Quand les irritants s’additionnent et font monter la vapeur – mon Dieu, mon Dieu, délivrez-nous des irritants quotidiens! - je sors mon vieil exemplaire «Soyez zen» de Charlotte Joko Beck*. Quasiment toutes les pages sont cornées, soulignées, commentées dans la marge. Bref il a servi et sert encore.
Les gros irritants ont parfois failli avoir raison de ma raison. Dernièrement, c’était les «nullos politiques» avec leur façade de bons gars (toutes nations confondues), le retour à des débats sociaux qu’on croyait résolus, et… le terrorisme acoustique - silencieux modifiés Magnaflow, sub-woofers, boom cars, autocanons, etc.
On ne la répétera jamais assez celle-là - il y a des limites à tout :
«L’intolérance des tolérants existe, de même que la rage des modérés.»
(Victor Hugo)
Alors, plutôt que d’imploser de colère, j’ai relu quelques passages de Joko pour freiner mon rollercoaster émotionnel et ventiler la frustration. En copiant ces extraits, j’ai réalisé à quel point je m’étais distanciée de la pratique. Rien n’est acquis, et il est temps pour moi d’y revenir, ça presse... car j’ai mis trop de temps à ressasser les malheurs de la planète.
Je ne suis pas membre/adepte d’une religion traditionnelle ni d’une quelconque secte, et je ne fréquente aucun «maître», centre de méditation ou autre. Les rituels religieux et superstitieux, tels qu’on en trouve dans certaines formes de bouddhisme, ne m’attirent pas. Je n’ai pas besoin d’un maître qui me taloche et m’abreuve d’injures pour apprendre. Je me contente de pratiquer des enseignements en harmonie avec mes aspirations, selon mes capacités.
J’ai trouvé dans le zen occidentalisé de Joko une philosophie de vie qui me convient. Cette pratique fait appel non pas à la résignation, mais à l’acceptation, et encourage la lucidité. Ce qui compte, c’est le moment présent car toutes choses sont éphémères, les bonnes comme les mauvaises. Et, hara-kiri aux illusions! Joko ne plane pas du tout dans les vapeurs édulcorées de l’illumination instantanée obtenue par procuration. L’éveil de conscience est une affaire personnelle et résulte d’une remise en question constante de nos croyances et chimères dépourvues de réalisme.
La méthode simplifiée que je pratique ne requiert aucun mur gris, zafu (coussin zen) ou kyôsaku (petite baguette plate utilisée par le maître pour sortir le méditant de la somnolence). Même si vous cognez des clous au début (c’pas grave, vous allez finir par vous réveiller), avec le temps, vous resterez vigilant plus longtemps. Il suffit donc de s’asseoir 20 minutes - au moins une fois par jour, deux c’est encore mieux! - et de passer l’aspirateur dans votre collimateur cérébral, tout en observant le défilé «liste d’épicerie, blogs, dernier bulletin de nouvelles, remarques de Machin, etc.» sans s’y attacher. Si l’on se rend compte qu’on s’est acroché à une pensée particulière, on se reconnecte volontairement à la respiration et aux sensations corporelles. À la fin, les pensées se diluent d’elles-mêmes dans une sorte de recyclage. La seule difficulté persistante, c’est la résistance à méditer quotidiennement. Il est impossible d’éliminer les pensées, c’est seulement le «contenu» de nos pensées qui change – car avec la pratique nous effleurons de plus en plus souvent l’intuition, cette partie de nous à des années-lumière du Dollorama mental, si je peux dire…
«Ce que tu cherches à fuir te suivra. Tu ne peux pas fuir tes pensées ni les tuer.» (Auteur inconnu)
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Suit un florilège de citations tirées de « Soyez zen » pouvant aider à nous désengluer de notre boue volcanique mentale avant qu’elle ne nous pétrifie. L'esprit du zen n'est pas réservé aux seuls initiés. Apprendre à faire taire sa petite voix intérieure, celle qui donne son avis sur tout et ne sait pas faire silence, est à la portée de tous. Il suffit d'un peu de concentration et de beaucoup d'attention aux autres. Dans ce livre, elle donne des conseils pour faire face aux agressions et à la violence de la vie quotidienne.
