10 janvier 2018

La barre est haute entre le crève-faim et le PDG

Grand débat autour de l’augmentation du salaire minimum à 15 $ de l’heure. Tout le monde s’affole. Dans les années 1970, le salaire minimum oscillait autour de 10 $ de l'heure (40 heures semaine). Le profil des travailleurs rémunérés au salaire minimum n’a pas changé entre 1997 et 2013. Une faible scolarité est plus souvent associée au salaire minimum chez les femmes**. En 2013 (tout comme en 1997), les jeunes, les femmes et les personnes ayant un faible niveau de scolarité étaient les plus susceptibles d’être rémunérés au salaire minimum, principalement dans le secteur du commerce au détail, de l’hébergement et de la restauration. Le salaire minimum moyen a diminué jusqu’à moins de 8 $ au milieu des années 1980, et n’a pas beaucoup bougé jusqu’en 2005. (Statistique Canada)

** Je vous invite à écouter le récit captivant de l’anthropologue Serge Bouchard au sujet des conditions de travail inhumaines des femmes en usine; le harcèlement sexuel était la norme, nous dit-il.
   Catherine Deneuve et ses cosignataires peuvent aller se rhabiller avec leurs propos stupides et réducteurs sur la liberté que devraient avoir les hommes «d’importuner» les femmes (Le Monde, le 9 janv.). C’est terrible de voir comme les notions de «pouvoir» et de «consentement» sont incomprises ou hypocritement esquivées. Respecter autrui n’est pas du puritanisme, c’est une façon de vivre en société qui permet d’éviter les inconduites, voire les assauts, et nombre de conflits.
   Imaginons que je suis en train de déjeuner avec des collègues. Mon voisin commence à picorer dans mon assiette sans demander ma permission, prétextant que ç’a l’air délicieux. Ce faisant il laisse des traces de bave dans ma nourriture, et du coup je perds l’appétit. Je suis tentée de lui balancer mon plat à la figure. Je le repousse, mais il continue. C’est une agression. Certaines personnes ne se formaliseraient pas, tout comme bien des femmes ne s’offusquent pas si des hommes les tripotent. D’autres n’aiment pas et n’en veulent pas. Il y a pire bien sûr, l’échelle de gravité varie largement : des attouchements au harcèlement, au viol, voire au meurtre. Alors, reprenons la définition du mot REFUS d’Ambrose Bierce : Les refus appartiennent à différents degrés sur une échelle de valeur décroissante : le refus formel, le refus conditionnel, le refus timide et le refus féminin – par certains casuistes, ce dernier est également appelé refus consentant.

Récit : Les dures conditions de travail des femmes dans les manufactures
Publié le dimanche 7 janvier 2018

Les allumettières de la compagnie E. B. Eddy, à Hull (aujourd'hui Gatineau), en 1935. Les conditions de travail étaient non seulement misérables, mais très toxiques. Photo : Réseau du patrimoine de Gatineau et de l'Outaouais / domaine public

«Entre 1850 et 1950, les femmes ont été projetées dans le monde de la manufacture. ...La couturière est devenue une ouvrière, et l'ouvrière une prolétaire.» Serge Bouchard (1) décrit les conditions de travail misérables des femmes et des enfants qui prévalaient dans les manufactures. Il parle entre autres des luttes syndicales de la Dominion Corset, à Québec, et des allumettières de Hull (aujourd'hui Gatineau).


À tout problème, il y a une solution. On pourrait commencer par réduire les salaires exorbitants des PDG : selon le Centre canadien de politiques alternatives, le salaire le plus bas parmi les 100 PDG les plus riches en 2016 était de 2489,62 $ de l'heure. Ça donne quasiment envie de démarrer un #balancetonpdg... 

Les PDG les plus riches ont déjà gagné l’équivalent de votre salaire annuel
Publié le mardi 2 janvier 2018 à 11 h 34
Radio-Canada avec CBC News

Peu avant 11 h, mardi matin, le dirigeant d'entreprise le mieux payé du Canada avait déjà gagné l'équivalent du salaire annuel moyen d'un travailleur, souligne le Centre canadien de politiques alternatives (CCPA); et chaque année, cette barre est franchie un peu plus tôt.
   Selon un rapport du CCPA, les dirigeants d’entreprise salariés les mieux payés gagneront en 2018 environ 200 fois le salaire moyen d’un travailleur, qui oscille autour de 49 700 $.
   D’après l’organisme qui a étudié les conditions salariales des 100 PDG les mieux payés parmi les entreprises inscrites à la Bourse de Toronto en 2016, ces derniers recevaient en moyenne un salaire annuel de 10,4 millions de dollars à cette époque.
   «Ils font maintenant votre salaire moyen avant votre deuxième tasse de café.» ~ David Macdonald, économiste principal au Centre canadien de politiques alternatives

