14 juin 2019

La terrible avancée du fondamentalisme religieux

Si la prière marchait, il n’y aurait pas d’appels «911». (The Thinking Atheist)

J’ai lu la plupart des ouvrages de Douglas Kennedy – j’aime son humour, son humanisme, son appréciation de la philosophie et de la culture, ainsi que ses portraits non édulcorés de la société américaine. J’ignore pourquoi, mais «Au pays de Dieu» [1] m’avait échappé. Dans son livre Toutes ces grandes questions sans réponse, Kennedy revient sur ce thème.
   Je suis donc en train de lire l’édition française de 2004, car bien que l’original ait été publié il y a 30 ans (1989), j’y trouverai sûrement des explications/réponses au tsunami chrétien évangéliste qui caractérise l’ère Trump.
   En 1996, Kennedy écrivait :
«La droite chrétienne est devenue une force spécifique, et hautement influente, sur la scène politique du pays. Une force électorale qu’il est impossible de qualifier de ‘marginale et illuminée’ lorsqu’on brigue un siège au Congrès, ou un poste de gouverneur et, bien entendu, la présidence elle-même.»
    Et dans l’avant-propos de l’édition 2004 :
   «Bien que le conservatisme et la religiosité se soient accrus aux États-Unis durant les deux dernières décennies écoulées, et même si des chrétiens évangélistes occupent désormais des postes-clés au plus haut niveau de l’administration, il faut toutefois souligner que la séparation de l’Église et de l’État y demeure une réalité. D’ailleurs, des millions de mes compatriotes éprouvent une sincère inquiétude face à la montée de la droite religieuse. Ils redoutent aussi que, au cas où il serait élu et où certains juges de la Cour suprême prendraient leur retraite, Bush soit en mesure de faire entrer dans la plus haute instance juridique du pays des «compagnons de route» idéologiques et religieux susceptibles de priver les femmes du droit à l’avortement, ou d’introduire la prière dans les écoles.»
   Chose faite. La nomination du juge d’extrême droite Brett Kavanaugh à la Cour suprême des États-Unis, en dépit des allégations d’agressions sexuelles à son endroit (par la Dr Christine Blasey Ford), laissait présager la mort des droits acquis que le juge Anthony Kennedy avait appuyés : abolition de la peine de mort, protection de l’environnement, droit à l’avortement, droits des gays, etc. Pour Kavanaugh, les libertés religieuses (chrétiennes s’entend) passent devant les enjeux constitutionnels! «L'affaire du juge Kavanaugh, ce n'est pas tant l'intrusion du politique dans le système judiciaire américain, mais plutôt l'intrusion du religieux dans le politique. On ne mesure pas la force du fondamentalisme chrétien dans la vie politique de ce pays tant qu'on ne l'a pas vu en action, sur place.» ~ Yves Boisvert (La Presse, le 6 octobre 2018)

Un mème datant de 2004. Hum... le Jesusland a débordé de ses frontières depuis l'élection de Trump. 

Caricature : Serge Chapleau, La Presse 31 mai 2019 

Les Canadiens auraient intérêt à lire Au pays de Dieu car nous subissons de fortes répercussions de ce fléau mondial terrifiant, et des coups de boutoir de la part de nos partis politiques conservateurs et des militants antiavortement. Les groupes évangéliques mettent en place une stratégie offensive internationale très agressive. Les bénéfices économiques générés par les Églises évangéliques se comptent en millions de dollars.
   «Le capitalisme est nataliste. Les pays avec une population importante bénéficient d'avantages économiques : les gens sont les matériaux bruts de la croissance économique.» (The Economist 20/04/2019) Et tous les chrétiens fondamentalistes sont des «natalistes» invétérés.
   Alissa Golob (issue d’une famille de 9 enfants) et son groupe RightNow travaillent fort. Moins de manifestations, plus de porte-à-porte. Voilà comment on pourrait résumer la stratégie des pro-vie à l’approche des élections fédérales d’octobre. Ils souhaitent faire élire des dizaines de députés opposés à l’avortement, ce qui inquiète bien des femmes au pays. «Vous êtes-vous déjà impliqués politiquement?», demande la femme de 32 ans lors d’un meeting avec un groupe d’étudiants. Eva, qui a entendu parler de la rencontre sur les médias sociaux, fait signe que non. Elle n’est pas intimidée pour autant : «Quand la vérité est de son côté, il n’y a aucun problème», assure-t-elle.
Source :

Il est clair qu’on ne peut pas demander à des fanatiques de tolérer quoi que ce soit qui va à l’encontre de leurs croyances religieuses. La communauté LGBTQ reste une cible de prédilection pour les Églises évangéliques, qui la représente comme le mal personnifié :    
    Le pasteur Grayson Fritts (All Scripture Baptist Church, Tennessee) a réclamé l’exécution des LGBTQ lors d’un sermon le 2 juin 2019. L’homme est détective au bureau du sheriff de Knox County District.
   Referring to LGBTQ as “freaks and animals,” he said that the LGBTQ community should be “put to death”. Have a trial for them, and if they are convicted then they are to be put to death ... do you understand that? It's a capital crime to be carried out by our government.”


