28 décembre 2011

"Never mind!"

J’écoutais un vieux documentaire (1959) de l’ONF sur Germaine Guèvremont : http://www.onf.ca/film/germaine_guevremont_romanciere/  

L’interviewer lui demandait ce que représentait le «Survenant» (personnage principal et titre du roman). Elle disait qu’il symbolisait l’être libre, le vagabond que chacun porte en lui.

Un être sans port d’attache, sans entraves sentimentales, sans famille ni progéniture et sans responsabilités, qui vire les talons à son gré et dit «Never mind!» quand on ne le comprend pas.

Le Survenant ne laissait personne indifférent. On l’aimait et on le détestait pour la même raison : on enviait sa liberté.

Ce passage du roman résume bien le caractère du personnage, tout entier dans sa belle arrogance d’indépendant que la servitude volontaire n’a jamais gagné.

(En «parlure québécoise»…) 

Jean Coutu dans le rôle du Survenant (téléroman)

Survenant s’indigna :

– Des maldisances, tout ça, rien que des maldisances! Comme de raison une étrangère, c’est une méchante : elle est pas du pays.

Soudainement il sentit le besoin de détacher sa chaise du rond familier. Pendant un an il avait pu partager leur vie, mais il n’était pas des leurs; il ne le serait jamais. Même sa voix changea, plus grave, comme plus distante, quand il commença :

– Vous autres...

Dans un remuement de pieds, les chaises se détassèrent. De soi par la force des choses, l’anneau se déjoignait.

– Vous autres, vous savez pas ce que c’est d’aimer à voir du pays, de se lever avec le jour, un beau matin, pour filer fin seul, le pas léger, le coeur allège, tout son avoir sur le dos. Non! vous aimez mieux piétonner toujours à la même place, pliés en deux sur vos terres de petite grandeur, plates et cordées comme des mouchoirs de poche. Sainte bénite, vous aurez donc jamais rien vu, de votre vivant! Si un oiseau un peu dépareillé vient à passer, vous restez en extase devant, des années de temps. Vous parlez encore du bucéphale, oui, le plongeux à grosse tête, là, que le père Didace a tué il y a autour de deux ans. Quoi c’est que ça serait si vous voyiez s’avancer devers vous, par troupeaux de milliers, les oies sauvages, blanches et frivolantes comme une neige de bourrasque? Quand elles voyagent sur neuf milles de longueur formant une belle anse sur le bleu du firmament, et qu’une d’elles, de dix, onze livres, épaisse de flanc, s’en détache et tombe comme une roche? Ça c’est un vrai coup de fusil! Si vous saviez ce que c’est de voir du pays...

Les mots titubaient sur ses lèvres. Il était ivre, ivre de distances, ivre de départ. Une fois de plus, l’inlassable pèlerin voyait rutiler dans la coupe d’or le vin illusoire de la route, des grands espaces, des horizons, des lointains inconnus.

Comme son regard, tout le temps qu’il parlait, tendait uniquement vers la porte, chacun, à son exemple, porta la vue dessus : une porte grise, massive et basse, qui donnait sur les champs, si basse que les plus grands devaient baisser la tête pour ne pas heurter le haut de l’embrasure. Son seuil, ils l’avaient passé tant de fois et tant d’autres l’avaient passé avant eux, qu’il s’était creusé, au centre, de tous leurs pas pesants. Et la clenche centenaire, recourbée et pointue, n’en pouvait plus à force de cliqueter sous toutes sortes de mains, une humble porte de tous les jours, se parant de vertus à la parole d’un passant.

– Tout ce qu’on avait à voir, Survenant, on l’a vu, reprit dignement Pierre-Côme Provençal, mortifié dans sa personne, dans sa famille, dans sa paroisse.

Dégrisé, Survenant regarda un à un, comme s'il les voyait pour la première fois, Pierre-Côme Provençal, ses quatre garçons, sa femme et ses filles, la famille Salvail, Alphonsine et Amable, puis les autres, même Angélina. Ceux du Chenal ne comprennent donc point qu'il porte à la maison un véritable respect, un respect qui va jusqu'à la crainte? De jour en jour, pour chacun d'eux, il devient davantage le Survenant à Beauchemin (...) Pour tout le monde il fait partie de la maison. Mais un jour, la route le reprendra....

***
Mieux vaut mourir incompris que de passer toute sa vie à s'expliquer.
William Shakespeare

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