanismes de sauvegarde de l’environnement, la dégradation de celui-ci ne peut que s’accélérer.
   L’état d’impunité qui entoure les activités des sociétés transnationales dans les pays en développement connote une entorse au principe d’égalité de tous devant la loi, ce qui n’est qu’une forme de discrimination au détriment des faibles. Pourtant, il existe, au sein de la communauté nationale et internationale, un fort consensus autour de l’idée selon laquelle la préservation de l'environnement constitue l’une des plus grandes priorités de notre époque. Dans ces conditions, le manque d’actions concrètes sur le plan international devrait pousser les États développés à combler cette lacune par l’adoption des mesures qui obligent leurs sociétés opérant à l’étranger à se préoccuper de la préservation de l’environnement dans leurs activités. Le droit pénal apparaît, dans cette perspective, comme étant un instrument incontournable.
   Toutefois, la réalité est que la justice nationale dans les pays riches est toujours  réticente à examiner les crimes contre l’environnement survenus à l’étranger à cause  de l’incertitude qui entoure la question de la compétence.
   L’objectif de cette étude est de chercher comment les crimes contre l’environnement survenus à l’étranger, dans le cadre des activités des sociétés canadiennes,  peuvent  entraîner des poursuites pénales au Canada. En l’absence de législations ayant une portée extraterritoriale explicite en la matière, la recherche se réfère au droit existant et propose une nouvelle approche d’interprétation et d’adaptation qui tient compte des récents développements considérant désormais le droit à un environnement sûr comme  l’une des valeurs fondamentales pour la société canadienne.
   Ce sujet de recherche traite d’enjeux extrêmement importants, que ce soit au niveau pratique, scientifique, socio-économique ou politico-diplomatique. D’un point de vue pratique d’abord, le choix d’un sujet qui prône l’extraterritorialité de la compétence des tribunaux canadiens en matière environnementale a été dicté par le fait que la lutte contre la dégradation de l'environnement constitue, plus que jamais, un des grands défis auxquels tous les pays du monde sont confrontés. Malgré le développement croissant de normes internationales relatives à la protection de l’environnement consécutive à l’adoption d’une multiplicité de traités, de conventions et de déclarations, il n'existe pas de mécanisme juridique capable de les mettre en œuvre de façon contraignante. Au niveau politique et diplomatique, plusieurs auteurs ont déploré la nature purement symbolique du travail effectué par les institutions internationales créées pourtant pour assurer le respect des normes protectrices de l’environnement dont les effets demeurent, jusque-là, insignifiants. Au plan judiciaire, les quelques fora internationaux qui tranchent les affaires portant sur l’environnement sont considérés comme lents, coûteux, non coordonnés, encombrants et incertains. De plus, ces fora, créés sur base de traités ou de conventions internationales, ne sont pas compétents pour juger les affaires pénales d’une part, et, d’autre part, ils ne peuvent  se saisir des cas impliquant les acteurs non-étatiques.  La Cour pénale internationale (CPI) instituée pour juger les acteurs non-étatiques n’a malheureusement pas juridiction pour juger les sociétés commerciales quand bien même celles-ci commettraient des crimes parmi les plus graves.
   Certes, il existe des Codes de conduite publics (élaborés par les États ou par les organisations internationales comme l’Organisation des Nations Unies, l’Union  Européenne,  l’OIT ou l’OCDE) ainsi que des Codes de conduite privés (adoptés par les compagnies elles-mêmes) qui visent la régulation des activités des sociétés multinationales. Leur portée demeure toutefois limitée dans la mesure où, de par leur nature volontariste, ils n’imposent, ni aux sociétés transnationales ni aux États, d’obligations pouvant être juridiquement sanctionnées. En outre, ces Codes ne prévoient aucun mécanisme efficace de contrôle et de sanction en cas de violation.
   Au Canada, bien qu’on ait constaté que les sociétés multinationales d’extraction des ressources naturelles participent à des atteintes aux droits de la personne et à l’environnement dans les pays en développement, le Groupe consultatif des Tables rondes nationales sur la responsabilité sociale des entreprises extractives s’est contenté de faire des recommandations au gouvernement fédéral pour l’élaboration de standards  qui  sont cependant loin d’être contraignants. En conséquence, dans sa réponse à ces recommandations, le gouvernement fédéral s’est gardé de prendre des mesures obligatoires à l’encontre des sociétés canadiennes œuvrant à l’étranger. Cela signifie  donc qu’à ce jour, il n’existe toujours pas d’instruments capables de sanctionner, avec efficacité, la violation des normes protectrices de l’environnement par les sociétés transnationales présentes dans plusieurs pays en développement.
   Comme nous l’avons déjà souligné, la logique commande que ce soit la justice de l’État où l’acte criminel s’est produit qui le réprime. La Loi canadienne sur la protection de l’environnement (LCPE) prévoit par exemple des sanctions pénales contre toute personne physique ou morale qui se livre à des activités de pollution au Canada. Mais à l’instar d’autres lois, les lois canadiennes relatives à la protection de l’environnement  n’ont théoriquement qu’une portée nationale et, selon le principe de la territorialité, leurs effets ne peuvent pas être étendus aux actes prohibés commis en dehors des frontières du Canada. De même, l’existence des traités ratifiés dans le domaine de la protection de  l’environnement n’est pas d’une grande utilité en cette matière puisque ces traités ne  régissent pas les acteurs non-étatiques qui n’en sont pas signataires.
