J’ai découvert au fond d’une boîte de livres anciens (ayant appartenu à une grand-tante) un recueil de textes poétiques; minuscule livret de 8 x 10 cm typographié en 6pt .. nécessitant une lunette d’approche pour le lire…
Un exemplaire un peu magané datant de 1944 |
Typographié en 6 pt! |
Je ne connaissais pas l’auteur et j’avoue que ça manquait à ma culture. Il semble avoir bénéficié d’une connexion profonde et indéfectible avec la nature tout au long de sa courte vie.
Commentaire de Louis Pize (1944) :
Les poèmes de Maurice de Guérin*, quels que soient leur charme et leur tendre abandon, ne suffiraient pas à le distinguer des poètes mineurs romantiques. Triste ou joyeux avec les saisons, il a chanté la campagne confidente et maternelle, l’automne et le souvenir et l’amitié. Parfois sa Muse élégiaque, dans «les Bords de l’Arguenon», «Promenade à travers la lande», «Promenade aux bords de la Rance», «Rêverie», atteint la grandeur, en présence «de la Nature belle et puissante à jamais». Le fragment de «Glaucus» (publié en 1840 avec le Centaure) fait entendre une note particulière. Maurice de Guérin, s’affranchissant du «genre intime», retrouve les pures sources antiques, et son lyrisme s’épanouit dans le frémissement de l’âme universelle. Que de vers éveillent alors en nous des échos infinis, en dépassant notre attente secrète, en ouvrant, au-delà des apparences, de mystérieux et sublimes horizons!
(Fragment)
Cependant, comme un bruit qui descend des montagnes,
Une rumeur venait du fond de ces campagnes.
C’était la grande voix du torrent éternel
Qui s’échappe à jamais des abîmes du ciel,
Et va roulant des flots de germes et de vie
À cette mer étrange où chaque flot s’écrie :
«Ô Nature, prends-nous dans tes mains! bienheureux
Qui jouit de sa forme et de l’éclat des cieux!»
Terre, terre, ô combien tes entrailles sont belles!
Et ton flanc abondant! Heureuses mes prunelles,
À qui tu laisses voir en toute intimité
La source et les secrets de ta fécondité!
Bienheureux mes regards, heureuses mes oreilles,
Que ravissent des voix en douceur non pareilles,
Les merveilleuses voix des êtres qu’en ton sein
La Nature façonne avec sa grande main,
Et qui chantent après dans leur joie infinie
Des actions de grâce et l’hymne de la vie!
***
Promenade aux bords de la Rance
Chaque fois que le ciel nous donne un jour serein,
C’est jour de pure joie et de fête en mon sein;
Car, né sur les coteaux, mon âme s’est liée
D’une douce amitié divinement nouée
Avec les champs, les bois, les ondes, le soleil,
Le ciel soit pâle ou gris, soit riant ou vermeil,
Les divers éléments et toute la nature;
Et de l’intimité de cette amitié pure,
Vient que mon âme suit les variations
Que les vents incertains impriment aux saisons,
Et qu’autant la nature en fête déploie,
Autant mon âme chante et rayonne de joie.
***
Armand Cambon : études de paysages, 19e siècle |
Le Cahier Vert (ou le Journal, tenu par lui de juillet 1832 à mai 1835)
Le 15 mars, 1833 – Nous vivons trop peu en dedans, nous n’y vivons presque pas. Qu’est devenu cet œil intérieur que Dieu nous a donné pour veiller sans cesse sur notre âme, pour être le témoin des jeux mystérieux de la pensée, du mouvement ineffable de la vie dans le tabernacle de l’humanité? Il est fermé, il dort; et nous ouvrons largement nos yeux terrestres, et nous ne comprenons rien à la nature, ne nous servant pas du sens qui nous la révélerait, réfléchie dans le miroir divin de l’âme. Il n’y a pas de contact entre la nature et nous : nous n’avons l’intelligence que des formes extérieures, et point du sens, du langage intime, de la beauté en tant qu’éternelle et participant à Dieu, toutes choses qui seraient limpidement retracées et mirées dans l’âme, douée d’une merveilleuse faculté spéculaire. Oh! ce contact de la nature et de l’âme engendrerait une ineffable volupté, un amour prodigieux du ciel et de Dieu.
Descendre dans l’âme des hommes et faire descendre la nature dans son âme.