Chapitre : Le couloir de la peur
Très tôt, le petit enfant essaie de se protéger contre les différents dangers qu’il perçoit, et il se contracte sous l’effet de la peur qu’ils lui inspirent. Petit à petit, le jeune être si réceptif, si fluide et si malléable se recroqueville. Il a l’impression d’être contraint à rentrer dans un boyau étroit : le couloir de la peur. Avec l’acquisition du langage, l’étau se referme un peu plus, et, à mesure que l’intelligence s’éveille et se développe, le processus s’accélère. Non seulement la moindre perception d’un danger s’inscrit dans chacune de nos cellules, mais en plus la mémoire rentre en jeu pour corréler chaque nouvelle menace à toutes celles qui avaient déjà été mémorisées. Le réseau défensif devient de plus en plus rigide et complexe.
Il est certes indéniable que nos comportements actuels sont conditionnés par un certain acquit, mais il y a aussi un autre facteur qui rentre en ligne de compte. Se sentant menacé par son environnement, l’être totalement ouvert et flexible que nous étions dans notre prime enfance s’est repliée sur lui-même pour se protéger, et ensuite, nous avons fait l’erreur de nous identifier à cette version recroquevillée et amoindrie de nous-mêmes. À la vision initialement fluide du monde et de soi a succédé une image figée : celle d’un monde hostile et d’un soi rétréci par la peur et auquel on s’est dorénavant identifié. Peu importe qu’on ait alors choisi un schéma de soumission, de révolte, ou d’indifférence par rapport au monde, le résultat est le même : l’émasculation du soi originel. Ce qui importe en revanche, c’est qu’on ait cru que, pour survivre, il fallait à jamais endosser l’image d’un soi solidifié par son réflexe de peur initial.
Loin de moi l’idée de vous donner une image pessimiste de la pratique spirituelle, dont je pense au contraire qu’elle est notre seul véritable espoir. Même si le parcours est parfois difficile et un peu décourageant, en réalité avons-nous vraiment le choix? Ou bien on subit le couloir de la peur en s’y laissant mourir d’atrophie et d’asphyxie progressives; ou bien on décide de le regarder bien en face : on l’expérimente sans rien esquiver et, petit à petit, on en comprend le caractère illusoire et on s’en libère. Alors, avons-nous vraiment le choix?
Chapitre : Ce qu’est la pratique
Nous ne sommes guère motivés pour vivre la réalité des choses en direct comme dans la méditation zazen – à savoir être attentifs à tous les sons et sensations qui surviennent. On préfère remuer toutes sortes d’idées et de préoccupations dans sa tête dans l’espoir – fallacieux – de trouver « LA » solution, de comprendre la vie. Et pendant qu’on s’emploie à essayer de tout bien combiner, le temps s’enfuit et on reste là à se demander ce qu’il faudrait en faire pour être heureux. Voilà pourquoi, quand on essaie de se mettre en face de l’instant, on a vite fait de l’oublier et de filer sur les vieux chemins de traverse : on pense à son copain ou à sa petite amie, à son gamin, à son boulot, à son patron, à ses soucis du moment – et le manège est reparti pour un tour! Non que ce soit mal de rêvasser, évidemment, mais pendant qu’on est perdu dans ses pensées, il y a autre chose qui se perd : la réalité. La vraie vie file pendant qu’on est occupé à la rêver.
Ce qui est grave, ce n’est pas tant de ressasser les pensées discursives que crée l’ego que de s’identifier à elles, car, ce faisant, on se coupe du flot naturel de la réalité. On cesse de voir le réel, occulté par la version revue et corrigée qu’on fabrique dans sa tête. C’est pourquoi la première chose à faire, c’est d’apprendre à observer ses pensées pour les identifier et les répertorier. Ne vous contentez pas de les classer sous une rubrique fourre-tout intitulée pensées ou soucis. Donnez-leur une étiquette bien définie. Si vous persévérez à scruter attentivement ce magma confus, vous ne tarderez pas à y repérer des pensées identifiables.
Ce genre de pratique nous apprend à nous connaître, à voir comment nos vies fonctionnent et ce que nous en faisons. Si on s’aperçoit que tel ou tel type de pensée a tendance à revenir de manière récurrente, des centaines et des centaines de fois, on aura acquis une information neuve sur soi-même. Le contenu varie selon les individus : on peut avoir tendance à se remémorer le passé, à se projeter dans l’avenir, à songer à des événements ou à des personnes données. On peut être plus porté à faire de soi son principal objet de réflexion ou, au contraire, à formuler surtout des jugements critiques sur les autres.
Mais qu’arrive-t-il, une fois qu’on a bien appris à reconnaître ses pensées et à les répertorier? Eh bien, elles se calment d’elles-mêmes, sans qu’on ait besoin de faire quoi que ce soit pour s’en débarrasser. Et on en profite pour ramener son attention encore et toujours sur son corps et sur sa respiration qu’on expérimente directement, sans passer par le filtre déformant des pensées.
