27 novembre 2014

Un peu de cette beauté...



Cette beauté vivante
Troquée contre de hideux objets
Inertes, délétères, en plastique
But who cares anyway?  
La vie est dans le cell...!

~ Boudacool

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Il est étrange que, parfaitement certains de la brièveté de la vie, nous prenions tant à coeur les intérêts qui s'y rapportent. Quelle est cette activité, ce mouvement, à l'entour de places et de richesses dont nous aurons si peu de temps à jouir? Et ces pleurs sur des morts chéris que nous irons rejoindre demain? L'homme sait tout cela, et cependant il s'agite, il s'inquiète, il s'afflige, comme si la fin de ces empressements et de ces larmes n'était pas prochaine, et nulle philosophie ne peut lui donner sur toutes choses l'indifférence qui convient à un condamné à mort sans espoir ni recours.

~ Louise Ackermann (Pensées d'une solitaire)

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Nulle force
Ne peut empêcher que
Lentement
Ou soudainement
Le monde disparaisse
Nul amour
Ne peut empêcher que les hommes disparaissent
Il reste un tourbillon
Ô ma dernière incantation!

~ Ko Un

On est mieux de s'accrocher au vivant si l'on veut survivre...

26 novembre 2014

Merci à Gabriel Nadeau-Dubois

Les personnes concernées par la qualité de notre environnement peuvent dire un immense merci à Gabriel Nadeau-Dubois. Double bravo : pour le prix littéraire et son geste.

Photo : Gros plan d’un pipeline endommagé dont on a «colmaté» la fuite avec un arbre... très astucieux et rassurant! (newmy51/cc/flickr)

D’une façon, la campagne «Coule pas chez nous» ne touche pas uniquement le Québec puisque le Canada est visé par les projets de pipelines d’un océan à l’autre!

Pourquoi donner?
«Les entreprises pétrolières de l’Alberta cherchent désespérément à écouler le pétrole sale des sables bitumineux sur les marchés internationaux. Elles ont voulu l'exporter vers le Sud par oléoduc, mais les États-Unis hésitent à donner le feu vert à ce projet, considérant que ses maigres retombées économiques ne justifient pas de s’exposer à des risques environnementaux aussi gigantesques. En Colombie-Britannique, la résistance des peuples autochtones a eu raison du projet Northern Gateway.» (...)
https://doublonslamise.com/

Finançons la campagne Coule pas chez nous http://www.coulepascheznous.com/

Il faudrait distribuer des dépliants explicatifs dans tous les foyers puisqu’il y a des gens qui n’ont pas accès à Internet.

Même si ce n’est qu’un petit montant, ça vaut la peine de donner :  
26.11.14 – total des donations (depuis le 18 novembre) : 340,128 $

Ce qui tend à prouver que beaucoup de gens comprennent la gravité des enjeux et ne se laissent pas éblouir par le marketing en faveur des pipelines. [En passant, à chaque fois que je clique sur un lien au sujet du pétrole – sur le site d’ICI Radio-Canada/grands titres ou de David Suzuki par exemple – l’écran et le curseur gèlent temporairement et un drôle de click s’entend dans les haut-parleurs. Bizarre. S'agit-il de la clique de chercheurs de «red flags» d’Edelman qui pirate ces sites? Ça alors!] 

Avons-nous oublié Lac Mégantic et le Golfe du Mexique? NON.

Plus on transportera de pétrole – quel que soit le moyen de transport – plus les risques de déversements augmentent (erreurs humaines ou contrôle informatisé défectueux ou accidents de la nature); c’est proportionnel et inévitable, une banale loi de la physique. Un sophisme? Peut-être. Détecteurs de sophismes éclairez-moi s'il a lieu. (À ce propos, je recommande : La pensée critique décortiquée sur Le CorteX http://cortecs.org/

Source des photos ci-après : www.boston.com



Une guerre de plus en plus asymétrique contre le monde vivant, dit George Monbiot  (voyez l'article : Aux chercheurs de 'red flags').

À votre santé!

La recherche d'hydrocarbures va à l'encontre de la lutte aux GES, dit  Oil Change

Pourquoi subventionner à coups de milliards de dollars la recherche d'hydrocarbures qui ne seront pourtant jamais utilisés si on veut réduire les changements climatiques? 
       Voilà la question que pose l'organisme écologiste Oil Change International, qui soutient ainsi que le Canada est l'un des pays les plus généreux du G7 - près d'un milliard de dollars par année - quand vient le temps de subventionner l'exploration dans le secteur de l'énergie, essentiellement sous la forme d'allégements fiscaux consentis aux entreprises. (...) 
       En utilisant la définition de «subventions» retenue par l'Organisation mondiale du commerce, Oil Change International a calculé que la valeur totale de ces allégements fiscaux au Canada est de 928 millions de dollars par année - sans compter ceux consentis par les provinces ... 
       Selon Oil Change International, la valeur annuelle de l'aide publique à l'exploration est à peu près le double de ce que l'industrie investit elle-même dans ses activités de prospection (37 milliards de dollars). «Cela laisse croire que cette activité d'exploration est largement tributaire du financement public», lit-on dans le rapport. (...) 
       Selon l'organisme, ces sommes colossales pourraient plutôt être consacrées, par exemple, aux soins de santé ou au développement de sources d'énergie renouvelable
http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/economie/2014/11/11/001-subventions-exploration-hydrocarbures-inutiles-oil-change-international.shtml

Gabriel Nadeau-Dubois a publié quelques articles après sa visite à Fort McMurray (Alberta) sur Huffington Post. Liens :

Drogué au bitume : la face cachée de la prospérité albertaine
http://quebec.huffingtonpost.ca/gabriel-nadeaudubois/alberta-sables-bitumineux-revers-medaille_b_3575767.html

La peau prend le goût du soufre
http://quebec.huffingtonpost.ca/gabriel-nadeaudubois/voyage-fort-mcmurray-sables-bitumineux_b_3601333.html

D'un pays dévasté à un pays en deuil
http://quebec.huffingtonpost.ca/gabriel-nadeaudubois/sables-bitumineux-alternatives_b_3619401.html

Autre : https://ricochet.media/fr/104/cacouna-nadeau-dubois

24 novembre 2014

Nouveaux CPE gratuits

Terreur dans les centres de la petite enfance ou CPE (1). 
L'arme : le poids de la dette nationale.

Solutions de dépannage : des garderies/CPE home made à contribution masculine, en cas de besoin. 
 





Il est certain que nous allons la manger notre dette nationale, coûte que coûte.
Surtout si l’on supprime ou réduit l’aide financière aux agriculteurs.
 
Suggestion : au lieu de dépenser pour des bébelles de Noël gardez votre argent pour d’éventuels frais de dentisterie (loin d’être gratuits en passant) :
 
 
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(1) Les CPE sont des organismes sans but lucratif ou des coopératives gérées par un conseil d'administration composé à deux tiers de parents utilisateurs des services, et subventionnés par le gouvernement.

23 novembre 2014

Il faut du CRAN pour contrer la violence

Quand on fait le grand ménage on vide les tiroirs et les penderies pour faire le tri. Voilà ce qui se passe avec les dénonciations au sujet des agressions et du harcèlement sexuels : on déballe tout dans le désordre. Beaucoup de débats publics donc pour tenter de définir le viol, le harcèlement sexuel, le sexisme, sans parler des agressions disons... plus subtiles (1), et des jeux de séduction (besoin de se prouver qu’on est désirable) pratiqués par les deux sexes et qui ont parfois des conséquences désastreuses (pensez aux partys de bureau de Noël...).

Au coeur du débat (notons que le coeur brille par son absence dans ce type d'interactions) : 
«Le consentement, c’est la différence entre un combat de boxe et frapper quelqu’un sur la rue, entre emprunter une voiture et la dérober, entre faire un don d’organe ou se faire voler un rein pour le marché noir.»
~ Mary Anne Franks, The Daily Dot (2)

Photo : La Gîtée, centre d'aide pour les femmes victimes de violence

En attendant qu’on finisse par s’entendre sur les définitions (ce qui risque d’être long), les femmes de tous âges auraient intérêt à suivre des cours d’autodéfense – plusieurs centres d’arts martiaux (*) offrent des ateliers adaptés aux femmes : http://artdanstout.blogspot.ca/2014/10/intimidation-et-autodefense.html

Le Cran des femmes 

Extrait du site http://crandesfemmes.wix.com/le-cran-des-femmes

Mission

Le Cran des femmes est un organisme communautaire dont la mission est la prévention des agressions sexuelles et de la violence envers les femmes et les adolescentes. En solidarité avec le milieu, il offre des activités de prévention de la violence et d’autodéfense dont l’objectif est de consolider et d’améliorer la sécurité des femmes et des adolescentes. Le Cran développe sans cesse son expertise face à la violence. Il développe des moyens pour aider les femmes à s’en protéger et pour aider l’ensemble de la société à la prévenir.

