29 janvier 2018

L’élite côtière de la Maison Blanche

De tout temps, la bourgeoisie s’est distancée des classes sociales inférieures qu’elle méprisait. Élisant domicile dans des régions privilégiées, les élites ne fréquentent que leurs pairs fortunés. Pendant toute la présidentielle, Trump et sa clique n’ont cessé de répéter qu’ils détestaient les riches. Un écran de fumée pour séduire la classe populaire.

J’ai récemment publié un article sur l’érosion progressive des régions littorales. Les «élites côtières» américaines, dont plusieurs font partie de l’administration Trump, se retrouvent donc dans la situation de «l’arroseur arrosé», au propre et au figuré.
Je sais que je ne devrais pas penser ce que je pense...

Mais à quoi ressemblent ces mondes parallèles réservés aux élites?

Hamptons (NY) – Cette propriété rénovée, évaluée à 48 millions $ (Southampton), compte 5,5 hectares de terrains vierges (ainsi qu’un "jardin secret"), plus de 400 pieds de façade sur le lac Agawam, une aile complète réservée au personnel et un cottage pour les invités.

Floride – Une cible parfaite pour les ouragans et la montée des eaux (niée par la climatosceptiques...). Ce méga domaine offert à 195 millions $ a été vendu à 105 millions $. Gemini s'étend sur la largeur d’une île-barrière à Manalapan, au sud de Palm Beach. L’accès est privé côté rivière et côté océan. La résidence principale compte douze chambres, l’hôtel particulier sept, auxquels s’ajoutent deux gîtes "océan", un secrétariat de gestion et une maison dans les arbres. L'espace intérieur totalise 84 988 pieds carrés. On trouve aussi un terrain de golf standard, un étang d'eau douce, un sanctuaire d'oiseaux, un jardin de papillons, et un «complexe sportif» avec terrains de tennis et de basket-ball, mini-golf et aires de jeux divers.
Video:

Californie, Bel-Air – Ce domaine de 40 000 pieds carrés inclut deux piscines, un studio d'enregistrement, une cave à vins avec salle de dégustation, un écran vidéo géant, un spa en plein air, un centre de mise en forme et une salle de cinéma. Évalué à 75 millions $.

Les Républicains se moquent des «élites côtières», mais la cour de l'administration Trump en est pleine

Shaun King
The Intercept | December 29 2017

Étrangement, dans notre culture de formules-chocs et de mèmes, l’expression conservatrice «élites côtières» a perduré chez les libéraux et les démocrates. L’expression est fréquemment utilisée par les dirigeants et les usagers de Twitter pour décrire les riches, les snobs arrogants vivant cachés dans des enclaves le long des côtes est et ouest, totalement coupés de la classe moyenne américaine. La notion est revenue récemment lors du débat sur la loi de l'impôt républicaine : le sénateur Ted Cruz, R-Texas, semblait ravi d'annoncer que les impôts augmenteraient uniquement pour «les riches de Manhattan et de San Francisco».
   Sauf que cette idée que la droite déteste les élites côtières est une farce. Le président Trump et sa clique dirigeante – sa famille, ses conseillers, le personnel et les membres du cabinet – sont eux-mêmes une personnification extrême, caricaturale, de l'élite côtière. En d'autres mots, le gouvernement républicain est dirigé par les mêmes individus contre lesquels l’aile droite a mis en garde son électorat pendant des années.
   Supposons qu’un romancier écrirait une histoire sur un milliardaire blanc qui fait florès, vit avec sa troisième épouse de 24 ans sa cadette dans un penthouse plaqué or avec vue sur Manhattan, s’entoure de riches bourrés de fric et propriétaires de villas sur les côtes est et ouest, et qui ensuite, grâce à ses propos haineux contre l’élite côtière (dont il fait partie), convainc l'Américain moyen de l’élire président. Cette histoire semblerait tellement exagérée et absurde qu’on la considérerait comme une fiction dystopique.

Trump et sa première épouse Ivana avec leur personnel à Mar-a-Lago en 1987.
Photo : Ted Thai, The LIFE Picture Collection / Getty Images

