2 juin 2014

«Autant que je me souvienne…»

Une conscience sans taches est une conscience qui a oublié.
~ Jacques Languirand

Tant qu’à mentir, autant le faire dans les règles de l’art 

Je regarde parfois des épisodes de la Série Commission Charbonneau. Certains témoins sont de mauvais bluffeurs. Conséquemment, la plupart des politiciens, fonctionnaires, lobbyistes et businessmen gagneraient à suivre une formation avec des professeurs diplômés de l’Association Internationale des Menteurs Professionnels  (AIMP). À défaut, ils pourraient étudier attentivement «Je sais que vous mentez» (référé le 9 mai 2014 in Le mensonge transparent).

Source photo : À la claire folie

Ah, ces terribles défaillances de la mémoire épisodique...

Dissimuler et feindre
(Extraits)

Il existe deux manières primaires de mentir : dissimuler et feindre. En dissimulant, le menteur garde par-devers lui une certaine quantité d’information sans pour autant dire quoi que ce soit de faux. En feignant, une étape supplémentaire est franchie. Non seulement le menteur garde des informations vraies, mais il fait semblant et présente comme vraies des informations fausses. Souvent, il est nécessaire de combiner dissimulation et feinte pour opérer la tromperie, mais parfois un menteur peut réussir en se limitant à la dissimulation.
       Tout le monde ne considère pas la dissimulation  comme du mensonge : certains réservent ce mot uniquement pour l’acte plus audacieux de feinte. Si le médecin ne dit pas à son patient qu’il souffre d’une maladie au stade terminal, si le mari ne dit pas qu’il a passé sa pause déjeuner dans un hôtel avec sa maîtresse, si le policier ne dit pas au suspect qu’un micro caché capte sa conversation avec son avocat, aucune information fausse n’a été transmise, pourtant chacun de ces exemples entre dans ma définition du mensonge. Les cibles n’ont pas demandé à être trompées et les dissimulateurs ont agi délibérément … L’information a été cachée sciemment, avec intention, pas par accident. (…)
       Quand ils ont le choix sur la manière de mentir, les menteurs préfèrent généralement la dissimulation à la feinte. Cela présente de nombreux avantages.
       Pour commencer, dissimuler est généralement plus facile que feindre. Rien n’a besoin d’être inventé.
       Il n’y a aucun risque d’être démasqué si l’on n’a pas échafaudé toute une version à l’avance. Selon la légende, Abraham Lincoln aurait dit qu’il n’avait pas assez bonne mémoire pour être un menteur. Si un médecin donne une fausse explication aux symptômes d’un patient afin de dissimuler la gravité de sa maladie, il devra se rappeler sa version fausse afin de rester cohérent si on l’interroge plus tard.
       La dissimulation peut également être préférée parce qu’elle paraît moins répréhensible que la feinte. Elle est passive et non active. Même si la cible peut tout autant en pâtir, le menteur se sent moins coupable de dissimuler que feindre. (…) 

       Le mensonge par dissimulation est également plus facile à couvrir s’il est percé à jour. Les excuses disponibles sont nombreuses : ignorance, intention d’en parler plus tard, défaut de mémoire, etc. L’individu qui témoigne sous serment et dit «autant que je me souvienne» se ménage une issue de secours si on le confronte plus tard à quelque chose qu’il a dissimulé. Le menteur qui prétend ne pas se rappeler alors qu’il se souvient délibérément est d’un type intermédiaire entre dissimulation et feinte. Cela se produit quand le menteur ne peut tout bonnement plus se taire : une question a été posée, un défi lancé. En feignant seulement l’impossibilité de se souvenir, le menteur évite d’avoir à se rappeler une version fausse : il a juste besoin de se rappeler avoir prétendu que sa mémoire était mauvaise. Et, si la vérité se fait jour plus tard, le menteur peut toujours arguer ne pas avoir menti mais avoir simplement eu des problèmes de mémoire.
       Un incident du scandale du Watergate qui mena à la démission du président Nixon illustre la stratégie de la mauvaise mémoire. Alors que s’accumulent les preuves de leur implication dans l’effraction et la dissimulation, les assistants du président, H.R. Haldeman et John Ehrlichman, sont forcés à la démission. Alexander Haig prend la place d’Haldeman alors que la pression monte pour Nixon. Haig était à la Maison-Blanche depuis moins d’un mois quand, le 4 juin 1973, Nixon et lui discutaient de la manière de répondre à de sérieuses allégations portées contre John W. Dean, ancien conseiller de la présidence. Selon un enregistrement de la conversation entre les deux hommes rendu public durant l’enquête, Haig conseilla à Nixon d’esquiver les  questions sur ces allégations en lui disant simplement : «Vous ne vous rappelez pas, c’est tout».
       Un défaut de mémoire est crédible seulement dans des circonstances limitées. (…)
Une perte de mémoire ne peut être prétextée que pour des questions mineures ou quelque chose qui s’est produit il y a longtemps. Même le passage du temps peut ne pas justifier l’impossibilité de se rappeler des événements exceptionnels dont n’importe qui devrait se souvenir quoi qu’il arrive.
       Un menteur ne peut plus choisir entre dissimulation ou feinte une fois que la victime le questionne … si une question directe le force à choisir entre feinte et aveu de vérité.
       Certains mensonges exigent dès le départ la feinte, car la dissimulation seule ne suffit pas. (…) 

       La feinte survient également, même si le mensonge ne l’exige pas directement, pour aider le menteur à couvrir la preuve de ce qu’il dissimule.
       L’usage de la feinte pour masquer ce que l’on dissimule est particulièrement nécessaire quand il s’agit d’émotions. Il est facile de dissimuler une émotion que l’on n’éprouve plus, mais beaucoup plus difficile si elle est éprouvée sur l’instant et surtout avec une grande intensité. (…)
       La meilleure manière de dissimuler des émotions intenses est le masque. (…)
       Toute émotion peut être feinte pour contribuer à en dissimuler une tout autre. Le sourire est le masque le plus fréquemment employé. Il sert d’opposé à toutes les émotions négatives – peur, colère, détresse, dégoût… (…) C’est l’expression faciale la plus facile à faire volontairement.

(Introduction, p. 25/34)

Paul Ekman

Je sais que vous mentez (Telling lies, 1985)
J’ai lu, Bien-être 2010

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