Une histoire de Georges Barbarin extraite de son livre Vivre avec le divin (anecdotes et poésies témoignant de son appréciation de la vie «grand V»).
Je crois utile en premier lieu de partager sa définition de «Dieu» :
Qu’importe la définition de Dieu!
Qu’importe la définition de Dieu et le nom que lui donnent les hommes!
Qu’importent la hauteur des temples et la richesse des autels!
Qu’importe les chants sacrés!
Qu’importent les dogmes et les mystères!
Si mon esprit est précisément ce dogme, ce mystère, mon cœur cet hymne et cet autel!
Car je suis moi-même le temple de Dieu
Avec ses vitraux de lumière,
Ses colonnades invisibles,
Son prêtre,
Son parvis,
Avec sa Loi,
Son Saint des Saints,
Avec sa chambre secrète,
Ses sacrifices,
Son encens,
Son calvaire,
Et son Éden.
Georges Barbarin, 1950
La mésange ambassadrice
Intro de mise en situation (fin du texte précédant l’anecdote) :
[Dès que je sors du sentier de lumière j’entre dans le hallier de ténèbres et celles-ci me retiennent jusqu’à ce que je regagne le sentier. Il est impossible que j’aie la même mentalité dans les ténèbres que dans la lumière. Ceci règle mes rapports avec les objets et les êtres, qui m’apparaissent digne de sympathie ou d’antipathie selon l’éclairage que je projette sur eux. Ceci étoffe également ma responsabilité puisque je modifie à mon gré l’éclairage. Mais ce qui m’est possible lorsque je suis moi-même dans la lumière de l’Esprit, m’est difficile lorsque je suis moi-même dans l’obscurité.]
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Récemment encore j’en eus le vivant témoignage. Comme les pignons de la maison donnent tous sur la campagne, la plupart de nos fenêtres sont constamment ouvertes pour inviter le soleil à entrer. Mais le soleil n’est pas seul à profiter de la permission. Des souris en profitent pour s’introduire dans les chambres et, en dernière heure, une troupe de mésanges à tête noire a élu domicile dans la nôtre avec assiduité. L’effronterie de ces délicieux animaux n’a pas de limites. Chacun d’eux volette de la glace à l’armoire, de la table de toilette au poste d’eau. C’est froufrou continuel de petites ailes, uns inspection minutieuse de tous les objets par de petits becs. On court sur la couverture du lit, on essaie de déchiqueter un bout de dentelle, on bouscule une éponge, on cherche des vers dans les vieux meubles, le tout accompagné de menus cris vifs, aussi fins que du fil de verre et de petites crottes corrosives qui ponctuent chaque phrase du discours.
J’ai fini par trouver révoltante cette familiarité et ce sans-gêne, en dépit de mon entourage qui juge tout cela charmant. La vue du paravent, transformé en juchoir et constellé d’ornementations que son décorateur n’avait pas prévues, a mis le comble à mon impatience, puis à mon irritation. J’ai fermé les fenêtres durant un temps. Dès que je les ai ouvertes, les mésanges sont revenues. Un jour j’en ai surpris une et l’ai enfermée de longues minutes, pensant ainsi l’effrayer. Rien n’y fait et, l’autre soir, alors que nous gagnions notre couche, nous aperçûmes une mésange impassible juchée sur la tringle des rideaux.
En vain les miens plaidèrent la cause du petit oiseau, promirent qu’il serait bien sage, que la nuit était avancée et qu’il gèlerait bientôt, je ne pus supporter l’idée des souillures microscopiques. La baie fut grande ouverte sous la lune et la mésange mise dehors. Ce ne fut pas sans mal, au surplus; la bestiole fit tout pour ne pas être prise et pour rester juchée près des grands «frères» humains. On dut la saisir à la main et la poser sur une branche d’où elle partit, je ne sais où, avec un cri dépité.
