19 août 2011

Jour de poésie 2

Hélène Monette
Poète et romancière québécoise

Comme une vielle savate dans la savane
je me penche sur la beauté du monde
pas grand-chose
des panneaux-décors offrent des destinations touristiques extrêmes
ça m’apprendra à m’occuper de la cigale, du brin d’herbe et du caillou
dans un monde pareil
où la beauté, même laide, se paye

LÀ OÙ ÉTAIT ICI; Boréal 2011

Dans cette suite de Paysages kitsch, Hélène Monette fait varier les perspectives. Qu’est-ce qui nous retient ici? Le monde est-il vraiment plus vivable quand on est là-bas? Avec cette écriture tendue, intense, inimitable qui est la sienne, elle mêle indignation et compassion pour nous bouleverser encore une fois.

***

LA CONFORMITÉ

Même les copains
ils disent
conforme
le jeu est conforme
au demeurant vestimentaire, la femme est conforme
la vie est conforme
ou déplacée

ahurissante, la vérité n’est pas vraie
comme c’est définitif
rien pour écrire un poème à sa fille
une lettre à son fils
une larme à sa sœur
rien pour écrire une symphonie ces jours-ci
les jours sont encrassés comme l’ennui

la dérision s’est emparée du réchauffement des glaciers
faites-moi grâce de tout de ce qui est conforme à ce diktat
à ce dégât
à ce glacier fondu au noir enchaîné

on peut rêver de la fonte du conforme
l’humanité disparaîtra avant
le conforme après
car tout est conforme en premier comme en dernier
l’idiotie est conforme
le mensonge est de bonne conformité

je vous attendais là où vous m’attendiez

oui, mais, conforme à quoi?

sais pas
c’est la société, lourde et méchante
jolie et conforme
à la couleur des poumons dans les forêts brûlées
c’est la société sur la terre de tous
qui rend l’humanité conforme
aux bozos de la définition plate
le zéro est conforme
et le reste, c’est la terre dans un coin
qui n’en peut plus de suer

on marche ces temps-ci avec un couteau dans le dos
bien fiché entre les omoplates
un couteau solide, bien à sa place
le couteau est conforme à l’amour qui perdure
entre les dortoirs battus en neige
entre les îles inondées
cela est exact
tout est à sa place
la boue et l’océan
le billet de loto
le mauvais numéro
et le spectacle
le grand spectacle se démène sur l’écran qui meurt

comme c’est comique, le comique est conforme
au comique
il n’y a pas d’erreur
toute cette logique est pathétique

l’univers tourne dans les yeux de nos bien-aimés
cailloux en feu
dans l’au-delà très profond sans pareil


L’AMOUR POSTMODERNE

Ces voitures bénies des dieux
elles nous ont roulé dans les yeux
elles nous ont roulés

ces ameublements-vedettes
nous ont infligé le virus
du chiche pour la dette
le train-train morose dans l’assiette

qu’importe, nos haillons sont corrects
et notre culture fait dans le désert contrôlé

Les téléviseurs, les magazines, l’image de la vie
chéri
ils nous ont concocté un bordel de très petites misères
boîte vocale sans commentaire
deux pour un, nuit du cœur
il y a apparence de comédie dans le rétroviseur
l’amour est postmoderne

Le romantisme nous a massacrés, mon chou
moral distant, plaisir expert
pouvoir du noir, excellence du neutre
la vérité n’a pas de cœur
pas de poème dans le tiroir
pas de victoire dans le cercueil, cherchez l’erreur
une bouteille est imprimée
dans ces yeux
qui nous ont roulés
temps compté, Narcisse en fleur
il y a apparence de joie dans le réfrigérateur
l’amour est postmoderne

guerriers de l’émergence, jeunes volontaires
il y a apparence d’histoire dans le collimateur
âme insaisissable, stress inoxydable
il y a un penchant pour la saturation chez le consommateur
le vide est circulaire

Le nucléaire nous a blasés, mon lapin
coke en stock, veau de grain
ombres atomiques, vies parallèles
traitement de l’image, meurtres virtuels
montée de la droite, vedettes en forme
après le bip, il n’y a personne
l’âme en principe et le psy aux talons
sachet individuel, maxi-protection
l’ego est pathogène
dans une solution chimique
aigre-douce rehaussée assez
assez rehaussée, assez!
larmes artificielles, soleil archaïque
il y a apparence de fissure dans le réacteur
la crème est renversée
dépêche-toi de rentrer
dans tes petits souliers
dépêche-toi
l’amour est postmoderne

LE BLANC DES YEUX; Boréal 1999

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