   Or, grâce à sa législation à régime fiscal attractif, le Canada est l’un des États qui  contribuent au développement croissant des activités des entreprises multinationales. Cet attrait est par exemple très accentué dans le domaine minier où le Canada est  jusqu’ici considéré comme le pays comptant le plus de sociétés au monde. Or, il est bien connu que les opérations d’extraction et de raffinage des matières premières sont parmi  les sources importantes de la pollution de l’environnement. Comme nous l’avons déjà  évoqué, la propension de polluer s’accroît énormément lorsque les sociétés d’extraction et de raffinage opèrent dans des pays où elles ne sont pas assujetties aux normes environnementales appropriées. Dans ces conditions, une application efficace des  normes environnementales aux sociétés transnationales faisant affaire à partir du  Canada pourrait aider à combattre sensiblement la dégradation de l’environnement.
   D’un point de vue sociopolitique, à l’instar d’autres peuples du monde, le peuple canadien s’intéresse de plus en plus à ce qui devrait être fait pour assurer une meilleure  protection de la planète car les impacts de la destruction de l’environnement sont universels quel que soit l’endroit où surviennent les atteintes à l’environnement. Tenant  compte de cette préoccupation et suite aux allégations de violations des règles relatives aux droits de la personne et d’atteinte à l’environnement aux Philippines par la société  TVI Resource Development , le Comité permanent des affaires étrangères du Canada a, en 2005, appelé à la mise en place, au niveau national, de mécanismes juridiques pour s’assurer que les entreprises et les résidents canadiens soient tenus de rendre des comptes pour tout crime contre l’environnement et toute forme de violation des droits humains  à l’étranger. En réponse, le gouvernement du Canada a toutefois rejeté la proposition d’adopter des normes contraignantes à l’encontre des sociétés opérant à l’étranger évoquant des problèmes liés à la courtoisie internationale et à la procédure.
   Le gouvernement fédéral a plutôt opté pour l’organisation, de mai à novembre 2006,  d’une série de tables rondes sur la responsabilité sociale des entreprises canadiennes œuvrant à l’étranger dans le secteur minier. En 2007, le Groupe consultatif des Tables rondes a soumis son rapport au gouvernement fédéral dans lequel il est recommandé de poser des actes concrets en vue de s’assurer que les entreprises opérant dans  l’extraction des ressources à l’étranger respectent les normes protectrices de l’environnement.  Tout juste après la publication des recommandations du Groupe  consultatif des Tables rondes sur la responsabilité sociale des entreprises extractives,  la Chambre du Commerce du Canada et l’Association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs (ACPE) ont mis en garde le gouvernement fédéral contre toute initiative d’adoption de mesures contraignantes à l’encontre des compagnies canadiennes à œuvrant à l’étranger, préférant la promotion de la régulation par le biais des mesures volontaires.
   Dans sa réponse aux recommandations du Groupe consultatif, le gouvernement fédéral a essentiellement préféré s’en tenir à l’approche non contraignante dans la régulation des activités que les sociétés canadiennes mènent à l’étranger. C’est ainsi qu’il a proposé la création d’un bureau du Conseiller en responsabilité sociale des entreprises de l’industrie extractive chargé d’aider au traitement des litiges sans toutefois lui donner le pouvoir de formuler de recommandations contraignantes, ni de recommandations de politique publique ou législative. Parallèlement à cela, le Parlement n’a toujours pas réussi à voter le projet de loi C-492 initié par le député Peter Julian et destiné à assurer le respect des normes relatives aux droits de la personne, aux travailleurs et à l’environnement par les sociétés opérant à l’étranger. Et même si ce Projet de loi était adopté, il ne réglerait que les aspects civils de la responsabilité des sociétés canadiennes à l’étranger. Malgré ses lacunes, le Projet de loi C-492 semble actuellement relégué aux oubliettes au profit d’un autre moins contraignant, le Projet de loi C-30051. Bien que ce projet de loi accorde aux personnes lésées le droit de déposer les plaintes contre les sociétés canadiennes au Canada, sa principale caractéristique consiste dans le fait qu’il ne comporte aucun  mécanisme fiable d’indépendance puisque tout semble reposer sur le bon vouloir des  ministres et autres agents du gouvernement. Le gouvernement fédéral continue d’appuyer la position des gens d’affaires canadiens qui le trouvent contraignant et donc inapproprié.
   La position du gouvernement et des gens d’affaires canadiens n’est pas étrangère à la traditionnelle théorie du droit des compagnies qui stipule que celles-ci n’ont aucun autre devoir que celui de maximiser les profits pour leurs actionnaires. L’idée dominante étant que dans un monde en perpétuelle compétition, il n’existe qu’une seule responsabilité sociale pour l’entreprise à savoir augmenter ses profits. Actuellement, hormis quelques changements observés ici et là, force est de constater que cet accent mis sur le profit à tout prix continue de guider les activités de certaines sociétés. Or, les tribunaux et les auteurs n’ont cessé de nuancer cette recherche exagérée du profit au détriment de la responsabilité sociale en affirmant que les entreprises doivent opérer dans le respect de l’intérêt public. [...]