Depuis sa fondation en 1995, des milliers de femmes et d’adolescentes ont bénéficié d’activités spécialement conçues pour répondre à leurs besoins. Le Cran est le seul organisme qui se déplace dans toutes les régions du Québec pour offrir des ateliers de prévention de la violence et d’autodéfense.

La violence est malheureusement toujours omniprésente dans la vie des femmes du Québec. Elles la rencontrent dans leur famille, à l’école, au travail, dans les groupes d’ami-es, dans le couple, dans les lieux de loisirs, etc. En limitant les choix des femmes, cette réalité constitue encore un obstacle majeur à leur pleine participation sociale dans notre communauté.

Le Cran aborde les différentes formes de violence faite aux femmes, propose des outils de défense physique et de prévention contre le harcèlement verbal et psychologique.

Ateliers de prévention de la violence et d'autodéfense
Pour femmes, adolescentes et femmes 60+

Tout comme les femmes adultes, les adolescentes sont fréquemment confrontées à des situations de violence dans plusieurs sphères de leur vie. Près de la moitié des jeunes filles subissent du harcèlement sexuel à l'école, les adolescentes sont également particulièrement à risque de subir de la violence dans leurs relations amoureuses et des agressions sexuelles.

Le sentiment d'insécurité des femmes aînées face à la réalité de la violence et dans leur vie constitue un important facteur d'inégalité qui freine leur pleine participation à la vie économique, sociale et démocratique. La peur des femmes aînées, comme celle des femmes adultes, les emprisonne et limite leur capacité d'action. Les activités proposées dans les ateliers du Cran des femmes agissent directement en améliorant le sentiment de sécurité des femmes aînées par des activités de prévention et d'empowerment, leur permettant ainsi un plus grand pouvoir sur leur vie et dans la société.

Les ateliers permettent aux femmes :
- de reconnaitre plus rapidement les situations de violence lorsqu’elles se produisent;
- de se donner le droit de réagir lorsqu’elles ont peur;
- de développer des moyens pour éviter de figer dans les situations dangereuses;
- d’apprendre à faire face autant aux agressions psychologiques qu’aux agressions physiques;
- de se sentir plus en sécurité́ dans leur vie au travail, à la maison, dans la rue, etc.

L’approche développée par le Cran mise sur le renforcement de la confiance en soi et de l’affirmation de soi par des techniques concrètes et adaptées aux besoins des femmes.

L'atelier permet aux femmes de prendre contact et d'approfondir plusieurs notions en lien avec la violence, la capacité des femmes de se défendre, les principes de prévention de la violence, les techniques d'autodéfense physiques, les techniques de dégagement et bien plus. Des exercices et mises en situation permettent aux femmes d'expérimenter plusieurs techniques simples mais efficaces pour se défendre verbalement et physiquement.

Le Cran des femmes
CP 134, Succ Du Parc
Montréal (Québec) H2S 3K6
Tél. : 514.850.0786

(*) Échec et mat : l’autodéfense contre les agressions sexuelles 
http://blogues.radio-canada.ca/originel/2014/11/13/echec-et-mat-lautodefense-contre-les-agressions-sexuelles/  

(1) Le viol télépathique (Eyefucking) – souvent un stimulant ou un préliminaire au viol physique (certains individus développent des fixations...)
http://artdanstout.blogspot.ca/2014/10/le-viol-telepathique.html

Street harassment  



(2) Et si on reparlait de culture du viol?
http://blogues.radio-canada.ca/originel/2014/11/07/et-si-on-reparlait-de-culture-du-viol/

20 novembre 2014

Gens futés, décisions stupides

«Mes sources ne sont pas fiables, mais l’information est fantastique.»
~ Ashleigh Brilliant

L’auteur de l'article emploie le qualificatif smart qu’on peut traduire par intelligent, futé, malin, astucieux, habile, etc. Mais il n’y a pas vraiment de mot adéquat en français qui décrit aussi bien ce talent qu’ont certaines personnes d’élaborer des raisonnements complexes qui a priori semblent des preuves irréfutables de ce qu’ils avancent. Je vais utiliser indifféremment intelligent et futé.

Ironiquement, Montréal accueille en ce moment des conférenciers d’un groupe de climato-sceptiques originaires, non pas du Texas, mais d’Alberta. Si si! Cela fait peut-être partie du plan stratégique d’Edelman en faveur de TransCanada. Si l’intelligence et le sens critique sont uniquement orientés vers l’argent et le profit, cherchez les erreurs de jugement...

Être plus intelligent pousse à la réflexion critique mais à de mauvaises décisions
Par Ira Hyman (in Mental Mishaps; Psychology Today) 

Être futé est généralement bien perçu. Nous nous attendons à ce que les gens futés prennent des décisions intelligentes. Mais les gens futés sont tellement habiles à raisonner qu'ils arrivent logiquement à la conclusion qu'ils veulent, non pas à la bonne réponse. Et, peut-être  que le sens critique n'est pas aussi sensationnel qu’on le croit.
       Permettez-moi d’aborder mon analyse sous l’angle de la science et de la politique. Le climat se réchauffe-t-il? Les vaccins causent-ils de l'autisme? Y a-t-il des preuves de la théorie de l'évolution? L'énergie nucléaire est-elle sécuritaire ou non? Les preuves scientifiques sont assez claires à l'égard de ces questions. Néanmoins, de nombreuses personnes refusent d'accepter les conclusions de la recherche scientifique. Mon hypothèse de départ était que les gens ne connaissaient probablement pas divers éléments de la preuve. Si les gens étaient mieux informés ils seraient généralement en accord avec le consensus scientifique. Une meilleure information et une réflexion critique devraient normalement mener à de meilleures réponses. J'ai toujours pensé que l'éducation était la solution aux débats politiques ayant un rapport avec la science.
       Eh bien, j'avais tort. Les gens plus futés semblent plus – pas moins – biaisés face aux questions scientifiques; ce qui les rend plus enclins à rejeter les preuves. Leur capacité de raisonnement est si efficace qu'ils peuvent arriver à la conclusion qu'ils veulent. Bien entendu, si des gens intelligents arrivent à des conclusions erronées au sujet des  preuves scientifiques, ils risquent de prendre de mauvaises décisions.
       Voici un exemple. Un de mes collègues à la retraite suit de près les débats scientifiques sur le réchauffement climatique. Il est intelligent, il est critique, et il lit. Il rejette aussi le consensus scientifique. Il n'est pas convaincu que la planète se réchauffe. Il est même certain que si la planète se réchauffe, les humains n'ont rien à y voir. Apparemment, ce n'est pas inhabituel.
       Pourquoi y a-t-il autant de gens qui rejettent le consensus scientifique au sujet du réchauffement climatique? Je pensais naïvement qu'ils n'étaient pas suffisamment informés et ne connaissaient pas les preuves qui s'accumulent. J’imaginais qu'ils faisaient tout simplement confiance aux discours des politiciens qui veulent rassurer les gens inquiétés par le réchauffement. D'autres suggèrent que c’est dû à une approche conservatrice de la science (on pourrait dire qu’en rejetant la théorie de l’évolution, certains ont simultanément rejeté toute la science). Vous pourriez certainement être d’accord avec ces arguments, car beaucoup d’autres personnes intelligentes et réfléchies ont fait valoir semblable argumentation.

Mais la science propose une autre possibilité : être futé ferait partie du problème.

