9 avril 2017

Cui bono?

«Il est des heures dans l'histoire où celui qui ose dire que 2 et 2 font 4 est puni de mort.» ~ Albert Camus (La Peste, 1947)

Pas à pas vers la dictature

Pour assurer la sécurité de Betsy DeVos, la ministre de l’Éducation, les contribuables américains ont payé 8 millions de dollars en près de huit mois. Peut-être qu’un blindé de la Brink’s coûterait moins cher, la compagnie est experte dans le transport de cash. DeVos n’a de valeur marchande qu’en vertu de la fortune du couple qui pourrait intéresser des kidnappeurs. Selon une source anonyme du Washington Post, de tous les ministres de l’Éducation elle est celle qui a reçu le plus de menaces de mort. Imaginez! Toujours est-il qu’il en coûtera au ministère un million de dollars par mois pendant quatre ans, soit 384 millions de dollars qui devraient être attribués au système d’éducation, tout aussi déglingué que celui de la santé. C’est à la fois ridicule et scandaleux.

The cost of Betsy DeVos’s security detail nearly $8 million over nearly 8 months
April 7, 2017 https://www.washingtonpost.com/


Cet artéfact de l’élite multimilliardaire n’a aucune expérience en éducation, et les réformes qu’elle préconise n’ont d’autre but que de «faire avancer le royaume de Dieu». Un profil en totale concordance avec Mike Pence et le Club des Bigots de l’administration Trump. Comme disait Napoléon, «la religion existe pour empêcher les pauvres de tuer les riches».

Les fondations DeVos incluent entre autres Focus on the Family, un organisme d’extrême droite reconnu pour être passablement haineux envers les gais. Mais il y a pire encore, si l’on peut dire. 

L'année dernière, The Intercept a présenté un rapport sur la nouvelle entreprise d’Erik Prince, Frontier Services Group, qui est basée à Hong Kong et a des liens étroits avec le gouvernement chinois. Le BuzzFeed d’Aram Roston a également indiqué que Prince «avait proposé des services d’expertise militaire en appui aux objectifs du gouvernement chinois, et l’installation de deux camps d'entraînement de style Blackwater en Chine». Roston disait aussi que l’initiative de Prince «risquait de violer la loi américaine qui interdit l'exportation de services ou d'équipements militaires en Chine.» 
      En janvier dernier, six jours après un meeting aux Seychelles, The Intercept avait rapporté que Prince conseillait officieusement Trump. L'épouse de Prince a publié des photos de lui en train de regarder les résultats de l'élection en compagnie de Trump et de Pence dans leurs quartiers administratifs. Erik Prince a versé au moins 250 000 $ à la campagne de Trump par le biais du Comité d'Action Politique du milliardaire Robert Mercer. La mère de Prince a également contribué généreusement au CAP. La soeur de Prince, Betsy DeVos, maintenant ministre de l'éducation a aussi contribué. «Toute la famille est plutôt dérangeante», a déclaré le représentant Schakowsky, «et maintenant Erik Prince fait partie du cercle intérieur de cette administration qui a le plus d'influence dans le monde.»
~ Jeremy Scahill, The Intercept 
Source :
Rep. Jan Schakowsky Calls for Investigation Into Trump’s Ties to Blackwater Founder Erik Prince 

Je pense que les films de science fiction n’arrivent pas à la cheville de ce que nous risquons de voir... Au sujet des conflits internationaux, voyez «Armes nucléaires : le mensonge du silence»
https://situationplanetaire.blogspot.ca/2017/02/armes-nucleaires-le-mensonge-du-silence.html

Beaucoup de gens ont refusé de croire que Trump pouvait devenir président. La démocratie s’étiole décret après décret, et le choc sera brutal lorsqu’un beau matin les Américains se réveilleront dans une société totalitaire / théocratique. Un stand-up américain disait : “Bush gave us Obama and Trump will give us Jesus”

Dans une série d’interviews (en 2006), Margaret Atwood disait :
«Quand les temps sont durs, les gens troquent volontiers leur liberté si quelqu’un leur dit : ‘Je suis un puissant leader et je vais régler vos problèmes’. Si vous vouliez transformer une démocratie en régime totalitaire, vous présenteriez la chose de façon détournée : ‘En vue de préserver votre liberté, vous devrez la sacrifier pour le moment. Pour préserver la liberté, nous devons la supprimer.’»