Si vous n’arrêtez pas de ressasser un problème en vous demandant «que va-t-il se passer, qu’est-ce que je vais devenir?», vous sentez l’angoisse monter en vous. L’angoisse n’arrange rien, au contraire. Quand on ne sait pas gérer ses pensées et qu’on les retourne dans tous les sens, elles finissent par produire des émotions qui nous déstabilisent encore plus. On a l’esprit agité parce que le tourbillon des pensées engendre toutes sortes d’émotions contradictoires. Si cet état de déstabilisation émotionnelle se prolonge, on finit par tomber malade ou sombrer dans la dépression, faute d’avoir assumé ce qui nous travaille, mentalement. Autrement dit, quand le mental ne sait pas regarder les choses en face, c’est le corps qui s’en charge et on attrape une bonne grippe ou des boutons partout, on fait une allergie carabinée ou un ulcère – à chacun son style. En tout cas, le corps fait office de soupape de sécurité en tombant malade quand le mental n’est pas conscient de ce qui le préoccupe. Certaines maladies peuvent être le signe d’un esprit qui n’est pas conscient de ce qui l’habite.
Ne voyez pas là un jugement de valeur ou une critique, mais la constatation d’un état de choses auquel d’ailleurs je ne fais pas exception. Plus on se complaît dans ses préoccupations, et plus on se crée d’ennuis. À l’inverse, à force de pratiquer zazen, on a moins tendance à se créer des nœuds dans la tête.
Si, au lieu d’expérimenter directement le réel, on s’investit dans ses pensées – en s’identifiant à elles -, on crée un je (comme disait Krishnamurti) et c’est là que les ennuis commencent. Voilà pourquoi on apprend à reconnaître et à identifier ses pensées, afin de prendre ses distances par rapport à elles, de se désinvestir. Nous percevons le monde extérieur sous la forme de simples données sensorielles que nous solidifions en nous identifiant à elles, leur conférant ainsi une réalité qu’elles n’ont pas. Désormais, l’ego et les émotions vont agir comme un filtre déformant sur toutes nos perceptions; on n’est plus capable de voir la vie et les gens tels qu’ils sont. On est coupé du réel par un écran de pensées – alors qu’elles ne sont en vérité que de simples fragments d’énergie.
Une fois qu’on sait comment fonctionne son esprit et qu’on reconnaît les états émotionnels que déclenchent en nous les pensées, on est mieux à même d’interpréter ce qui nous arrive, et donc d’agir de manière appropriée – c’est-à-dire, le plus souvent, s’occuper de ce qui se trouve sous notre nez à ce moment-là.
Faire zazen, ce n’est pas troquer une forme de conditionnement pour une autre, comme s’il s’agissait de modifier le comportement d’un robot en le reprogrammant. Le zazen vise au contraire à nous libérer de toutes les formes de conditionnement car celles-ci ne tiennent pas la route devant la réalité.
On ne cherche pas à se débarrasser d’une mauvaise programmation pour la remplacer par une bonne. Les comportements préprogrammés ne résistent pas aux contraintes de la vie parce qu’ils reposent eux-mêmes sur une base très fragile – le moi. Le moi est une construction mentale, une entité imaginaire qui ne sait d’ailleurs pas très bien où elle en est. Le zen permet de se rendre compte du caractère illusoire du moi.
Il est toujours plus facile de parler du zen que de le pratiquer, même quand on a déjà une certaine expérience! Une bonne raison pour le pratiquer très rigoureusement. À suivre...
Américaine du New Jersey, Charlotte Beck (1917 - ) a fait le conservatoire de musique d'Oberlin. Mère de quatre enfants et obligée de gagner sa vie après son divorce, elle est tour à tour enseignante, secrétaire, et administratrice d’un département universitaire. Elle commence à pratiquer la méditation zen dans la quarantaine. D’abord initiée par Hakuyu Taizan à Los Angeles, elle pratique ensuite avec Maezumi Roshi, puis avec Soen Roshi. Charlotte devient Joko. En 1977, elle s’installe au Centre Zen de Los Angeles, puis en 1983, au Centre Zen de San Diego. Elle a également fondé l’Ordinary Mind Zen School en 1995 où elle offrait des seshins plusieurs fois par année. Au printemps 2010, elle a désigné Gary Nafstad comme successeur.
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