«Il faut
avoir au moins une certitude : celle de rester maître de sa mort et de pouvoir
en choisir l'heure et le moyen.» ~
Milan Kundera (La valse aux adieux)
Le projet C-14 est complètement dans le champ car il met de côté la décision de la Cour : la Cour suprême a invalidé l'article
241 du Code criminel qui interdit l'aide au suicide.
Or, dans son projet de loi C-14 le gouvernement fédéral propose sa sélection
des circonstances où il serait
permis de participer à la mort d'un individu, et seules ces circonstances
strictes mettraient le personnel médical à l'abri des poursuites pénales. De
plus, C-14 exclut l'aide médicale à mourir
pour les mineurs matures et les personnes souffrant de maladies psychiatriques, ainsi que le consentement anticipé – pourtant validés
par la Cour suprême. C’est là où le bât blesse : le parlement fédéral ne
respecte pas les principes émis dans l’arrêt Carter de la Cour suprême et ne
donne pas suite aux recommandations du Comité mixte spécial sur l'aide médicale
à mourir.
L’AQDMD (Association
québécoise pour le droit de mourir dans la dignité) a pour mission de faire
reconnaître l’autonomie pour chaque personne majeure apte et ayant rédigé ses
directives médicales anticipées (DMA) d’avoir, lorsque sera venu le temps, une
fin de vie conforme aux valeurs de dignité et de liberté qui l’ont toujours
animée et pour que soit respectée sa volonté personnelle d’avoir une aide
médicale à mourir (AMM) quel que soit son état cognitif à ce moment. http://www.aqdmd.qc.ca/
Le projet
de loi C-14 : une invitation aux défis juridiques
Par Dr
David Amies (médecin retraité à Lethbridge, en Alberta, et membre du Conseil
consultatif de médecins, DWD Canada)
Le 24 mai 2016
Le gouvernement s’éviterait de graves maux de tête
en amendant le projet C-14. Il semble bien que nous allons avoir une loi plutôt
contraignante et insatisfaisante pour réglementer l’aide médicale à mourir. Il
est difficile de connaître les détails précis des travaux internes du
gouvernement, mais il semble que la ministre de la Justice Jody Wilson-Raybould
et la ministre de la santé Jane Philpott aient été les principales meneuses
derrière le projet de loi C-14.
Le
projet de loi est rédigé dans l'habituel et obscur jargon légal tant aimé du
Parlement, rendant sa lecture très ennuyante. Cependant, certains points ressortent.
Le Paragraphe 2C tente de faire la lumière sur ce que le gouvernement considère
comme une «grave et irrémédiable» condition médicale : «une maladie,
ou une invalidité ou un déclin qui cause […] des souffrances physiques ou
psychologiques intolérables». Les mots importants à retenir : «d'ordre psychologique».
Le Paragraphe
2D suggère que l’aide médicale à mourir devrait être disponible lorsque «la mort
naturelle est raisonnablement prévisible».
Paragraphe
3G soutient que la période d'attente de 15 jours entre le moment de la demande d’aide
médicale à mourir et son exécution devrait normalement être obligatoire, mais réduite
si la mort semble imminente.
Je ne
suis pas avocat, mais je suis très capable de détecter les gros trous dans les
arguments, dont les défenseurs professionnels se serviront comme locomotive.
Le
Paragraphe 2C suggère que la souffrance psychologique pourrait bénéficier de l’aide
médicale à mourir, et pourtant, le projet de loi semble exclure les problèmes
de santé mentale. Il semble y avoir une contradiction fondamentale ici. Une autre procédure rejetée parce que certains législateurs confondent maladie psychologique avec folie. Comme je
l'ai dit ailleurs plusieurs fois, les personnes atteintes de psychose ont des épisodes
de confusion où ils auraient de la difficulté à prendre des décisions
importantes. En dehors de ces périodes, ils sont capables de prendre des décisions comme tout le monde.
Le Paragraphe
2D est une farce. Dans la vie, il n'y a qu'une seule chose inévitable : la mort.
Si j’étais témoin de la naissance d'une fille en santé, je pourrais
prévoir sa mort avec beaucoup d'exactitude simplement en consultant un tableau
actuariel. Je pourrais dire la même chose d'un garçon de 10 ans, d'une femme
de 50 ans, et ainsi de suite. Alors, que signifie une mort naturelle
«raisonnablement prévisible»? L'inclusion de cette clause stupide dans la loi ouvre
la porte toute grande aux essaims d’avocats.
Le Paragraphe
3G, concernant les périodes d'attente obligatoire, invite aussi aux débats
juridiques. En fait, elle stipule que la période d'attente de 15 jours est
obligatoire, mais que dans certaines circonstances, elle peut être plus courte.
C'est un très gros «mais» – tellement gros
qu'on se demande comment cette clause a pu être incluse.
