Désolant comme on peut gâcher sa vie en ruminant…
Au retour de ma randonnée du matin, un voisin m’a abordée. Il voulait m’entretenir du dernier objet de ses doléances. J’ai coupé net en lui disant sur un ton cordial : «Vous savez M. Untel, je n’écoute pas les ragots, les médisances ou les calomnies, même pas les vérités. Je préfère nourrir ma tête avec plus intéressant.»
Nous avons la fâcheuse habitude de ruminer en boucle les contrariétés, critiques, jugements, obsessions, déceptions, blessures d’égo, et j’en passe. Et nous oublions que c’est bien là ce qui finit par nous rendre malades. Pourtant, nous pouvons choisir de nourrir notre esprit avec des pensées plus constructives. À noter que les obsessions «positives» ne sont pas mieux; l’obsession ne mène nulle part car en occupant tout l’espace mental, elle ne laisse aucune place à la pensée créative.
Rumination = stress = souffrance = déséquilibre hormonal = perturbation du système nerveux = épuisement = … ? … (si rien n’est fait pour stopper l'envahissement destructeur du mental inférieur).
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Le tournant
Une vie libre et riche de compassion – c’est ce que nous recherchons tous, ici. C’est-à-dire une vie à part entière, une vie humaine vraiment digne de ce nom. Or, une telle forme d’existence est nécessairement sans entraves : elle ne s’attache à rien, pas plus à une pratique qu’à un maitre ou même qu’à la Vérité. Car s’attacher à la Vérité, c’est la perdre de vue. (…)
Nous construisons un bien étrange montage que nous appelons moi, mais comme nous ne sommes que des bricoleurs amateurs, nous ne tardons pas à nous sentir quelque peu dépassés par notre création qui parait écrasée par le manque d’espace. Le moi a beau avoir fière allure, nous nous sentons trop à l’étroit, gênés aux entournures.
C’est là qu’arrive le moment crucial du choix; il y a deux attitudes possibles, une fois qu’on découvre l’inconfort et les angoisses du moi. La première consiste à faire comme si de rien n’était, comme si notre séjour était de tout temps prédestiné. On se contenterait alors de redécorer la pièce en trompe-l’œil ou avec des miroirs. La deuxième façon de réagir serait de constater qu’il faut trouver le moyen de faire sortir le moi à l’air frais et à la lumière, pour laisser respirer cette pauvre créature crispée qui étouffe.
La pratique spirituelle commence au moment où l’on se met à examiner l’égo qu’on a construit. On a renoncé à essayer de modifier l’environnement en trichant avec la décoration, et on se décide à faire sortir l’égo pour mieux l’observer à la lumière du jour. Ce n’est cependant qu’une étape transitoire, car la finalité de la vie humaine va bien au-delà de la simple analyse des mécanismes de l’égo, puisqu’il s’agit de rejoindre la route – le cours naturel des choses – pour vivre enfin comme un humain à part entière.
La première chose qui nous pousse à bouger, c’est le sentiment de claustrophobie qu’on éprouve à l’intérieur des murs de l’égo. On sait qu’il va falloir faire quelque chose pour faire tomber ces maudits murs. Et, lorsqu’on décide de faire sortir l’égo sur la terrasse pour le regarder à la lumière du jour et avec un peu plus d’espace et de recul, c’est l’amorce d’un changement important. Sur le plan de la pratique spirituelle c’est un tournant capital. Que pouvons-nous faire pour le favoriser?
On a tendance à penser que, pour prendre un nouveau départ, il faut d’abord faire table rase de tout ce qui a précédé. Renoncer à son ancienne vie afin d’en commencer une nouvelle. Mais j’aimerais que nous nous interrogions un peu sur le renoncement : à quoi faut-il renoncer? Au monde matériel, tel qu’il nous apparait, ou à notre univers mental et affectif?
La plupart des religions encouragent leurs fidèles à renoncer aux biens de ce monde. Traditionnellement, le moine ne doit posséder qu’une petite boite dans laquelle il range ses quelques affaires indispensables. Peut-on parler de vrai renoncement? À mon avis, non, bien qu’il s’agisse d’une pratique utile. Un peu comme si quelqu’un qui adore les sucreries se privait de dessert pendant quelque temps pour apprendre à mieux se connaitre en observant ses réactions.
Nos tentatives de renoncement peuvent aussi prendre une autre forme : quand on commence à se sentir mal à l’aise dans la jungle de ses pensées et de ses émotions, on a envie de quitter ce monde-là, de s’en débarrasser en l’abandonnant derrière soi. On aimerait renoncer à cet univers mental et affectif qui nous pèse car on se sent coupable de pensées et sentiments mauvais. Cependant, là encore, il ne s’agit pas d’un authentique renoncement; on ne fait que réagir en fonction d’une idée préconçue : la notion du bien et du mal.