Trump, un fils de parents riches et père d'enfants riches, a déjà possédé un yacht gréé de 210 téléphones. Dans son jet privé, décrit comme «un nuage d'opulence flottant», les boucles des ceintures de sécurité, les robinets et les pieds de tables sont plaqués or. Il a passé le tiers de sa présidence dans ses luxueux complexes hôteliers situés dans les plus chics destinations côtières, de Palm Beach à Hawaï.
   Cependant, l'élitisme côtier de cette Maison Blanche ne commence pas et ne finit pas avec Trump. Il s'est lui-même entouré d'une «élite côtière». Il en fait partie, et c’est ce qu'il connaît le mieux.
   Wilbur Ross, secrétaire au Commerce de Trump, vient d'acheter un hôtel particulier de 12 millions $ dans la région de Washington, D.C. Il possède d’élégantes propriétés dans les Hamptons et à Palm Beach. Il a récemment vendu, via «Billionaire Row», son penthouse de Manhattan pour 16 millions $. Il possède une collection d’œuvres d'art d'une valeur minimum de 125 millions $.
   Le principal conseiller économique de Trump, Gary Cohn, ancien cadre chez Goldman Sachs, travaille fort pour donner à ses vieux copains tout ce qu'ils ont toujours voulu obtenir du gouvernement. Et pourquoi pas? Après tout, Cohn a quitté en bons termes; il a reçu 285 millions $ à la fin de son mandat. Comme Ross, Cohn est l'image même de l’élite côtière newyorkaise : il est propriétaire d'une villa dans les Hamptons, et affirme depuis des décennies que Manhattan est «sa maison».
Un à-côté incluant l’histoire de la firme : Government by Goldman  

Il est difficile d’égaler Steven Mnuchin, le secrétaire au Trésor de Trump. Si vous avez vu son nom dans la presse [en décembre], c'est probablement parce qu'un homme a livré un colis rempli de fumier comme cadeau de Noël au manoir de Mnuchin [ndlr : une propriété évaluée à 26,5 millions $] à Bel-Air, un quartier très huppé de Los Angeles (1). Les conservateurs qui critiquent Hollywood, Mnuchin n’est qu’un producteur de films. [Ndlr : en 2004, Mnuchin a créé un business dans l’industrie du cinéma, Dune Entertainment; il a ainsi contribué au financement de 34 superproductions.] Il vient d'acheter un hôtel particulier de 12,6 millions $ à D.C. Né à New York, le père de Mnuchin, Robert, a travaillé pendant des décennies chez Goldman Sachs. Steven l'a suivi et a travaillé pour Goldman pendant près de 20 ans avant de lancer plusieurs fonds d’investissements spéculatifs privés. Comme Cohn et Ross, Mnuchin possède une propriété dans les Hamptons, payée 15 millions $ en 2005.
   La dernière épouse de Mnuchin, Louise Linton, a eu du mal à dissimuler l'élitisme du couple depuis que son époux s’est joint à l'équipe de Trump. Encore une fois, si un romancier décrivait son snobisme stéréotypé, on penserait que c’est exagéré. Elle a publié sur Instagram une photo d'elle sortant de l’avion gouvernemental, au Kentucky. Dans sa légende, elle énumérait les différentes marques de vêtements qu’elle portait – # Hermès, # Valentino, # Roland Mouret # Tom Ford. Quand une internaute a critiqué son voyage sur Instagram, Linton lui a rétorqué avec rudesse que sa famille avait fait plus d'argent et payé plus d'impôts qu’elle n’en paierait jamais (2).
   Avant l’arrivée de Trump, aucun président n'avait eu de milliardaire dans son cabinet. Trump en a deux.
   L'une est Linda McMahon, à la tête de l’Administration des petites entreprises. Elle compte parmi les grands donateurs de la campagne de Trump. La propriété de McMahon à New York était évaluée à 40 millions $ en 2006. Elle est également propriétaire d'une villa à Boca Raton, Floride; d'un condo à Vegas; de deux condos à Stamford, Connecticut; d’une autre résidence à Greenwich, Connecticut,  et d'un yacht de 47 pieds (15 m) appelé «Sexy Bitch» [ndlr : un nom sans doute approprié puisque son conjoint Vince est lutteur professionnel; elle fut longtemps impliquée dans le business de la lutte].
   L’autre est la milliardaire Betsy DeVos, secrétaire à l'Éducation. Quand elle n'est pas à sa résidence de 10 millions $ au Michigan, elle vit dans sa «villa» de Vero Beach, en Floride. Elle possède dix bateaux de plaisance – incluant un méga-yacht de 164 pieds (5000 m) évalué à 40 millions $. La famille dispose de quatre avions et de deux hélicoptères pour se déplacer. On engage du personnel à temps plein pour s’occuper du méga-yacht et effectuer de petites réparations. DeVos utilise son jet privé même pour ses voyages gouvernementaux.
   Et la liste continue. Tout comme Trump et plusieurs membres de son cabinet, Ben Carson, secrétaire au Logement et au Développement urbain, possède un hôtel particulier à Palm Beach.
   Mais peut-être que les deux Trumpistes les plus hypocrites du lot sont Stephen Miller, haut conseiller politique, et l’ex conseiller en stratégie politique, Steve Bannon. Les deux hommes se sont fréquemment insurgés contre les «élites côtières», bien qu’ils fassent partie de la bande. Miller, par exemple, est né et a grandi au milieu de l'élite libérale de Santa Monica en Californie où il a passé plus de la moitié de sa vie.
   Bannon, cependant, est le grand finaliste pour le premier prix. Avec ses invectives sur les élites et son populisme destinés à gagner la faveur de la classe moyenne, l'homme est aussi faux qu'un billet de 3 $. Bannon va et vient dans les petites villes du sud, à la recherche d’hommes comme Roy Moore pour véhiculer le message qu’il comprend les gens auxquels ils s’adressent. En réalité il les utilise pour étendre son pouvoir.
   Bannon s'est enrichi à Hollywood. Il dénonce le milieu régulièrement comme s’il n’y avait jamais vécu. Avant d’être à Hollywood, Bannon a été banquier chez Goldman Sachs. Paradoxalement, il s’en prend au mondialisme, alors qu’il a fait son argent en profitant de l'économie capitaliste mondiale. Ses trois dernières adresses connues étaient en Californie, à New York et en Floride. Il possède une villa en bord de mer à Laguna Beach, Californie. Il vit et travaille souvent dans une résidence de 14 pièces, une propriété de plusieurs millions $ à D.C. administrée par un ancien membre du parlement égyptien.
   Bien que Bannon soit un exemple exceptionnel de l'hypocrisie au centre des attaques républicaines contre les élites côtières, on se doit de conclure avec Paul Manafort. Ami de longue date de Trump et ancien directeur de campagne, il possédait au moins trois propriétés valant plusieurs millions de dollars à New York – ainsi qu’un appartement occupé à temps partiel dans la tour Trump. Il semble que chacune de ses propriétés avait été achetée avec de l'argent blanchi provenant de son nébuleux travail de consultant à travers le monde. Manafort possédait une maison Brownstone à Brooklyn, un condo à SoHo, et, comme plusieurs autres membres de l'équipe Trump, un splendide manoir de 10 chambres dans les Hamptons; il a dépensé un million de dollars pour l'aménagement paysager et le système de sécurité de son hôtel particulier. Manafort avait également une maison à Arlington en Virginie, et un condo à proximité d'Alexandrie. En attendant son procès, Manafort est assigné en résidence, mais il semble qu’il pourrait déménager à sa résidence de Palm Beach en Floride, à quelques kilomètres de la propriété de Trump, Mar-a-Lago. [Ndlr : Manafort est un lobbyiste connu pour ses activités douteuses avec des leaders étrangers comme Ferdinand Marcos (Philippines),  Mobutu Sese Seko (RDC), Jonas Savimbi (Angola), Viktor Yanukovych (Ukraine). Plusieurs agences fédérales enquêtent à son sujet, entre autres pour conspiration contre les États-Unis et blanchiment d’argent.]

