3 juillet 2015

Petrolia a mari usque ad mare

Et dominabitur a mari usque ad mare, et a flumine usque ad terminos terrae :
«Qu’il domine d'une mer à l’autre mer, depuis le fleuve jusqu’aux extrémités de la terre» (sous-entendu, le chef d'État, ayant droit divin).

Aujourd’hui on peut traduire par : «Que le pétrole domine d’un océan à l’autre».

Qu’avons-nous appris du déversement de pétrole à Lac-Mégantic il y aura deux ans en ce 6 juillet 2015?


Rien ne résume mieux notre situation que cet ouvrage publié en 2008 par Yves Paccalet. Comme nous n’avons rien fait de concret à grande échelle depuis, notre dette collective est proportionnelle à la taille de notre inconscience... À mon avis, nous sommes insolvables. Jugez-en par vous-même.

«On sent son esprit tomber dans un abîme quand on songe que les hommes font tant de mauvaises actions en présence des étoiles.» ~ Victor Hugo

Notes de lecture

Atlantide, rêve et cauchemar
Éditions Arthaud

La Nouvelle Atlantide

L’eau monte. Inexorablement…
Tel un châtiment envoyé par les dieux. Comme une punition de la Terre… Oui : Gaïa, la Terre, se venge des injures et des blessures que l’homme lui a infligées.

L’eau s’élève ainsi qu’une obsession.
Les îles disparaissent les unes après les autres. Les côtes basses, les marais littoraux, les deltas, les estuaires sont engloutis par les vagues. Le flot amer se répand. Les continents rétrécissent.

Les climats de la planète sont devenus fous...  
Pour les humains, de plus en plus nombreux sur le globe, la place manque de façon critique. L’espace fait défaut. Les territoires s’amenuisent. Les tensions s’avivent. Des guerres éclatent. On redoute des désastres inouïs.

Tandis qu’il faudrait davantage de produits agricoles pour nourrir des milliards de bouches, tandis qu’on aurait besoin de nouveaux champs cultivés, on stérilise la terre arable sous le bitume et le béton. On multiplie les immeubles d’habitation, les bureaux, les usines, les magasins, les routes, les ports et les aéroports. Dans les pays du tiers-monde, au lieu de semer des espèces vivrières, on plante d’immenses étendues de canne à sucre ou de palmier à huile (OGM, engrais chimiques et pesticides à gogo!) pour fabriquer des agrocarburants destinés à faire rugir des bagnoles de riches sur des autoroutes qui ne mènent que d’un décor de béton à un autre décor de béton...

Afin d’éviter le désastre, nous devrions diviser par deux, tous les vingt-cinq ans, nos émissions de ces gaz à effet de serre qui réchauffent l’atmosphère, provoquent la fusion des glaces et exhaussent le niveau des mers. Au lieu de cela, nous les doublons...

Nous brûlons avec frénésie des combustibles fossiles. La tragédie est écrite. La catastrophe se noue sur la tête de notre espèce comme les fumées d’usines et les échappements d’automobiles se tordent sur les cités industrielles un jour de pollution aiguë.

L’intelligence de l’homme

L’eau monte ainsi qu’un mauvais rêve…
Je vais raconter cette histoire, ô Platon. C’est celle de la Nouvelle Atlantide, autrement dit : la saga de l’humanité... 

Elle se termine mal.
Tout débute pourtant avec l’intelligence de l’homme : ce n’est pas le moindre paradoxe. Les dieux savent rire en manipulant comme des pantins les avides et naïfs mortels que nous sommes. L’Olympe s’amuse de notre petitesse affublée de gros défauts.

En tant qu’espèce, l’Homo sapiens paraît sur la Terre voilà cent cinquante mille ans. Il acquiert un gros cortex cérébral, apprend à parler et domestique les énergies. Quand il était grand singe, il ne pouvait compter que sur ses propres forces – ses muscles, ses nerfs, ses organes des sens – pour vivre. Sa capacité d’observation, d’analyse et de synthèse lui donne la mémoire collective et l’outil. Grâce à la culture, il dépasse sa nature primitive.