Certains, déçus par le quotidien, font même une ultime tentative et décident de renoncer à tout pour vivre une vie entièrement consacrée à la spiritualité. Une démarche formidable, pour qui sait vraiment ce que cela veut dire – ce qui n’est la plupart du temps pas du tout le cas, malheureusement. C’est en effet dans le cadre d’une soi-disant pratique spirituelle qu’on rencontre les interprétations les plus fausses du renoncement, et qui sont d’autant plus malfaisantes qu’elles sont insidieuses, parce qu’on est convaincu d’être du bon côté de la barrière. On aspire à une vie de pureté et de sainteté, on se veut différent des autres, on s’installe peut-être même dans un coin perdu, calme et tranquille, à l’écart de tout. Tout ça est très joli et part d’un bon sentiment, mais l’ennui, c’est que ça n’a rien à voir non plus avec le vrai renoncement.
Alors qu’est-ce donc que le renoncement authentique? Existe-t-il même? Il vaudrait peut-être mieux parler de détachement : la plupart du temps, nous croyons «renoncer» quand nous tentons de modifier certains détails de notre vie auxquels nous accordons, comme à nous-mêmes, une importance démesurée, alors qu’en réalité, on n’a pas besoin de renoncer à quoi que ce soit.
Il suffit de comprendre que le renoncement authentique n’est pas autre chose que le détachement.
La pratique ne consiste pas à éliminer de force l’attachement, en laissant tomber les choses ou les gens auxquels on est attachés, mais à le percer à jour. On peut avoir une immense fortune sans y être attaché, ou n’avoir que trois sous et y être farouchement attaché. Ceux qui ont compris la nature de l’attachement ont souvent tendance à ne pas s’encombrer de trop de biens, quoique ce ne soit pas une règle générale. En effet, ce n’est pas tant ce qu’on possède qui compte que l’attitude qu’on a par rapport à ce qui nous appartient. La plupart du temps, notre pratique achoppe sur notre manie de toujours vouloir manipuler la réalité – notre esprit ou notre environnement. Par exemple, on voudrait à tout prix arriver à calmer son esprit, sans comprendre que ce n’est pas le va-et-vient des pensées qui est gênant, mais l’attachement qu’on éprouve à leur égard. Les émotions sont parfaitement inoffensives – ce ne sont que des pensées, des créations de l’esprit – tant qu’on ne se laisse pas dominer par elles en s’y attachant; mais dès qu’on s’y attache, les ennuis commencent pour tout le monde. Voilà la première difficulté qu’on rencontre dans la pratique : prendre conscience du poids de l’attachement dans notre vie. Si vous faites zazen avec beaucoup de patience et de persévérance, vous vous rendrez compte que votre vie est entièrement sous l’emprise de l’attachement – comme chez nous tous. Chacun de nous n’est que la somme des liens qui l’attachent aux choses et aux êtres.
Comprenons bien qu’on ne se débarrasse pas de l’attachement de force. En revanche, si on apprend à en reconnaitre la véritable nature, il s’évanouira doucement et imperceptiblement, comme un château de sable progressivement englouti par les vagues à marée montante. Il s’écroulera et disparaitra. Où ira-t-il donc?
Tant que l’on garde une image idéalisée de soi, des autres ou de la vie, on reste prisonnier de l’attachement.
Il ne s’agit pas de se débarrasser de nos attaches ou d’y renoncer, mais de cultiver l’intelligence et la lucidité naturelles de l’esprit qui permettent seules d’en percer la nature : impermanente et vide de réalité. Vous n’avez pas besoin de chercher à vous débarrasser de quoi que ce soit. Mais sachez que les liens les plus lourds et les plus insidieux sont ceux que nous forgeons au contact de ce que nous prenons pour des vérités spirituelles. L’attachement au soi-disant spirituel est le plus gros obstacle à une spiritualité authentique. Il est impossible d’être vraiment libre et capable d’amour tant qu’on reste attaché à quoi que ce soit.
Lorsque vous ferez zazen aujourd’hui, n’oubliez pas l’essentiel : cultiver le détachement. Sachez persévérer et souvenez-vous que vous avez le choix : à chacun de décider s’il tient ou non à vivre une vie libre et riche de compassion.
Charlotte Joko Beck
Soyez zen … en donnant un sens à chaque acte à chaque instant; Pocket
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