AUDIO FIL interview :
http://ici.radio-canada.ca/emissions/medium_large/2013-2014/archives.asp?date=2014-06-19
Étant fille de médecin, elle est peut-être mieux placée que quiconque pour connaître le système de santé. Je suis d’accord quand elle dit : «une commission d’enquête serait nécessaire là aussi…» En particulier avec trois médecins et une pharmacienne au Conseil des ministres du gouvernement actuel… bienvenue aux lobbyistes pharmaceutiques.
Il y a deux ans, une femme de mon entourage a subi une chirurgie pour un cancer du sein (ablation de la tumeur maligne). Elle se porte très bien depuis, même si elle a refusé l’ablation limitée des ganglions sentinelles, la chimiothérapie et la radiothérapie – préventives. Je la cite, textuellement :
«Je ne voulais ni chimio ni radio, mais les oncologues t’obligent à participer à des sessions d’information et de simulation. Si tu refuses les thérapies, ils te font signer un tas de paperasse pour se déresponsabiliser et se prémunir contre toute poursuite si ton cancer progresse. Quand j’ai vu la procédure de radiothérapie et les moulages de contention, j’ai freaké! J’avais l’impression qu'Hannibal allait apparaître...
Rallonger ma vie de (peut-être) un ou deux ans en m’empoisonnant ben raide? Non. Pour moi, le but ne valait pas les souffrances. Pas question de me faire bombarder de rayons X et gamma, d’électrons et autres radiations intenses, d’autant plus que la radio-oncologue m’avait dit que même si les rayons ciblent le sein, on ne peut pas les empêcher d’atteindre les poumons; pas plus que de toucher les cellules saines… J’ai décliné toutes les exhortations, parfois accompagnées d'avertissements de mort imminente; on pousse fort, comptant sur la peur de la mort et la panique du patient. Je m'étais renseignée sur les effets secondaires avant de prendre ma décision, et j’étais prête à assumer les risques et périls de mon refus; en fait, j’avais l’impression de sauver ma peau.»
Mais, c’est un choix strictement personnel comme le précise Josée Blanchette en interview; et elle n'incite pas les patients à l'imiter.
Lors d’une séance de travail au Centre de Lutte Contre le Cancer Alexis Vautrin, le personnel a tenu à me faire ressentir la sensation glaçante que procure la visite de la salle des masques de contentions. Ces derniers, moulés directement sur les patients, sont utilisés pour les maintenir en position lors des séances de radiothérapie. Ces camisoles sur-mesure sont composées d’un alliage de plastique thermo-formable et de kevlar (ce même kevlar dont sont faits les gilets pare-balles). D’une résistance à priori à toute épreuve, cette matière se déforme et fond au contact du soleil… tout comme les ailes de cire d’Icare.
Gisants ou transis. Camisoles de force ou chrysalides. Armures de survie ou sarcophages. Gilets pare-balles. Cottes de mailles. Rigor mortis. Gargouilles. Portraits-relief… Telles furent pêle-mêle mes premières impressions en pénétrant dans la salle des masques de radiothérapie.
J’ai immédiatement éprouvé le besoin de me placer dans la position du patient le temps de me faire mouler un exemplaire in situ.
Violence des mailles molles et chaudes qui, en l’espace d’un instant, se rigidifient en se refroidissant. Sentiment d’oppression accentué par le boulonnage à la table de traitement. Vulnérabilité accrue par la position couchée et par la froideur de l’environnement clinique et de son appareillage.
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Une triste nouvelle, mais je veux la remercier de son témoignage (de dire les "vraies affaires") :
La chimio pour les nuls
Les aiguilles et le Folfox
Josée Blanchette
13 juin 2014, journal Le Devoir
Entre solitude et prison, une lueur d'espoir qui peut tuer.
