30 août 2011

Le dernier message

Le sens de la vie

Joseph Campbell disait :
«La vie sur terre n’a aucun sens,
sauf celui que vous choisissez de lui donner.»


Samedi dernier, j’ai regardé les funérailles de Jack Layton. À sa hauteur : simples, touchantes et d’une grande richesse au plan des partages tantôt joyeux et optimistes, tantôt nostalgiques. J’observais son épouse Olivia, et je me disais : «Combien de deuils douloureux et marquants pouvons-nous supporter en une seule vie?»

Quelqu’un est vivant et le lendemain il meurt subitement.
Pourquoi? On ne le sait pas.

Quelqu’un d’autre sait qu’il va mourir bientôt en raison d’une maladie de longue durée comme le cancer et peut s’y préparer ainsi que son entourage.  

Tout a une date d’expiration, y compris le corps que nous habitons temporairement. Nous additionnons les morts, les ruptures, les abandons, une  multitude de traumatismes émotionnels, sans jamais nous y «habituer». La terre étant «LE» plan de conscience des deuils – grands et petits. Nous cherchons à immortaliser l’éphémère, bien que nous sachions que c’est en pure perte. Les choses, les situations et les êtres apparaissent et disparaissent de nos vies; et nous n’avons pas le pouvoir de stopper le mouvement ni de modifier la trajectoire et la finalité des événements. Le paradoxe, c’est qu’à l’intérieur, nous sommes programmés pour une permanence ou une immortalité qui n’a rien de matériel.

Aussi, n’insisterons-nous jamais assez sur l’importance de vivre dans l’instant présent et de profiter des doses de bonheur que nous procurent certaines connexions proches ou distantes. Tout ce qu’on peut faire c’est entretenir les plus riches et les plus belles. Ces connexions significatives et unificatrices nous aident à supporter la réalité.

***

La lettre de Jack Layton me rappelait un site visité par hasard au printemps dernier. Derek, un homme dans la quarantaine atteint d’un cancer, a composé à l’approche de sa mort un message posthume que sa compagne a publié le lendemain de son décès.

Son message est porteur d’amour et d’acceptation et nous suggère de faire ce que nous aimons dans la vie, le plus possible. (Traduction maison et lien vers le site original ci-après – des commentaires sur le sens de la vie très intéressants à lire.)  

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Le dernier message

Par Derek, le 4 mai 2011, 7h51

Voilà. Je suis mort, et c’est mon dernier message sur ce blog. J'ai demandé à ma famille et mes amis de publier ce message (écrit d’avance – première étape pour transformer ce site web actif en archive) une fois que mon corps se serait définitivement fermé aux châtiments du cancer.

Si vous ne me connaissiez pas dans la vraie vie, vous avez probablement appris la nouvelle par une autre source. Mais, quelle que soit la façon, voici une confirmation : j'étais né le 30 juin 1969 à Vancouver, Canada, et je suis mort des complications d’un cancer colorectal métastatique de niveau 4, à Burnaby, le 3 mai 2011, à 41ans. Nous savions tous que ça s’en venait.

Cela inclut ma famille, mes amis et mes parents, Hilkka et Juergen Karl. Mes filles Lauren, 11 ans, et Marina, 13 ans, avaient été mises au courant de tout ce que nous pouvions leur dire dès que j’ai su que j’avais le cancer. Cela a fait partie de leur vie, hélas.

Airdrie

Naturellement cela inclut ma compagne Airdrie (née Hislop). Tous deux originaires du Vancouver Métro, nous avons gradué dans des collèges différents en 1986, et avons étudié la biologie à UBC où nous nous sommes rencontrés en 88. J’avais un job estival de naturaliste dans un parc cette année-là; j'ai fait chavirer le canoë sur lequel nous pagayions, Air [Airdrie] et moi, et nous avons dû le pousser jusqu’au rivage.

