19 février 2013

Montaigne 2

Photo pps, photographe non identifié … dommage

J’ai reçu «Peur de la mort» (message 18 fév.) d’une amie qui m’écrivait : «Aïe! t’as vraiment la même perception de la mort que Montaigne toi!»

J’ai lu Les Essais de Montaigne au collège. Je ne me souviens pas ce que j’en ai pensé car à l’époque les écrivains contemporains tels que Boris Vian, Camus, Prévert, etc. nous captivaient davantage.

Pourtant… 

Montaigne et Prévert n’étaient pas très éloignés l’un de l’autre, notamment par rapport à leur perception des animaux. «Il paraît que vers la fin de sa vie, Prévert était tout prêt de devenir végétarien…», disait récemment Normand Baillargeon (philosophe, professeur, et auteur, entre autres, de L’Arche de Socrate, Petit bestiaire philosophique).

Hier donc, j’ai fouillé les écrits de Montaigne sur le Net, et j’ai trouvé quelques passages reflétant sa révérence envers les animaux et la nature.

Source : http://laterredabord.fr/articles9/montaigne.html
(J’ai repiqué seulement les citations, mais les commentaires de l’internaute sont très pertinents.) 

-------

Montaigne : un précurseur

«Quand je joue avec ma chatte, qui sait si je ne suis pas son passe-temps plutôt qu'elle n'est le mien? Nous nous taquinons réciproquement.»

«Même les animaux dénués de voix ont entre eux des systèmes d'échange de services qui nous donnent à penser qu'il existe entre eux un autre moyen de communication : leurs mouvements expriment des raisonnements et exposent des idées.
       Ce n'est pas loin de ce que l'on voit chez les enfants,
       qui compensent du geste la déficience de leur langage.
       [Lucrèce, V, 1030]
       Le silence même sait prier et se faire entendre.
       [Le Tasse, Aminte, acte II]»

«Je ne prends guère de bête vivante à qui je ne redonne la clé des champs. Pythagore en achetait aux pêcheurs et aux oiseleurs pour en faire autant.»

«Je crois que c'est du sang des bêtes sauvages,
que le fer a été maculé tout d'abord.
[Ovide, Métamorphoses, XV, 106]
       Un naturel sanguinaire à l'égard des bêtes témoigne d'une propension naturelle à la cruauté.
       Quand on se fut habitué, à Rome, aux spectacles de mises à mort d'animaux, on en vint aux hommes et aux gladiateurs.
       La Nature, je le crains, a donné à l'Homme un penchant à l'inhumanité.
       Personne ne prend plaisir à voir des bêtes jouer et se caresser - et tout le monde en prend à les voir s'entre-déchirer et se démembrer.»

«Qu'on ne se moque pas de la sympathie que j'ai pour elles: la théologie elle-même nous ordonne d'avoir de la mansuétude à leur égard.
       Elle considère que c'est un même maître qui nous a logés dans ce palais pour être à son service, et donc que les bêtes sont, comme nous, de sa famille; elle a donc raison de nous enjoindre d'avoir envers elles du respect et de l'affection.
       Si on peut discuter de tout cela, il n'en reste pas moins que nous devons un certain respect et un devoir général d'humanité, non seulement envers les animaux, qui sont vivants et ont une sensibilité, mais envers les arbres et même les plantes.
       Nous devons la justice aux hommes, et la bienveillance et la douceur aux autres créatures qui peuvent les ressentir.
       Il y une sorte de relation entre nous, et des obligations mutuelles.
       Je ne crains pas d'avouer la tendresse due à ma nature si puérile qui fait que je ne peux guère refuser la fête que mon chien me fait, ou qu'il me réclame, même quand ce n'est pas le moment.»

«Mais quand je rencontre, parmi les opinions les plus modérées, des raisonnements qui tendent à prouver combien nous ressemblons étroitement aux animaux, combien ils participent de ce que nous considérons comme nos plus grands privilèges, et avec quelle vraisemblance on peut les comparer à nous, certes, j'en rabats beaucoup de notre présomption, et me démets volontiers de cette royauté imaginaire qu'on nous attribue sur les autres créatures.»

«La manière de naître, d'engendrer, de se nourrir, d'agir, de se mouvoir, de vivre et de mourir qui est celle des animaux est si proche de la nôtre que tout ce que nous ôtons aux causes qui les animent, et que nous ajoutons à notre condition pour la placer au-dessus de la leur ne peut relever d'une vision raisonnée.
       Comme règle pour notre santé, les médecins nous proposent en exemple la façon de vivre des animaux, car ce mot a été de tout temps dans la bouche du peuple :
       Tenez chauds les pieds et la tête;
        Au demeurant, vivez en bêtes.»