Notons
par ailleurs que les avocats fédéraux qui ont rédigé le projet de loi
C-14 sont ceux qui ont perdu lors du jugement de l'arrêt Carter. Il est également très
curieux que les gens qui ont été choisis pour siéger sur le Comité d’enquête sur
l’aide médicale à mourir de l’ex-premier ministre Stephen Harper étaient ceux
dont les opinions avaient été rejetées par les neuf juges de la Cour suprême. Il
y a une étrange similarité de contextes.
C-14
sera vraisemblablement adopté par la Chambre des communes et le Sénat, où il pourra faire
l'objet d'un examen plus approfondi et être modifié de
plusieurs façons avant de revenir à la Chambre basse. Il est possible que le
projet de loi final devienne plus généreux et moins restrictif que le projet initial.
Toutefois, je crains que ce soit peu probable et je soupçonne que ses
principaux pilotes vont faire en sorte qu’au Canada il soit difficile d’obtenir
l’aide médicale à mourir à l'aide de toutes sortes de restrictions et d’obstacles.
Si cela
devait être le cas, nous aurons raté une excellente occasion de soulager les grandes souffrances de beaucoup de gens
qui seront finalement abandonnés à leur misère et à leur angoisse. Le
projet de loi C-14, tel qu'il est, fournira beaucoup de travail à beaucoup
d'avocats pendant plusieurs années à venir.
http://www.dyingwithdignity.ca/c14_challenge
~~~
John Priddle :
«Je me sens trahi par le projet C-14»
Par Rachel
Phan
Le 28 mai 2016, DWD Canada
Un jour, l’Ataxie de Friedreich laissera John
Priddle «piégé» à l'intérieur de son propre corps, incapable de parler ou de se
déplacer et en proie à de la douleur chronique. Il sait qu'il n'y a aucun moyen
d’empêcher sa maladie de progresser, et pour lui, l'aide médicale à mourir
représente une option – une lueur d'espoir et une possibilité de contrôle – au
milieu d’une situation incontrôlable.
Mais le
projet de loi C-14 menace de priver Priddle de cet espoir, de trahir son désir de
d’éviter ce sort, comme c'est le cas pour beaucoup d'autres Canadiens.
Dans
une vidéo (à voir absolument), Priddle – co-président de Dying With Dignity Canada à Victoria et membre du DWDC’s Disability Advisory Council – exprime
franchement son indignation devant ce qu’il considère comme une insulte. Il veut
que le consentement anticipé soit autorisé. «Si l’aide médicale à mourir est accessible,
je peux au moins exercer un peu de contrôle sur les circonstances de ma propre
mort. Je ne peux pas tricher avec ma maladie. Je ne peux pas la stopper, mais
je pourrais mourir selon mes propres termes, non pas selon les termes de ma
maladie.»
«Le
projet de loi est vicieux. Honnêtement, à quoi pensent-ils? On exerce une
discrimination envers les personnes handicapées ou qui, comme moi, sont en perte
d’autonomie croissante, et même envers les gens physiquement autonomes mais atteints
de maladies comme la démence. On ne respecte pas l'autonomie et l'autorité des
individus qui souffrent.»
«L’aide
médicale à mourir me donne l'occasion de vivre ma mort comme j’ai vécu ma vie»,
explique Priddle. «Tout au long de ma vie, j'ai été responsable et j’ai assumé mes
choix, et tout ce que je veux, c'est de vivre ma mort de la même façon. Mais le
projet C-14 ne me le permet pas.»
English video: http://www.dyingwithdignity.ca/john_priddle_video
«L'homme,
bien qu'il soit lui-même mortel, ne peut se représenter ni la fin de l'espace,
ni la fin du temps, ni la fin de l'histoire, ni la fin d'un peuple, il vit
toujours dans un infini illusoire.» ~
Milan Kundera (Le livre du rire et de
l'oubli)
Les pires dans tout ça, ce sont les personnes
financièrement démunies, sans famille ni réseau d’amis. Aucun moyen d’avoir de
l’aide pour mettre fin à leurs jours si elles ne veulent plus être là. Leur corps appartient à l'État.
~~~
Aide
médicale à mourir : doit-on permettre d'y consentir à l'avance?
Par Madeleine
Blais-Morin
Le 24 mai 2016
Des voix
s'élèvent pour permettre aux personnes qui savent qu'elles vont perdre leurs
facultés mentales de faire une demande anticipée d'aide à mourir. Mais d'autres
voix prônent la prudence.
Lorsqu'il a appris que le projet de loi fédéral
sur l'aide médicale à mourir ne permettrait pas les demandes anticipées, Marcel
Boulanger a été déçu. Le projet C-14 propose tout au plus d'étudier cette
délicate question. Mais pour l'homme de 86 ans, médecin à la retraite,
cofondateur de l'Association québécoise pour le droit de mourir dans la
dignité, la réflexion est déjà toute faite. Depuis longtemps.