Dans plusieurs projets de recherche, Dan Kahan et ses collègues ont exploré la polarisation politique, particulièrement à l'égard des questions scientifiques. Au cas où vous ne le sauriez pas, les débats politiques aux États-Unis sont devenus extrêmement polarisés. Nous avons de sérieuses difficultés à nous entendre. Dans une bonne démocratie, le sens critique et le souci lds faits devraient mener à un consensus. Mais nous ne pouvons même pas nous mettre d'accord sur les faits, même si la preuve fournie par la science est évidente. Kahan (en 2013) a examiné plusieurs explications possibles afin de comprendre pourquoi les gens ne sont pas d'accord sur le réchauffement climatique. Il se demandait si les conservateurs étaient plus enclins à rejeter la science ou s’ils avaient plus de difficulté avec la pensée critique. Or, il n'a vu aucune différence entre les libéraux et les conservateurs.
       Ensuite, Kahan il a voulu savoir si les sceptiques n’étaient pas simplement moins enclins à réfléchir et à évaluer les preuves. On s’attendrait à ce qu'une meilleure réflexion critique et un examen des preuves fassent en sorte que les gens arrivent à un consensus. C’est tout le contraire. Plus de pensée critique signifie plus de polarisation extrême. Les gens futés excellent dans le jugement critique; en particulier si la preuve est incompatible avec leur vision du monde. Comme la plupart des gens intelligents, les gens futés ont un système de croyances et des attitudes politiques. Plus que d'autres, ils aiment réfléchir à des problèmes et démontrer leur sens critique. L'ennui, c'est que leur pensée critique les amène à soutenir encore plus fermement une position qui est conforme à leurs convictions. Les libéraux et les conservateurs sont en désaccord au sujet du réchauffement et l’opposition est plus extrême chez ceux dont la pensée critique est la plus forte. Être intelligent (futé) peut vous mener à une réponse erronée. Être futé vous permet de procéder à une évaluation critique et de rejeter une preuve incompatible avec votre point de vue. Être futé vous rend simplement plus habile pour soutenir et défendre votre réponse préférée.
       Il n’y a pas que le réchauffement climatique en cause. Dans une autre étude, Kahan, Peters, Wittlin, Slovic, Ouelette, Braman et Mandel (en 2012) ont vu le même modèle se répéter en ce qui a trait aux opinions sur les risques associés à l'énergie nucléaire. Encore une fois les personnes dotées d’un sens critique prononcé étaient plus polarisées que les personnes qui ne se fient pas uniquement à leur sens critique. Dans cette étude, toutefois, le lien entre le point de vue politique et scientifique était inversé. Les libéraux ayant un sens critique marqué étaient plus enclins à rejeter le point de vue scientifique tandis que les conservateurs ayant un sens critique marqué étaient plus enclins à accepter le point de vue scientifique.
       Essentiellement, plus d'informations et plus de pensée critique peuvent aggraver les choses. Par exemple, Nyhan et ses collègues (en 2014) on fourni aux parents diverses informations au sujet des vaccins, espérant atténuer leurs craintes concernant l’autisme, et les inciter à faire vacciner leurs enfants. Ça n’a pas marché. Plus d'informations ne change pas grand chose. Au lieu de cela, les parents ont utilisé les informations pour confirmer leurs propres vues. Plus d'information peut rendre plus extrémiste.

Quel est donc le problème avec la pensée? Notre pensée est guidée par nos systèmes de croyances. Nous avons des idées, et souvent nos idées sont associées à divers aspects de notre identité. Je peux être libéral ou conservateur ou indépendant. J'ai quelques idées sur les croyances générales des gens comme moi. Quand je suis confronté à un problème dans un domaine quelconque, j'ai une bonne idée de la solution. J’accepte plus facilement les éléments de preuve qui sont conformes à mes croyances actuelles. Je suis plus critique si l'information est incompatible avec mon point de vue. Je me souviens de ce qui est cohérent et je rejette ce qui est incohérent. Mais, plus d'informations me permet de mieux soutenir ma position, même si l’information est incohérente.
       Les penseurs critiques s'engagent dans des processus critiques et deviennent plus extrémistes. En politique, la pensée critique ne mène pas nécessairement au consensus.
       Alors, y a-t-il de l’espoir pour notre démocratie? Je pense que oui. Mais il faudra que les gens placent leur raisonnement critique au-dessus de leurs opinions politiques personnelles. Il nous faudra une culture et une vision du monde qui valorisent la capacité de changer d'idée.

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«Il n'y a pas pires crétins que les hommes qui ne sont même pas capables, de temps à autre, de naître de la dernière pluie!»
~ Fred Vargas (Debout les morts)

Aux chercheurs de «red flags»

«La plupart de mes problèmes n’ont pas de solution, ou bien les solutions sont pires que les problèmes eux-mêmes.»
~ Ashleigh Brilliant

Il faut être à court d’idées pour s’en prendre à une icône aussi respectée et respectable que David Suzuki en matière d'environnement. Franchement.


Des fois j’ai l’impression que certains industriels sont nés entre deux portes, dans un couloir de la Bourse ou d’une tour à bureaux. Je doute qu’ils aient déjà caressé un oiseau vivant dans la paume de leur main. Je doute qu’ils aient eu de réels contacts avec les animaux et la nature sauf peut-être dans un laboratoire biochimique ou à la chasse; ce n’est qu’une supposition due à leur attitude vis-à-vis le vivant, bien sûr.

Parmi les recommandations stratégiques d’Edelman (dont tout le monde a pris connaissance) je retiens celles-ci : 
   - Le document qualifie les professeurs d'université d'influenceurs importants, surtout au Québec. Edelman recommande à TransCanada de tenter de les mettre de son côté avec «une campagne de financement majeure» d'une université québécoise en contribuant à la recherche environnementale. «Cela pourrait aider à montrer le sérieux de TransCanada sur ces sujets et donner une meilleure image». Des discussions sont justement en cours pour le financement d'une chaire de recherche sur le Saint-Laurent axée sur l'étude du béluga à l'Institut des sciences de la mer de Rimouski. 
   - Les médias locaux vont exposer le point de vue de gens de la communauté directement concernés. Souvent, leur position va être plus émotionnelle, moins objective. Comme solution, on propose de traiter les médias locaux aux petits oignons, en leur donnant des informations et des entrevues exclusives. 
   - La compagnie surveille très attentivement les journalistes ainsi que les réseaux sociaux. Elle dispose d'une équipe spécialement dédiée pour trouver tout message négatif qui pourrait survenir sur la toile et qui risquerait de prendre de l'ampleur. Ainsi, tout un processus de réaction («red flag escalation process») est décrit dans le document, selon qu'un sujet concernant TransCanada est partagé 10 fois plus souvent que la normale ou 100 fois plus.

Source : http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/national/2014/11/18/001-fuite-strategie-communication-transcanada-pipeline.shtml 

Je ne suis pas une scientifique, mais je suis capable de comparer ce que je vois maintenant à ce que je voyais auparavant. L’idée n’est pas de vivre en hommes des cavernes, bien entendu. J’ignore la tournure finale qu’aura ce combat entre David et Goliath, mais le sort des générations à venir me préoccupe. C’est tout.
       Ce n’est pas une question d’émotivité ni de subjectivité. C’est une question de conscience, d’intelligence et de survie. Ça n'a rien d'ésotérique, c'est particulièrement terre à terre : nous avons besoin d'air, d'eau et de nourriture PROPRES et SAINS. Que des craintes surviennent lorsque notre propre survie se trouve menacée est tout à fait normal et même souhaitable!
       Avons-nous besoin d’études scientifiques biaisées pour nous rendre compte que le fleuve (et la planète entière) est déjà très malade. Il suffit de fournir un échantillon d’eau du fleuve à n’importe quel laboratoire pour constater que ce n’est pas une farce : le fleuve est bourré de résidus industriels se terminant par «cides», comme dans génocide.

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En octobre dernier, George Monbiot (entre autres chroniqueur au Guardian) a publié un article intitulé «The Kink in the Human Brain» (La faille dans le cerveau humain); un point de vue intéressant sur la consommation et la disparition des espèces.