Ce long préambule avait pour but d’introduire la minisérie américaine The Handmaid's Tale, créée par Bruce Miller, une adaptation du best-seller de Margaret Atwood (1985). Aux États-Unis, elle sera diffusée à partir du 26 avril 2017 sur Hulu; et au Canada sur Bravo.ca et CraveTV4 à compter du 30 avril.

Cette série mérite de devenir «virale» car elle agite quantité de drapeaux rouges. Il n’est plus possible de se voiler la face aujourd’hui.

Résumé

The Handmaid's Tale raconte la vie des Servantes dans la République de Giléad, une société totalitaire installée dans ce qui était autrefois une partie des États-Unis. Face à des catastrophes écologiques et à une natalité en déclin, Giléad est gouverné par un régime fondamentaliste tordu qui traite les femmes comme des biens de l'état. Étant l'une des rares femmes fécondes, Offred vit dans la maison d’un Commandant et son rôle est d’être mère porteuse. Un service obligatoire afin de repeupler un monde dévasté. Dans cette société terrifiante où un mot de travers peut mettre fin à sa vie – où n'importe qui peut être un espion de Giléad – Offred navigue entre les commandants et leurs cruelles épouses, les domestiques et les autres servantes comme elle, avec un seul but en tête : survivre et retrouver sa fille qu’on lui a arrachée.

http://www.bravo.ca/Shows/TheHandmaidsTale

Theocratic state… in The Handmaid’s Tale, a Christian sect called the Sons of Jacob take over. (Photo: Hulu, 2017)

Dans le conte d’Atwood, les hommes occupent toutes les positions du pouvoir. Les femmes ont été démises de leur statut de citoyenne à part entière. Le gouvernement impose des tenues vestimentaires de couleurs spécifiques identifiant les différentes castes des femmes catégorisées selon leur fonction : les Épouses (femmes légitimes des Commandants, en bleu), les Marthas (domestiques, en vert terne), les Servantes (mères porteuses, en rouge) et les Tantes (surveillantes, en marron ou gris). Il s’agit d’un monde hostile et répressif où la lecture et la communication écrite sont proscrites. De même que l’amour et l’empathie. Cependant on prend soin d’encourager la haine, la jalousie, la méfiance, la compétition, la trahison, la délation, etc.

High Commander Fred Waterford (Photo: Hulu, 2017)

Les parallèles entre la République de Giléad et la République de Trump sont troublants...

“Margaret Atwood wrote this book so long ago that it feels like she was quite psychic. It’s so prophetic. Even in our scripts, it’s like the things that we say are bizarrely simultaneous with Trump. It just makes me think of Melania. It makes me think of every reactionary shot we’ve seen in the news and how the position [of the woman] is so, always completely in support of the president.” ~ Ane Crabtree (costume designer for The Handmaid’s Tale; Hollywood Reporter)

L’administration Trump a considérablement restreint les droits des femmes (notamment le droit à l’avortement, c.-à-d., le choix d’avoir un enfant ou non). Récemment, Trump a demandé aux employées de la Maison Blanche de s’habiller  «comme des femmes». Que signifie s’habiller comme une femme?! Porter un déguisement à la Melania/Ivanka?


Ce président admet ouvertement avoir agressé sexuellement des femmes.
Note - mardi 11 avril 2017: La Trump Organization abandonne le mannequinat -- Trump Model Management. L'activité de mannequinat passait pour l'une des activités chères au milliardaire devenu président.