Joseph Papa, PDG de Valeant Pharmaceuticals International (au centre). Il a bonne mine, mais je ne miserais pas sur sa santé cardiovasculaire même s'il a accès aux meilleurs médicaments disponibles... Photo : Reuters / Christinne Muschi

Le mieux payé d’entre tous en 2016 était Joseph Papa, PDG de la pharmaceutique Valeant, avec un revenu annuel de 83,1 millions de dollars.
   Son plus proche concurrent était Don Walker, PDG de Magna International, fabricant de pièces de voitures, qui a touché un salaire annuel et des avantages de 28,6 millions de dollars.
   Selon le Centre canadien de politiques alternatives, le salaire le plus bas parmi les 100 PDG les plus riches en 2016 était de 2489,62 $ de l'heure.

8 % d'augmentation en moyenne

Côté augmentation de salaire, les principaux dirigeants d’entreprise n’ont pas été en reste, avec des augmentations moyennes de 8 % en 2016 par rapport à leur salaire de 2015. Les salaires des travailleurs canadiens ont quant à eux augmenté de 0,5 % au cours de la même période, souligne le CCPA.
   «Les PDG continuent, année après année, à creuser cet écart avec le travailleur moyen», a déclaré David Macdonald, auteur du rapport et économiste principal du CCPA, un groupe de réflexion qui étudie les questions d'iniquité économique.
   Fait intéressant, le salaire de base octroyé aux PDG n’est pas très élevé, d'après M. Macdonald, qui a compilé tous les avantages monétaires que reçoivent les PDG. En fait, le salaire de base ne représenterait selon lui que 11 % de leur revenu global.
   La majeure partie de leur revenu provenait plutôt d’attributions d'actions (33 %), de primes (26 %) et d’options d'achat d'actions (15 %). Les avantages fiscaux que leur procurera cette formule de rémunération priveront le gouvernement canadien d’environ 840 millions de dollars cette année, estime David Macdonald.

[Ndlr : «Les chantres de la liberté économique encensent les entreprises qui créent de la valeur, ils sous-entendent que leur activité bénéficie de manière désintéressée à l’ensemble de la société. Accordons-leur qu’ils utilisent souvent la formule : créer de la valeur pour les actionnaires. L’hypocrisie en est amoindrie, mais la supposée noblesse collective de l’objectif est répétée jusqu’à plus soif. Dans les faits, l’objectif de l’entreprise capitaliste est de maximiser ses profits au bénéfice de ses propriétaires, les actionnaires, en minimisant les coûts; pas de rendre service à la collectivité.» (Ianik Marcil, Les passagers clandestins, Éditions Somme toute 2016, p. 141)]

Une mauvaise comparaison, selon certains

Or, bien que ces chiffres aient de quoi faire grincer des dents, la comparaison du salaire des PDG le plus riches au pays avec celui des travailleurs moyens est une mauvaise comparaison, selon Ian Lee, professeur d'administration à l'Université Carleton.
   Selon lui, le salaire d’un travailleur moyen ne devrait pas être comparé à celui des patrons les plus riches, car il est normal que «les meilleurs joueurs gagnent beaucoup plus que la moyenne des gens. Il en va ainsi dans toutes les industries, qu’il s’agisse de sport, de finance ou de divertissement», précise Ian Lee.
   Selon lui, ces gens gagnent beaucoup plus que la moyenne parce qu’ils possèdent des talents rares et recherchés dans l’industrie. Au même titre qu’un joueur de hockey vedette touche chaque année plusieurs millions de dollars de plus qu’une recrue de quatrième trio.
   «Les comparer à une personne ordinaire, c'est comme comparer des pommes à des kumquats. C'est une mauvaise comparaison.» ~ Ian Lee 

[Ndlr : Personne ne mérite pareil revenu annuel, quel que soit son talent de PDG, de financier, de sportif ou d’amuseur public. Si c’était au mérite, les pompiers – des personnes ordinaires dont la mission principale est de protéger les gens, les biens et l'environnement en combattant des incendies et en portant secours lors d’inondations, d’accidents, de déversements de matières toxiques, etc. – devraient gagner davantage que leurs employeurs. Le principal talent des PDG consiste à développer les meilleures stratégies pour exploiter la main-d’oeuvre au plus bas coût; c’est d’ailleurs pourquoi les industriels et les manufacturiers se sont tournés vers les esclaves des pays émergeants afin d’accumuler plus de profits et d’esquiver les revendications syndicales. Et, c’est aussi pourquoi plusieurs de nos entreprises florissantes ont été vendues à des multinationales étrangères (2). L’appât du gain est dominant chez la plupart des hommes d’affaires.]