Quelques extraits (traduction libre) :  

Notre consommation, désolante et inutile, est en train de détruire les merveilles de notre monde. Le temps est venu de nous arrêter et de nous demander ce que nous sommes en train de faire.
       Nous avons appris que durant les 40 dernières années le monde a perdu plus de 50% de ses animaux sauvages (mammifères, oiseaux, reptiles, amphibiens, poissons), et si cette nouvelle ne parvient pas à nous faire comprendre qu'il y a quelque chose qui cloche dans notre façon de vivre, il est difficile d'imaginer ce qui le pourra. Qui peut croire qu'un système économique et social qui a cet effet peut être sain? Qui, en considérant ces pertes, peut appeler cela progrès?
(...) 
       En nous frayant un chemin dans la chaîne alimentaire, nous avons éliminé les petits prédateurs, les herbivores de taille moyenne, et maintenant, avec la destruction des habitats et la chasse, toute la faune de la chaîne alimentaire y passe, toutes classes et hiérarchies confondues. Il semble y avoir une faille dans le cerveau humain qui nous empêche de nous arrêter, qui nous pousse à prendre, à rivaliser et à détruire, même quand ce n’est pas nécessaire. 
       Or maintenant, nous voyons quelque chose de nouveau : la vitesse de destruction dépasse celle de la première colonisation des Amériques, il y a quelque 14000 ans, lorsque tout un pan de l'écologie fut transformé en un brasier d'extinction en quelques dizaines de générations, faisant ainsi disparaître la majorité des grandes espèces de vertébrés. 
       Beaucoup de gens blâment la croissance démographique, et il n'y a aucun doute que ce fut un facteur. Mais deux autres tendances se sont développées encore plus rapidement et sont allées plus loin. La première est l'augmentation de la consommation; la deuxième est son amplification au moyen de la technologie. Chaque année, de nouveaux pesticides, de nouvelles techniques de pêche, de nouvelles méthodes d'exploitation minière et de nouvelles techniques de coupe forestière se développent. Nous sommes en train de livrer une guerre de plus en plus asymétrique contre le monde vivant
       Mais pourquoi sommes-nous en guerre? Dans les nations riches (dont la plupart sont responsables de la destruction à travers l’import/export), une grande partie de notre consommation n'a rien à voir avec la satisfaction des besoins humains. 
       Voilà ce qui me frappe le plus durement : la disproportion entre ce que nous perdons et ce que nous gagnons. Dans un pays où les besoins primaires et secondaires sont déjà comblés, la croissance économique signifie produire toujours plus de choses futiles pour répondre à nos moindres désirs. 
       Par exemple, pour amuser des amis et des collègues (comme lors du Secret Santa*) il faut transformer des milliers de tonnes de métal et de plastique, entre autres pour des nouveautés électroniques complexes – des jouets pour adultes. Après un rire ou deux, ils seront remisés au placard. Ensuite, après quelques semaines, à peine utilisés, ils iront au dépotoir.

[* Secret Santa (ou Kris Kringle au Canada – Kris de bébelles de Nôwel) : échanges de cadeaux de Noël (pas chers) par tirage au sort dans les entreprises, les écoles, les familles... Les repas des Fêtes, les jouets et les cadeaux échangés créent une multitude de déchets. Le lendemain de Noël est l’un des jours les plus chargés de l’année pour la collecte des déchets. La poubelle à doublé de poids en 40 ans, c’est-à-dire 360 kilos de plus par an et par habitant (soit un kilo par jour par personne); faut-il s’en inquiéter? Si vous en doutez, visitez des centres de recyclage et des dépotoirs.]

Dans une société bombardée de publicité et dominée par les impératifs de la croissance, le plaisir est réduit à de l'hédonisme, et l'hédonisme à de la consommation. Nous utilisons la consommation comme remède à l'ennui, pour combler le vide d’une culture insensible, cupide et émoussée, pour essayer d’éclairer le monde gris que nous avons créé
       Nous nous préoccupons de moins en moins des biens que nous achetons, et nous les jetons de plus en plus rapidement. Pourtant, l'extraction des matières premières requises pour leur production, la pollution engendrée par leur fabrication, les infrastructures, le bruit, et la combustion de carburant nécessaire à leur transport, détruisent un monde naturel infiniment plus fascinant et complexe que les objets que nous fabriquons. La disparition de la faune élimine de notre vie l'émerveillement, l'enchantement et la magie du monde vivant.
(...) 
       Voilà comment le Grand Sablage Mondial fait son chemin, détruisant les réserves de la Terre, dérobant tout ce qui est distinctif et inusité (tant dans les cultures humaines que dans la nature), faisant de nous des automates remplaçables au sein d’une main d’oeuvre globale monolithique, transformant inexorablement les richesses du monde naturel en monocultures indifférenciées. 
       N'est-il pas temps de crier STOP et d’utiliser notre extraordinaire savoir-faire et notre expertise pour changer la façon dont nous nous organisons? N’est-il pas temps de contester et d’inverser les tendances qui ont gouverné notre relation à cette planète vivante depuis des milliers d’années, et dont nous sommes en train détruire les dernières caractéristiques à une vitesse ahurissante? N'est-il pas temps de contester la croissance illimitée sur une planète limitée? Si ce n'est pas maintenant, ce sera quand?

http://www.monbiot.com/2014/10/02/the-kink-in-the-human-brain/

Another crash is coming. We all know it …
Why are we wrecking the natural world and public services to generate growth when that growth is not delivering contentment, security or even, for most of us, greater prosperity? Why have we enthroned growth, regardless of its utility, above all over outcomes? Why, despite failures so great and so frequent, have we not changed the model? When the next crash comes, these questions will be inescapable.

http://www.monbiot.com/2014/11/18/the-insatiable-god/

14 novembre 2014

À court d'arguments

Photo : Éric Chabot; Notre-Dame-du-Portage, Bas-Saint-Laurent (superbe photo!)

Saint-Laurent
Robert Charlebois (compositeur, interprète)

J'habite un fleuve en Haute-Amérique
Presque océan, presque Atlantique
Un fleuve bleu vert et Saint-Laurent
J'habite un grand boulevard mouvant

Une mer du Nord en cristaux de sel
Agile, fragile, belle et rebelle
Presque océan, presque Atlantique
J'habite un fleuve en Haute-Amérique

Un fleuve tout plein d'animaux brillants
De capelans, de caps diamants
De baleines douces et de poissons-volants
J'habite un estuaire souffrant

Un vieux géant à court d'arguments
Il faut vacciner même les marsouins
Débarbouiller bébé loup-phoque
Des Grands Lacs jusqu’à Tadousac
Il faut laver l'eau, laver l'eau, laver l'eau

J'habite un fleuve en Haute-Amérique
Presque océan, presque Atlantique
Un fleuve bleu vert et Saint-Laurent
J'habite un grand boulevard mouvant

Une mer du Nord en cristaux de sel
Agile, fragile, belle et rebelle
Presque océan, presque Atlantique
J'habite un fleuve en Haute-Amérique

Un fleuve par devers Charlevoix
Bordé de quais, de fermes d'oncles Joseph
De noms qui chouennent chez les Cajuns
J'habite une suite de caps tourmentés

À la mémoire des marins d'eau salée
Des voitures d'eau qui l'ont défrichée
Ils étaient des centaines puis des milliers
On est des millions amarrés aux marée


Amarrés aux marées
Amarrés aux marées 

Amarrés aux marées 

J'habite un fleuve en Haute-Amérique

Album «Immensément», 1992  
http://www.youtube.com/watch?v=T912lxF93i4

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Dans la veine des drapeaux rouges 


Un train de marchandises a déraillé à la suite d’un glissement de terrain près de Sept-Îles sur la Côte-Nord, entraînant un déversement de diesel dans la rivière Moisie. La locomotive immergée contenait 17 000 litres de diesel qui se répandent toujours dans la rivière où l'on trouve des saumons. Le convoi appartient à la compagnie de chemin de fer QNS&L, détenue par la minière Iron Ore du Canada (IOC), propriété de Rio Tinto.

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Sinopec Daylight Energy (une entreprise chinoise) devra payer une pénalité de
150 000 $ pour le rejet d'environ 391 000 litres d'un mélange de gaz naturel, d'hydrocarbures liquides et d'eau contaminée dans la crique de Marsh Head, près de Fox Creek. La concentration de contaminant dépassait le niveau permis jusqu'à 7,4 kilomètres en aval du lieu du déversement, survenu entre les 2 et 4 février 2012. La remédiation de la rivière n'a été complétée qu'en juin 2013.