Pour le meilleur et pour le pire...
C’est au néolithique, à la fin de la dernière glaciation, voilà dix mille ans, que l’homme se rend maître de la force animale. Il invente l’agriculture et l’élevage. Il laboure son champ en attelant l’araire au bœuf. Il court deux fois plus vite à cheval que sur ses deux pieds. Il transporte ses marchandises à dos d’âne ou de chameau. Il commence à détourner à son profit les forces vives de l’eau et du vent, par exemple en installant des moulins sur les rivières et en naviguant à la voile.

Grâce aux énergies colées à la nature, notre espèce croît et se multiplie. Nous sommes dix millions d’humains au début du néolithique. À la fin de cette période, c’est-à-dire dans l’Antiquité – aux temps qui sont les tiens, Platon! -, nous avons multiplié notre effectif par dix : nous sommes cent millions. Nous continuons notre ascension. Nous amplifions ce que nous appelons (de façon, croyons-nous, légitime) le «progrès».

Nous sommes un milliard sous Napoléon.
C’est vers cette époque que nous inventons la machine à vapeur et que nous enclenchons la grande révolution industrielle. Un engrenage, à tous les sens du terme… L’énergie du charbon nous propulse partout sur la planète.

Lorsque nous apprenons qu’il existe, dans le sol de certaines contrées, une huile combustible, et qu’elle actionne puissamment les moteurs, tout s’emballe. Le pétrole fait de nous les rois du monde. Nous explorons les ultimes terres vierges, nous fondons des colonies à la taille des continents, nous inventons des machines de plus en plus complexes, efficaces et dévoratrices d’énergie. La révolution des hydrocarbures, suivie par celles de l’électricité, de l’atome, de l’ordinateur et de la biologie moléculaire, nous propulse où nous en sommes.

Dans le pétrin... Grâce à l’énergie gratuite accumulée dans le sol durant des dizaines de millions d’années par la décomposition bactérienne de milliards de cadavres d’animaux et de plantes, nous triomphons. Mais, c’est un cadeau empoisonné que nous présente la vie.

Dans un premier temps, nous exultons. Ce ne sont que bonnes nouvelles. Les chiffres nous grisent. Les statistiques nous droguent. Tout augmente : notre nombre, nos richesses et nos espoirs. Nous inventons la grande agriculture et l’industrie lourde, les trains, les paquebots, les automobiles, les avions, les fusées, les communications lointaines et l’Internet. C’est le pétrole qui nous donne la force mécanique de cultiver des champs immenses. C’est lui qui les fertilise, car les engrais chimiques en proviennent. C’est lui qui autorise les avancées de la science, notamment de la médecine. Ce liquide visqueux, salissant et puant nous offre notre grand coup d’accélérateur démographique.

D’un milliard en 1800 la population humaine passe à six milliards en l’an 2000. À huit milliards en 2025. À dix milliards en 2050. Au delà, qui sait?

Car Gaïa en a marre, ô Platon! Les limites de sa patience sont atteintes et sa capacité de punir est terrible. Comme l’histoire selon Marx, l’écologie s’écrit toujours deux fois : la première en farce et la seconde en tragédie.

La mécanique du malheur

Au XVIIIe siècle, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. L’optimisme est à la mode, même si Voltaire le brocarde dans Candide; même si l’on distingue assez mal la nature du progrès dans les tranchées de quatorze, les camps nazis, l’archipel du goulag, les épurations ethniques ou la bombe atomique.

L’humanité se persuade qu’elle avance. Qu’elle vivra des jours meilleurs. Que l’existence de ses enfants sera plus heureuse. Qu’elle connaîtra des lendemains qui chantent, non seulement en politique, mais pour la nourriture, le logement, la santé, les transports, les loisirs, la culture.

C’est alors que les ennuis commencent...
Marées noires, pollutions, extinction d’espèces, épuisement des sols, déforestation, désertification, sécheresses, inondations, cyclones ravageurs... Un jour de 1987, les citoyens de Mexico, effarés, voient pleuvoir des oiseaux. Les volatiles s’abattent dans les rues. Quelques battements d’ailes, un spasme et ils expirent. On les croit frappés par la foudre, mais le ciel est sans nuages. Sorcellerie? Vengeance du dieu Serpent à plumes? Non! Pollution de l’air… Un brouillard toxique, chargé de poussières, d’acides, d’hydrocarbures, de benzopyrène, d’ammoniac et de métaux lourds asphyxie les animaux en plein vol. Ceux-ci n’ont plus de force. Ils tombent.