«Le cancer peut se partager avec des proches. La chimio ne se partage avec personne.» ~ Pierre Gagnon, 5-FU
«La validation d’un médicament anticancer jusqu’au stade des expériences sur l’homme en nombre suffisant coûte aujourd’hui entre 500 millions et un milliard de dollars. Ce type d’investissement apparaît justifié lorsqu’on sait qu’un médicament comme le Taxol rapporte à la compagnie qui en détient le brevet un milliard de dollars par an. Il est en revanche absolument impossible d’investir des sommes de cet ordre pour démontrer l’utilité des brocolis, des framboises ou du thé vert, puisqu’ils ne peuvent pas être brevetés et que leur commercialisation ne remboursera pas l’investissement initial.» ~ David Servan-Shreiber, Anticancer
Avertissement : n’arrêtez pas vos traitements ou médicaments sans consulter votre médecin, votre psy ou votre mère. Ne m’écrivez pas pour me dire que la chimio vous a sauvé la vie. Ceux qui en sont morts ne se feront jamais entendre.
«Madame Blanchette. Salle 2. Fauteuil 16», m’indique la voix dans le haut-parleur. Dans la salle d’attente, l’ambiance est lourde, le silence plombé. Chacun sait ce qu’on attend ici : un match en prolongation ou l’élimination. Dans chaque salle, moderne, éclatante de propreté, impersonnelle, lumineuse, des fauteuils capitonnés réglables avec écrans de télé individuels nous accueillent.
J’y serai cinq heures chaque fois à me faire infiltrer du Folfox, un mélange de plusieurs poisons extrêmement agressifs, sans compter tous les antinauséeux et antivomitifs, cortisone et autres qu’on nous administre avant.
Six mois, toutes les deux semaines, c’est le protocole prévu. Une partie à l’hôpital et une partie dans un «biberon» porté à la ceinture durant 48 heures, à la maison.
Nous sommes quatre patients par salle et nous partageons une infirmière qui a reçu un entraînement particulier, a lu tous les livres sur le bonheur et la motivation intérieure, sait que ce qui nous guérit peut nous tuer et ce qui nous tue peut nous guérir.
Je n’ai jamais éprouvé autant de compassion qu’aujourd’hui envers les souris. Combien d’entre elles ont dû lever les pattes dans d’atroces souffrances pour me permettre de percoler sous haute surveillance ici.
Ici. À la fois la (fine) pointe de l’iceberg de notre médecine de laboratoire et un no man’s land déshumanisant où les pelées et les tondus ont l’air de condamnés à vivre, pour reprendre l’expression décapante de l’écrivain Pierre Gagnon, qui a commis un très joli livre sur sa chimio il y a quelques années (5-FU).
Justement, j’en reçois du 5-FU. Et de l’oxaliplatine, du platine, comme son nom l’indique, qui se déposera sur mes cellules folles et sages. On fait dans les métaux lourds. Et je relis 5-FU pour me donner du courage.
J’en ai besoin d’une bonne dose pour oublier les paroles de la gastro-oncologue : une chance sur 50 000 d’en mourir après la première perfusion. Ce n’est rien qu’une statistique, un désagréable effet secondaire, mais mon infirmière pivot a perdu une patiente comme ça. Elle n’oubliera pas son nom de sitôt. C’est la faute d’un gène qui provoque une réaction auto-immune. Le corps se suicide.
J’y penserai chaque minute durant ces deux interminables semaines auxquelles j’ai survécu, non sans effets secondaires débilitants. «Il se pourrait que vous ne puissiez plus écrire…», m’avait aussi avertie ma docteure. Plus capable de sentir ses doigts. Tout a un prix, mais celui-là, pas du tout temporaire dans 5 % des cas, équivalait à m’amputer.
Voir sa mort
C’est à la seconde salve que je suis tombée K.-O. Et j’ai compris ce que le cycliste Lance Armstrong voulait dire quand il parlait de «l’expérience la plus difficile de ma vie» au sujet de la chimio. Il en a fait une dépression. Guy Corneau aussi, en a fait une; il en parle dans son excellent récit Revivre!.
La mienne aura été de courte durée, mais j’ai glissé vers la psychose, ou quelque chose d’approchant, une perte de contact avec la réalité. C’est la cortisone qui fait ça. Sans compter le reste, l’impression que la vie nous quitte, qu’on se vide de son essence.