Nous avons partagé quelques classes, puis avons perdu contact. Mais quelques années plus tard, en 1994, je travaillais toujours au campus. Airdrie a repéré mon nom et m'a écrit une lettre – oui! sur papier! – et éventuellement, je lui ai répondu (j'essayais d'être musicien à plein temps et c’était le chaos). De ces semences a fleuri un jardin : c'était en mars. En août 95, nous étions mariés. Je n'ai jamais éprouvé de doute ni hésité, car nous étions toujours bien ensemble, dans le mauvais et le pire, dans le bon et le meilleur.

Cependant, je ne pensais pas que le temps passé ensemble serait si court : 23 ans depuis notre première rencontre (au parc régional Kanaka; j’en suis pas mal sûr) jusqu'à ce que je meure. Insuffisant. Vraiment insuffisant.

Ce qu’il y avait à la fin

Je ne suis pas allé dans un meilleur ou plus mauvais endroit. Je suis allé nulle part parce que Derek n’existe plus désormais. Dès que mon corps a cessé de fonctionner, et que les neurones de mon cerveau ont cessé de d’émettre des étincelles, j'ai subi une formidable transformation : je suis passé d'organisme vivant à cadavre, comme une fleur ou une souris qui n’a pas survécu à une nuit particulièrement froide. L'évidence était claire qu'une fois que je serais mort, ce serait fini.

Ainsi, je n’avais pas peur de la mort – du moment lui-même – ni de ce qui viendrait après, ce qui était (et n’est) rien. Depuis le début, c’était le processus de la mort qui me faisait un peu peur : la faiblesse et la fatigue croissantes, la douleur, le fait de devenir de moins en moins conscient de moi-même. J'ai été chanceux que mes facultés mentales restent quasi inchangées au cours des mois et des années précédant la fin, il n'y avait aucun signe de cancer au cerveau – du moins autant qu’on le sache.

Enfant, j’avais suffisamment appris les rudiments de la soustraction pour figurer l’âge que j’aurais en cette mémorable année 2000. La réponse était 31 ans, ce qui me semblait pas mal vieux. En effet, à 31 ans j'étais marié, j’avais eu deux filles, j’étais rédacteur technique et webmestre pour l'industrie informatique. Une grande personne, je suppose.

Pourtant il y avait beaucoup plus à venir. Je devais initier ce blog qui a récemment eu 10 ans. Je n’avais pas recommencé à jouer de la batterie avec mon band, je n’étais pas devenu podcaster (puisqu'il n'y avait ni podcasting ni iPod). Au pays de la techno, Google venait à peine de naître, Apple «se battait», Microsoft s’étendait et dominait, et Facebook et Twitter n’allaient exister que quelques années plus tard. Les rovers d’exploration martienne, Spirit et Opportunity, étaient à trois ans de leur lancement, tandis que la sonde Cassini-Huygens n'était pas tout à fait à mi-chemin de Saturne. Le génome humain n’avait pas été complètement tracé.

Les tours du World Trade Center tenaient encore debout à New York. Jean Chrétien était premier ministre du Canada, Bill Clinton président des États-Unis, et Tony Blair premier ministre du R-U – tandis que Saddam Hussein, Hosni Moubarak, Kim Jong-Il, Ben Ali, et Mouammar Kadhafi conservaient leur pouvoir en Irak, en Égypte, en Corée du Nord, en Tunisie et en Libye.

En 2000, dans mon famille, ma cousine n’aurait pas de bébé avant quatre ans. Mon autre cousine commençait sa relation avec l'homme qui est maintenant son mari. Sonia, une amie de longue date de ma mère (depuis l’âge neuf ans), était toujours vivante. Ainsi qu’Oma, le père de ma mère, alors âgé de 90 ans. Ni ma compagne ni moi n'avions eu besoin d’être hospitalisé à long terme – pas encore. Nos enfants étaient encore aux couches, elles ne prenaient pas de photos, n’écrivaient pas d’histoires, ne faisaient pas de vélo ni d’équitation, elles n’écrivaient pas sur Facebook, et n’étaient pas plus grandes que leur mère. Nous n’avions pas de chien.

Et je n’avais pas le cancer. Je ne savais pas qu’il se développerait, et encore moins qu’il me tuerait dans la prochaine décennie.