Un prêche de macho homophobe d’une extrême violence qui d’une façon détournée encourage l’assassinat civil! – jugez vous-même : 


Vidéo publiée par The Freedom From Religion Foundation https://ffrf.org/ who is calling on the Knox County Sheriff's Department to probe Deputy Grayson Fritts’ wrathful demand for the government to execute LGBTQ citizens.
Read our press release here: https://ffrf.us/2WCNKXu

Toutes ces grandes questions sans réponse
Douglas Kennedy
Belfond (2016)  

Chapitre ‘La spiritualité se trouve-t-elle entre les mains du Tout-Puissant... ou juste au coin de la rue?’ (p. 209 ...)

[Extrait] 

Laissez-moi vous parler de thérapie de groupe chrétienne pour personnes en surpoids. J’ai découvert ses principes dans une salle de classe de l’une des institutions pédagogiques les plus étranges de tout le continent nord-américain : l’université Oral Roberts de Tulsa, dans l’Oklahoma. [...] Oral Roberts a été un précurseur de la vague populaire du «télévangélisme» aux États-Unis. Avant de ce venir une star du petit écran, il avait sillonné, les États du Sud américain avec le mouvement Chautauqua, prêchant, enseignant et guérissant selon les préceptes de la tendance «revival» du christianisme américain. Évangéliste ultramédiatisé, il se targuait donc aussi d’avoir l’inspiration divine nécessaire pour débarrasser d’une tumeur cancéreuse ou d’une infirmité quelconque les participants à ces grands rassemblements exaltés où la prière se transforme en transe.
[...]
   L’histoire du mouvement évangéliste dans l’Amérique de la fin du XXe siècle abonde d’escrocs soi-disant mystiques, qui tout en brandissant la doctrine du puritanisme le plus strict, s’adonne au stupre et à la prévarication. Jim Bakker, fondateur d’un parc thématique chrétien en Caroline du Sud, s’est retrouvé derrière les barreaux pour détournement de fonds de sa propre église, et plusieurs témoignages prouvant qu’il trompait assidûment son épouse, Tammy Faye – une chanteuse de country ringarde à blondeur hyperperoxydée et au visage maintes fois refait –, ont terni sa réputation. Il y a aussi Jimmy Swaggart, un prédicateur qui promettait sans cesse le feu et le soufre à tous dont la vie sexuelle ne se limitait pas au strict cadre de la monogamie chrétienne, mais qui avait la bizarre habitude de payer des prostituées rien que pour leur montrer ses parties génitales, comme si regarder sans toucher était pour lui la déviance le plus pure. Une fois démasqué, il s’est répandu en pleurnicheries télévisées, suppliant ses fidèles de lui pardonner et pontifiant de plus belle sur le péché de la chair auquel, bien entendu, il est si difficile de résister...
   Comparé à ces lamentables imposteurs, Oral Roberts (en dépit des pratiques sexuelles suggérées par son prénom) était la probité personnifiée – du moins n’a-t-il pas eu à souffrir d’un scandale public de son vivant. C’était aussi un homme d’affaires avisé qui, faisant fructifier son galimatias de rebouteux évangélique, s’était constitué un petit empire dont faisait partie le campus de Tulsa en question.
   Je m’étais rendu là-bas, persuadé que j’allais me retrouver plongé dans la plouquerie obscurantiste la plus profonde, et je dois donc admettre que j’ai été agréablement surpris de constater que mes préjugés étaient en partie injustifiés. Nous étions au cœur de la «Bible belt», et la ville comportait bien sûr des églises géantes à l’architecture on ne peut plus kitsch au milieu des centres commerciaux et des stations-service habituels. L’Oklahoma demeure l’un des États les plus conservateurs de l’Union, affichant fièrement ses valeurs religieuses et son attachement sans faille au Parti républicain, mais j’ai aussi découvert à Tulsa des quartiers à l’ambiance bohème et détendue, une vie culturelle assez dynamique et des restaurants étonnamment bons. Des exceptions bien visibles dans un paysage urbain dominé par l’université Oral Roberts.
   [...] il était possible de suivre divers cours sur la vie des Apôtres, l’Amérique en tant que nation chrétienne et autres variantes du créationnisme et, dans l’annexe au bâtiment principal, on pouvait participer à des ateliers de «développement personnel» d’inspiration biblique, parmi lesquels ce «Weight Watchers» évangéliste visiblement très fréquenté.
   Il faut ici préciser qu’en 1988 – année de ce voyage destiné à préparer Au pays de Dieu, mon livre sur le fondamentalisme religieux en Amérique –, je venais de renoncer à la cigarette. En dix-huit mois, j’étais passé de soixante-dix-sept kilos mon poids habituel, à quatre-vingt-cinq. Cette petite surcharge pondérale ne me donnait toutefois pas l’aspect d’un tank, et c’est sans doute pourquoi, lorsque je suis entré dans la salle où se trouvaient déjà une demi-douzaine de dames plus que corpulentes, l’une d’elles a lancé : «Sûr que vous ne vous êtes pas trompé de porte, mon garçon?»
   Comme je leur expliqué que je n’étais là qu’en observateur, en quête de matériau pour mon essai, une autre a demandé :
– Un livre sur notre cher Oral?
– Euh... Il y apparaîtra sûrement, ai-je répondu.
– Soyez le bienvenu, frère.
   Les participantes présentaient toutes un stade d’obésité avancé et semblaient bien se connaître entre elles. Elles se sont levées d’un bloc lorsque leur «conseillère spirituelle» est entrée, une femme mince et vive portant un pantalon rose et un chemisier blanc sur lequel étaient épinglés un petit crucifix en faux diamants et un badge à son nom. [...] Une fois assises, elles se sont tenues chacune par la main et ont baissé la tête, tandis que Bobbi entamait une prière, les invitant à demander au Tout-Puissant de leur donner le courage de ne pas succomber à la tentation et de trouver la «force intérieure» qui leur permettrait de résister au diable. Son invocation terminée, elle a demandé :
– Qui voudrait «partager» la première, aujourd’hui?