Mais le réchauffement climatique est pire que toutes les pollutions réunies. Du reste, plutôt que de «réchauffement», mieux vaut parler de «chaos».

Il y a belle lurette que ce phénomène angoisse les écologistes et les climatologues, et que les «décideurs» économiques et politiques regardent ailleurs. Le premier qui dit la vérité expérimente à ses dépens le paradoxe de Cassandre. Si les désastres annoncés se produisent, on l’en rend responsable : halo sur celui qui nomme le malheur! Si le péril est conjuré parce que diagnostiqué à temps, Cassandre a eu tort; la situation n’était pas si grave; la devineresse n’est qu’une poltronne; la prochaine fois, on aura raison de ne pas la croire!

Ô Platon, tu connais Cassandre!
Si elle pouvait parler, elle tiendrait à peu près ce discours.

Avec le réchauffement climatique, la mécanique du malheur est en marche.

À cause des activités humaines, les climats de la Terre sont déréglés, fiévreux, malades, demain délirants, après-demain mortels... La planète nous fait payer notre insouciance – ou notre volonté de ne rien voir. Nos chaudières, nos moteurs et les incendies de forêts que nous allumons relâchent du gaz carbonique, dont le taux augmente dans l’atmosphère. Cette molécule retient, sous forme d’infrarouges (de rayons calorifiques), les rayons lumineux que nous adresse le Soleil et qui sont normalement réfléchis par le sol et renvoyés en grande proportion dans l’espace. Le gaz carbonique induit ce qu’on appelle un «effet de serre». D’autres composés sont doués du même pouvoir funeste : le méthane, l’ammoniac, l’ozone, la vapeur d’eau, etc.

À cause de ces pollutions, le réchauffement frappe. Le nombre de degrés supplémentaires que nous atteindrons dans trente, cinquante ou cent ans dépend de maints facteurs, dont le plus décisif sera le comportement de l’Homo sapiens lui-même.

Comment agirons-nous, à présent que nous connaissons le risque?

Comme des irresponsables, c’est joué d’avance. Comme des idiots, c’est sûr. Tels des criminels bardés de bonnes intentions. Ou à la manière du salaud sartrien qui sait où est le mal, mais qui le fait quand même...  

Le pire des scénarios

Nous nous comportons, ô Platon! comme les Atlantes à la veille de la punition. Nous avons perdu la notion du vice et de la vertu. Notre intelligence est obscurcie par la quête des richesses matérielles. Notre jugement est faussé par la folie de la consommation. Nous sommes des accros de l’énergie, des junkies de l’objet, des drogués du «toujours plus».

Nous avons perdu le sens du vrai bonheur – celui que nous devons construire nous-mêmes dans le respect d’autrui, et non pas l’attendre des sirènes conjuguées de la production de masse, du marketing et de la publicité. Nous plaçons notre idéal dans l’augmentation du pouvoir d’achat. Nous dévalons la pente la plus raide qui mène à l’abîme en réclamant que le bolide accélère.

Nous devrions diminuer de trois cent pour cent par an nos émissions de gaz à effet de serre pour ne pas dépasser, dans le demi-siècle à venir, une moyenne de réchauffement de deux degrés. Or, depuis l’an 2000, nonobstant de pathétiques marchandages sur le protocole de Kyoto, nous n’abaissons pas, mais nous augmentons dans cette même proportion nos mortelles pollutions... 

Nous cinglons vers un réchauffement général de quatre à cinq degrés, certains climatologues disent plus de six. Dans cette configuration, l’Atlantide désignera la Terre entière et les Atlantes seront l’espèce humaine.