Serena Joy, l’épouse infertile de Fred Waterford (Photo: Hulu, 2017)

«Ce qui rend The Handmaid’s Tale si terrifiant, c'est que tout ce qui arrive est plausible. Atwood avait l’œil terriblement prémonitoire sur la façon dont un état comme Giléad pourrait en venir à exister : «… après la catastrophe, lorsqu'ils ont tiré sur le président et mitraillé le Congrès, l'armée a déclaré l'état d'urgence. … Les journaux ont été censurés et d’autres fermés, pour des raisons de sécurité, disait-on. Les barrages routiers ont commencé à apparaître, ainsi que les Identipasses. Tout le monde approuvait puisqu'il était évident qu’on ne pouvait pas être trop prudent.» Ensuite, les comptes bancaires des femmes furent gelés, fermés, et elles furent forcées de quitter leur emploi. Cela se fait étape par étape.»
~ Naomi Alderman, écrivaine (The Guardian, March 25, 2017)

Le Code civil patriarcal de Napoléon  

L’Empire masculin – Avec la mise en place du règne de la Vertu par la Terreur, la femme est renvoyée dans l’espace domestique, seul domaine où on la tolère désormais. Déjà présente dans les esprits, l’inégalité homme-femme devient officielle avec l’arrivée de Bonaparte et la rédaction du Code civil : «la femme […] est la propriété [de son mari] comme l’arbre fruitier est celle du jardinier» (1804). Difficile d’être plus clair!
     Dans le même temps, on multiplie les exigences pour rendre pratiquement impossible le divorce. Le mariage et les enfants, il n’y a que ça de vrai! (Hérodote.net) 
     Après son divorce d’avec Joséphine, Napoléon s’était exclamé : «Je veux un ventre!». 
     Napoléon a supprimé bon nombre d’acquis révolutionnaires. Tout d’abord, les cultes révolutionnaires sont abolis. Les libertés d’expression, de réunion, de circulation et de presse sont supprimées au profit d’un État autoritaire et d’une surveillance accrue de la population, orchestrée par Fouché. L’égalité proclamée dans le Code civil n’est pas respectée : la femme dépend de son mari; les patrons ont un très grand pouvoir sur les ouvriers, le livret ouvrier les réduisant à être des quasi-serfs; l’esclavage est rétabli dans les colonies; les fonctionnaires sont privilégiés en matière de Justice… Ensuite, l’instauration de préfets équivalents aux intendants, d’un conseil d’État équivalent au conseil du roi, d’une nouvelle noblesse basée sur la notabilité, les faux plébiscites organisés (des votes sont inventés, il n’y a pas de secret de vote, on ratifie un fait déjà accompli…) font redouter le pire aux jacobins. (Wikipédia)

Dans un article publié dans le New York Times, Margaret Atwood explique ce que signifie The Handmaid’s Tale’ à l’ère de Trump.

Quelques passages.