[Note : Kennedy relate ici les confessions publiques des femmes (semblables à celles du mouvement Alcooliques Anonymes) scandées par des «Louons le Seigneur!», «Louanges à Jésus!», etc. Une des participantes sanglote parce qu’elle a succombé à la tentation...]

À ce stade, je sais ce que vous devez vous dire : Kennedy exagère, c’est trop absurde, trop ridicule pour être vrai. Pourtant, je jure, la main sur le cœur, que ce qui précède correspond presque mot pour mot à ce que j’ai entendu ce mardi matin d’août étouffant, en 1988, à l’université Oral Roberts. Je n’exagère pas non plus en vous racontant qu’à la suite de la confession d’Amy qui avait englouti son litre de Häagen-Dazs, une autre participante, Marge, s’est levée pour avouer que, prise d’une envie irrésistible alors qu’elle circulait sur une autoroute et avait dévoré un poulet frit entier. [...]
   Étant né à Manhattan, je suis non seulement sceptique par nature et laïque convaincu dès lors qu’il est question de l’organisation de la société, mais surtout enclin à prendre les choses au second degré. L’idée d’un Lucifer plongeant la tête d’une malheureuse dans un seau de glace rhum-raisins, celle-ci quémandant ensuite le pardon divin, m’a donc plutôt fait sourire. [...] Ce matin-là, tout en écoutant les autres témoignages, j’ai souvent reporté mes yeux sur Amy. En dépit des consolations de Bobbi, et malgré la garantie que Jésus lui avait déjà pardonné, elle restait avachie sur sa chaise pliante, son corps boursouflé reflétant un accablement tel que je n’en avais jamais vu de semblable. À la faveur de leurs échanges, j’ai appris qu’elle était caissière dans l’une des nombreuses pharmacies Walgreen disséminées dans les stations de métro de Tulsa, gagnant à peine plus que le salaire minimum garanti, tandis que son mari volage, qui collectait les tickets au péage de l’autoroute, arrivait difficilement à lui octroyer deux cent cinquante dollars par mois pour les enfants. Elle n’avait jamais eu accès à une vie culturelle trépidante, comme on peut en trouver à New York, aussi son univers se bornait-il à sa famille et à son église; et maintenant, à l’approche de la cinquantaine, elle se répétait inlassablement : «Je suis une grosse mocheté qui ne connaîtra plus jamais l’amour.» Ses coreligionnaires lui assuraient qu’elle pouvait au moins compter sur celui de sa communauté évangéliste et, bien entendu, sur l’amour de Jésus.
   Mais le ressentait-elle vraiment, cet amour divin? Lui apportait-il quelque réconfort dans le marasme où elle se débattait, une logique infernale la poussait à s’empiffrer pour oublier son chagrin, dont son poids excessif? Avait-elle été heureuse avant l’éclatement de son mariage? Était-ce son obésité qui avait amené son mari à se jeter dans les bras d’une femme plus mince? [...] En la voyant là, tête baissée, les larmes coulant sur ses jours, je me suis demandé à quel point les paroles apaisantes de Bobbi et de ses camarades l’avaient convaincue. [...]  
   Alors, même si je n’aurais jamais pu savoir ce qui se passait vraiment dans la tête d’Amy, j’ai eu une sorte de révélation en la voyant si seule, si accablée par les coups du sort. Jamais encore je n’avais aussi clairement perçu que la foi individuelle est avant tout une recherche d’une consolation face à l’assourdissant mutisme des cieux. Bien sûr, j’avais déjà compris que, à travers la religion, beaucoup de gens tentaient de résoudre les questions métaphysiques les plus insondables, mais l’idée que la croyance religieuse réponde au besoin d’une certaine empathie ne m’était jamais venue à l’esprit. Jusqu’à ces trois mois passés dans l’Amérique la plus profonde, à écouter tous ces récits de vie, à rencontrer ces gens qui par le biais de la foi cherchaient à surmonter le deuil, l’échec, la déception, la solitude en se réfugiant dans la promesse d’amour inconditionnel de Jésus. [...]