«Je ne veux pas me ramasser recroquevillé en chien
de fusil dans un lit, dans un CHSLD. Non. Ça, je ne veux pas!» ~ Dr Marcel Boulanger (Photo : Benoit
Roussel)
Ses
directives anticipées
Dans un document écrit en 1998, il a fait part de ses volontés. Marcel Boulanger indique que
s'il venait à perdre ses fonctions cérébrales, il voudrait qu'on interrompe
tout traitement. Cette partie du document ne pose pas problème. Ce genre de
directives anticipées est pratique courante. Mais il demande aussi qu'on mette fin à ses jours, par euthanasie, si un
traumatisme ou une maladie dégénérative comme l'Alzheimer lui faisait perdre
ses capacités intellectuelles. Une
requête qu'il voudrait voir appliquée si elle devenait légale.
«À
partir du moment où vous êtes devenu un être qui cesse d'être vous, celui que
vous avez été pendant 80 ans, vous pouvez bien rejeter ce qui reste d'os et de
chair.» ~ Marcel Boulanger
Mais demander l'aide médicale à mourir de façon
anticipée n'était pas possible en 1998, ce ne l'est pas non plus aujourd'hui,
et le projet de loi C-14 ne le permettrait toujours pas. Cela inquiète
Marcel Boulanger.
Les adeptes
de la prudence
Du côté de l'Association médicale canadienne
(AMC), qui représente plus de 80 000 médecins du Canada, on prévient qu'il faut
faire preuve de prudence avec les directives anticipées.
La
directrice de l'éthique à l'AMC, Cécile Bensimon, note que parfois, des
patients qui émettent des directives médicales anticipées changent d'idée par
la suite. «C'est pour ça que c'est problématique d'interpréter les souhaits
antérieurs d'une personne qui ne peut plus donner son consentement. Et c'est
pourquoi nous nous devons d'étudier cette question en profondeur.»
Elle
note que certains médecins font une distinction entre l'acte de mettre fin à
des traitements et l'acte de l'aide à mourir.
«Le
gouvernement fédéral s'est proposé d'effectuer une étude approfondie sur ces
questions dites "Carter-plus" et l'AMC est tout à fait d'accord avec
cette approche. Nous préconisons depuis un certain temps d'adopter une approche
prudente et mesurée.» ~ Cécile
Bensimon
Torturé sur
la façon de voter
Pour le député libéral de Madawaska-Restigouche,
René Arseneault, C-14 ne va pas assez loin, mais représente tout de même un pas
de géant.
Le
projet de loi exige qu'un examen indépendant soit lancé, au plus tard 180 jours
après la date de sanction de la loi, non seulement sur les demandes anticipées,
mais aussi sur les demandes faites par les mineurs matures et celles où la
maladie mentale est la seule condition invoquée.
René
Arseneault était l'un des membres du Comité mixte spécial sur l'aide médicale à
mourir, qui s'était prononcé sur ces questions. Il raconte que celle des
demandes anticipées avait à peine posé problème. Ce comité recommandait de les
autoriser sous certaines conditions.
«Les
deux enjeux qui nous ont infligé des tortures intellectuelles, c'étaient les
mineurs matures et les personnes souffrant d'incapacités mentales ou
intellectuelles avant diagnostic. Mais quelqu'un qui a la maladie d'Alzheimer
et qui ne souffre pas de maladie intellectuelle préexistante, ça c'était clair,
ça a fait quasiment l'unanimité.» ~ René
Arseneault
La crainte
des dommages collatéraux
Le sénateur Serge Joyal siégeait lui aussi au
Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir. Il craint que des personnes
qui se voient refuser la possibilité de faire des demandes anticipées décident
de se suicider lorsqu'elles sont encore capables de le faire.
«Vous
poussez les gens au suicide si vous n'aménagez pas le régime à l'intérieur
duquel ils peuvent maintenir l'exercice de leur liberté jusqu'à la fin. Et
c'est ça l'implication du consentement préalable. Ou encore, vous forcez les
gens à inciter leur entourage à commettre un acte illégal.» ~ Le sénateur Serge Joyal
Marcel
Boulanger n'exclut pas ce scénario.
«Si je
m'en viens tout croche, c'est pas fermé complètement, que je pourrais de façon
réglée, déterminée, l'air de rien, disparaître. Ce n'est pas impossible. Je ne
veux pas me ramasser recroquevillé en chien de fusil, dans un lit, dans un
CHSLD. Ça, je ne veux pas ça!» ~
Marcel Boulanger
Témoignage du Dr Boulanger (vidéo) :
http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/Politique/2016/05/24/002-aide-medicale-mourir-consentement-prealable.shtml?isAutoPlay=1
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