19 août 2011

Jour de poésie 3

Boris Vian, 1920-1959
Poète, parolier, chanteur et musicien de jazz français


COMPLAINTE DU PROGRÈS

Autrefois pour faire sa cour
On parlait d’amour
Pour mieux prouver son ardeur
On offrait son cœur
Aujourd’hui, c’est plus pareil
Ça change, ça change
Pour séduire le cher ange
On lui glisse à l’oreille
Ah… Gudule!... Viens m’embrasser… Et je te donnerai

Un frigidaire
Un joli scooter
Un atomixer
Et du Dunlopillo
Une cuisinière
Avec un four en verre
Des tas de couverts
Et des pell’ à gâteaux
Une tourniquette
Pour fair’ la vinaigrette
Un bel aérateur
Pour bouffer les odeurs
Des draps qui chauffent
Un pistolet à gaufres
Un avion pour deux
Et nous serons heureux

Autrefois s’il arrivait
Que l’on se querelle
L’air lugubre on s’en allait
En laissant la vaisselle
Aujourd’hui, que voulez-vous
La vie est si chère
On dit : rentre chez ta mère
Et l’on garde tout
Ah… Gudule… Excuse-toi… ou je reprends tout ça.

Mon frigidaire
Mon armoire à cuillères
Mon évier en fer
Et mon poèl’ à mazout
Mon cire-godasses
Mon repasse-limaces
Mon tabouret à glace
Et mon chasse-filou
La tourniquette
À faire la vinaigrette
La ratatine-ordures
Et le coupe-friture
Et si la belle
Se montre encore rebelle
On la fiche dehors
Pour confier son sort

Au frigidaire
À l’efface-poussière
À la cuisinière
Au lit qu’est toujours fait
Au chauffe-savates
Au canon à patates
À l’éventre-tomates
À l’écorche-poulet
Mais très très vite
On reçoit de la visite
D’une tendre petite
Qui ouvre son cœur
Alors on cède
Car il faut qu’on s’entraide
Jusqu’à la prochaine fois.
Et l’on vit comme ça
Jusqu’à la prochaine fois.
Et l’on vit comme ça
Jusqu’à la prochaine fois.


TERRE-LUNE

Quand j’en aurai assez d’entendre
Les enfants pleurer dans le noir
Quand j’en aurai assez de voir
Les villes crouler sous les cendres
Quand j’en aurai assez des larmes
Des cris, du sang et du vacarme
Quand j’en aurai assez du monde
À moi la lune blonde

Refrain

Terre-lune, terre-lune
Ce soir j’ai mis mes ailes d’or
Dans le ciel comme un météore
Je pars
Terre-lune, terre-lune
J’ai quitté ma vieille atmosphère
J’ai laissé les morts et les guerres
Au revoir

Dans le ciel piqué de planètes
Tout seul sur une lune vide
Je rirai du monde stupide
Et des hommes qui font les bêtes
Terre-lune, terre-lune
Adieu ma ville adieu mon cœur
Globe tout perclus de douleurs
Bonsoir!

Couplet 2

Vive la nuit, j’ai levé l’ancre
À moi les pluies d’astéroïdes
Et les comètes à l’œil livide
Diamants éparpillés dans l’encre
À moi les étoiles de miel
Fleurs de topaze et de rubis
À moi le silence éternel
De l’espace infini

Refrain 2

Terre-lune, terre-lune
Voyez se lever le croissant
Lune terrestre au firmament
Bonjour
Terre-lune, terre-lune
Voilà l’Afrique et l’Amérique
Et la raie sombre des tropiques
Autour

Un jour viendra dans ma retraite
Où je verrai, le nez levé
Exploser ma triste planète
Qui se prétend civilisée

Terre-lune, terre-lune
Monde pourri, monde trop vieux
Pierrot là-haut te dit ce soir
Adieu!…

TEXTES ET CHANSONS; Christian Bourgeois Éditeur 1975

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