L’Homo sapiens aura mérité son châtiment. On dirait qu’il le désire. On jurerait qu’il le cherche – un peu comme le tueur en série qui échappe à la police pour ses premiers meurtres, mais qui recommence obsessionnellement le même crime jusqu’à ce qu’il se fasse prendre... 

L’être humain réagit toujours de la même manière. Quoiqu’il se pense au-dessus des bêtes, il obéit aux ordres de son cerveau reptilien : il désire accroître son territoire et améliorer sa place dans la hiérarchie sociale. Même quand il imagine œuvrer pour le bien commun, même quand il se comporte comme un saint, cet égoïsme structurel l’anime.

L’Homo sapiens en veut toujours plus, surtout davantage que les autres... Jamais il n’est satisfait de ce qu’il possède. Il refuse avec obstination de devenir sage, même lorsque les pires ennuis se profilent.

L’analyse des microbulles d’air contenues dans les glaces de l’Antarctique nous l’a révélé : depuis le début de l’ère industrielle, nous avons fait passer le taux de gaz carbonique à plus de trois cent soixante parties par million. Une ascension brutale. Qui continue. Qui s’accélère. Qui nous mène à la catastrophe.

Nous élèverons peut-être la température moyenne sur la Terre de deux à quatre degrés d’ici 2050, et de quatre à huit d’ici 2100. Ce pourrait être moins : rêvons d’une humanité prudente! Ce sera vraisemblablement plus. Nous sommes sur la branche haute de la fourchette. Du côté du pire... Jusqu’ici, les projections des spécialistes ne tenaient pas compte de l’envolée économique de la Chine, de l’Inde ou du Brésil.

Nous brûlons avec un plaisir masochiste tout le pétrole et tout le gaz naturel disponibles, en beaucoup moins de temps que nous ne le pensions il y a trente ans. Pour le pétrole, nous avons déjà franchi le «pic de Hubert», c’est-à-dire que nous avons gaspillé la moitié des réserves disponibles. Ce qui reste sous la terre sera plus difficile à extraire et convoité par davantage de monde, c’est-à-dire beaucoup plus cher... Nous recourrons donc de façon massive au charbon, aux schistes bitumineux et aux sables asphaltiques, dont la combustion dégage bien plus de gaz carbonique que celle des hydrocarbures légers.

Nous nous précipiterons sur la «solution» imbécile des agrocarburants, que personne (sauf les gros paysans) n’ose plus qualifier de «bio». Ces combustibles seront une catastrophe : ils nécessiteront des quantités d’eau que nous n’avons pas, des masses de pesticides et d’engrais qui nous seront de violents poisons, et des surfaces cultivables qui signifieront à la fois l’anéantissement des dernières forêts tropicales et la famine aggravée dans les pays pauvres.

Une catastrophe pour la biodiversité

Regarde, Platon, regarde!
Le processus a déjà commencé...

Le climat se réchauffe plus rapidement dans les contrées polaires que sous les tropiques. Les banquises rétrécissent et s’amincissent. Elles se forment chaque automne un peu plus tard et fondent chaque printemps un peu plus tôt. Les ours blancs crèvent de faim dans l’Antarctique. Faute de krill, les manchots voient leurs populations s’effondrer en Antarctique : ce ne sont que les premières victimes du grand détraquement. En 2007, la banquise du Grand Nord a perdu d’un coup, une superficie équivalente à deux fois la France... Le sol perpétuellement gelé de l’Antarctique (le permafrost) se met, lui aussi, à dégeler. Les maisons des Inuits s’écroulent dans la boue, les caribous s’enlisent durant leurs migrations. De gigantesques icebergs, parfois grand comme la Corse, se détachent des plates-formes antarctiques et partent à la dérive sous l’œil ahuri des albatros.

Dans les montagnes, les glaciers disparaissent et il neige de moins en moins : bientôt fini, les sports d’hiver! Il y a trente ans, les climatologues écrivaient qu’il n’y aurait plus un seul glacier dans les Alpes en 2100. Les mêmes affirment, aujourd’hui, qu’il n’y aura plus un seul glacier, mais pas en 2100 : en 2050. Et pas dans les Alpes : en Himalaya… Les Andes, le Kenya, le Kilimandjaro perdent leurs neiges éternelles. Les végétaux, les animaux et les humains qui vivent au pied de ces cimes manquent d’eau et devront fuir – ou mourir.