Le déversement aurait été causé par une erreur d'un employé, qui aurait tenté de redémarrer les compresseurs de deux puits. Pour ce faire, il a dû désactiver les dispositifs d'arrêt d'urgence, qui ont pour fonction de cesser la production si la pression est trop élevée pour le pipeline. Le travailleur a toutefois oublié de réinitialiser les dispositifs d'arrêt d'urgence, selon un communiqué de la compagnie. Deux jours plus tard, il s'est rendu compte de la fuite et il a immédiatement fermé le pipeline et averti le contremaître de la compagnie.

Les travaux ont coûté près de 10 millions de dollars.

Comparé à la facture des travaux, je trouve le montant de la pénalité ridicule. Toutes les compagnies qui déversent devraient être pénalisées proportionnellement aux coûts des travaux de réfection. À mon avis, cela réduirait sûrement l’exploitation sauvage des carburants fossiles.

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Les pipelines ne sont pas plus sécuritaires que le transport ferroviaire ou les cargos géants contrairement à ce que prétend l’industrie.

Je ne sais plus qui disait que les entreprises industrielles internationales faisaient et défaisaient les gouvernements; on pourrait facilement le croire.

12 novembre 2014

Détecter les psychopathes (Snakes in suits)


Retour de cet article à la une car le problème semble prendre de l'ampleur, comme nous le démontrent les innombrables témoignages de victimes d'agressions sexuelles non dénoncées, vécues dans le milieu de travail, la famille ou l'entourage. En ce moment, c'est une femme sur trois qui est agressée, c'est quand même pas rien!
https://twitter.com/hashtag/AgressionNonDenoncee?src=hash 

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J’ai côtoyé des psychopathes en milieu de travail – à mon insu! Ces personnes m'inspiraient de la méfiance, mais je les classais dans la catégorie «pervers narcissiques» ou «manipulateurs gentils». À l’époque, mes connaissances de la psychopathie se résumaient aux films d’horreurs ou aux tueries dans les espaces publics. Je n’imaginais même pas qu’on puisse en voir quotidiennement autour de soi. Hum...

Aujourd’hui nous disposons d’excellents outils pour les reconnaître et si possible les éviter... Car ces malades sont d’habiles comédiens qui passent facilement pour des gens sympathiques et dignes de confiance; mais,gare à vous si vous ne marchez pas dans les combines de ces «control freaks».



Robert Hare est le spécialiste de la psychopathie. Il a consacré sa vie à l’étude de ce trouble comportemental qui affecterait environ 1% de la population (c’est beaucoup!). La majorité des psychopathes vivent des vies «normales» et l’on peut en croiser dans tous les secteurs de la société.

Portrait robot du psychopathe

Les psychopathes possèdent généralement la plupart des caractéristiques suivantes :

De beaux-parleurs : ils sont souvent très doués à l’oral, d’autant qu’ils ne ressentent pas d’anxiété ou d’appréhension à parler en public. Ils ont réponse à tout et sont capables de moucher les meilleurs orateurs. Bagout extraordinaire, verbiage exceptionnel, éloquence hors-norme. Méfiance.

Charme, charisme, aura : les psychopathes sont souvent charismatiques. Certains se transforment en gourous dans des sectes. On leur prête naturellement des qualités de meneurs d’homme. Ce sont de grands séducteurs. Si vous les intéressez (parce que vous avez de l’argent, du pouvoir, du prestige), ils parviendront à gagner votre confiance.

Narcissisme : les psychopathes sont toujours très arrogants, mais certains parviennent à dissimuler ce trait de personnalité déplaisant sous une fausse modestie. Ils ont une vision grandiose de leur propre importance. Ils ont l’impression d’être des surhommes, des individus à part, des bienfaiteurs, des sauveurs. Ils se perçoivent comme le soleil de la scène sociale. Leurs démarches, toujours intéressées, seront souvent présentées comme des faveurs. Dans leur esprit, tout leur est dû car ils sont exceptionnels ; par conséquent, ils se servent. On parle souvent de leur «mégalomanie» ou de leur «égocentrisme».

Absence d’empathie : les psychopathes sont abominablement dépourvus d’empathie. Ils n’ont pas de sentiments pour les autres : ni amour, ni amitié, ni compassion. Parfois, ils font même preuve de sadisme. Beaucoup mettent en scène, de manière théâtrale, leur empathie. Ils s’efforcent de se faire passer pour ce qu’ils ne sont pas : des personnes sensibles avec un cœur grand comme ça.

Manipulateurs hors-pair : il existe de multiples manières de manipuler autrui. Les psychopathes possèdent un répertoire de techniques de manipulation particulièrement riche. Ils mentent avec un aplomb déconcertant ; ils peuvent vous culpabiliser en évoquant des obligations familiales ou professionnelles ; ils ont recours à des expressions-cadenas pour vous obliger à penser comme eux. Par exemple : «Quiconque pense le contraire est hypocrite». Ils adoptent fréquemment une tonalité docte et se posent en dépositaires du savoir absolu. Ils tiennent des propos ambigus qui visent à vous faire comprendre leur pensée sans avoir à la formuler explicitement, pour éviter de se mouiller, etc.

Gestion virtuose de leur image : ils se comportent différemment selon les personnes à qui ils ont affaire. De sorte que certains les trouveront admirables, alors que d’autres auront perçu l’envers de la médaille : les mensonges, les manipulations, l’arrogance. Ils peuvent aussi se comporter très différemment en public et en privé, si bien qu’on a l’impression d’avoir affaire à un Dr Jekyll et Mr Hyde. Les psychopathes sont des communicateurs instinctifs. Ils ont un talent naturel pour donner d’eux-mêmes une image très flatteuse. Ils se font valoir pour le travail et les réalisations de leurs collègues; ils trafiquent leur CV; ils arrangent leur histoire; ils traquent férocement tous ceux qui dans leur entourage ont compris à qui ils avaient réellement affaire et seraient susceptibles de faire tomber le masque.

La labilité logique : les psychopathes ont tendance à multiplier les erreurs de raisonnements. Ils accordent trop d’importance à certains faits, en minimisent d’autre. Leur esprit d’analyse, très sélectif, ne détecte que ce qui les arrange. Leur mémoire fonctionne de la même manière. Il leur arrive de se contredire dans une même phrase. Ils font des promesses qu’ils oublient peu de temps après. Ils commettent des lapsus, interprètent mal une situation. Tout cela pour vous manipuler. Après coup, ils vous diront qu’il s’agissait d’un «malentendu».

Prise de risque : les psychopathes ont tendance à s’ennuyer et prennent plus de risques que les autres. Ils sont irresponsables et ont, semble-t-il, du mal à envisager toutes les conséquences de leurs actes. Ils ont fréquemment des trajectoires météoritiques. Du jour au lendemain, tout s’effondre comme un château de cartes. Parce que le psychopathe vit dans une bulle de présent. Il préfère jouir d’une gloire éphémère.

Absence de remords : ils ne ressentent jamais aucuns remords. Ils n’assument pas leurs responsabilités. Ils rejettent systématiquement la faute sur des boucs-émissaires. Ils essaient de culpabiliser les autres et de se faire passer pour de pauvres victimes. Ils minimisent les dommages qu’ils ont commis.

L’agressivité : les psychopathes sont toujours très agressifs et très combatifs. Ils ont aisément recours à des menaces. Ils conçoivent la vie comme une succession de combats avec, à chaque fois, un vainqueur et un vaincu. Ils sont déterminés à faire ce qu’il faut pour sortir vainqueur. Certains ont un tempérament explosif et peuvent en venir aux mains aisément. Ils abusent des procédures juridiques. Ils passent leur temps à dénigrer, à critiquer, à dévaloriser pour alimenter leur soi grandiose. Ce qu’ils font est exceptionnel; ce que les autres font est banal.

La paranoïa : les psychopathes ont tendance à penser que tout le monde possède le même profil psychologique qu’eux. Si jamais on leur demande des comptes, ils crieront au complot. Ils ont souvent des tendances paranoïaques, pensent qu’on veut leur «faire la peau» ou qu’on leur a «baisé la gueule». Ils n’ont aucun mal à imaginer que les autres commettent toutes sortes d’ignominies, car c’est ainsi qu’eux-mêmes se comportent. L’humanité est une confrérie de requins selon eux. Les psychologues disent qu’ils «projettent» sur autrui leurs propres dispositions psychologiques. Ils possèdent une connaissance intuitive du vice qui leur permet de voir le mal partout et notamment dans le bien. À leurs yeux, une amitié sincère devient du «copinage», du «piston», des «arrangements». Ils peuvent se transformer en inquisiteurs féroces. Beaucoup de gens se font avoir et pensent qu’une personne qui dénonce avec virulence l’amoralité d’autrui est nécessairement exemplaire.