   J’ai eu beau essayer – croyez-moi, j’ai pas mal cogité sur le sujet –, je n’ai jamais réussi à  accepter l’idée d’un Dieu omniscient et omnipotent. Même l’hypothèse d’une figure céleste moins impliquée dans les affaires du monde n’a pas réussi à me convaincre : je suis capable d’apprécier la conception déiste telle que Voltaire – et nombre d’autres – l’a développée, selon laquelle Dieu a mis en marche la création avant de la laisser fonctionner sans Son interférence, mais cela me paraît en fin de compte une variation sur le thème agnostique, une manière élégante de convenir qu’il n’y a pas de réponses catégoriques mais seulement des spéculations quant à l’origine de l’univers et de ceux qui le peuplent.
   Il est évident que la foi n’a rien à voir avec les vérités empiriques ou les certitudes démontrables. Le credo religieux est une théorie parmi d’autres, une façon de raconter l’histoire comme il y en a tant, une hypothèse pleine de trous, pareille à un habit mité, que les instruments de la connaissance comme la logique et la science achèvent de mettre en pièces. Avoir la foi, c’est croire à un récit qui, une fois scrupuleusement analysé, ressemble à un conte à dormir debout.
   Prenons les fondements théologiques de la confession mormone, qui stipulent que des tribus de l’ancien Israël seraient parvenues jusqu’au Nouveau Monde sur des radeaux de fortune et que Jésus-Christ aurait effectué une visite dans ce qui allait devenir les États-Unis d’Amérique soixante-dix ans après sa crucifixion, pour jouer les bons shérifs. [...] Il se trouve que l’origine du texte sacré racontant de telles absurdités est aussi douteuse que les doctrines qu’il contient. [...] Peu importe que les circonstances à l’origine de cette nouvelle foi soient aussi loufoques (au point que Mark Twain lui-même dira que le livre de Mormon est tout simplement du «chloroforme imprimé»), la confession mormone compte aujourd’hui plus de quinze millions de fidèles, brasse d’immenses fortunes et a une influence politique considérable aux États-Unis. C’est d’ailleurs un mormon, Mitt Romney, qui a défendu les couleurs républicaines aux présidentielles de 2012. Un État américain entier, l’Utah, applique les préceptes de cette religion par ailleurs représentée dans un très grand nombre de pays du monde entier – à l’exclusion de Cuba et de la Corée du Nord. Malgré le peu de crédibilité de ses origines et de ses dogmes, tous les tenants de cette religion que j’ai rencontrés, le plus souvent quand ils venaient sonner à ma porte avec leurs prospectus, semblaient avoir une foi inébranlable et considérer le récit fondateur comme absolument véridique. Sans oublier la récompense suprême que ces missionnaires enthousiastes vous présentent : «Imaginez-vous rejoindre vos proches au ciel, passer l’éternité en compagnie de votre famille!»
   Je ne pouvais tout de même pas répondre à ce brave démarcheur mormon que cette perspective résumait assez bien ma vision de l’enfer. De même, je me suis abstenu de lui faire remarquer que bon nombre de livres de science-fiction me paraissaient plus plausibles que le dogme qu’il essayait de me vendre. En fin de compte, à quoi bon se montrer désagréable envers quelqu’un qui croit si fort aux contes de fées? Si fermement attachés que nous soyons à la science et à la logique, il n’en reste pas moins que la majorité de la population mondiale – 73 % de celle des États-Unis, d’après certaines études – croit en quelque déité, sous une forme ou une autre. [...]