Le réchauffement climatique se traduit par des tempêtes d’une fréquence et d’une intensité dont nos pères n’avaient aucune idée. Nous sommes désormais offerts à des défilés d’ouragans, de typhons et de tornades d’une magnitude énorme, plus fréquents que naguère, où soufflent des vents plus violents et d’où se précipitent des quantités d’eau de plus en plus grandes – causes d’inondations majeures.

Les divagations du climat se traduisent par une sécheresse toujours plus sévère dans les contrées arides et par des pluies diluviennes sur les zones bien arrosées. Dans l’océan Pacifique, le phénomène El Niño gagne en fréquence et en intensité : l’Australie, l’Indonésie et l’Asie du Sud-est subissent sécheresses et incendies; au contraire, l’Amérique centrale et l’ouest de l’Amérique du Sud sont frappés par des averses torrentielles qui ravinent les pentes et noient des vallées entières sous des coulées de boue.

Le transfert généralisé des zones climatiques constitue un insurmontable défi pour la faune et la flore. Si la région méditerranéenne devient le Sahara, si Paris doit être Alger, si la Sibérie prend des allures d’Angleterre, ne croyons pas que nous verrons une osais à Nice, des oliviers à Montmartre et des champs de blé à Irkoutsk! Les organismes vivants ne pourront pas suivre des variations aussi effrénées. Leur rythme d’évolution est beaucoup trop lent. Un chêne met cent ans à devenir adulte : si le climat se modifie en un demi-siècle, l’arbre ne migre nulle part; il meurt, et voilà tout. De la même façon, l’oiseau ne saurait changer en quelques saisons ses itinéraires de migration, ses lieux de nourrissage et ses zones de reproduction...

Catastrophe pour la biodiversité!


Poséidon se fâche

La mer monte. Zeus a décidé de nous punir. Poséidon se fâche : il brandit son trident et anime les vagues de tempête. Il a le front bleu de colère. Sa barbe d’embruns scintille. Nous n’avons pas respecté la loi des dieux, autrement dit le pacte de la nature : la vengeance de l’Olympe sera terrible... 

Il est temps de regarder la vérité en face : notre civilisation postindustrielle n’est pas plus immortelle que celle des Atlantes. L’humanité pourrait tout entière disparaître dans le dérèglement des climats.

Au début, il ne semble pas que ce soit grave. Le niveau moyen des océans s’exhausse de quelques centimètres, d’un demi-mètre, d’un mètre... Cette élévation s’effectue d’abord par simple dilatation de la couche superficielle de l’océan. On imagine que le processus prendra des siècles; qu’on a le temps : erreur! Les Atlantes comme les humains du XXIe siècle manifestent une singulière propension à l’optimisme, dès lors qu’il s’agit de ne pas corriger leurs erreurs.

Une transgression marine de moins d’un mètre peut paraître bénigne : elle est désastreuse. Des estuaires, des deltas, des îles disparaissent sous les vagues. La Camargue, Venise, les Pays-Bas, le delta du Nil, le Bangladesh, la Cochinchine, la Louisiane, bref toutes les côtes basses sont affectées par de terribles raz-de-marée, en particulier aux équinoxes ou en conjonction avec des cyclones. Des archipels comme les Maldives, Tuvalu ou Kiribati, dont l’altitude ne dépasse pas cinq mètres, et où les prélèvements de matériaux de construction fragilisent le corail, sont les premiers submergés.

Les habitants des zones englouties doivent partir – comme leurs frères des contrées touchées par la sécheresse, où ne poussent plus ni céréales, ni légumes, ni herbe pour le bétail. On voit des cortèges de ces misérables tenter de gagner un pays d’accueil. Mais aucun État ne s’ouvre à des migrations massives. Les tensions sont palpables. La violence appelle la violence. Le racisme affleure puis explose. Exactions. Répressions. Expulsions. Guerres civiles. Épurations ethniques.