Intoxication médicamenteuse, m’a confirmé un ami psychiatre en oncologie, qui soigne non seulement des gens déprimés d’avoir le cancer mais aussi les dépressions causées par la chimiothérapie.
La chimio peut tuer de bien des façons. Et pourtant, tant les médecins que l’entourage la perçoivent comme l’ultime planche de salut. «C’est pas la faute aux médecins, m’a dit le psychiatre des cancéreux. Ils sont formés pour sauver des vies. Peu importe le prix, même au détriment de la qualité de vie. Et puis, ils craignent les poursuites…»
J’allais mourir guérie, quelle ironie! Car mes médecins m’ont prescrit une chimio adjuvante, «au cas». Tout ça pour un 6 % de chances supplémentaires d’allonger ma vie de cinq ans. «Vous savez, nous, on se lève dans nos congrès pour applaudir un 6 % d’amélioration du taux de survie», m’a dit l’oncologue, très emballée. Moi, la dernière fois que j’ai vu une standing ovation, c’était au TNM devant Les aiguilles et l’opium. Chacun sa drogue.
Trois choses qui mènent le monde
Le fermier chez qui j’achète mes oeufs est tranchant comme un hachoir : «Y a trois choses qui mènent le monde : le cul, l’argent pis les pharmaceutiques.» Depuis que j’ai visité les limbes, je ne suis pas loin de penser comme lui. Un traitement comme le mien vaut 20 000 $.
Certaines chimios orales qui peuvent prolonger la vie de quelques mois ou quelques années (ou pas du tout) coûtent de 7000 à 10 000 $ par mois et peuvent être poursuivies durant un an.
Bien sûr, dans un système comme le nôtre, pas un médecin, un pharmacien d’hôpital (quoique l’oncologie gruge la plus grande part de leur budget) ou un fonctionnaire du ministère de la Santé ne se hasardera à tamponner un signe de dollar sur une vie et à stigmatiser un groupe aussi important que les cancéreux actuels et potentiels.
On ne se met pas à dos 41 % des femmes et 46 % des hommes d’une population. Aux États-Unis, le privé s’en mêlant, on parle de plus en plus de coûts-bénéfice dans les traitements de chimio.
À tort ou à raison, les patients estiment que leur vie n’a pas de prix, les médecins pensent qu’il faut la prolonger coûte que coûte; et au Québec, l’oncologie gruge 37 % du budget de médicaments dans les hôpitaux (2012-2013). Et on ne parle pas de tous les médicaments pour traiter les effets secondaires des effets secondaires. Ils sont nombreux. On ne parle pas non plus du temps d’hospitalisation, du fauteuil, des pharmaciens, des infirmières…
Même dans un climat d’austérité budgétaire, nos politiciens ne veulent pas s’attirer du capital d’antipathie en se prononçant sur l’épineuse question des traitements de chimio. Et les pharmaceutiques empochent sur ce tabou qui fait parfaitement leur affaire.
Tellement, qu’un médicament comme le Taxol, utilisé pour les chimios contre le cancer des ovaires ou du poumon, est passé de 42 $ à 4000 $ la dose à Montréal le mois dernier : 100 fois plus élevée! Mieux! Dans son rapport remis avant-hier à l’Assemblée nationale, le Vérificateur général notait que l’Alimta (un médicament utilisé pour les cancers du poumon) a augmenté de 926 % en 2012-2013.
Une pharmacienne d’hôpital me mentionnait du bout des lèvres qu’elle voit de plus en plus de patients de plus de 80-85 ans en chimio et que certains n’y tenaient pas vraiment… La famille et le médecin insistent.
Il n’y aura jamais de lobby des producteurs de canneberges ou de thé vert pour accommoder le 5 % de Caucasiens qui, comme moi, ne peuvent pas tolérer la chimio mais sont familiers avec les travaux du chercheur Richard Béliveau (richardbéliveau.org).
J’ai averti mon oncologue après un mois en enfer : «J’arrête tout! Je préfère mourir par mes propres moyens…»
Et, pour ça, je ne connais pas de meilleure façon que de continuer à vivre.
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