Ce qui manquera

Pourquoi est-ce que je mentionne toutes ces choses? Parce que je me suis rendu compte que, à tout moment, je peux me lamenter à propos de ce que je ne saurai jamais, néanmoins sans déplorer ce qui m’a amené où je suis. J’aurais pu mourir en 2000 (à 31 ans) ayant été heureux toute ma vie et ayant apprécié mon extraordinaire compagne, mes superbes enfants, mon travail amusant et mes passe-temps. Mais je serais passé à côté de plusieurs autres choses.

Et à partir de maintenant, plusieurs choses se produiront sans moi. Au moment où j’écrivais ces lignes, j'avais peine à imaginer ce qu’elles pourraient être. À quoi ressemblera le monde en 2021, ou plus tard en 2060, au moment où j'aurais eu 91 ans, l'âge que mon Oma avait atteint? Qu’aurons-nous appris de nouveau? Comment les pays et les gens auront-ils évolué? Comment allons-nous communiquer et voyager? Qui allons-nous admirer ou mépriser?

Que fera ma compagne Air? Mes filles Marina et Lolo? Qu’auront-elles étudié, comment passeront-elles leur temps et gagneront-elles leur vie? Mes enfants auront-elles des enfants? Des petits-enfants? Y aura-il des aspects de leur vie que je trouverais difficile à comprendre en ce moment?

Ce qu’il faut savoir, maintenant que je suis mort

Il ne peut y avoir de réponses aujourd'hui. J'étais encore vivant quand j’écrivais ces lignes, et triste de savoir que j’allais manquer toutes ces choses – non pas parce que je n’en serais pas témoin, mais parce que je ne serai plus là pour soutenir les efforts d’Air, de Marina et de Lauren.

Il s'avère que personne ne peut imaginer ce qui se passera au cours de sa vie. Nous pouvons planifier et faire des choses que nous aimons, mais nous ne pouvons pas nous attendre à ce que nos plans marchent comme prévu. Certains peut-être, mais la plupart non. Les inventions et les idées apparaîtront, et des événements que nous n’aurions jamais pu prévoir se produiront. Ce n’est ni mauvais ni bon, mais c’est réel.

Je pense et j’espère que c’est ce que mes filles retiendront de ma maladie et de ma mort; et qu’il en sera de même pour ma merveilleuse et extraordinaire compagne Airdrie. Qu’elles se souviennent non pas que la mort peut les frapper n'importe quand, mais plutôt qu'elles doivent continuer à faire ce qu'elles aiment, tout ce qui stimule leur esprit, autant que possible – de sorte qu’elles restent ouvertes à toutes les possibilités, sans être déçues si les choses bifurquent, comme c’est souvent le cas.

J’ai aussi été chanceux. Je n’ai jamais eu à me demander d’où viendrait mon prochain repas. Je n’ai jamais craint qu'une armée étrangère vienne la nuit avec des machettes ou des mitrailleuses pour tuer ou blesser ma famille. Je n’ai jamais eu à fuir pour sauver ma peau (quelque chose que je ne pourrais jamais faire désormais de toute façon). Tristement, ce sont des choses que certains doivent vivre quotidiennement en ce moment.

Un endroit merveilleux

Le monde, en réalité l'univers entier, est un endroit extraordinaire, étonnant, merveilleux. Il y a toujours plus à découvrir. Je ne regarde pas en arrière en regrettant quoi que ce soit, et j’espère que ma famille trouvera le moyen d’en faire autant.

Ce qui est vrai, c’est que je les ai aimées. Lauren et marina, pendant que vous grandirez au cours des ans, sachez que je vous ai aimées et que j’ai fait de mon mieux pour être un bon père.

Airdrie, tu étais ma meilleure amie et ma connexion la plus intime. Je ne sais pas ce que nous serions devenus l’un sans l’autre, mais je pense que le monde aurait été bien plus pauvre. Je t’ai aimée profondément, je t’ai aimée, je t’ai aimée, je t’ai aimée.





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