L’appétit de pouvoir : les psychopathes sont des «control freak». Ils éprouvent le besoin de contrôler les gens qui gravitent autour d’eux et qu’ils perçoivent comme des objets ou des robots rats dont la seule fonction serait de subvenir à leurs besoins (psychologiques, matériels, sexuels). Ils sont dominateurs. Certains deviennent de parfaits tyrans domestiques. Ils occupent fréquemment des postes à responsabilité dans leur vie active. Ils s’entourent d’adjoints dociles et traquent tous ceux qui peuvent leur faire de l’ombre.

Ils connaissent la langue, mais pas la musique : le spectre émotionnel des psychopathes est pauvre. Ils apprennent tout au long de leur vie à simuler ces émotions qu’ils ne ressentent pas, notamment toutes celles qui relèvent de l’empathie et du sens moral : l’amour, l’attachement, la compassion, la honte, la tristesse, la dépression. On a souvent remarqué à leur propos qu’ils connaissent la langue, mais pas la musique. Les émotions qu’ils expriment sont parfois fausses. Ils ont tendance à en faire trop, leur style est grandiloquent, ampoulé, fleuri, pompier, truffé de métaphores. Il manque de sincérité. Les psychopathes manifestent leurs émotions à la manière d’adolescents sur MSN, en multipliant les points d’exclamation ou les smileys. Ils donnent l’impression d’une certaine immaturité émotionnelle.

Un style théâtral : les psychopathes ont tendance à en faire trop également sur le plan de la gestuelle. Ils ont un petit côté théâtral et parlent avec les mains, leur corps. Ils multiplient les mimiques, lèvent les yeux au plafond pour vous faire comprendre que vos propos sont stupides, ils soupirent, haussent des épaules, etc. Ils peuvent faire intrusion dans votre espace intime, vous toucher alors que vous les connaissez à peine. Ils outrepassent les étapes traditionnelles de l’amitié qui s’ébauche en s’efforçant de vous faire croire - trop vite - que vous êtes déjà les meilleurs amis du monde.


«Le progrès technique est comme une hache qu’on aurait mise dans les mains d’un psychopathe. L’effort d’unir sagesse et pouvoir aboutit rarement, et seulement très brièvement.» ~ Albert Einstein

11 novembre 2014

"Oh, when will they ever learn?"

Campagne du Coquelicot blanc pour la paix (une alternative pacifiste au coquelicot rouge) initiée en 1933 par Co-operative Women’s Guild (CWG) *

Si j'avais été la colombe, je ne serais pas rentrée dans l'arche.
~ Louise Ackermann (Pensées d'une solitaire) 

Je ne comprends décidément pas pourquoi il est plus glorieux de bombarder de projectiles une ville assiégée que d’assassiner quelqu’un à coups de hache.
~ Fiodor Dostoïevski (1821-1881)

Dans la guerre, on n'a plus besoin de montres.
La faim renseigne très bien sur l'heure.
La peur fait sonner chaque seconde, mieux que des aiguilles.
~ Christian Bobin (Isabelle Bruges)

Oui, on nous oubliera. C'est notre sort, rien à faire. Un temps viendra où tout ce qui nous paraît essentiel et très grave sera oublié, ou semblera futile. Curieux, mais il nous est impossible de savoir aujourd'hui ce qui sera considéré comme élevé et grave, ou comme insignifiant et ridicule. ... Il est possible que cette vie que nous acceptons sans mot dire paraisse un jour étrange, stupide, malhonnête, peut-être même coupable...
~ Anton Tchékhov (Les Trois Soeurs)

[...] si la porte de l'histoire était battante, nous n'aurions fait que tourniquer.
~ Serge Bouchard, anthropologue et écrivain (De la fin du mâle, de l'emballage et autres lieux communs)

[...] si vous voulez prendre le pouvoir un jour, vous avez intérêt à ne pas vous mettre à la place des autres. Si vous vous mettez à la place des autres, vous aurez un frein intime, vous ne pourrez pas tout vous permettre. Et vous serez un mauvais gouverneur. Alors que si, par bonheur, vous êtes un peu pervers, c’est-à-dire que si la souffrance des autres vous indiffère, là, vous serez un bon chef et on votera pour vous. Donc, il y a dans – ce que je dis là, je le dis de manière un peu triviale, mais c’est la théorie de Michel Foucault qui m’a convaincu –, toute institution évolue spontanément vers la perversion. Parce que si vous voulez gouverner, surtout, ne vous décentrez pas de vous et, surtout, ne vous mettez pas à la place des autres. 
       Puisque vous avez la même croyance que moi, votre présence me sécurise, je me sens plus fort quand vous êtes là. Donc, je me sens bien avec vous, c’est un bénéfice. [...] mais le maléfice, c’est que si les autres n’ont pas la même croyance, ils peuvent mourir, ce n’est pas très grave... C’est la perversion, c’est la perversion sociale. Le seul mot “clan” compte, seuls ceux qui ont la même croyance sacrée ou laïque comptent, les autres, s’ils meurent, c’est bien, ce n’est pas grave, peut-être même c’est moral. Regardez toutes les guerres qui se passent actuellement, c’est au nom de la morale qu’elles sont faites...
~ Boris Cyrulnik (Émission CONTACT; Télé Québec 2006)

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Orwell Diaries 1938-1942

1.4.42 – “One of the most horrible features of war is that all the war-propaganda, all the screaming and lies and hatred, comes invariably from people who are not fighting… It is the same in all wars; the soldiers do the fighting, the journalists do the shouting, and no true patriot ever gets near a front line trench, except on the briefest of propaganda tours. Sometimes it is a comfort to me to think that the aeroplane is altering the conditions of war. Perhaps when the next great war comes we may see that sight unprecedented in all history, a jingo with a bullet-hole in him.”
(Homage to Catalonia, CW, VI, Appendix I, pp. 208 and 209.)

Here I am in the BC, less than 5 years after writing that. I suppose sooner or later we all write our own epitaphs.

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Jour du Souvenir - Se souvenir de qui, de quoi?
Francis Dupuis-Déri - Professeur de science politique à l'UQAM; 11 novembre 2010 

[Extrait] 

Qui se souvient des victimes civiles?

Le lobby des vétérans manoeuvre consciemment pour que cette tragique vérité soit oubliée. En 2007, l'Association des anciens combattants avait fait pression, avec succès, pour que le Musée canadien de la guerre retire une notice qui rappelait que «les bombardements massifs de l'Allemagne [pendant la Deuxième Guerre mondiale] causèrent de grandes destructions et d'immenses pertes de vies humaines. Le bien-fondé et la moralité de l'offensive de bombardement stratégique contre l'Allemagne demeurent vivement contestés». 
       Plus respectueux du devoir de mémoire, l'historien des États-Unis Howard Zinn, qui s'était porté volontaire pour combattre le fascisme, admettra qu'il bombardait des villes «sans même me demander si ce que je faisais avait le moindre rapport avec l'éradication du fascisme dans le monde». Il admettait s'être «conduit en robot programmé» lors de ces missions aériennes, qui ont provoqué la mort de plus d'un demi-million de civils. 
       Il n'y a rien d'étonnant à ce que les militaires veuillent célébrer la mémoire de leurs morts, ce que proposent d'ailleurs toutes les armées du monde au sujet de leurs militaires morts dans leurs guerres. Mais pourquoi — nous les civils — ne nous recueillerions-nous pas plutôt à la mémoire des civils assassinés en masse lors des guerres menées par «nos» soldats et leurs alliés? 
       Déjà, le 11 novembre 1933, la Women's Cooperative Guild * a lancé en Grande-Bretagne la campagne du coquelicot blanc, qui symbolise la volonté d'oeuvrer pour fonder un monde sans violence. Cette campagne avait été organisée par des femmes proches d'hommes morts lors de la Première Guerre mondiale, mais qui refusaient d'encourager le militarisme et la guerre. Pour sa part, Dan Murphy, du Vancouver Province, a déclaré en novembre 2008 ne pas arborer le coquelicot rouge : «J'en suis venu à voir ces décorations sur le revers des vestons, ces cérémonies chorégraphiées et toute cette grandiloquence au sujet des soldats morts comme une opération de marketing pour recruter la prochaine génération de soldats morts. Cette année [...], je passerai une partie de la journée à me souvenir de toutes les personnes mortes durant une guerre, y compris les victimes civiles». 
       En ce jour du Souvenir, rappelons-nous que les militaires sont souvent de «la chair à canon», et que leur mort sacrificielle au nom du drapeau doit être déplorée et dénoncée, non pas célébrée. (...)

