Le projet de loi 52 (droit de mourir dans la dignité) a enfin été approuvé à 94 voix en faveur et 22 voix contre (des députés du Parti Libéral). La droite, c’est la droite… En plus, un Collectif anti euthanasie entend contester en cour supérieure fédérale.
Va bene.
Quand j’entends parler de dérapages, je pense aux nations qui ont toutes légalement le droit d’envoyer leurs soldats tuer des tas d’innocents qui ne veulent pas mourir n’importe où dans le monde (incluant leur propre pays). En revanche, on refuse l’aide à mourir dignement aux individus dont l’incapacité physique les empêche de s’ôter la vie par eux-mêmes. Quelle hypocrisie!
J’ai transcrit quelques dialogues du film «La mer intérieure» (Mar Adentro) d’Alejandro Amenábar, en espérant que s’allume une petite lumière chez les gens incapables de se mettre dans les souliers de l’autre ou qui refusent tout changement d’attitude par dogmatisme religieux ou autre.
En résumé, ce film documentaire raconte les démarches du tétraplégique Ramon Sampedro qui souhaitait obtenir le droit de mourir dignement – légalement. (Si le sujet vous intéresse, voyez le libellé «Euthanasie»)
On garde les gens en vie contre leur gré pour donner un sens à la nôtre : «people are bound because they bind others», disait W. Shakespeare.
1. Dialogues entre Ramon et Julia (une avocate elle-même atteinte d’une maladie dégénérative lui offre de plaider sa cause devant les tribunaux) :
Julia : Pourquoi mourir?
Ramon : Eh bien, je veux mourir parce pour moi vivre dans cet état-là, c’est vivre sans dignité. Je comprends que d’autres tétraplégiques puissent se sentir offensés quand je dis qu’une telle vie est indigne… mais… moi je ne juge personne. Qui suis-je pour juger ceux qui veulent vivre? Mais je demande que moi on ne me juge pas. Ni moi, ni la personne qui m’aidera à mourir…Pourquoi faire toute une histoire! La mort a toujours existé et existera toujours, et tôt ou tard elle finit par nous rattraper tous, tous. Elle fait partie de nous. Alors pourquoi s’offusquer quand je dis que je veux mourir, comme si j’étais contagieux?
(…)
Au sujet de s’empêcher d’aimer quand on souffre de tétraplégie :
Julia : Alors, les tétraplégiques
n’ont pas le droit d’aimer?
Ramon : Mais qui parle «des»
tétraplégiques? Je parle de moi, Ramon Sampedro! 2. Dialogue entre Julia et Gené (intervenante de l’Association mourir dignement) :
Julia : À quoi ça sert d’être optimiste? Y’a aucun traitement pour cette maladie. Aucun. À quoi bon essayer de me lever chaque matin, de travailler, de me faire des illusions, quand je sais que tôt ou tard j’aurai une nouvelle crise et que je tomberai à nouveau, que je serai à nouveau par terre comme une merde. C’est absurde. Je veux adhérer à l’Association mourir dignement. J’y avais pensé il y a deux ans quand on a diagnostiqué, puis je m’étais ravisée. Mais après cette nouvelle crise, non, c’est pas une vie… non… je ne veux pas.
3. Dialogue entre Ramon et un Père Jésuite (également tétraplégique; il veut convaincre Ramon de changer d’idée) :
Jésuite : La vie est un cadeau du ciel dont chacun est responsable.
Ramon : Alors pourquoi l’Église maintient-elle avec tant de force sa terreur de la mort. Parce qu’elle sait qu’elle perdrait une grande partie de sa clientèle si les gens n’avaient plus peur de l’au-delà? La plupart des sondages révèlent que 67% des espagnols sont en faveur.
Jésuite : Les questions d’ordre moral n’ont jamais été réglées par des statistiques. La majorité du peuple allemand a commencé par soutenir Hitler. De la démagogie…
Ramon : Il me compare à Hitler maintenant… suprême bêtise! Quel rapport y a-t-il entre Hitler et les vessies et les lanternes?
Jésuite : Ne pensez-vous pas qu’il est démagogique de dire «je veux mourir dans la dignité», pourquoi ne pas nous épargner les euphémismes et dire clairement et simplement «je veux mettre fin à ma vie». Voilà.
Ramon : Pourquoi accordez-vous tant d’importance à ma vie quand on pense que l’institution que vous représentez accepte encore aujourd’hui rien de moins que la peine de mort et que pendant des siècles elle a condamné aux bûchers tous ceux qui ne pensaient pas correctement.
Jésuite : C’est vous qui faites maintenant de la démagogie.
Ramon : On m’aurait brûlé vif pour avoir défendu ma liberté?