   [...] La religion n’a jamais été présente dans notre famille. Mes parents ne parlaient jamais de Dieu, ni de la promesse d’aller au paradis. Il y avait là seulement une résignation à vivre ce qui est le lot de tous, ainsi qu’une capacité particulière à déceler les bons côtés de l’existence. Mais les discordances permanentes de mon foyer m’ont poussé à chercher d’autres formes de consolation que la foi, et c’est ainsi que la culture est devenue mon Église.
   [...] Le fond du problème, si difficile à contempler, c’est que le moment viendra où vous, moi, nous ne serons plus là; où rien n’aura plus d’importance, ni tout ce que nous avons désiré et manqué, ni nos succès et nos échecs, ni nos triomphes et nos hésitations, ni nos gains et nos pertes. Tout cela s’évanouira avec notre disparition. Et il s’agit bien de «disparition». Non de «décès», non de «passage» vers un ailleurs. Je parle de l’abolissement total qu’est la mort, de ce que nous pouvons tenter d’habiller d’oripeaux plus acceptables mais qui reste, dans toute sa nudité, la fin absolue.
   Pour ma part, j’ai la conviction que la mort est l’achèvement de l’état conscient, la non-existence, l’interrupteur qui nous coupe du monde, sans possibilité de retour. C’est une perspective accablante, une main glacée toujours prête à s’abattre sur notre nuque, une réalité avec laquelle il faut simplement apprendre à exister, en assumant la mélancolie qui l’accompagne de temps à autre. On peut éventuellement accepter la mort d’autrui – de toute façon, nous y sommes tous confrontés à un moment donné ou à un autre. Ce qui dépasse l’entendement, c’est la perspective de notre propre disparition, la chute dans un trou d’où on n’émergera jamais.

~~~

[1] Au pays de Dieu (In God’s Country: Travels in the Bible Belt, 1989)
Douglas Kennedy; Pocket 2006


Résumé 

Douglas Kennedy ne fait rien comme tout le monde. Quand il décide de partir en voyage, il choisit la «Ceinture de la Bible», ce sud si désespérément profond des Etats-Unis.
   Comme Douglas Kennedy est un homme curieux des autres, il aime les rencontres insolites : un ancien mafieux transfiguré par la foi, de jeunes musiciens chevelus fans de heavy metal chrétien, un prêtre guérisseur de paralytiques, un télévangéliste cynique, une redoutable femme d'affaires qui doit sa réussite à Dieu.
   Et comme Douglas Kennedy est un conteur au talent exceptionnel, cela donne un récit de voyage piquant, grinçant, glaçant aussi, le tableau édifiant d'un des phénomènes de société les plus frappants de ces dernières années.
   «Douglas Kennedy a un don exceptionnel pour repérer l'absurde, sans jamais faire preuve d'arrogance ni porter de jugement. Au pays de Dieu est une réussite parce qu'il est le fruit d'une expérience vécue.» (The Daily Telegraph)

– «Une enquête en forme de road movie dans l’Amérique des ‘fous de Dieu’.»
– «Politiciens prêcheurs, prêtres guérisseurs, mafieux reconvertis en vendeur d'indulgences; intégrisme, surmédiatisation et abus de confiance comme sainte Trinité... Sous la plume alerte d'un Douglas Kennedy mordant, l'état des lieux se révèle glaçant. Baptêmes en blanc et billets verts...»  
– «L'actualité politique récente des États-Unis ne cesse de rappeler le poids considérable que joue la religion – en particulier les fondamentalistes chrétiens – dans la vie publique de ce pays.» (Babelio)
– «Le voyage est en soi assez révélateur sur le pouvoir et l'attraction exercée par la religion. Certaines rencontres prêtent à sourire, d'autres à la réflexion, d'autres encore à l'inquiétude. Le pouvoir des croyances est en cela très bien décrit par Kennedy. À l'heure où les fanatiques de toute obédience portent leur voix, Au pays de Dieu montre que le fanatisme religieux est un danger pour la démocratie et la liberté. Instructif.» (Babelio) 

”Now I'm a pretty hardened atheist ...” ~ Douglas Kennedy, 2001
Site de l’auteur :  

Aucun commentaire:

Publier un commentaire