Pour de prétendus ennemis de l'élite côtière, Trump et son équipe passent beaucoup de temps à se promener entre les Hamptons et Palm Beach.

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En général, les super riches semblent aussi super matérialistes, snobs, superficiels et cheap. Il y sans doute des exceptions. Une gouvernante ayant travaillé pour des ultra riches disait qu’en les regardant agir, elle avait résolu de ne jamais devenir riche. Une autre employée disait : «J’étais traitée comme un chien plutôt qu’une gouvernante.»
   Dans un article, l’une de ces gouvernantes des temps modernes décrit les compétences requises – ahurissant. C’est tout juste si l’on n’exige pas une couple de doctorats...
“Providing you are qualified, however, you could be forgiven for thinking a job like this might be a good way to travel and set yourself up financially. But there is no money in the world that could compel me to go back to working for the super rich. I fell into nannying in 2010 when I decided to have an impromptu gap year after my (better than expected) A-level results and moved to London to work. “Find a nice, sensible family in Clapham’ counselled my mother. But I wanted to see how the 0.01 per cent lived.”

Mais il semble qu’il s’agit d’une tare psychologique qui se soigne.
Une interview avec Tim Kasser, un professeur de psychologie à Knox College qui étudie depuis plus de vingt ans les fondements du matérialisme exacerbé. Living in a material world propose une réflexion sur l’obsession qui pousse les gens à accumuler toujours plus de richesse et d’objets, et répond à des questions comme Why are some people materialistic and others not? what are the driving forces behind being obsessed with the acquisition of stuff?

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(1) Ça vaut la peine de connaître les motifs du geste. L’auteur n’a pas été incarcéré : «Ce n’est pas illégal d’offrir du fumier de cheval en cadeau de Noël!», dit-il.
'A gift-wrapped package of poo’: Why a man left a box of manure for Steven Mnuchin

(2) Mnuchin a épousé Louise Linton, une actrice de 18 ans sa cadette, en juin 2017.
Following Munchin’s use of a United States Air Force jet on a trip to Kentucky that involved viewing the solar eclipse, the Treasury Department's Office of the Inspector General (OIG) opened up an inquiry. Louise Linton drew attention for posting a photograph of herself disembarking from the government plane with Mnuchin. https://www.washingtonpost.com/news/wonk/wp/2017/08/22/the-treasury-secretarys-wife-just-apologized-for-a-highly-insensitive-instagram-post/?utm_term=.624b9aeda95e

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