Le 28 mars. – Toutes les fois que nous nous laissons pénétrer à la nature, notre âme s’ouvre aux impressions les plus touchantes. Il y a quelque chose dans la nature, soit qu’elle rie et se pare dans les beaux jours, soit qu’elle devienne pâle, grise, froide, pluvieuse, en automne et en hiver, qui émeut non seulement la surface de l’âme, mais même ses plus intimes secrets, et donne l’éveil à mille souvenirs qui n’ont, en apparence, aucune liaison au spectacle extérieur, mais qui sans doute entretiennent une correspondance avec l’âme de la nature par des sympathies qui nous sont inconnues. J’ai ressenti aujourd’hui cette puissance étonnante en respirant, couché dans un bois de hêtres, l’air chaud du printemps.
31 mars. – L’amour qui parle, chante, gémit dans une partie de la création, se révèle dans l’autre moitié sous la forme des fleurs. Toute cette floraison si riche de formes, de couleurs, de parfums, qui resplendit dans la campagne, c’est l’expression de l’amour, c’est l’amour lui-même qui célèbre ses doux mystères dans le sein de chaque fleur. La branche fleurie, l’oiseau vient s’y percher pour chanter ou y bâtir son nid, l’homme qui regarde la branche et l’oiseau, sont mus par le même principe à divers degrés de perfection. Je lisais dans Herder que les fleurs périssent aussitôt après la fécondation, que les oiseaux perdent leur chant, leur gaieté, quelques-uns les vives couleurs de leur plumage après la saison des nids, que l’homme décline rapidement vers la vieillesse après l’âge des passions. Il y a beaucoup à méditer sur cette loi de dépérissement intimement liée à la loi de l’amour et de la reproduction.
Le 2 avril. – Les nuages nous ont jeté de la pluie tout le long du jour. Elle est tombée tantôt par ondées violentes, tantôt par rosées fines bruissant légèrement. Les merles, les fauvettes, tous les oiseaux chanteurs sifflent, gazouillent, rossignolent nonobstant. Les nuages laissent parfois de grandes clairières dans le ciel, par où le soleil précipite des torrents de lumière. Alors les nuages qui font la lisière s’illuminent, leurs files successives et fuyant au loin se retirent de proche en proche, mais par nuances affaiblies et dégradées en raison de leur éloignement, jusqu’à ce qu’enfin les rayons vont mourir sur une masse énorme qui se tient immobile aux confins de l’horizon sud-est, blanchissant ses saillies et laissant dans l’ombre les parties rentrantes de ses anfractuosités.
Le 25 avril. – …Si l’on pouvait s’identifier au printemps, forcer cette pensée au point de croire aspirer en soi toute la vie, tout l’amour qui fermentent dans la nature, se sentir à la fois fleur, verdure, oiseau, chant, fraîcheur, élasticité, volupté, sérénité! Que serait-ce de moi? Il y a des moments où, à force de se concentrer dans cette idée et de regarder fixement la nature, on croit éprouver quelque chose comme cela.
Le 3 mai. – Jour réjouissant, plein de soleil, brise tiède, parfums dans l’air; dans l’âme, félicité. La verdure gagne à vue d’œil; elle s’est élancée du jardin dans les bosquets, elle domine tout le long de l’étang; elle saute, pour ainsi dire, d’arbre en arbre, de hallier en hallier, dans les champs et sur les coteaux, et je la vois qui a déjà atteint la forêt et commence à s’épancher sur son large dos. Bientôt elle aura débordé aussi loin que l’œil peut aller, et tous ces grands espaces clos par l’horizon seront ondoyants et mugissants comme une vaste mer, une mer d’émeraude. Encore quelques jours et nous aurons toute la pompe, tout le déploiement du règne végétal.