Jésuite : Mon ami, une liberté qui tente à aliéner la vie n’est pas une liberté.
Ramon : Et une vie qui élimine la liberté, c’est pas une vie. Et je ne suis pas votre ami. Et foutez-moi la paix!
4. Devant le palais de justice :
Journaliste 2 : Qu’attendez-vous des juges et que leur direz-vous?
Ramon : Eh bien la seule chose que je vais leur dire c’est que je suis en pleine possession de mes facultés mentales.
(Ramon s’est déplacé inutilement car les juges ont refusé d’entendre son plaidoyer – jugé irrecevable selon les lois).
5. Dialogue entre Ramon et Rosa (jeune femme amoureuse de lui qui le visite souvent) :
Ramon : Tu peux, bien sûr, autant que tu veux.
Rosa : Mais pendant combien de temps?
Ramon : Mais, Rosa, tu n’vas pas me demander de continuer à vivre pour toi?
Rosa : Si je te disais que tu me donnes la force de vivre Ramon.
Ramon : Attends, attends, s’il te plaît, arrête. Va t’asseoir. Voyons un peu, tu aimes tes enfants?
Rosa : Bien sûr, évidemment que je les aime.
Ramon : Eh bien c’est ça qui te donne la force de vivre. Non, non, non. Ne fais pas porter cette responsabilité sur moi, d’accord? C’est ça que tu appelles aimer? Me retenir contre ma volonté? Écoute, la personne qui m’aime vraiment sera précisément celle qui m’aidera à mourir. Pour moi, c’est ça… si on aime vraiment.
6. Lettre de Ramon à Julia (pendant qu’elle compile ses écrits, une forme de relation amoureuse apparaît (peut-être à cause de la similitude de leur condition?); ils font pacte de se donner la mort ensemble une fois le livre de Ramon imprimé) :
«Les juges comprennent que je veuille mourir, mais ils rappellent qu’une aide extérieure serait passible de poursuite. Autrefois cela m’aurait déçu, cela m’aurait renvoyé dans cette impasse où les jours et les nuits ne finissent jamais. Mais aujourd’hui je sais que tout s’accélère et que le livre sera publié d’un moment à l’autre et qu’avec lui, Julia, tu vas revenir. Ma Juliette, jamais je n’aurais pu imaginer une mort plus douce. Ce sera un amour pur et partagé, ce sera un retour à l’équilibre. L’équilibre enfin. Je t’embrasse amie très chère.»
(Ramon reçoit le livre par la poste avec un mot de Julia lui apprenant qu’elle a renoncé au pacte.)
Finalement c’est Rosa qui organise l’aide au suicide avec les amis de Ramon. La procédure a été filmée, et avant d’avaler le cyanure, Ramon déclare ce qui suit :
Messieurs les juges,
Autorités politiques et religieuses,
Que signifie pour vous la dignité? Quelle que soit la réponse de vos consciences, sachez que pour moi, ceci ne s’appelle pas vivre dignement. J’aurais au moins souhaité mourir dignement.
Aujourd’hui, fatigué de l’apathie de vos institutions, je me voie obligé de le faire en cachette, comme un criminel. Il faut que vous sachiez que le processus qui aboutira à ma mort a été scrupuleusement divisé en petites actions qui ne constituent aucun délit en elles-mêmes, et qu’elles ont été exécutées séparément par plusieurs mains amicales. S’il est décidé toutefois de punir mes collaborateurs, je suggère qu’on leur fasse couper les mains car c’est là leur unique contribution. La tête, autrement dit la conscience, était la mienne. Comme vous le voyez, tout près de moi se trouve un verre d’eau contenant une dose de cyanure de potassium. Quand je l’aurai bu, je cesserai d’exister, renonçant ainsi à mon bien le plus précieux : mon corps. Je considère que vivre est un droit, pas une obligation comme ce le fut pour moi, obligé de supporter cette pénible situation durant 28 ans, quatre mois et quelques jours.
Après tout ce temps j’ai fait le bilan du chemin parcouru sans y trouver mon compte de bonheur. Le temps seulement, qui s’est écoulé contre ma volonté presque toute ma vie, sera désormais mon allié. Le temps seulement et l’évolution des consciences décideront, un jour peut-être, si ma requête était raisonnable ou pas.
(Ramon avale le cyanure; c'était en 1998...)
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Autre option souvent utilisée par les patients qui n’ont pas d’aide : se laisser mourir de faim…!
Dans une vraie société laïque, capable de considérer le corps physique comme une «propriété privée», Ramon Sampedro n’aurait pas été contraint d’élaborer un scénario de la sorte pour épargner ses amis d’éventuelles poursuites judiciaires. Et, il aurait pu mourir en paix et en douceur.
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