«Chrysippe était aussi méprisant que tout autre philosophe en ce qui concerne la condition des animaux. Mais il avait observé à un carrefour de trois chemins les mouvements d'un chien à la recherche de son maître égaré ou poursuivant une proie qui fuyait devant lui.
       L'ayant vu essayer un chemin après l'autre et, après s'être assuré qu'aucun des deux premiers ne portait la trace de ce qu'il cherchait, s'élancer dans le troisième sans hésiter, il fut contraint de reconnaître qu'en ce chien-là s'était opéré un raisonnement du genre : ‘J'ai suivi mon maître jusqu'à ce carrefour, il faut nécessairement qu'il ait pris l'un de ces trois chemins; puisque ce n'est pas celui-ci, ni celui-là, il faut donc forcément qu'il soit passé par le troisième’.  
       Fondant sa certitude sur ce raisonnement, le chien n'a plus besoin alors de son flair pour le troisième chemin et n'y fait plus d'enquête, il s'en remet à la raison.
       Cette attitude proprement dialecticienne, cet usage de propositions divisées puis reconstruites, l'énumération complète des termes suffisant à entraîner la conclusion - ne vaut-il pas mieux dire que le chien tire cela de lui-même plutôt que de Georges de Trébizonde?»

«Nous voyons bien dans la plupart de leurs ouvrages à quel point les animaux sont supérieurs à nous, et combien notre artisanat peine à les imiter.
       Nous pouvons toutefois observer dans nos travaux, même les plus grossiers, les facultés que nous y employons, et comment notre âme s'y implique de toutes ses forces. Pourquoi en serait-il autrement chez eux ?
       Pourquoi attribuer à je ne sais quelle disposition naturelle et servile les ouvrages qui surpassent tout ce que nous parvenons à faire, que ce soit naturellement ou par le moyen de l'art?
       En cela d'ailleurs, nous leur reconnaissons un très grand avantage sur nous, puisque la nature, avec une douceur maternelle, les accompagne et les guide, comme si elle les prenait par la main, dans toutes les actions et les agréments de leur vie, alors qu'elle nous abandonne, nous, au hasard et au destin, contraints que nous sommes alors d'inventer les choses nécessaires à notre conservation ; et qu'elle nous refuse parfois les moyens de parvenir par quelque organisation et effort de l'esprit que ce soit, à l'habileté naturelle qui est celle des animaux : leur stupidité de bêtes surpasse très facilement pour toutes les choses utiles, tout ce dont est capable notre divine intelligence.»

«Les divers oiseaux ont des chants différents
Selon le temps et certains font varier leur chant rauque
en fonction de l'atmosphère...
[Lucrèce, V, vv. 1078, 1081 et 1083-84]»

«Pourquoi les animaux ne se parleraient-ils pas entre eux, puisqu'ils nous parlent, et que nous leur parlons? De combien de façons parlons-nous à nos chiens! Et ils nous répondent !... Nous conversons avec eux en usant d'un autre langage et d'autres mots que nous ne le faisons pour les oiseaux, les pourceaux, les bœufs, les chevaux : nous changeons d'idiome selon les espèces auxquelles nous nous adressons.»

«Ainsi, au milieu de leur noir bataillon
Les fourmis s'abordent-elles
S'enquérant peut-être de leur route et de leur butin.
[Dante, Purgatoire, XXVI]»

Au sujet de la Nature :
«Et pourtant la saveur et la délicatesse de divers fruits de ces contrées, qui ne sont pas cultivés, sont excellentes pour notre goût lui-même, et soutiennent la comparaison avec ceux que nous produisons.
       Il n'est donc pas justifié de dire que l'art l'emporte sur notre grande et puissante mère Nature.
       Nous avons tellement surchargé la beauté et la richesse de ses produits par nos inventions que nous l'avons complètement étouffée.
       Et partout où elle se montre dans toute sa pureté, elle fait honte, ô combien, à nos vaines et frivoles entreprises.
       Et le lierre vient mieux de lui-même
       Et l'arbousier croît plus beau dans les lieux solitaires,
       Et les oiseaux, sans art, ont un chant plus doux,
       [Properce, I, 2, 10.]»

Aucun commentaire:

Publier un commentaire