La barbarie ordinaire...
On estime qu’en 2050, selon la gravité du chaos en cours, entre deux cents et cinq millions d’hommes, de femmes et d’enfants constitueront ce que l’Organisation des Nations unies baptise déjà les «réfugiés climatiques».

Dont personne en veut entendre parler.

Tout s’acharne...  

Le réchauffement stimule le réchauffement, la montée des eaux alimente la montée des eaux. Une fois amorcé, le processus a tendance à s’accélérer. Des actions en retour (des rétroactions) se produisent, pour la plupart positives, c’est-à-dire orientées dans le sens de l’événement principal.

Les facteurs aggravants sont légion. S’il fait plus chaud, les mers s’évaporent; or, la vapeur d’eau est un gaz à effet de serre. Dans les toundras du Grand Nord, le dégel du permafrost libère de fantastiques quantités de méthane, un gaz à effet de serre vingt-trois fois plus efficace dans ce rôle pervers que le gaz carbonique. Les fonds marins recèlent du méthane solidifié, sous pression et à basse température; si les mers se réchauffent, ce composé rejoint l’atmosphère et la situation empire. En temps normal, les banquises blanches réfléchissent les rayons du soleil et les renvoient dans l’espace; lorsqu’elles fondent, elles mettent à nu une eau bleu-noir qui absorbe très bien l’énergie : et l’effet de serre se renforce. Dans les mêmes contrées, le dérèglement climatique provoque des anomalies dans la floraison du plancton végétal marin, lequel recycle moins bien le gaz carbonique en excès dans l’atmosphère... 

Les glaciers des montagnes se réduisent : montée des eaux. Lorsque nous pompons les nappes phréatiques pour nos besoins agricoles, nous envoyons dans l’océan un surcroît de liquide jusque-là captif du sous-sol : montée des eaux. La destruction des forêts tropicales, qui jouent le rôle d’éponges, accélère le même phénomène. Les forêts, on s’en est d’ailleurs aperçu, ne consomment pas davantage de gaz carbonique lorsque la température grimpe, comme on l’avait espéré : elles en lâchent en quantité anormale, parce qu’elles souffrent de stress hydrique...

Tout s’acharne... Tout concourt à vouloir nous submerger. Tout nous imagine dans l’eau, comme la blanche Ophélie d’Arthur Rimbaud. Tout travaille à notre malheur. Nous sommes les Atlantes du XXIe siècle. La différence avec nos prédécesseurs de l’âge du bronze est que nous avons compris pourquoi nous allons disparaître. Poséidon n’a pas de trident : il utilise l’effet de serre.

Certains phénomènes sont à la fois étranges et inquiétants. Dans l’Atlantique Nord, les glaces du Groenland fondent bien plus vite que les plus pessimistes des climatologues ne l’avaient imaginé. Les glaciers glissent sur le tapis d’eau qu’ils libèrent sous eux. Ils filent à la mer sur une patinoire. On a étudié les effets de la fusion de cette masse : si elle se produit, l’eau douce du Groenland reste en surface et empêche les eaux salées froides de s’enfoncer dans les profondeurs. Le majestueux tapis roulant océanique s’arrête : le Gulf Stream est bloqué. Il cesse de tiédir les rivages de l’Europe occidentale, qui connaît paradoxalement une période de refroidissement quasi canadienne dans un contexte de canicule générale!

L’âge de la pieuvre

Le scénario devient réellement palpitant lorsque les énormes calottes du Groenland et de l’Antarctique se mettent à fondre. Si l’inlandsis de la grande île arctique se transforme en eau liquide, le niveau moyen des mers grimpe de sept mètres. Dans le cas de l’Antarctique, on en ajoute quatre-vingts!

Je te laisse imaginer la scène, ô Platon!

À Paris, les vagues déferlent entre le premier et le deuxième étage de la tour Eiffel. À New York, elles éteignent la torche de la statue de la Liberté. On ne parle plus qu’au passé de Londres, Alger, Buenos Aires, Tokyo, Bombay ou Shanghai. Le tunnel sous la Manche est rendu aux poissons. Les dauphins font du surf sur l’opéra de Sydney. Les baleines soufflent entre les studios d’Hollywood. Les poissons-clowns remplacent Charlie Chaplin et Laurel et Hardy.