Les femmes presque absentes du palmarès

En ce qui a trait à la présence de femmes dans le palmarès des PDG les mieux payés du Canada, elles se font plutôt rares, note le CCPA dans son rapport. [...] Selon Statistique Canada, les femmes gagnent en moyenne 87 ¢ pour chaque dollar gagné par les hommes au Canada.


«Voulez-vous bien me dire ce que peut faire un être humain avec 200 fois le salaire d’un de ses employés à chaque année? La première année, je peux voir là, tu t’achètes un yacht, pis avec l’argent qui reste tu jettes toute la vaisselle sale aux vidanges, t’es rendu assez riche pour pas avoir à la laver et à secouer les couvercles de tes plats en plastique pour sortir l’eau de la petite craque. La deuxième année, tu fais quoi? Tu t’achètes un deuxième yacht, pis tu payes un chauffeur pour courser avec ton premier yacht?» (Apéro-Intello avec Mathieu Charlebois; Le 15-18, ICI Radio-Canada, 5 janv. 2018)
   J’ajouterais : Une fois que t’as acheté des condos luxueux dans les grandes capitales, une Bugatti Veyron (1,6 million $), un jet privé, des boîtes de cigares honduriens à 1500 $, etc., que fais-tu des millions accumulés année après année? Tu les balances dans un paradis fiscal?
   Si les idées manquent pour joindre le ridicule à l’odieux : «Tout se vend, même si c'est cher et parfois surtout si ça l'est. Si leur rareté ou leur histoire peuvent justifier le prix astronomique de certains objets, d'autres symbolisent la vanité des gens qui ont perdu de vue la notion de valeur au fur et à mesure qu'ils ont vu grossir leur compte en banque... Bienvenue chez les fous.»

Pochette pour infusion de thé sertie de 180 diamants (au rayon des surgelés de la surconsommation). En tout cas on peut dire que le marketing aura réussi à rendre les gens superficiels à un niveau qui dépasse l'entendement. 

«Le Luxe, une drogue? Lors d’une entrevue, j’ai entendu une prostituée raconter à quel point son métier lui permettait de mener un mode de vie luxueux. Pour elle, voiture européenne, condo au centre-ville et vêtements griffés justifiaient le fait de tailler des pipes à des gros dégueulasses. À mon avis, cette femme est une esclave. Elle sacrifie son corps pour tenter d’assouvir des désirs matériels qui sont en fait illimités. Par ailleurs, son corps ne lui appartient plus, il appartient aux créanciers qui lui ont prêté de l’argent pour acheter sa BMW.» Un point de vue intéressant :

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(1) Site de Serge Bouchard : http://www.sergebouchard.ca/

(2) Autre récit très coloré : Les chasseurs de neige
«Ouvrir des chemins en hiver, enlever de la neige, déneiger, ç'a vraiment fait parti du génie de notre culture.» Serge Bouchard raconte l'histoire du déneigement depuis la Nouvelle-France jusqu'à aujourd'hui. Il parle des inventions qui ont amélioré notre rapport à l'hiver, dont celle de la souffleuse à neige, dans les années 1920. [...]
   Au début du 20e siècle, le mécanicien Joseph-Armand Bombardier met au point un véhicule qui glisse sur la neige. En parallèle, un autre inventeur, Arthur Sicard, crée la souffleuse à neige. [...] C’est à la Ville d’Outremont qu’Arthur Sicard vend sa première souffleuse, à la fin des années 1920. Il fait ensuite fortune avec ces véhicules qu’achètent les municipalités, les aéroports et les gouvernements. Après la mort de l’inventeur, survenue en 1946, son entreprise devient propriété de la famille Simard de Sorel avant d’être rachetée par l’américaine SMI.

En complément 
Histoire de couple : Marie-Christine Lévesque et Serge Bouchard
Publié le lundi 8 janvier 2018

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