   La préservation de l'environnement étant devenue l'une des grandes préoccupations de la communauté internationale, l'absence d'institutions internationales chargées de punir les acteurs privés responsables de graves atteintes à l'environnement ne devrait pas constituer un prétexte pour la persistance d’une situation de déni de justice dans un monde qui devient de plus en plus un village planétaire. [...]
   Les affaires impliquant les sociétés multinationales dans les pays d’accueil ont montré que l’absence de législation appropriée, associée au haut niveau de la corruption dans les pays en développement, rendent inefficaces leurs systèmes judiciaires. [...] Du point de vue socio-économique, il n’y a pas de doute que l’adoption de comportements responsables améliorera l’image des sociétés multinationales puisque certaines d’entre elles sont pour l’instant considérées, à tort ou à raison, comme étant complices de gouvernements corrompus et irrespectueux des droits de la personne et des normes environnementales. [...]
   [...] Il nous paraît fondamental de réfléchir sur des mécanismes juridiques capables de permettre la répression des crimes contre l’environnement commis à l’étranger par des sociétés opérant à partir du territoire canadien. [...] Ne pas étendre la compétence pour réprimer les crimes contre l’environnement que les ressortissants canadiens commettent à l’étranger placerait le Canada en violation de ses obligations internationales tout en le privant de son potentiel à stimuler la protection de l’environnement à l’échelle internationale. Face aux menaces de dégradation de l’environnement, les sociétés transnationales ne devraient plus continuer à jouir du vide juridique qui existe dans les différentes législations des pays en développement.
   [...] Le  principe de la territorialité en droit pénal veut qu’il soit de la responsabilité de chaque pays de réprimer toute infraction commise sur son territoire. Autrement dit, d’après ce  principe, tout ce qui se produit sur le territoire d’un État déterminé relève de la loi de cet État. Le principe de la territorialité répond à deux considérations juridico-diplomatiques. Il y a d’abord la notion de courtoisie qui veut qu'aucun État ne puisse s’intéresser aux infractions commises hors de son territoire. Ensuite, il y a le principe de souveraineté qui  donne à chaque État un droit légitime de refuser à ce qu'un autre État s’ingère dans le règlement des affaires qui surviennent sur son territoire.
   Toutefois, la conception restrictive du principe de la territorialité présente le risque de  favoriser l’impunité surtout en ce qui concerne les atteintes à l’environnement se produisant à l’étranger dans le cadre des activités des entreprises multinationales. [...] Pour des raisons d’économie, ces sociétés ne veulent pas imposer à leurs filiales ou partenaires étrangers, les standards environnementaux exigés dans leurs pays d’origine. Ces sociétés continuent ainsi de tirer profit des législations des pays en développement qui comportent des lacunes relativement à la protection de l’environnement. C’est pour éviter des cas de déni de justice que cette recherche propose que malgré l’existence du principe de la territorialité, les sociétés transnationales répondent, à leur domicile ou résidence, des actes criminels susceptibles de se produire pendant l’exécution de leurs activités à l’étranger dans la mesure où la destruction de l’environnement peut provoquer des conséquences  néfastes pour l’humanité toute entière.
   [...] Devant le poids économique et politique grandissant des sociétés transnationales, les pays en développement semblent alors fragilisés de toute part, ce qui ne fait qu’aggraver les cas d’inégalités sociales. [...] Or, pour l’instant, il n’est plus un secret pour personne que les sociétés canadiennes continuent de se livrer, à l’instar d’autres sociétés, à la dégradation des droits de l’homme et de l’environnement en toute impunité.  Même si l’Agence Canadienne de Développement International affirme qu’elle aide dans la résolution pacifique des conflits environnementaux dans certains pays en développement, cela s’avère inefficace  lorsque les atteintes à l’environnement sont le résultat d’une grande criminalité. [...]
    La deuxième partie nous permettra d’aborder les mécanismes par lesquels les crimes contre l’environnement sont imputés aux personnes morales. Nous verrons dans quelle mesure une organisation, dont la personnalité juridique repose sur une fiction juridique, peut pourtant encourir la responsabilité pénale en matière environnementale. Il sera essentiellement question d’analyser les nouvelles dispositions du Code criminel relatives à l’imputation de la responsabilité criminelle aux organisations. Contrairement à  l’ancienne approche de la common law sur l’attribution de la responsabilité pénale aux  personnes morales, les nouvelles dispositions comportent la potentialité de fonder la  responsabilité pénale des organisations dans plusieurs cas de commission des crimes que ce soit ceux de mens rea subjective ou ceux de mens rea objective. Dans la mesure où les nouvelles dispositions du Code criminel parlent de la participation criminelle en général, nous remarquerons que selon la nature de la conduite d’un ou  plusieurs cadres supérieurs, une société peut être l’auteur réel ou le complice des  crimes contre l’environnement.

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