25 mai 2017

Si la vie avait un sens, on ne se poserait pas de questions

Oui, c’est horrible ce qui s’est passé à Manchester. Et l’on pleure avec raison car ces jeunes ne sont pas responsables des choix politiques de leur gouvernement et des conséquences. Les déclarations du parlement britannique étaient prévisibles : indignation et condamnation mêlée de défiance.

On ne peut écouter ces discours sans éprouver un profond malaise à cause de l’hypocrisie. Les pays membres de la coalition antiterrorisme attribuent des budgets démesurés à la défense militaire, et en outre, ils vendent sans discrimination des armes aux pays en conflit, des deux côtés de la clôture. Inutile de commenter les comportements des djihadistes...   

Vous avez peut-être déjà vécu des retours d’ascenseur (positifs et négatifs) consécutifs à vos actes. Il est rare que le retour provienne des personnes qu’on a aidées ou lésées. Les réactions en chaine ne sont pas sélectives ni assujetties au temps linéaire, mais elles sont implacables. Nos moindres gestes ont un impact à petite échelle. Cependant, lorsque des actes politiques touchent la vie de centaines de milliers de personnes, on peut s’attendre à des réactions proportionnelles qui ne se produiront pas nécessairement dans l’immédiat, mais des décennies plus tard. Malheureusement, les grandes nations et corporations engrangent actuellement d’infinis retours catastrophiques. On n’y peut pas grand-chose.

Tout ça pour dire qu’il est possible que le Royaume-Uni soit en train d’essuyer un quelconque backlash . À titre d’exemple, dans les années 1960/70, les britanniques entendaient vider les îles Chagos de leurs insulaires (les indigènes considérés avec arrogance comme des inférieurs ou des animaux). Le but était d’installer des bases militaires. Ils exigeaient que les insulaires renoncent à tous leurs droits. Pour les y contraindre et leur faire peur, ils ont commencé par gazer tous les chiens de compagnie des insulaires, probablement en les menaçant du même sort s’ils n’acceptaient pas la déportation. Chic, n’est-ce pas? Ironiquement, dans les années 1980, Thatcher a dépensé deux millions de livres pour défendre les droits des insulaires blancs installés aux Malouines. Un bel exemple de «fairplay»...  

Stealing a Nation – How the UK/US Stole the Diego Garcia Island
Stealing a Nation is a 2004 Granada Television documentary written and directed by John Pilger, produced and directed by Christopher Martin and with reconstruction footage directed by Sean Crotty. The documentary is about the expulsion of Chagossians from the Chagos Archipelago, chiefly from Diego Garcia Island, forcibly removed by the British government between 1967 and 1973 to Mauritius, 1,000 miles away, so that the island could be used as an American and British airbase.
https://www.youtube.com/watch?v=PjNfXK6QpqY

Alors, comment les gouvernements peuvent-ils condamner le terrorisme tout en étant eux-mêmes les instigateurs de conflits civils et d'actes de terrorisme, se faisant les complices d’un stratagème qui a toutes les caractéristiques d’une opération «fausse bannière». À chaque attaque, les grands médias, payés pour ne jamais regarder de l'autre côté ni poser de questions embarrassantes, publient des messages jouant sur le sentiment d’indignation (légitime) de la population occidentale de manière à susciter la haine et la révolte qui justifieront les interventions militaires et l’assassinat de centaines de milliers de personnes, dont beaucoup d’enfants.

Sgraffite chez le fabricant d'armes L. Sevart, à Liège. (via Wikipédia)

Il est plus que temps d’ouvrir les yeux. Ce que nous voyons résulte d’une multitude d’alliances et de conflits d’intérêts (passés et présents) entre plusieurs pays riches. L’évolution de la démocratie est en crise car les nations sont de moins en moins démocratiques, de plus en plus impérialistes et toujours menées par de grandes corporations qui chuchotent à l’oreille des rois, des présidents et des premiers ministres. C’est ainsi que dans le cadre de la mondialisation, des pays entiers sont vendus à des conglomérats d’entreprises privées qui s’opposent, entre autres, au sevrage des énergies fossiles. Dès qu’il y a des richesses quelque part, les requins arrivent par bandes et compétitionnent pour s’approprier le territoire. De sorte que les populations deviennent les esclaves de nouvelles «gouvernances» (1).

Donc, toute proportion gardée, en chiffres, la menace d’extinction des enfants en certaines régions du monde est extrêmement alarmante.