La plupart des grands centres d’habitation, d’agriculture, d’industrie, de commerce, de finance, de transport, de culture de l’humanité sont engloutis. Les terres disponibles se trouvent réduites à presque rien – des chaînes de montagnes pelées, ravagées par les glissements de terrain, incultivables, inconstructibles et cependant surchargées de nos congénères.

Comment des milliards de nos semblables, entassés sur les portions restantes des continents, ne déchaîneraient-ils pas les plus violentes pulsions territoriales et hiérarchiques qu’ils nourrissent dans leur cerveau reptilien? Comment ne pas penser qu’un autre dieu que Zeus et Poséidon prendrait totalement possession du cœur des hommes : Arès, le seigneur de la guerre?

Attaques, contre-attaques, tranchées, batailles rangées, bombardements, guérillas! Exterminations! Folies meurtrières! Excès définitifs... Les armes nucléaires vitrifient les derniers Homo sapiens qui ne s’étaient pas noyés dans leurs barques de boat people, ou qui n’avaient pas déjà été nettoyés par la vertu purificatrice de la kalachnikov et de la mine anti-personnel.

Resquiescat in pace, humanitas!

Après la disparition des derniers Homo sapiens, la vie ne s’arrêtera pas. Les créatures rescapées de la guerre atomique et de la montée des eaux écriront une autre page de l’évolution. J’aime à penser, ô Platon, que les futures intelligences de la planète seront des mollusques aux grands yeux jaunes, au gros cerveau et à huit bras : les pieuvres.

Les archéologues à corps mous du CCCe ou du MMMe siècle après Jésus-Christ fouilleront avec passion les profondeurs de l’île de Crète, en quête de l’Atlantide bien sûr, mais aussi d’un mystère plus difficile encore à résoudre : celui de la folie des hommes à l’âge atomique... 

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New study warns of dangerous climate change risks to the Earth’s oceans 
The authors write: 
  “In summary, the carbon that we emit today will change the Earth System irreversibly for many generations to come. The ocean’s content of carbon, acidity, and heat as well as sea level will continue to increase long after atmospheric CO2 is stabilized. These irreversible changes increase with increasing emissions, underscoring the urgency of near-term carbon emission reduction if ocean warming and acidification are to be kept at moderate levels.”

http://www.theguardian.com/environment/climate-consensus-97-per-cent/2015/jul/02/new-study-warns-of-dangerous-climate-change-risks-to-the-earths-oceans

La sixième grande extinction animale est commencée, selon une étude
20 juin 2015 – Radio-Canada avec Agence France-Presse et BBC 

  La Terre a commencé à subir sa sixième grande extinction de masse et celle-ci est causée, de toute évidence, par l'activité humaine, selon une étude publiée vendredi. Si la tendance se poursuit, les humains seront eux aussi victimes de cette extinction, préviennent les scientifiques. 
  Selon les chercheurs, les vertébrés disparaissent à un rythme jusqu'à 114 fois plus élevé que la normale. Jamais depuis la dernière extinction de masse il y a 66 millions d'années - celle des dinosaures - la planète n'a perdu ses espèces animales à un rythme aussi effréné, rapportent les experts des universités américaines Stanford, Princeton et Berkeley, notamment. 
  Cette analyse, a été publiée dans la revue Science Advances 
  «Tous ces facteurs sont liés à l'accroissement de la population humaine, qui va de pair avec la hausse de la consommation - particulièrement chez les riches - et les inégalités économiques. Toutefois, la fenêtre qu'il nous reste pour intervenir s'amenuise rapidement.» (Auteurs de l'étude) 
  Selon l’Union mondiale pour la nature (UICN), plus de 11 000 espèces d’animaux sont actuellement menacées sur la planète, soit une espèce sur cinq.

Keep it in the ground
  Join us and more than 225,000 others in urging the world's two biggest charitable funds to move their money out of fossil fuels:

http://www.theguardian.com/environment/ng-interactive/2015/mar/16/keep-it-in-the-ground-guardian-climate-change-campaign  

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