* This photograph shows members of the Co-operative Women’s Guild (CWG) holding a wreath of white poppies in the mid-1930s. The white poppy was introduced by the Guild in 1933 as a pacifist alternative to the red poppy produced by the Royal British Legion for Remembrance Day. The Peace Pledge Union (founded in 1934) soon took over production. The CWG was founded in 1883 to educate women in the principles and practices of Co-operation and to work for the improvement of the status of women. It has long been involved in a number of political campaigns, of which its anti-militarist and anti-nuclear ones are probably the best known.

White Peace Poppy
http://www.cooperativewomensguild.coop/

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Dans la même veine :
http://situationplanetaire.blogspot.ca/2014/05/ou-va-tout-ce-sang-repandu.html

9 novembre 2014

Dissiper le brouillard mental

«Le plus pénible, quand on fait zazen, c’est le moment où l’on devient témoin de ce qui se passe réellement dans notre tête. C’est une vraie claque en pleine figure : on se voit tel qu’on est – égoïste, violent, plein de préjugés. ... Avec le temps, nos émotions gagnent en finesse et en acuité, et les sentiments qu’on éprouve pour les autres se font plus réels et plus profonds, parce qu’on a beaucoup plus de recul par rapport à ce qui se passe dans notre tête.» (C. J. Beck)

Même si le zen est en lien avec le bouddhisme, ce n’est pas une religion ni une secte. Il s’agit d’une pratique qui peut justement libérer des croyances, des aprioris et des préjugés (religieux ou autres), et qui n’incite pas au prosélytisme (à moins que la tendance soit un trait de personnalité dominant chez le pratiquant); c’est plutôt le contraire.

Faire ses débuts dans la pratique du zen
Charlotte Joko Beck

Ma chienne ne se pose pas de questions sur le sens de la vie. Il lui arrive de s’inquiéter de l’arrivée de sa pâtée, mais elle n’a pas d’angoisses métaphysiques pour autant. Pourvu qu’elle ait sa dose de nourriture et de caresses, la vie est belle! L’ennui, c’est que les roseaux pensants que nous sommes ne fonctionnent pas comme les chiens. L’être humain jouit en effet de la conscience de soi – un privilège parfois lourd à porter puisqu’il peut aussi bien faire notre perte que notre salut. Méconnaissant la véritable nature de notre esprit, nous essayons d’emprisonner cette énergie vive dans un ego qui nous cause des foules de problèmes, car nous ne maîtrisons pas ce qui se passe.
       Qui n’a jamais ressenti un certain mal de vivre? Cette sourde angoisse, qui se fait plus lancinante dans les moments difficiles, reste néanmoins perceptible quand tout va bien : la peur de voir le vent tourner nous gâche une partie du plaisir. Nous sommes habités par une inquiétude latente qui a ses racines dans un malaise existentiel plus profond : il est un fait que, dans l’ensemble, nous ne sommes guère satisfaits de la vie que nous menons. Si je vous disais que votre existence est d’ores et déjà parfaite et complètement satisfaisante, vous me prendriez pour une cinglée. Vous ne trouverez personne pour vous déclarer que sa vie est parfaite, telle qu’elle est. Et pourtant, il existe en chacun de nous une intelligence innée et parfaitement consciente de sa propre infinitude. À vrai dire, nous sommes de véritables contradictions ambulantes : débordés par les difficultés d’une vie à laquelle nous ne comprenons pas grand-chose, nous avons par ailleurs confusément conscience de la présence en nous d’une réalité infinie et intelligente. Nous sommes tiraillés entre un sentiment d’impuissance et d’incompréhension totales, et l’intuition très vague d’une connaissance dormante en soi. 
       C’est cette contradiction interne qui nous amène à nous poser des questions. Au départ, on a tendance à croire que c’est en changeant le monde et les autres que tout ira mieux. On entreprend donc de chercher ailleurs qu’en soi-même des «solutions» plutôt simplistes. On s’imagine qu’il suffirait d’avoir une plus grosse voiture, une plus belle maison ou un patron plus compréhensif, de vivre une nouvelle passion, ou de partir en vacances sur une île tropicale pour que tout s’arrange. C’est une démarche que nous faisons tous, à un moment ou à un autre. Chacun de nous possède un inépuisable stock de rêves et de fantasmes qu’il passe sa vie à essayer, les uns après les autres. On se dit : «Ah, cette fois, il ne me manque plus que ça – cette voiture ou maison, etc. – pour être vraiment heureux!» Or, une fois acquise ladite maison, on s’aperçoit qu’il manque encore un petit quelque chose pour que notre bonheur soit complet. Et ainsi de suite, à l’infini. Nous menons nos vies de fantasme en chimère, sans jamais atteindre la satisfaction espérée. Nous courons après l’arc-en-ciel qui s’éloigne de plus en plus à mesure qu’on croit s’en approcher. Et quand le charme des fantasmes les plus évidents s’est émoussé, on en cherche de plus subtils. Autrement dit, puisqu’on n’arrive pas à trouver le bonheur escompté dans les plaisirs matériels, on va voir du côté spirituel. Et, paradoxalement, c’est souvent en recherchant un bonheur matériel qui ne cesse de vous échapper qu’on arrive à la spiritualité. C’est pourquoi la plupart d’entre nous abordent la spiritualité avec une attitude essentiellement matérialiste, au départ : c’est toujours la même motivation égocentrique qui nous anime – JE veux être heureux –, elle a simplement changé d’objet, substituant le spirituel au matériel. Ceux qui fréquentent le Centre Zen n’ont peut-être plus comme idéal de bonheur de s’acheter une Porsche, une Mercédès, ou le dernier cri de la hifi ou de la vidéo. Mais ils font zazen dans l’espoir d’arriver à régler tous leurs problèmes du jour au lendemain – ou presque. Fondamentalement, leur attitude n’a pas changé : ils en sont encore à chercher une « potion magique » qui leur garantisse un bonheur sans nuages, ad vitam aeternam. Simplement, comme la recette « matérialiste » du bonheur n’a pas très bien marché, on en essaie une version pseudo-spirituelle. La spiritualité devient notre dernier gadget : «Si seulement je trouvais la sagesse, alors là, je serais vraiment heureux!» Nous arrivons au zen chargés de tout un fatras de fantasmes : cette fois-ci, ça y est, on tient LA solution. On a trouvé la recette miracle, le sésame du bonheur garanti – l’éveil, la sagesse. C’est du solide, le spirituel; des valeurs sûres. À nous le vrai bonheur! 
Notre vie pourrait se résumer à l’histoire d’un petit sujet en quête d’un objet extérieur à lui-même. Et puisque le sujet sert de référence est limité dès le départ – comme l’est le corps et le mental d’une être humain –, son objet reflétera forcément les mêmes limitations. Résultat : les limitations s’additionnent et on se sent encore plus mal à l’aise qu’au départ. 
       Nous avons tous une vision subjective de la vie qui s’élabore au fil des années à travers un conditionnement propre à chacun. D’un côté, il y a moi, et de l’autre les objets : tout ce qui m’est extérieur – les choses, les gens et les situations. Il y a certains objets que j’aime et d’autres que je n’aime pas. Une fois ce repérage établi, nous procédons à un tri automatique de toutes nos expériences, de façon à maximiser ce qui nous plaît et à minimiser ce qui nous déplaît. Et toute notre vie s’organise autour de ce principe de satisfaction maximum. C’est une manipulation à laquelle tout le monde se livre, mais qui nous maintient constamment à distance de notre vécu brut en escamotant la réalité. On reste en dehors de sa propre vie : on la considère, on l’analyse, on l’évalue en fonction d’un seul principe : «Qu’est-ce que je peux en tirer? Qu’est-ce que ça va me rapporter?», et c’est sur la base de ce critère égocentrique qu’on se précipite sur les choses – ou les gens – ou qu’on les fuit comme la peste. Voilà les spéculations qui nous occupent du matin au soir. Pas étonnant que nous nous sentions si mal dans notre peau, derrière nos petits airs de gens aimables et bien comme il faut! Si on grattait un peu ce vernis superficiel dont chacun se pare en société, on découvrirait une véritable tourmente intérieure : une zone de turbulences confuses où règnent la peur, la souffrance et l’angoisse. Nous avons évidemment recours à toutes sortes de subterfuges pour oublier cette sensation de malaise intérieur : chacun noie ses angoisses existentielles comme il le peut! On mange trop, on boit trop, on fume trop, on s’abrutit de boulot, de télé, ou de musique – on fait n’importe quoi, mais à l’excès, pour couvrir la petite voix enrouée de la conscience de soi. On s’active tous azimuts pour occulter l’angoisse qui nous habite en permanence. Il y a des gens qui vivent dans cet état-là jusqu’à leur dernier souffle. Mais, plus les années passent et plus le mal empire : ce qui était supportable à vingt-cinq ans devient parfaitement intolérable à cinquante. Nous connaissons tous des gens qui sont quasiment des morts vivants, claquemurés dans leurs idées étriquées. Leur vie a perdu toute flexibilité et toute fluidité, et, en se figeant, elle s’est vidée de toute joie. Quelle sinistre perspective! C’est pourtant celle qui nous guette tous si nous ne nous réveillons pas à temps. À temps pour travailler sur soi afin de démystifier l’illusion d’un prétendu sujet, d’un ego qui existerait indépendamment de son objet. Or, c’est justement la finalité de toute pratique spirituelle bien comprise : combler la soi-disant distance qui sépare le moi du ça. Lorsqu’on cesse de manipuler l’expérience brute de son vécu, le sujet et l’objet ne font plus qu’un. Instant de vérité dans lequel on entrevoit sa propre réalité et celle de sa vie.