Collage: Joe Webb Art  http://www.joewebbart.com/

Les conflits menacent la vie de 24 millions d'enfants, selon l'UNICEF
Près de six millions d'enfants sont menacés en Syrie, dont plus de deux millions qui habitent des secteurs assiégés ou difficiles d'accès où l'aide humanitaire n'est que peu ou pas disponible. (...) L'agence onusienne a déclaré par voie de communiqué que le Yémen arrive en tête de liste, avec 9,6 millions d'enfants dans le besoin. Le Yémen est suivi de la Syrie, de l'Irak, du Soudan, de la bande de Gaza et de la Libye, selon l'UNICEF. (...)
http://www.lapresse.ca/international/201705/24/01-5100815-les-conflits-menacent-la-vie-de-24-millions-denfants-selon-lunicef.php

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(1) Extrait du livre «Les passagers clandestins, Métaphores et trompe-l’oeil de l’économie», IANIK MARCIL, Éditions Somme toute, 2016; (p. 127-132)

L’auteur commentait précédemment l’accident survenu en 2013 à l’usine Rana Plaza (Bangladesh), qui a fait 1127 morts. 
     La gouvernance de ces entreprises n’est rien d’autre qu’un trompe-l’œil occultant largement leurs pratiques ayant un impact majeur, parfois tragique, sur la vie de plusieurs femmes et hommes qui y travaillent. Il y a bien sûr de nombreuses entreprises administrées par des femmes et des hommes soucieux du respect des droits de l’homme, de la préservation des écosystèmes et de la sécurité de leurs travailleurs. Il s’agit sans doute de la majorité d’entre elles – ne serait-ce que par calcul, afin d’éviter que leur image ne soit entachée par un comportement inadéquat. En revanche, plusieurs d’entre elles se rendront coupables d’activités douteuses, malgré leurs politiques de responsabilité sociale. Cela est souvent le cas de grands projets industriels dont les impacts écologiques ou sociaux peuvent être potentiellement très grands. Compte tenu de la taille des investissements en jeu, on dépensera des sommes importantes pour «vendre» les projets aux populations concernées. Politiciens et gens d’affaires chercheront à s’assurer de l’acceptabilité sociale du projet, ce qui, trop souvent, ne se traduit que par une efficace campagne de relations publiques auprès des parties prenantes – trompe-l’oeil vague, à dessein, désignant à peu près n’importe quelle personne pouvant être touchée par le projet, mais dont on n’identifiera à peu près jamais explicitement la place qu’elle occupe dans la société ni les contraintes qu’elle subit. Par exemple, des citoyens et citoyennes d’une communauté pourraient se dire favorables à un investissement industriel parce qu’il créera de nombreux emplois, argument généralement mis de l’avant par les promoteurs comme par le gouvernement, mais fermeraient les yeux sur les impacts environnementaux à long terme. L’entreprise pétrolière TransCanada se débat avec à peu près tous les niveaux de gouvernement au Canada et aux États-Unis, en plus des groupes citoyens et militants, pour faire accepter ses projets d’oléoducs transportant le pétrole extrait des sables bitumineux d’Alberta. Une enquête de Radio-Canada en novembre 2014 montrait que l’entreprise était prête à tout pour faire passer son projet. TransCanada a embauché l’une des plus grandes firmes de relations publiques au monde, Edelman, à cette fin. Le plan préparé par Edelman visait notamment à mobiliser 35000 citoyens influents dans leurs communautés afin qu’ils appuient publiquement le projet, notamment dans les médias sociaux, contre rémunération. Le recours à cette armée d’influenceurs montre à quel point les médias sociaux peuvent se mettre au service de la propagande pure et simple, au-delà des grands principes d’acceptabilité ou de responsabilité sociale (TransCanada publie d’ailleurs annuellement un «Rapport de responsabilité sociale d’entreprise»).