Vérification des pouvoirs
Durant ce temps, j’étais hors de Dieu ou, plus précisément peut-être, je n’avais pas vu Dieu dans la mésange. Les reproches qu’on me prodigua m’ouvrirent les yeux peu à peu. Qu’est-ce qu’une crotte de plus ou de moins quand on entend battre des ailes? Je compris que j’avais manqué là une de mes plus fraîches prières à Dieu.
C’est très joli d’écrire de belles phrases et d’émettre de bonnes pensées. Il est encore plus beau de les vivre, même avec les infiniment petits. Aussi j’ai complètement changé de ton en ce qui concerne les mésanges. Je ne cherche plus à compter leurs déprédations mais à additionner leurs bienfaits. Oui, j’étais indigne de cette menue confiance, de ce marivaudage emplumé. Je ne crois pas cependant que les petits oiseaux m’aient gardé rancune de mon intolérance. La preuve, c’est que les miens sont entrés dans mon cabinet avec de triomphantes clameurs.
- Regarde, papa, m’ont-ils dit en brandissant mon verre à dents décoré de perles blanches, la mésange a mis son obole dedans.
Heureusement Dieu n’est pas vindicatif et la mésange pas rancunière. Dès la nuit suivante, je retrouvai la boule de plumes dans mes rideaux.
Depuis je me considère comme très honoré et n’ose plus fermer la fenêtre de ma chambre de peur, qu’au crépuscule, le petit hôte ne puisse entrer. Le matin, au jour, j’entends s’ébrouer notre mésange qui se réveille. J’allume l’électricité, l’oiseau tourne gentiment autour de nos têtes et heurte de temps en temps les carreaux. Je me lève alors et rabats les volets de la baie. La visiteuse sort comme une flèche et se pose sur le saule le plus voisin. Je l’appelle et nous conversons, elle dans sa langue d’oiseau, moi dans mon langage d’homme.
Et c’est, à travers le Père, un duo bien franciscain.
***
COMMENTAIRE Dans le cas de Barbarin, des moustiquaires auraient suffit. Mais aujourd’hui, la délimitation de territoires entre humains et animaux devient totalement obsolète. La vertigineuse et inconsidérée croissance de la population humaine et notre mode de vie artificiel favorisant la déforestation et la destruction systématique des écosystèmes ont déjà éliminé de grandes quantités d’animaux.
Bienvenu sur la terre des hommes!
Nous occupons tout l’espace
De béton et d’asphalte
Sans animaux ni nature…
Dès lors, je crois qu’il faut profiter au maximum du peu de temps qu’il nous reste pour apprécier la beauté des oiseaux et leurs chants.
Cette phrase de Voltaire m’a frappée l’autre jour (message «Question de perspective; Bêtes»; 28 mai) :
«Le serin à qui tu apprends un air, le répète-t-il dans l'instant? N'emploies-tu pas un temps considérable à l'enseigner? N’as-tu pas vu qu'il se méprend et qu'il se corrige?»
Durant une période où j’habitais à la campagne, je me suis amusée à enseigner de nouvelles notes à des oiseaux – merles d’Amérique, mésanges, etc. Il suffit de s’asseoir, d’écouter, de siffler les notes et de répéter. Il y a même un merle qui a lui-même ajouté des notes! Même si je ne suis pas une réincarnation de François d’Assise, ça marchait! Et à ma grande surprise, au printemps suivant, je reconnaissais mes élèves à leur chant. Je ne sais pas ce que signifiaient les notes ajoutées au répertoire de la pariade. Ont-elles amélioré le chant de séduction? Je l’ignore. Mais tous ces petits moments additionnés les uns aux autres m’ont procurée de nombreuses heures de plaisir.
Un article fort intéressant à ce sujet «Pleins feux sur… les chants d’oiseaux» :
http://education.mrnf.gouv.qc.ca/chronique/capsule/pleins-feux-sur-les-chants-des-23.html
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