Au Val, 20 janvier 1834. – … c’en était fait de moi, si je n’eusse trouvé une puissante diversion dans la contemplation de la nature. Je me suis mis à la considérer plus attentivement que de coutume, et par degrés la fermentation s’adoucit, car il sortait des champs, des flots, des bois une vertu suave et bienfaisante qui me pénétrait et tournait tous mes transports en rêves mélancoliques. Cette fusion des impressions calmes de la nature avec les rêveries orageuses du cœur engendra une disposition d’âme que je voudrais retenir longtemps, car elle est des plus désirables pour un rêveur inquiet comme moi. C’est comme une extase tempérée et tranquille qui ravit l’âme hors d’elle-même sans lui ôter la conscience d’une tristesse permanente et un peu orageuse. Il arrive aussi que l’âme soit pénétrée insensiblement d’une langueur qui assoupit toute vivacité des facultés intellectuelles et l’endort dans un demi-sommeil vide de toute pensée, dans lequel néanmoins elle se sent la puissance de rêver les plus belles choses. D’autres fois, c’est comme un nuage aux teintes molles qui se répand sur l’âme et y jette cette ombre douce qui invite au recueillement et au repos. Aussi les inquiétudes, les ardeurs, toute la foule turbulente qui bruit dans la cité intérieure, fait-elle silence, quelques fois se prend à prier et finit toujours par s’arranger pour le repos. Rien ne peut figurer plus fidèlement cet état de l’âme, que le soir qui tombe en ce moment. Des nuages gris, mais légèrement argentés par les bords, sont répandus également sur toute la face du ciel. Le soleil, qui s’est retiré il y a peu d’instants, a laissé derrière lui assez de lumière pour tempérer quelque temps les noires ombres et adoucir en quelque sorte la chute de la nuit. Les vents se taisent, et l’Océan paisible ne m’envoie, quand je vais l’écouter sur le seuil de la porte, qu’un murmure mélodieux qui s’épanche dans l’âme comme une belle vague sur la grève. Les oiseaux, gagnés les premiers par l’influence nocturne, se dirigent vers les bois et font siffler leurs ailes dans les nuages. Le taillis qui couvre toute la pente de la côte du Val, retentissant tout le jour du ramage du roitelet, du sifflement gai du pivert et des cris divers d’une multitude d’oiseaux, n’a plus aucun bruit dans ses sentiers ni sous ses fourrés, si ce n’est le piaulement aigu jeté par les merles qui jouent entre eux et se poursuivent tandis que les autres oiseaux ont déjà le cou sous l’aile. Le bruit des hommes, qui se taisent toujours les derniers, va s’effaçant sur la face des champs. La rumeur générale s’éteint, et l’on n’entend guère venir de clameurs que des bourgs et des hameaux, où il y a, jusque bien avant la nuit, des enfants qui crient et des chiens qui aboient. Le silence m’enveloppe, tout aspire au repos, excepté ma plume qui trouble peut-être le sommeil de quelque atome vivant, endormi dans les plis de mon cahier; car elle fait son petit bruit en écrivant ces vaines pensées. Et alors, qu’elle cesse : car ce que j’écris, ce que j’ai écrit et ce que j’écrirai ne vaudra jamais le sommeil d’un atome.
Paris, 1er février 1834. – Mon Dieu, fermez mes yeux, gardez-moi de voir toute cette multitude dont la vue soulève en moi des pensées si amères, si décourageantes. Faites qu’en la traversant je sois sourd au bruit, inaccessible à ces impressions qui m’accablent quand je passe parmi la foule; et pour cela mettez devant mes yeux une image, une vision des choses que j’aime, un champ, un vallon, une lande, le Cayla, le Val, quelque chose de la nature. Je marcherai le regard attaché sur ces douces formes, et je passerai sans ressentir aucun froissement.
Le 7 septembre. – Je me perds dans les conversations. Je n’en retire le plus souvent que de l’abattement et de l’amertume. J’y compromets ma vie intérieure, ce qu’il y a de meilleur en moi. Pour nourrir le discours, j’y jette mes pensées favorites, celles que j’aime le plus secrètement et avec le plus de sollicitude. Ma parole timide et embarrassée les défigure, les mutile, les jette au grand jour, désordonnées, confuses, demi-nues. Quand je m’en vais, je recueille et je serre mon trésor répandu, mais je ne remets en moi que des rêves meurtris comme des fruits tombés de l’arbre sur des pierres.
* Georges Maurice de Guérin, poète et écrivain français, est né à Andillac au château du Cayla le 4 août 1810 et mort le 19 juillet 1839. Contemporain de Lamartine et de Victor Hugo, il est l’auteur du Centaure, de La Bacchante et de nombreux poèmes qui se situent dans l’histoire littéraire à la charnière du romantisme religieux de Chateaubriand et de la «modernité poétique» de Beaudelaire et Mallarmé. Son journal, Le Cahier Vert et sa correspondance avec Barbey d’Aurevilly traduisent ses interrogations sur sa destinée d’homme et d’écrivain. (Wikipédia)
Pour plus de détails biographiques :
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COMMENTAIRE
Allons-nous préserver cette Nature qui fait vibrer l’âme de celles et ceux qui y sont encore sensibles? Suspense. Le Rapport du BAPE fait reculer pour un peu de temps – bien peu – le spectre de l’exploration et du forage, mais…
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