Pareillement, on affirmera que les projets industriels doivent respecter les principes du développement durable, expression vide de sens, s’il en est. Le philosophe Luc Ferry note que personne ne plaiderait en faveur d’un «développement intenable» et que «l’expression chante plus qu’elle ne parle», étant «si floue qu’elle ne dit rien de déterminé» (Luc Ferry, Protéger l’espèce humaine contre elle-même, Revue des deux mondes, oct.-nov. 2007). On nage en pleins bons sentiments, le moindre projet industriel ou commercial se targuant de respecter le développement durable. Malgré d’innombrables normes ou meilleures pratiques, on s’en remet généralement à une pétition de principe plutôt qu’à de véritables actions respectant les écosystèmes. L’économie verte n’est, plus souvent qu’autrement, qu’une fumisterie – les anglophones dénoncent le subterfuge par le terme greenwashing, enverdissement en français. Un des exemples les plus absurdes de ce greenwashing a été le rebranding de l’image de marque de la pétrolière British Petroleum (BP) ... à la suite de l’échouement du navire pétrolier Exxon Valdez (1989). Dix ans plus tard, le 20 avril 2010, la plate-forme pétrolière lui appartenant dans le Golfe du Mexique, Deepwater Horizon, explose, causant l’une des plus grandes catastrophes écologiques de l’histoire. L’entreprise ayant été condamnée à des amendes record (12 milliards de factures judiciaires en 2013), son image «verte» a été profondément écorchée. (...)

Du développement durable à l’acceptabilité sociale pour aboutir au concept global de gouvernance, non seulement les entreprises, mais aussi les gouvernements, usent de trompe-l’œil qui cherchent à ennoblir le vocabulaire afin de faire oublier les conséquences concrètes et souvent désastreuses des projets de développement économique. Cette terminologie de l’entreprise privée a, en effet, été largement récupérée par la sphère  politique. Ces concepts occultent non seulement de grands pans du réel, mais justifient également le retrait de la responsabilité publique. Comme le note le philosophe Alain Deneault, l’État n’est plus l’organisation politique d’une société ou d’un peuple, constituée de diverses institutions, mais un ensemble d’organisations publiques qu’on doit soumettre aux mêmes «règles de gouvernance» que les entreprises privées. Le gouvernement est alors «restreint lui-même au simple rôle de partenaire dans l’ordre de la gouvernance, n’encadre plus l’activité publique, mais y participe à la manière d’un pair» (Alain Deneault, Gouvernance : Le management totalitaire, Montréal, Lux Éditeur 2013).

La vie politique se soumet, dès lors, aux règles du management et de la gestion efficace – et, ultimement, à celles de la concurrence. On met en concurrence les diverses composantes de l’administration publique avec les entreprises privées, forçant les organismes gouvernementaux à singer la logique du secteur privé, mais surtout les coinçant dans un double rôle insoutenable : adopter les règles du privé tout en prétendant continuer à servir l’ensemble de la communauté et à préserver le bien commun. Véritable aporie, le langage lisse et neutre de la gouvernance évacuera en douce la véritable vie politique de nos sociétés.

Éliminer le politique de la vie publique implique une annihilation radicale de la dissidence et de la pensée critique, les dogmes de la gouvernance «revêtant des airs de pensée critique» (Alain Deneault). L’élément le plus fondamental de la vie démocratique se vide de sa substance, on délibère à vide. À la délibération, au cœur même de la vie politique, se substitue le choix du meilleur gestionnaire, celui ou celle qui réussira à appliquer avec le plus d’efficacité et de rigueur les règles de bonne gouvernance et l’administration la plus rentable.

Ce qui au départ ne semble fondé que sur de bonnes intentions – qui s’opposerait à la gestion efficace des affaires publiques? – bâillonne au final toute dissidence, toute pensée critique, toute lutte sociale au profit d’un silence imposé par les élites économiques et politiques et des think tanks divers et variés qui relaient une rhétorique anesthésiante nous rendant insensibles au débat politique et à la délibération démocratique.

Réflexion du jour

Pouvez-vous imaginer un instant ce que serait notre monde si à l’échelle mondiale nous pouvions récupérer tout l’argent des impôts et des placements boursiers/bancaires investis dans l’armement depuis la Deuxième guerre mondiale? Si ces sommes, dont on ne peut même pas se figurer le total, avaient servi à l’éducation, au mieux-être de tous, à la coopération, au partage de connaissances, à l’entraide, à des soins de santé adéquats, au commerce vraiment équitable, à la préservation de la nature, etc., à quoi ressemblerait la planète? Il y a des individus hautement créatifs, talentueux et qualifiés qui sont capables de créer des changements, mais les pouvoirs en place leur mettent des bâtons dans les roues. Les événements politiques récents ont réveillé un grand nombre de gens, maintenant plus conscients, proactifs et prêts à se regrouper pour faire pression auprès des autorités (élues démocratiquement ou non). L’important est de continuer, sinon il sera impossible de renverser la vapeur.

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