«Étant née en 1939 je fus amenée à prendre conscience de la Seconde Guerre mondiale, et du fait que l’ordre établi pouvait basculer du jour au lendemain. Le changement pouvait être aussi rapide que l’éclair. L’on ne pouvait pas compter sur ‘ça ne peut pas arriver ici’ : n’importe quoi pouvait arriver n’importe où
     »Je voulais un conte dont les événements étaient plausibles. Chaque événement relaté dans le roman devait avoir déjà existé dans ce que James Joyce appelait le «cauchemar» de l’histoire, et les technologies devaient déjà être utilisées en 1984. Aucun appareil imaginaire, aucune loi imaginaire, aucune atrocité imaginaire. On dit que Dieu est dans les détails. Le Diable aussi. 
     »En 1984, les prémisses de base semblaient inacceptables – même à moi! Arriverais-je à persuader les lecteurs qu’un coup d’état s’était produit aux États-Unis et que leur démocratie libérale s’était transformée en dictature théocratique? Dans le roman, la Constitution et le Congrès n’existent plus. La République de Giléad s’édifie sur les croyances puritaines du 17e siècle, rencognées derrière une Amérique qu’on croyait moderne. L’histoire se déroule à Cambridge, Mass., foyer de l’université Harvard, maintenant une institution réputée pour son système d’éducation libéral mais qui fut autrefois un séminaire de théologie puritaine. Les Services secrets de Giléad occupent la Bibliothèque Widener – où j’ai passé des heures à faire des recherches sur mes ancêtres de la Nouvelle-Angleterre et les procès des sorcières de Salem. Certaines personnes seraient-elles offensées que le Mur de Harvard serve à suspendre les corps des exécutés? (C’est déjà arrivé.) 
     »Sous les régimes totalitaires – ou en réalité, dans n’importe quelle société fortement hiérarchisée – la classe dirigeante monopolise tout ce qui a de la valeur. Ainsi, l’élite du régime s’arrange pour avoir des femmes fertiles comme servantes. On s’inspire du Jacob de la Bible : deux épouses, Rachel et Léa, et leurs deux servantes. Un homme, quatre femmes, 12 fils – mais les servantes ne peuvent pas réclamer leurs fils; ils appartiennent aux épouses légitimes. Ainsi va l’histoire. 
     »S’il n’y avait pas de femmes capables de donner naissance, les populations humaines disparaîtraient. C’est pourquoi le meurtre et le viol des femmes, des fillettes et des enfants font si souvent partie des guerres génocidaires et des campagnes visant à soumettre et exploiter une population. ... Le contrôle des femmes et des enfants fait partie de tout régime répressif. Napoléon avec sa «chair à canons», et l’esclavage avec son renouvellement continu de la marchandise humaine s’appliquent ici. À ceux qui promeuvent la procréation forcée, il faudrait demander : cui bono? Qui en profite? Parfois un secteur, parfois un autre. Jamais personne. 
     »Dans le roman, la religion dominante vise le contrôle doctrinal et l’annihilation des religions traditionnelles que nous connaissons. De la même manière que les Bolcheviks avaient détruit les Mencheviks pour éliminer la compétition politique ..., les Catholiques et les Baptistes sont visés et éliminés. Les Quakers se terrent ou se réfugient au Canada. Dans la réalité d’aujourd’hui, des groupes religieux se forment pour protéger les populations persécutées, ainsi que les femmes. 
     »Alors, ce livre n’est pas anti-religion. Il est contre l’utilisation de la religion comme prétexte à la tyrannie, ce qui est une chose entièrement différente. 
     »The Handmaid’s Tale est-il une prédiction? C’est une question qu’on me pose de plus en plus à mesure que les forces à l’intérieur de la société américaine prennent le pouvoir et promulguent des décrets qui concrétisent ce qu’ils entendaient faire, comme en 1984 lorsque j’écrivais ce roman. Non, ce n’est pas une prédiction, parce que prédire l’avenir est impossible. Il y a trop de variables en jeu. En revanche, il est possible d’observer les tendances actuelles, d’extrapoler pour évaluer des milliers de possibilités, d’en choisir une et dire voilà ce qui pourrait arriver si nous suivons celle-là
     »À la suite des récentes élections américaines, la peur et l’anxiété prolifèrent. Les libertés civiles de base sont menacées, de même que les nombreux droits que les femmes ont acquis pendant les décennies précédentes, et en réalité, depuis des siècles. Dans ce climat de zizanie, où la haine envers différents groupes semble progresser et écorcher les institutions démocratiques, des extrémistes de tous bords s’expriment. Et, il est certain que des individus (peut-être plusieurs), quelque part, écrivent ce qui se passe tel qu’ils le vivent. Ou, ils s’en souviendront et le raconteront plus tard, s’ils le peuvent. 
     »Leurs messages seront-ils supprimés ou cachés? Seront-ils retrouvés des siècles plus tard dans une vieille maison, derrière un mur? 
     »Espérons que ça n’arrivera pas. J’ai confiance que ça n’arrivera pas.»

Article intégral en anglais, New York Times :
Margaret Atwood on What ‘The Handmaid’s Tale’ Means in the Age of Trump
By MARGARET ATWOOD ǀ March 10, 2017

https://www.nytimes.com/2017/03/10/books/review/margaret-atwood-handmaids-tale-age-of-trump.html?_r=1

Trailer de la minisérie 2017


Scène du film de 1990 – séance de Rédemption/Particicution durant laquelle on pendait soit des Servantes soit de prétendus violeurs qui en réalité étaient souvent des prisonniers politiques. 


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