L’éveil spirituel n’est pas une chose qui se gagne ou qui s’acquiert : c’est au contraire une absence de chose. Toute votre vie, vous avez cherché quelque chose, vous avez poursuivi un but – quel qu’il soit. Or, l’éveil consiste justement à abandonner toutes ces finalités hypothétiques pour travailler sur le réel de soi-même et de la vie. La spiritualité n’est pas affaire de mots, de gloses ou d’exégèses savantes. C’est un passage à l’acte, une pratique.

Vous pourriez passer mille ans à compulser toute la littérature qui a été écrite sur la spiritualité et sur l’éveil : littérature à peu près aussi efficace que de lire une recette de cuisine en guise de repas, car vous auriez faim et vous ne connaîtriez pas la saveur du plat! La spiritualité est une expérience de chaque instant qu’il revient de cultiver au cœur même de son vécu quotidien. 
       Nous devons apprendre à retrouver le naturel – notre naturel. Or, la vie que nous menons s’en est tellement éloignée que la pratique du zen va nous paraître très ardue – très peu naturelle – au départ. Un peu comme quelqu’un qui aurait marché sur les mains pendant des années et qui aurait du mal à apprendre à se tenir sur ses deux pieds – il serait obligé de faire un effort pour retrouver ce qui était en réalité ses réflexes naturels – qui avaient cessé de lui venir spontanément. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, on a besoin de réapprendre le naturel! Le point de départ consiste à comprendre que la source de toutes nos expériences – problèmes ou bonheurs – ne se trouve pas ailleurs qu’en soi-même. Quand on commence à envisager les choses sous cet angle – ne serait-ce que partiellement au départ – on est sur la bonne voie. Une telle prise de conscience représente en effet un début d’éveil. Elle est porteuse d’une tout autre perception de la vie qui nous apparaît alors beaucoup plus fluide et plus joyeuse qu’on ne pourrait l’imaginer. Et cette nouvelle perception des choses nous motive pour «pratiquer» - c’est-à-dire cultiver cet état d’esprit. 
       Si on décide de pratiquer le sen, c’est pour apprendre à vivre de manière plus équilibrée, plus sensée. Le zen ayant près de mille ans maintenant, c’est un système éprouvé et rodé – un chemin parfaitement balisé, même d’il n’est pas tous les jours faciles. En tout cas, c’est l’antidote absolu aux fantasmes qui ne débouchent sur rien : faire zazen, ce n’est pas planer dans les nuages, à la poursuite de quelque chimère éthérée. C’est au contraire une discipline pratique qui nous aide à bien garder les pieds sur terre et qui nous met face à la réalité de notre être et de notre vécu. Pratiquer le zen, ce n’est pas tourner le dos au monde ou à ses responsabilités. C’est au contraire apprendre à mieux faire tout ce qu’on fait, à vivre plus pleinement chaque moment de son quotidien : mieux assumer son travail, mieux élever ses enfants, cultiver de meilleurs rapports avec les autres.

Un bon exemple : Anthony Cymerys est barbier. Il est âgé de 82 ans. Chaque mercredi, il apporte sa chaise,  ses ciseaux, son rasoir et une batterie d'auto pour le brancher, à un parc de Hartford. Il offre ses services aux sans-abri. Il ne leur demande pas un sou. Ils n'ont qu'à lui donner une accolade.

En pratiquant le zen, on ne fuit pas le quotidien, on le vit – complètement, sans rien esquiver. Une pratique saine peut nous délivrer de nos contradictions internes en nous aidant à retrouver l’équilibre et la santé intérieurs que nous avait fait perdre notre cécité spirituelle.

Ceci dit, reconnaissons qu’il faut une certaine dose de courage pour bien faire zazen. C’est pourquoi le zen n’est pas forcément une discipline qui attire toute le monde. Mais, pourvu qu’on se sente suffisamment motivé, qu’on sache faire preuve d’un peu de patience et de persévérance ... on verra sa vie se stabiliser et s’équilibrer progressivement ... nos émotions perdront de leur ascendant sur nous. Quand on commence à faire zazen, on prend conscience du chaos qui règne dans un mental occupé à brasser toutes sortes d’idées, et on se rend compte que c’est là-dessus que devra porter l’essentiel de ses efforts. Au départ, on est complètement prisonnier de cette frénésie, de cette valse incessante des pensées, et la pratique consiste à essayer de ramener un peu de lucidité et de stabilité dans cette pagaille. Une fois que l’esprit s’éclaircit et se stabilise un peu, il échappe à l’emprise dictatoriale des pensées et ne se laisse plus prendre au piège des objets. Dans l’espace mental retrouvé, reconquis, l’esprit est alors capable de se percevoir lui-même, tel qu’il est véritablement. L’espace d’un instant, on «se» reconnaît, avec la même certitude infaillible qu’une mère retrouvant son enfant. 
       Le zazen n’est pas une sorte de sport qu’on peut espérer maîtrise en le pratiquant pendant un an ou deux. C’est une discipline qui devient un mode de vie, car elle offre à un être humain des possibilités d’enrichissement illimitées. Le zazen nous fera découvrir que nous participons de l’infinitude de la nature essentielle de l’univers. Ensuite, à nous de nous ouvrir à cette immensité et de l’exprimer dans notre quotidien. Certains se demanderont peut-être si cette fréquentation des valeurs spirituelles ne risque pas de nous désincarner un peu, de nous éloigner des autres et du concept. Or, c’est l’inverse qui se produit : plus on touche à la réalité ultime des choses et plus on éprouve de compassion envers les autres, et plus notre vie quotidienne se transfigure. Rien ne change, apparemment, mais en réalité, tout est différent : notre façon de vivre et de travailler, nos rapports avec nous-mêmes et avec les autres. Le zen, ce n’est pas passer trente ou quarante minutes par jour, les fesses sur un coussin. C’est un programme de vie qu’on se donne pour la vie. C’est une pratique de tous les instants, vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

SOYEZ ZEN ... en donnant un sens à chaque acte à chaque instant
Pocket; 1989

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